Le projet aberrant de technocentre de démantèlement à Fessenheim

, par   Jean-Marie Brom

Vendredi 1er février : François de Rugy, ex-écologiste, ex-socialiste et aujourd’hui ministre de l’environnement, se déplace en Alsace afin de signer le « projet de territoire » pour l’après-Fessenheim. On découvre à cette occasion qu’EDF entend établir sur le site « un technocentre de démantèlement de grosses pièces métalliques ». Un mois plus tard, le directeur de la centrale nucléaire confirme et précise le projet : l’objectif est de « créer une unité de recyclage des métaux peu ou pas radioactifs issus du démantèlement des centrales nucléaires sur le site de la centrale »... Bref, une installation nucléaire (l’unité de “recyclage”) en remplacerait une autre (la centrale de Fessenheim), ce qui n’est pas sans poser questions...

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Jean-Marie Brom : Le projet aberrant de technocentre de démantèlement à Fessenheim
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LE PROJET ABERRANT DE TECHNOCENTRE DE DÉMANTÈLEMENT À FESSENHEIM

Jean-Marie Brom, Le Club Mediapart, lundi 18 mars 2019

C’est certain, la centrale nucléaire de Fessenheim finira bien par fermer. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’Alsace, l’Allemagne et la Suisse voisine seront débarrassées du nucléaire : sorti par la porte, revenu par la fenêtre...

Vendredi 1er février, François de Rugy, ex-écologiste, ex-socialiste et aujourd’hui ministre de l’environnement est venu en Alsace signer le « projet de territoire » pour l’après-Fessenheim. Au-delà de quelques projets un peu fumeux, de la promesse de quelques millions (et l’on sait ce que valent les promesses en matière de nucléaire), on y découvrait l’engagement d’EDF à créer sur le site « un technocentre de démantèlement de grosses pièces métalliques… » sans plus de précisions. Un mois plus tard, Marc Simon-Jean, directeur de la centrale nucléaire confirmait qu’EDF entendait « créer une unité de recyclage des métaux peu ou pas radioactifs issus du démantèlement des centrales nucléaires sur le site de la centrale » pour 2029, avec 150 emplois à la clé. Sans plus de précisions non plus… Allons-y donc pour les explications :

Unité de recyclage : une installation nucléaire chasse l’autre…

Il faut savoir qu’une centrale représente une masse considérable de « métaux peu ou pas radioactifs » :
• Les générateurs de vapeur : 300 tonnes pièce, et 3 générateurs par réacteur, ce qui fait 6.
• Les anciens générateurs : les 6 générateurs de vapeur de Fessenheim ont déjà été remplacés pour cause de « fatigue vibratoire » , ce qui fait 6 autres générateurs qui sont entreposés sur le site depuis une dizaine d’années….
• Les réacteurs eux-même (300 tonnes pièce), les pompes du circuit primaire….

Bref, pas mal de métal, que nos amis nucléophiles aimeraient bien “valoriser”, c’est-à-dire revendre…

Le processus est (presque) simple) : il consiste d’abord à attendre une dizaine d’années pour que les pièces “refroidissent” un peu, puis de découper et les fondre dans un four à 1650° (consommation maximale d’électricité) de sorte que les éléments les plus radioactifs et les plus légers migrent dans le “laitier” à la surface du magma ainsi obtenu. De la sorte, on obtient deux lingots de métal : l’un plus radioactif, dont on ne sait que faire (à part le stocker ou l’enfouir à Bure et l’oublier), et l’autre, plus faiblement radioactif (mais radioactif quand même), que l’on espère pouvoir “recycler” (revendre) dans l’industrie métallurgique traditionnelle (voitures, électroménager…). Mais bien sûr, globalement la radioactivité n’a pas disparu. Elle est simplement plus concentrée dans une des parties que dans l’autre…

Toujours selon le directeur de la centrale, « EDF dispose de cette technologie via une de ses filiales, en Suède ». Il s’agit de l’entreprise Studsvik, qui s’est déjà illustrée pour sa gestion hasardeuse d’un dépôt de matériaux radioactifs qu’elle gère – avec AREVA – en Grande Bretagne…

Et ORANO a d’ores et déjà présenté un projet similaire de « décontamination par pyrolyse ».

Un projet illégal, incontrôlable et aberrant

Cependant, « il faut qu’on lève certaines contraintes, notamment règlementaires, avec le gouvernement » (encore le directeur de Fessenheim). On ne saurait mieux dire : en France, et c’est heureux, tout matériel sortant d’une structure nucléaire doit être considérée comme un déchet radioactif. Et ne peut donc pas être recyclé ou réutilisé. La solution “règlementaire” consisterait à établir des “seuils de libération”, définissant des niveaux de contamination en deçà desquels les matériaux peuvent être libérés de tout contrôle et utilisés sans aucune restriction pour la fabrication d’équipements ou d’objets de la vie quotidienne. Autrement dit : pour fabriquer une poêle d’aluminium polluée au plutonium qui finira par se libérer lentement au cours de la cuisson … Sans compter l’accumulation dans les ménages de tel métaux libérés : électroménager, mobilier, automobile… Certes, c’est autorisé par l’Europe, mais pas en France. Et ce n’est pas parce que certains pays européens protègent mal leurs population qu’il faut les imiter…

Le deuxième problème pour lequel on n’a aucune solution est d’ordre technique, et a été révélé par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), organisme d’État peu suspect d’être antinucléaire : il est absolument impossible de savoir si une pièce de métal de grandes dimensions (plaque laminée) contient ou non des zones (inclusions) à radioactivité plus élevée, alors que l’on ne sait mesurer la radioactivité finale qu’en prélevant un petit échantillon de la pièce en question. Aucune garantie, et il suffit de bien choisir…

On peut bien sûr ajouter que le “technocentre” et les outils employés sont appelés à devenir eux-mêmes des déchets radioactifs, que selon l’IRSN l’impact économique est impossible à évaluer (seriez-vous prêt à acheter une casserole issue d’une centrale nucléaire ?) sans compter les erreurs possibles, voire les malfaçons plus ou moins volontaires (voir les problèmes de la fonderie de AREVA – Creusot-Loire pour les calottes de l’EPR … ou le générateur de vapeur de Fessenheim).

Fessenheim, deuxième poubelle nucléaire de l’Europe ?

En outre, un tel centre devrait traiter les métaux radioactifs issus des autres centrales françaises, voire étrangères : « Il faut aussi savoir si nos partenaires allemands sont intéressés ou pas (…) Ça pourrait améliorer la rentabilité économique » précise Marc Simon-Jean. Ce qui impliquerait le transport de monstres radioactifs (les générateurs de vapeur de 300 tonnes) même prédécoupés venant des centrales françaises et étrangères. Ce qui impliquerait un entreposage à Fessenheim des générateurs de vapeur avant traitement, puis des résidus radioactifs (et pas vraiment faiblement, ceux-là) issus de la fonte.

Nous avons déjà la Hague, qui retraite – contre rétribution – les combustibles irradiés allemands, suisses, belges, japonais (entre autre), voici le projet de Fessenheim qui permettra aux pays voisins de se débarrasser à bon compte de la radioactivité qui les encombre…

Mais finalement, c’est aussi une illustration du principe bien connu de dispersion de la pollution. Et après tout, puisque les Français profitent de l’énergie nucléaire, il n’y a pas de raison qu’ils ne profitent pas aussi des déchets radioactifs. Reste à savoir si, dans le cas de l’établissement de tels seuils de libération, un étiquetage informatif sera mis en place… On parie ?

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