Paroles de responsables de la sûreté nucléaire

, par   Bernard Laponche

En ces temps de débat sur le futur énergétique de la France, il est bon que chacun entende les paroles d’un certain nombre de responsables récents ou actuels de la sûreté nucléaire dans quatre pays : Allemagne, Belgique, Etats-Unis, France.

Allemagne


Wolfgang Renneberg

Directeur général chargé de la sûreté nucléaire au ministère de l’environnement de l’Allemagne, de novembre 1998 à novembre 2009.

Discours prononcé à Madrid, le 24 Mai 2001

« Comme vous le savez tous, le gouvernement de l’Allemagne a décidé d’éliminer progressivement l’utilisation commerciale de l’énergie nucléaire. Je vais préciser quelques-unes des raisons les plus pertinentes qui fondent cette décision.

La décision du gouvernement d’éliminer cette utilisation résulte d’une réévaluation des risques que présente cette technologie. Nous ne disons pas que les centrales électriques en Allemagne ne sont pas sûres au regard des standards internationaux. Cependant, le gouvernement allemand est d’avis que l’ampleur des effets des accidents nucléaires possibles est telle que cette technique ne peut être justifiée, même si la probabilité d’un tel accident est faible.

Une raison supplémentaire est qu’aucune solution pratique au problème de l’élimination finale des déchets hautement radioactifs n’a encore été trouvée. Les déchets radioactifs sont un fardeau pour les générations futures. L’arrêt définitif de la production d’électricité d’origine nucléaire supprime la production de nouveaux déchets.

Une autre raison est que les nombreuses mesures qui sont nécessaires pour réduire les risques d’une utilisation des matériaux fissiles à des fins destructrices au niveau national et international ne peuvent remplir leur fonction de protection, de sûreté et de contrôle que si les pays concernés jouissent de conditions sociales, économiques et politiques stables. La fin de l’utilisation commerciale de l’énergie nucléaire en Allemagne et l’arrêt du retraitement du combustible allemand réduit le stock de matériaux “ proliférants ”. À cet égard, ce choix contribue à réduire les risques de prolifération  ».

Et cela était dit bien avant Fukushima.

Belgique

Willy de Roovere,

Directeur de l’AFCN de 2006 au 31 décembre 2012. 

Dans Le Monde du 27 décembre 2012 (article de Jean-Pierre Stroobants) :

« Directeur de l’Agence fédérale de contrôle du secteur nucléaire (AFCN) jusqu’à la fin de l’année, le Belge Willy De Roovere a créé la sensation dans son pays en mettant en cause la sécurité de cette industrie. “ Nous devons nous demander si le risque nucléaire est encore acceptable ”, a expliqué, lundi 24 décembre, sur une radio publique néerlandophone, ce responsable qui dirigea par ailleurs la centrale de Doel, l’un des deux sites atomiques belges. “ En toute honnêteté, si je considère ce risque, je choisirais d’autres formes d’énergie ”, ajoutait M. De Roovere dans cet entretien, évoquant cependant les risques économiques liés à une telle décision.

Toute industrie comporte une part de risques, ajoutait-il, mais il est “ très difficile dans la période actuelle ” de faire accepter par la population celui qui est lié à la filière nucléaire. Surtout sur un territoire aussi densément peuplé que la Belgique, où une évacuation pourrait concerner des centaines de milliers de personnes.

Ma réflexion est la conséquence de la catastrophe de Fukushima ”, a expliqué M. De Roovere dans une autre interview publiée jeudi par le quotidien belge Le Soir. “ En matière nucléaire, le risque est très faible, mais les conséquences d’un accident peuvent être extrêmement graves”.

Etats-Unis

Gregory B. Jaczko

Commissaire de 2005 à 2009 puis président de 2009 à mai 2012 (démission) de l’Autorité de sûreté nucléaire (NRC). 

Dans le New York Times du 8 avril 2013 (article de Matthew L. Wald) :

« Tous les 104 réacteurs nucléaires qui fonctionnent actuellement aux Etats-Unis ont un problème de sûreté qui ne peut pas être résolu et ils devraient être remplacés par une nouvelle technologie, vient de déclarer lundi dernier le précédent président de l’Autorité de sûreté nucléaire (NRC). Il n’est pas réalisable de les arrêter définitivement tous ensemble, a-t-il ajouté, mais il est partisan de le faire plutôt que d’essayer de prolonger leur durée de fonctionnement.

La prise de position de cet ex-président, Gregory B. Jaczko, n’est pas inhabituelle par elle-même puisque les différents groupes anti-nucléaires se situent sur cette ligne. Mais il est tout à fait exceptionnel que celui qui a présidé jusqu’à récemment l’autorité de régulation critique de façon aussi brutale une industrie dont il était précédemment chargé d’assurer la sûreté.

Interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas pris cette position lorsqu’il était président, le Dr. Jaczko a déclaré dans un entretien suivant sa déclaration : “ Je ne suis arrivé à ce constat que très récemment ”.

Je réfléchissais de plus en plus sur ces questions, je contemplais la façon dont l’industrie, les contrôleurs et l’ensemble de la communauté de la sûreté nucléaire continuent d’essayer d’imaginer comment résoudre ces problèmes si difficiles, qui ont été mis encore plus en évidence par l’accident de Fukushima de 2011, au Japon ”, déclara-t-il, et “ Continuer de poser du sparadrap sur du sparadrap ne résoudra pas le problème ”.

Dr. Jaczko fit ces déclarations à la Conférence internationale Carnegie sur la politique nucléaire qui s’est tenue à Washington, pendant une session dédiée à l’accident de Fukushima ».

France

Jacques Repussard

Directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de 2003 à 2016.

Entretien dans Le Monde du 10 mars 2013.

A la question : « Le nucléaire a-t-il encore un avenir », J. R. répond :

« Fukushima ne remet pas en cause l’utilisation de la fission nucléaire comme source d’énergie. Mais il faut des technologies éliminant les risques d’accident aussi grave. Cela demande peut-être de changer de paradigme, d’imaginer d’autres types de réacteurs et d’arrêter la course à la puissance ».

André-Claude Lacoste,

Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de 2006 à 2012

Dans « Le Monde du 13 mars 2011 :

Un accident nucléaire majeur peut-il survenir en France ?

« Je l’ai toujours dit : personne ne peut garantir qu’il n’y aura jamais un accident grave en France. Il convient de faire deux choses : essayer de réduire la probabilité que cela arrive, ainsi que les conséquences, si cela arrive. C’est toute la philosophie de la sûreté nucléaire ».

Pierre-Franck Chevet

Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de 2012 à 2018.

Audition du 30 mai 2013 à l’Assemblée nationale :

« Nous disons clairement, depuis un certain temps déjà, pas seulement à la suite de Fukushima, que l’accident est possible en France, et qu’il faut donc se préparer à ce type de situation, y compris à des crises importantes et longues. Nous avons engagé en 2005 un travail, là encore en mode ouvert, avec l’ensemble des parties prenantes, sur la gestion dite post-accidentelle, pour voir comment nous pourrions gérer des crises majeures et longues, et ce travail se poursuit. Il était bien inspiré : Fukushima n’a fait que confirmer la pertinence du sujet, sur lequel nous avons des travaux importants à mener ».

Bernard Doroszczuk,

Président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) depuis 2018.

Dans « Les Echos » du 10 mars 2021, propos recueillis par Sharon Wajsbrot :

« Indéniablement, cet accident (Fukushima) a fait évoluer le regard de la population en France et à l’international sur le fait que le risque nucléaire est toujours possible ».

Ces messages sonnent comme des avertissements aux responsables politiques : souhaitons qu’ils les entendent.

A partir du moment où ce risque est reconnu par les responsables du contrôle de la sûreté nucléaire, il est clair que la décision de la poursuite de l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production d’électricité ne peut en aucun cas relever de décisions de l’Etat mais bien de celle l’ensemble des citoyens, à condition qu’ils soient correctement informés sur la nature des risques et l’ampleur de leurs conséquences sur la population, les travailleurs et l’environnement de cette activité industrielle, ainsi que sur les alternatives en termes de politique énergétique.