Le dangereux engouement pour les SMR

, par   Bernard Laponche

Lors de sa conférence de presse du 31 janvier 2024, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a abordé la question des petits réacteurs nucléaires modulaires, dits SMR, et répondu à quelques questions sur ce sujet.

Dans sa présentation, le président souligne les questions techniques et sociétales que posent ces nouveaux réacteurs, ainsi que les enjeux de sûreté, de sécurité et de non-prolifération « à intégrer en amont des projets ».

Ce sont les préoccupations habituelles lorsque l’on s’intéresse à des réacteurs nucléaires, qui produisent à partir des fissions et réactions en chaîne d’éléments fissiles (uranium, plutonium) de la chaleur et éventuellement de l’électricité, mais aussi des produits de fission et des transuraniens que l’on retrouve dans les combustibles irradiés destinés actuellement au retraitement, entraînant l’accumulation de déchets radioactifs s’ajoutant à ceux du démantèlement des réacteurs. Voilà donc les problèmes qu’il va falloir analyser pour les réacteurs candidats SMR, comme pour tout réacteur nucléaire et avec la même rigueur que pour les réacteurs classiques.

De la même façon qu’une installation industrielle classique ne peut prétendre être exempte de tout risque d’accident, aucune installation nucléaire ne peut y prétendre. La déclaration « un accident nucléaire est possible en France » des responsables de l’ASN qui se sont succédé est valable pour les SMR, même si, comme le dit son président actuel, certains SMR innovants « présentent des caractéristiques intrinsèques de sûreté potentiellement prometteuses ».

Les premiers exemplaires « prototypes » de réacteurs candidats au titre de SMR, c’est-à-dire destinés à être fabriqués en série en usine avant installation sur site, devront donc être construits sur des sites nucléaires, probablement ceux abritant des réacteurs de recherche.

Comme le souligne l’ASN, l’utilisation de SMR en France ne présenterait pas grand intérêt pour la production d’électricité au vu de l’importance du parc actuel des centrales d’EDF et des projets annoncés. Mais, par contre, les SMR pourraient être très utiles pour la production de chaleur ou de vapeur pour les industries de process (industrie papetière, agroalimentaire, chimique, etc.) qui sont très nombreuses.

Il faudrait alors implanter le réacteur SMR très près de l’installation industrielle ou même, d’après l’ASN, à l’intérieur de cette installation. C’est aller beaucoup trop loin dans la banalisation du risque. Et cela ne se limite pas à « l’acceptabilité » qui semble être l’inquiétude majeure de l’ASN mais aux risques de telles installations « mixtes ».
En effet, on ne peut pas admettre la présence d’une installation nucléaire de base, contenant des matières hautement radioactives au sein d’une installation industrielle classique, de type ICPE dans laquelle une situation accidentelle grave (AZF, Lubrizol) pourrait endommager l’unité SMR et transformer l’accident en catastrophe.

De plus, il est clair que chaque promoteur d’un candidat SMR ambitionne une commande importante en nombre d’exemplaires (de l’ordre de la centaine disent certains) qui lui permette la fabrication « modulaire » des réacteurs dans une usine dédiée, cela lui permettant la réduction supposée du coût unitaire.

On aurait dans ce cas, en éliminant la solution d’un SMR dans l’usine elle-même, la création d’un grand nombre de couples INB-ICPE. Même si l’on admet que la probabilité d’un accident sur le SMR soit plus faible que pour un réacteur classique (ce qui reste à démontrer pour chaque cas), cette probabilité est multipliée par le nombre de réacteurs, tous identiques.

Dans l’examen des dossiers de sûreté des grands réacteurs de puissance d’EDF et des usines du combustible nucléaire, l’ASN et l’IRSN portent une très grande attention aux « agressions extérieures » d’origine naturelle ou malveillante. Que deviennent ces préoccupations pour des SMR disposés un peu partout sur le territoire, sur des emplacements qui sont ceux de l’installation industrielle qu’ils doivent alimenter en chaleur et dont l’emplacement a été choisi hors de toute préoccupation de sûreté et sécurité nucléaires ? Comment serait organisée une protection spécifique qui, pour être efficace, serait certainement dispendieuse, d’autant plus que les SMR concernés seraient de faible puissance ?

La profusion des projets de candidats au titre de SMR qui, pour certains, sont soutenus financièrement par le Gouvernement conduit à ce que chacun soit examiné par l’IRSN et l’ASN, comme l’annonce cette dernière. Cet examen peut être décalé dans le temps en fonction de la maturité des projets, tous n’existant actuellement que sur dossier, plus ou moins élaboré.

Si cet examen est fait correctement, c’est-à-dire avec autant de soin que pour un réacteur de grande puissance, l’examen des dossiers techniques et de sûreté de chaque prototype de SMR est un travail considérable. On peut craindre que « l’engouement » pour les SMR dont parle l’ASN, exerce une pression dangereuse sur la qualité des études et des injonctions de sûreté et de sécurité.

Enfin, mais cela n’est pas le problème de l’IRSN et de l’ASN, il faudrait quand même disposer d’une information sérieuse sur les coûts. Non seulement celui de la construction d’un prototype (l’exemple de NuScale aux Etats-Unis est édifiant) mais aussi celui de son exploitation et surtout celui du combustible, de sa fabrication à son traitement après usage, du démantèlement et de la gestion des déchets.

Lorsque l’on examine à la lueur de ce que nous connaissons des bouleversements climatiques qui s’abattent déjà sur notre territoire et vont se renforcer de façon considérable, on peut vraiment se poser la question de la fragilité et du risque d’installer un peu partout des petits réacteurs nucléaires qui seront évidemment soumis, selon la période et leur site, aux inondations, sécheresses, tempêtes, tornades, séismes…

Tous ceux qui se disent aujourd’hui désireux d’accueillir un SMR sur leur territoire devraient vraiment y réfléchir sérieusement.

Cette note est publiée également sur Médiapart, dans le blog « Chroniques de l’uranium masqué » de Bernard Laponche.

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