La sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible en France et en Belgique, et les mesures de renforcement associées

, par   Jean-Claude Zerbib, Yves Marignac

Octobre 2017 : Greenpeace dévoile les grandes lignes d’un rapport d’experts commandité par l’ONG mais gardé confidentiel, et pour cause : axé sur la sécurité des installations nucléaires face à la menace terroriste, ce rapport pointe la grande vulnérabilité, au sein des centrales nucléaires mais aussi de l’usine de La Hague, des bâtiments abritant les piscines d’entreposage du combustible usé. En effet, ces piscines de refroidissement, qui peuvent contenir l’équivalent de plusieurs cœurs de réacteurs, ont été conçues et construites à une époque où les enjeux de sécurité face à la possibilité d’agressions extérieures n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui et ne sont pas protégées par des enceintes renforcées comme le sont les réacteurs... Le rapport de Greenpeace, dont seules sept copies ont été remises à différents hauts fonctionnaires chargés de la sûreté et/ou de la sécurité nucléaires au sein des institutions (ASN, IRSN et CoSSeN) et du gouvernement, alerte donc sur l’urgence d’une « bunkerisation » de ces piscines d’entreposage, une opération estimée à un milliard d’euros par unité...

Sur cette page :
Oda Becker, Manon Besnard, David Boilley, Ed Lyman, Gordon MacKerron, Yves Marignac et Jean-Claude Zerbib : La sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible en France et en Belgique, et les mesures de renforcement associées (rapport commandé par Greenpeace France, octobre 2017)
Menace terroriste : Les piscines d’entreposage du combustible usé, talon d’Achille des centrales nucléaires françaises ? (revue de presse : octobre 2017 – mai 2018)
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

LA SÉCURITÉ DES RÉACTEURS NUCLÉAIRES ET DES PISCINES
D’ENTREPOSAGE DU COMBUSTIBLE EN FRANCE ET EN BELGIQUE,
ET LES MESURES DE RENFORCEMENT ASSOCIÉES

Ci-dessous : Téléchargements | Résumé du rapport

TÉLÉCHARGEMENTS

Dossier de presse [665 ko, fichier pdf]
Greenpeace, 10 octobre 2017, 15 pages

Résumé du rapport [425 ko, fichier pdf]
Oda Becker, Manon Besnard, David Boilley, Ed Lyman, Gordon MacKerron, Yves Marignac et Jean-Claude Zerbib, 10 octobre 2017, 5 pages

Présentation au HCTISN [220 ko, 11 pages, fichier pdf]
Yannick Rousselet (Greenpeace), 7 décembre 2017, 11 pages

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RÉSUMÉ DU RAPPORT

Experts indépendants contributeurs du rapport : Oda Becker (Allemagne), Manon Besnard (France), David Boilley (France), Ed Lyman (États-Unis), Gordon MacKerron (Royaume-Uni), Yves Marignac (France), et Jean-Claude Zerbib (France).

Rapport commandé par Greenpeace France, octobre 2017

Sommaire : Avertissement | L’enjeu de la sécurité nucléaire | Le problème prioritaire des piscines d’entreposage | Le scénario d’accident redouté | La possibilité de succès d’une attaque | Les conséquences radiologiques potentielles

Avertissement

Ce rapport sur la sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible en France et en Belgique s’appuie sur les contributions de sept experts (France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), spécialistes en sûreté nucléaire, sécurité, radioprotection ou encore en économie, afin de rassembler l’ensemble des compétences nécessaires à l’analyse de la problématique. Chaque contributeur n’est responsable que de sa contribution sous la forme qui lui a été commandée et qu’il a remise séparément à Greenpeace France.

Ce rapport aborde un sujet éminemment sensible, dans un contexte extrêmement délicat. Le travail d’analyse critique et d’expertise indépendante doit dans ce domaine trouver la voie entre deux exigences contradictoires.

La première exigence est celle de la démocratie des choix. La question de la sécurité des installations nucléaires face aux agressions externes doit pouvoir être débattue publiquement. Il n’y a pas de justification à ce que cette question, qui constitue un point majeur dans l’appréciation des risques attachés à différentes options industrielles et énergétiques, échappe au processus démocratique. Le public possède un droit fondamental à l’information sur les risques associés à l’exploitation des installations nucléaires, qui inclut l’évaluation dans toutes ses dimensions de leur exposition au risque d’agressions externes. Il est ainsi de la responsabilité des experts non institutionnels d’apporter leur contribution pour éclairer ce débat.

La seconde, tout aussi fondamentale, est celle de la préservation de la sécurité publique. Il ne saurait être question, bien sûr, de contribuer en alimentant ce débat à renforcer le risque d’une agression externe visant les installations nucléaires, encore moins de favoriser la réussite d’une éventuelle attaque en révélant d’éventuelles failles du système. Il est donc également de la responsabilité des experts non institutionnels de veiller à ne pas affaiblir, par les informations qu’ils réunissent ou les analyses qu’ils produisent et mettent à disposition du public, la protection des installations.

Cet équilibre est particulièrement difficile à trouver dans le contexte français, où les autorités chargées de la sécurité nucléaire opposent systématiquement le « secret défense » à toute tentative de clarification de l’état de protection des installations nucléaires contre les actes de malveillance. Cette généralisation du secret constitue un piège redoutable, pour deux raisons structurantes.

En premier lieu, elle place par construction même tout observateur dans une situation impossible : travaillant sur la base d’informations publiques mais ignorant en principe tout du degré de vulnérabilité mesuré par les autorités et des mesures de protection associées, puisque ces informations sont confidentielles, il doit pourtant être capable d’identifier par lui-même le point où la mise en évidence et l’analyse de ces informations publiques viendraient compromettre ce secret, et par là même la sécurité. Mais surtout, dans l’hypothèse justement où des vulnérabilités existeraient dans la sécurité des installations nucléaires, et où l’action actuelle des opérateurs industriels et des pouvoirs publics consisterait à cacher ces failles sous le sceau du secret au lieu de procéder aux renforcements nécessaires, comment faire en sorte de mettre ce problème en débat sans affaiblir justement par sa mise en lumière le système ?

Il est indispensable, du point de vue des principes démocratiques autant que de la sécurité publique, que le secret ne soit en aucun cas un paravent dont les autorités usent pour cacher de telles failles au lieu de protéger efficacement les installations. Cette préoccupation est au cœur du travail commandité par Greenpeace France, qui porte sur la sécurité actuelle des installations nucléaires, et plus spécifiquement des piscines d’entreposage du combustible nucléaire, dans les centrales nucléaires françaises et belges ou à l’usine de retraitement de La Hague.

Ce travail s’est, à ce titre, accompagné de précautions tout à fait particulières. La plus évidente est de ne rendre public que le présent résumé. Greenpeace s’engage à n’en faire qu’une diffusion très restreinte auprès de ses membres travaillant sur le dossier, et auprès des autorités compétentes dans les pays européens concernés (France, Allemagne, Belgique, Luxembourg et Suisse).

Il faut souligner que ces précautions ne tiennent pas à la nature des informations utilisées dans le rapport. Celles-ci, qu’il s’agisse d’éléments tirés des publications des opérateurs industriels ou des autorités, de bases de données, d’articles d’actualité ou encore d’observations sur le terrain, sont intégralement publiques, et pour l’essentiel très faciles d’accès. Ce sont les vulnérabilités que la collecte et l’analyse de ces informations sont susceptibles de mettre en évidence qui suscitent une telle précaution, dans la mesure où la politique de protection vis-à-vis de ces vulnérabilités éventuelles repose justement avant tout, de façon extrêmement fragile, sur le secret (au sens ici de l’absence d’évocation publique de ces informations pourtant accessibles au public…).

L’enjeu de la sécurité nucléaire

Plusieurs facteurs concourent aujourd’hui à faire de la sécurité des installations nucléaires, et plus spécifiquement des piscines d’entreposage du combustible, un enjeu majeur et pleinement d’actualité. Le premier est évidemment le niveau très élevé de menace pesant sur la sécurité de la France et de l’Europe, qui incite à envisager l’ensemble des actions que pourraient tenter des organisations criminelles ou des individus s’en revendiquant : les centrales nucléaires constituent incontestablement un risque dans ce contexte.

Cela tient intrinsèquement au potentiel de danger que constituent ces installations, du fait même de l’inventaire de matières nucléaires réactives et radioactives qu’elles concentrent. Cet inventaire génère, dans les installations les plus importantes – telles que les centrales de production d’électricité, les usines de fabrication ou de traitement du combustible nucléaire, ou les principaux entreposages de matières nucléaires – un risque d’accident grave voire majeur. D’importantes dispositions de sûreté, telles que les barrières successives de confinement, la qualité de conception et d’exploitation, la mise en place de moyens de sauvegarde et de secours redondants sont mises en œuvre pour prévenir ce risque. Les actes de malveillance peuvent dès lors justement viser à mettre hors d’état ces dispositions pour provoquer volontairement un scénario accidentel conduisant à d’importants rejets de radioactivité.

La sécurité nucléaire consiste donc à protéger les installations contre la mise en œuvre réussie de tels actes. Elle repose en partie sur des dispositions classiques de sécurité, relevant par exemple de la détection grâce aux moyens de renseignement, de la prévention par l’intermédiaire de barrières ou de contrôles d’accès, et de l’intervention de forces de sécurité présentes sur les sites ou hors des sites. Elle peut également s’appuyer sur le rôle que peuvent jouer les dispositifs de sûreté, à l’image de l’enceinte de confinement d’un réacteur, qui offrent également une protection contre les agressions externes.

La plupart des installations nucléaires en service ont toutefois été conçues à une époque où les menaces étaient de nature différente : les moyens nécessaires à des attaques susceptibles d’affecter profondément ces installations ne pouvaient être mobilisés qu’avec le soutien d’États étrangers, qui en étaient dissuadés par la menace d’une frappe nucléaire militaire en retour (dans le cas de la France). Pour ces raisons historiques, le renforcement contre des attaques lourdes des ouvrages de génie civil et des systèmes de protection nécessaires à la sûreté nucléaire n’a été que peu ou pas du tout intégré à la conception de ces installations. La nature de la menace a toutefois radicalement basculé avec les attentats du 11 septembre 2001 : une organisation criminelle détachée de tout État peut disposer d’une capacité d’agression non couverte par les dispositions de conception initiales des installations nucléaires.

Le problème prioritaire des piscines d’entreposage

Ce déficit est d’autant plus marqué dans le cas des piscines d’entreposage du combustible nucléaire, par rapport aux réacteurs eux-mêmes. En effet, l’analyse de sûreté a conduit à l’époque de leur construction à négliger le risque d’un processus d’emballement dans les piscines, et par là même à ne pas les doter d’une enceinte de confinement robuste semblable à celle des bâtiments réacteur. La catastrophe de Fukushima a pourtant mis en évidence en 2011 le risque, dans ces conditions, d’un relâchement massif de radioactivité en cas de perte durable de la capacité de refroidissement du combustible entreposé. Cette situation, qu’une attaque externe pourrait chercher à provoquer, aurait des conséquences similaires à celles d’un accident majeur sur un réacteur nucléaire. Les piscines des réacteurs d’EDF, dont l’inventaire varie en fonction de différents facteurs et doit maintenir une réserve mais dont plusieurs sont proches de la saturation, ont une capacité de plusieurs centaines de tonnes de combustible, soit l’équivalent de jusqu’à deux à trois cœurs de leur réacteur ; les cinq piscines de La Hague contiennent quant à elles, au total, l’équivalent de près de 150 cœurs de réacteurs de 900 MW.

Le cas du réacteur EPR en construction à Flamanville illustre cette préoccupation. Celui-ci dispose en effet d’une enceinte en béton renforcée qui enveloppe, au même titre que le réacteur, le bâtiment combustible. Cette « coque avion » protégeant la piscine a été introduite dans le design du réacteur après le 11 septembre 2001, en lien direct – même si cela n’a jamais été explicitement formalisé dans le processus de décision – avec cette nouvelle menace. Il est clair que les piscines des réacteurs actuellement en service sont très loin de bénéficier du même niveau de protection.

La question d’un éventuel renforcement des ouvrages de génie civil et des équipements de sûreté de ces installations au nom de considérations relevant de la sécurité doit donc évidemment être posée. Ce point se heurte cependant en France à une situation institutionnelle relativement unique au niveau international, qui veut que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ne dispose pas de la compétence sur la sécurité qui lui permettrait d’examiner ce type de question, tandis que les autorités chargées du contrôle de la sécurité nucléaire exercent essentiellement leur compétence sur les moyens classiques de protection (détection, prévention, interception…). Aucun acteur ne semble donc réellement en mesure de se saisir d’une réflexion sur cet éventuel renforcement et d’en tirer des prescriptions.

Cette réflexion est pourtant, dans le contexte que l’on connaît en France, d’une actualité brûlante. Elle se pose notamment à trois niveaux, en lien avec les évolutions du parc nucléaire français :
(i) celui des bâtiments combustible de chacun des réacteurs, et particulièrement des 34 réacteurs de 900 MW d’EDF, dans la perspective des décisions à prendre sur leur prolongation de fonctionnement au-delà de 40 ans, conditionnée au renforcement de leur sûreté pour atteindre, selon le cahier des charges fixé par l’ASN, un niveau de sûreté aussi proche que possible de celui de l’EPR ;
(ii) celui des piscines d’entreposage du combustible des usines de retraitement d’Areva NC à La Hague, dont la capacité arrive à saturation dans un contexte de décisions à prendre sur l’avenir de ces installations également vieillissantes ;
(iii) et celui du nouveau projet de piscine centralisée d’entreposage dont EDF a récemment déposé le dossier d’options de sûreté, en lien avec la nécessité de réduire l’inventaire de combustible dans les piscines des réacteurs et en l’absence de capacité d’accueil à La Hague.

Le scénario d’accident redouté

C’est dans ce contexte que Greenpeace France a commandé à plusieurs experts français et étrangers diverses contributions sur l’analyse des risques et des conséquences potentielles d’actes malveillants visant les piscines d’entreposage du combustible, en vue de les réunir dans un rapport technique. Cette analyse se concentre d’abord sur un examen détaillé des conditions dans lesquelles une perte de refroidissement durable peut conduire à un relâchement massif de radioactivité dans ces piscines, avant de s’attacher à décrire le type de menace d’agression externe crédible aujourd’hui et de considérer plus en détail différents types d’attaque et différents éléments d’appréciation de la possibilité concrète de les mettre en œuvre pour un certain nombre d’installations représentatives, en rappelant enfin à quelles conséquences radiologiques un tel scénario serait susceptibles de conduire.

Les piscines d’entreposage du combustible assurent à la fois une fonction de protection radiologique contre la radioactivité dégagée par le combustible usé, et de refroidissement de ce combustible, qui présente une charge thermique importante, bien que décroissante avec le temps.

Le scénario redouté est celui d’une perte durable de refroidissement, en lien avec une situation de brèche entraînant une déperdition d’eau plus rapide que le rythme auquel celle-ci peut être renouvelée, conduisant à un découvrement partiel ou total du combustible. Sous l’effet de sa propre chaleur, potentiellement renforcé dans un deuxième temps par des phénomènes de corrosion, les crayons combustible voient leur gaine se déformer, se rompre et finalement brûler, entraînant une fusion du matériau combustible lui-même, et relâchant ainsi une large fraction de leur contenu. Le rapport examine en détail les différents paramètres pouvant influer sur la réalisation et le degré de gravité d’un tel scénario, tels que le débit de fuite et l’emplacement de la brèche, la disponibilité et la disposition des systèmes de cloisonnement ou de réinjection, le niveau de chaleur résiduelle des combustibles entreposés, la configuration et la densité des combustibles dans les racks, ou encore la présence parmi ce combustible usé de MOX, fabriqué à partir de plutonium issu du retraitement, qui présente globalement une chaleur et une réactivité plus grandes.

Cette analyse conclut en premier lieu que le déroulement de l’accident et son ampleur finale peuvent fortement dépendre de ces différents facteurs. Par conséquent, des personnes dotées d’intentions criminelles possédant les compétences nécessaires pourraient chercher à exploiter ces facteurs, par exemple en choisissant le moment de leur attaque et le type de dégâts qu’elles essaient de provoquer, afin de maximiser la gravité de l’accident et les relâchements auxquels il conduit. Cet effet pourrait être renforcé par la neutralisation, au cours de la même attaque, de dispositifs techniques ou humains destinés à secourir la piscine dans ce type d’accident.

La possibilité de succès d’une attaque

La question qui se pose ensuite est celle de savoir si une attaque externe serait susceptible de générer le type de dégradation ciblée nécessaire pour provoquer un tel scénario. Il ne s’agit pas ici de discuter la possibilité ou non que des organisations criminelles choisissent de s’attaquer à des installations nucléaires en Europe. Tout en constatant que ce n’est pas le type d’attaque que les organisations actives ont privilégié ces dernières années, on ne peut écarter l’idée que cette piste soit développée, comme différents signes d’intérêt d’individus avec des intentions criminelles pour des installations ou activités nucléaires le suggèrent.

Toutefois, le point est plutôt d‘évaluer dans quelle mesure des organisations criminelles seraient en mesure de réunir et de mettre en œuvre les moyens nécessaires à une telle tentative d’attaque si elles en développaient le projet. On ne peut sur ce plan que constater la tendance à un accès croissant à des moyens d’action de plus en plus disséminés, diversifiés, discrets mais aussi de plus en plus puissants, qu’il s’agisse par exemple de la possibilité de détourner des outils diffusés dans le domaine civil tels que les drones, du trafic d’armes légères et lourdes, ou de moyens de nuisance à distance par voie informatique.

Le rapport explore différents scénarios typiques d’attaque, mettant en jeu des instruments auxquels il estime que des individus dotés d’intentions criminelles sont aujourd’hui en mesure d’avoir accès. Compte tenu de l’épaisseur connue ou estimée des murs des bâtiments concernés et des piscines elles-mêmes, de telles attaques, sous réserve d’être déployées avec une efficacité suffisante face aux forces de sécurité présentes ou devant se transporter sur les sites (ce qui ne représente pas un obstacle majeur), sont en mesure de provoquer sur le type de structures et d’équipements des bâtiments d’entreposage du combustible en piscine les dégâts conduisant aux scénarios redoutés.

Cette analyse générique est complétée par une observation plus concrète des conditions dans lesquelles de tels moyens pourraient être mis en œuvre contre un certain nombre d’installations (les centrales de Bugey, Cattenom, Fessenheim, Gravelines, et les usines de La Hague en France, ainsi que les centrales de Doel et Tihange en Belgique…).

Certaines faiblesses connues sont génériques à l’ensemble des installations, comme l’absence de protection autre que des poutres et un bardage métallique sur les toits des bâtiments combustible. D’autres conditions sont évidemment variables selon les sites, rendant la réalisation de différentes attaques plus ou moins difficile. On peut en conclure que des individus projetant d’attaquer une installation nucléaire seraient en mesure, par le même type d’analyse, de sélectionner le ou les sites présentant les conditions les plus favorables.

Les conséquences radiologiques potentielles

En l’absence de la protection qu’offrirait une enceinte conçue pour être robuste aux agressions, les bâtiments d’entreposage du combustible des centrales nucléaires et de l’usine de retraitement de La Hague sont vulnérables à des attaques susceptibles de provoquer des dommages importants. Ciblée et dimensionnée pour provoquer une situation la plus pénalisante possible, une telle attaque pourrait maximiser le scénario d’accident lié au découvrement du combustible, à son échauffement jusqu’à sa fusion et au relâchement d’une fraction significative de sa radioactivité. Ainsi par exemple, dans les conditions les plus défavorables décrites précédemment, la totalité du césium-137 contenu dans le combustible, principal contributeur à l’exposition des populations dans un tel scénario d’accident, est susceptible d’être relâchée. Compte tenu de l’absence de confinement, par conception initiale du bâtiment et du fait des dommages causés par l’attaque, une large fraction de ce césium et des autres radionucléides relâchés s’échapperait à son tour du bâtiment : une telle situation résulterait finalement dans un rejet massif de radioactivité dans l’environnement.

Dans les premiers jours de la catastrophe de Fukushima Daiichi, le gouvernement japonais a cherché à estimer les conséquences du pire scénario envisageable, qui consistait alors en un cumul des rejets dus à la perte de confinement des réacteurs 1 à 3 de la centrale, et au dénoyage du combustible dans les piscines des réacteurs 1 à 4, cette dernière étant la plus chargée car le cœur du réacteur venait d’y être déchargé. Des retombées radioactives significativement supérieures à la radioactivité naturelle étaient alors projetées jusqu’à 250 km de la centrale, en grande partie dégagées par les piscines, et particulièrement par cette de l’unité 4.

L’analyse a posteriori de ce qu’aurait pu être cet accident, et la projection de ce que pourrait être un accident similaire sur les installations évoquées dans ce rapport, confirment que son impact dépasserait largement celui des accidents les plus graves envisagés sur un cœur de réacteur, affectant potentiellement dans un rayon de 75 à 150 km plusieurs millions de personnes. Compte tenu de l’absence de plan d’urgence et de protection des populations à cette échelle, et de la désorganisation des secours que l’attaque externe risquerait d’engendrer, les conséquences radiologiques d’une telle situation seraient potentiellement sans précédent.

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revue de presse
TERRORISME : LES PISCINES D’ENTREPOSAGE DU COMBUSTIBLE USÉ, TALON D’ACHILLE DES CENTRALES NUCLÉAIRES FRANÇAISES ?

Rapport d’expertise puis démonstration en acte : de l’alerte sur la sécurité des centrales nucléaires à la création d’une Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires...

Après avoir publié le 10 octobre 2017 les grandes lignes de son rapport d’expertise sur « La sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible » (cf. ci-dessus), Greenpeace parachève la démonstration en enchaînant les opérations d’intrusion au sein des sites nucléaires de Cattenom (12 octobre) puis de Cruas-Meysse (28 novembre).

Axée sur le risque terroriste, l’alerte ainsi lancée bénéficiera d’une couverture très large par les médias, avec pour premiers “résultats” politiques la création par l’Assemblée nationale, le 31 janvier 2018, d’une Commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, au prix, pour Greenpeace et ses militants, d’une répression judiciaire particulièrement sévère...

Sommaire de la revue de presse :

Un rapport publié par Greenpeace alerte sur la sécurité des centrales nucléaires
AFP, mardi 10 octobre 2017

Nucléaire : Greenpeace alerte sur la sécurité du combustible usé
Reuters, mardi 10 octobre 2017

Risque terroriste : des failles dans la sécurité des centrales nucléaires
Erwann Benezet, Le Parisien, mardi 10 octobre 2017

Terrorisme : quatre questions après le rapport inquiétant de Greenpeace sur la sûreté des centrales nucléaires
Francetvinfo.fr, mardi 10 octobre 2017

Les piscines d’entreposage des centrales nucléaires doivent être mises en sécurité, alertent des experts
Agnès Sinaï, Actu-environnement.com, mardi 10 octobre 2017

Un rapport alarmiste sur la sécurité des centrales nucléaires françaises
Challenges, mardi 10 octobre 2017

Les centrales nucléaires belges vulnérables face à un attentat, selon Greenpeace
RTBF – Radio Télévision Belge Francophone, mardi 10 octobre 2017

Greenpeace pointe la sécurité des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés
Aurélie Barbaux, L’Usine nouvelle, mardi 10 octobre 2017

Sécurité nucléaire : Greenpeace alerte sur les failles des piscines de refroidissement
Sandy Dauphin, France Inter, mardi 10 octobre 2017

Le parc nucléaire face au risque terroriste, un rapport alarmant de Greenpeace
Agnès Rougier, Radio France International, mardi 10 octobre 2017

Mise en garde sur la sécurité des centrales nucléaires françaises
La Dépêche, mardi 10 octobre 2017

Sécurité des centrales nucléaires : ce qui inquiète Greenpeace
Jean-Christophe Féraud, Libération, mardi 10 octobre 2017

Nucléaire : la sûreté des piscines à combustible en question
Joël Cossardeaux, Les Échos, mardi 10 octobre 2017

Sûreté nucléaire : Greenpeace épingle la fragilité des piscines à combustible qui ressemblent à « des hangars agricoles »
Fabrice Pouliquen, 20minutes.fr, mardi 10 octobre 2017

Greenpeace alerte sur la vulnérabilité des centrales nucléaires par rapport aux actes de malveillance
Erwan Lecomte, Sciences et Avenir, mardi 10 octobre 2017

La sécurité des centrales nucléaires face au terrorisme en question
Pierre Le Hir, Le Monde, mercredi 11 octobre 2017

Des membres de Greenpeace s’introduisent sur le site d’une centrale nucléaire en Lorraine
Le Monde.fr avec AFP et Reuters, jeudi 12 octobre 2017

Sécurité nucléaire : Greenpeace passe du rapport à l’action
Jean-Christophe Féraud, Libération, jeudi 12 octobre 2017

Avec des « piscines en carton », Greenpeace veut sensibiliser au risque nucléaire
Jean-Claude Bourbon, La Croix, vendredi 14 octobre 2017

Sécurité nucléaire : des militants de Greenpeace s’introduisent dans la centrale de Cruas-Meysse
Le Monde.fr avec AFP, mardi 28 novembre 2017

« Il faut renforcer les infrastructures, les bunkeriser »
Cyrille Cormier (Greenpeace), La Croix, mercredi 29 novembre 2017

Après la sûreté, le nouvel angle d’attaque de Greenpeace
Coralie Schaub, Libération, lundi 4 décembre 2017

La sécurité nucléaire battue en brèches
Pierre Alonso, Jean-Christophe Féraud et Amaelle Guiton, Libération, lundi 4 décembre 2017

Feu vert à une commission d’enquête sur la sûreté nucléaire
Agence Reuters, mercredi 31 janvier 2018

Greenpeace : des militants entrés sur le site d’une centrale condamnés à des peines de prison ferme
Le Monde.fr avec AFP, mardi 27 février 2018

Les lanceurs d’alerte de Greenpeace sévèrement condamnés par la justice
Émilie Massemin, Reporterre, mercredi 28 février 2018

Greenpeace : « EDF devrait nous remercier pour cet audit gratuit de ses centrales »
Yannick Rousselet (Greenpeace / interview), Libération, mercredi 16 mai 2018

Contre Greenpeace, l’État fait le procès de la désobéissance civile
Jade Lindgaard, Mediapart, vendredi 18 mai 2018


Un rapport publié par Greenpeace alerte sur la sécurité des centrales nucléaires
Agence France Presse, mardi 10 octobre 2017

Des experts mandatés par Greenpeace mettent en garde contre des failles sécuritaires dans les centrales nucléaires françaises en cas d’attaque ou d’acte de malveillance, dans un rapport dont l’ONG publie mardi une version résumée.

Ces sept experts (France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), spécialistes en sûreté nucléaire, sécurité, radioprotection et économie, se sont particulièrement intéressés à la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés. Des constats similaires ont été réalisés pour les centrales belges de Doel et Tihange.

Selon ces experts qui ont analysé des éléments tirés de publications des opérateurs industriels ou des autorités, d’articles d’actualité ou d’observations sur le terrain, des attaques seraient « en mesure de provoquer sur le type de structures et d’équipements des bâtiments d’entreposage du combustible en piscine les dégâts conduisant aux scénarios redoutés ».

L’intégralité du rapport ne sera pas publié

« Certaines faiblesses connues sont génériques à l’ensemble des installations, comme l’absence de protection autre que des poutres et un bardage métallique sur les toits » de ces bâtiments, estime leur rapport, résumé par l’ONG.

Pour des raisons de sécurité, la version intégrale du rapport ne sera pas publiée mais doit être remise mardi par le directeur général de Greenpeace France à de hauts responsables en charge des questions de défense et sécurité.

« Le constat qui ressort de ce travail est sans appel », souligne Greenpeace dans un communiqué : « les piscines d’entreposage du combustible usé sont extrêmement fragiles face aux actes de malveillance. Si le bâtiment réacteur est lui protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines de combustible usé, elles, ne sont pas protégées ». « Il s’agit pourtant des bâtiments qui contiennent le plus de radioactivité dans les centrales nucléaires », ajoute l’organisation écologiste.

En comptant La Hague et Creys-Malville, la France compte un total de 63 piscines de combustible usé.

EDF en cause

Greenpeace s’en prend à EDF, accusé de n’avoir « pas procédé aux renforcements nécessaires » malgré plusieurs rapports précédents mais aussi le survol de centrales, à répétition et toujours inexpliqué, par des drones.

« Ce problème de fragilité des piscines d’entreposage du combustible usé face au risque d’attaques extérieures ne peut être ignoré par l’exploitant des centrales nucléaires françaises EDF », ajoute l’ONG.

« Il faut briser l’omerta sur les risques qui planent sur les centrales nucléaires. EDF, qui exploite les centrales, ne peut ignorer cette situation. Elle doit impérativement prendre en main ce problème de sécurité en effectuant les travaux nécessaires pour sécuriser les piscines d’entreposage du combustible usé », estime Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace France.

Le directeur du parc nucléaire d’EDF, Philippe Sasseigne, a assuré mardi au Parisien que « tous les moyens sont mis en œuvre et de manière coordonnée, entre EDF et l’État » pour assurer la sécurité des centrales face aux nouvelles formes de menaces.

(haut de page) (sommaire de la page) (sommaire de la revue de presse)

Nucléaire : Greenpeace alerte sur la sécurité du combustible usé
Agence Reuters, mardi 10 octobre 2017

Les piscines d’entreposage de combustible nucléaire usé des centrales françaises et belges sont très mal protégées face aux risques d’actes malveillants et d’attaques terroristes, selon les conclusions d’un rapport d’experts publiées mardi par Greenpeace.

Selon ce rapport commandé par l’organisation non gouvernementale, les piscines des centrales – pouvant chacune contenir plusieurs centaines de tonnes de combustible usé – sont particulièrement exposées aux risques d’attaques par avion et par hélicoptère et ne résisteraient pas à des tirs d’armes antichar.

Des attaques de ce type pourraient donc provoquer « une catastrophe nucléaire majeure » mettant les populations en danger dans des rayons allant jusqu’à 250 km autour des centrales, estime Greenpeace, qui épingle la conception même des piscines d’entreposage – aux murs insuffisamment épais selon l’ONG –, utilisées pour refroidir des matières hautement radioactives.

L’ONG demande en conséquence à EDF de réaliser des travaux nécessaires pour « bunkériser » ces installations, pour un coût estimé à environ un milliard d’euros par piscine selon Yves Marignac, directeur de l’agence d’étude et de conseil WISE-Paris et coauteur du rapport.

Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire, a déclaré sur RTL que le gouvernement allait « examiner » le rapport de Greenpeace, qui lui a été remis mardi.

« La France a les mécanismes les plus robustes et les plus performants au monde en matière de sécurité et de sûreté », a-t-il dit.

Le ministère de l’Intérieur a précisé avoir « considérablement renforcé depuis 2009 les dispositifs de sécurité dans et aux abords des sites, sur lesquels une unité spécialisée de la gendarmerie est systématiquement présente ».

« Coopération étroite avec l’État »

La France compte 63 piscines de combustible, une sur chacun de ses 58 réacteurs en service, une dans l’ex-site de Creys-Malville et quatre à La Hague (Manche) sur un site exploité par Areva et considéré comme particulièrement fragile par les experts diligentés par Greenpeace.

« EDF travaille en coopération étroite avec l’Etat français pour assurer en permanence la protection des centrales nucléaires », a déclaré une porte-parole de l’électricien public, ajoutant que la conception des piscines de combustibles intégrait les risques des séismes et d’inondations mais aussi d’attaques terroristes.

Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d’EDF, a précisé au journal Le Parisien que le groupe prévoyait d’investir 700 millions d’euros supplémentaires d’ici à 2023 pour renforcer la sécurité, dans le cadre du Grand Carénage de 50 milliards d’euros sur 10 ans qui vise à prolonger la durée de vie des centrales.

Areva, de son côté, a déclaré que le risque terroriste était pris en compte par le groupe et les autorités depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, avec des procédures renforcées dans le cadre du plan Vigipirate actuellement en vigueur.

« La Hague est un site extrêmement sécurisé », a dit Areva, en citant notamment sa couverture radar permanente en liaison avec l’armée de l’air et son interdiction de survol à moins de 2.000 mètres d’altitude et dans un rayon de trois kilomètres.

Quant aux piscines de La Hague, a ajouté Areva, elles sont dans une zone protégée par plusieurs barrières et inaccessible avec des véhicules, avec « de nombreux bâtiments qui assurent une protection contre l’impact d’un avion gros porteur ».

Engie, qui exploite le parc nucléaire belge, n’a pas fait de commentaire dans l’immédiat.

L’Autorité de sûreté nucléaire a pour sa part souligné qu’elle n’était pas chargée de la sécurité des centrales françaises, qui consiste à les protéger contre des actions d’origine malveillante tandis que la sûreté concerne la maîtrise des risques induits par leur exploitation.

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Risque terroriste : des failles dans la sécurité des centrales nucléaires
Erwann Benezet, Le Parisien, mardi 10 octobre 2017

Durant dix-huit mois, Greenpeace a fait travailler des experts internationaux sur la protection de notre parc nucléaire face au risque terroriste. Les conclusions sont inquiétantes.

Ils sont sept. Sept experts des questions nucléaires et du terrorisme, mandatés par l’ONG de défense de l’environnement Greenpeace pour échafauder les pires scénarios d’attaques sur nos 19 centrales nucléaires. Objectif : identifier les failles de sécurité, et alerter les pouvoirs publics et EDF, l’exploitant de notre parc nucléaire, sur le danger que cela représente.

Sauf que les conclusions du rapport sont tellement alarmistes que les experts et Greenpeace, pourtant rompus aux hypothèses les plus inquiétantes, ont décidé de ne rendre publique ce mardi matin qu’une version « light », expurgée des informations les plus sensibles. « Il s’agit d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics, justifie Yannick Rousselet, chargé de campagne auprès de Greenpeace. Pas de donner des idées à des personnes mal intentionnées. » Au final, seules sept copies du rapport sont remises ce matin par Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France, à différents hauts fonctionnaires en charge des questions de défense et de sécurité au sein des institutions (ASN, IRSN et Cossen) et du gouvernement. « Le Parisien » – « Aujourd’hui en France » est le seul média à avoir pu consulter l’intégralité du rapport.

« Un déficit historique de la protection de nos installations »

Que nous apprend-il ? « Que nous connaissons un déficit historique de la protection de nos installations, et notamment des piscines de refroidissement, s’alarme Yves Marignac, l’un des contributeurs du rapport. À l’époque du lancement du programme nucléaire français, l’attention a été portée uniquement sur le risque d’emballement du coeur du réacteur. L’évolution du risque terroriste en quarante ans change tout. » Et le rapport de pointer du doigt le fait qu’aucune instance coordonnée n’existe sur la sécurité nucléaire. « Contrairement à d’autres pays, l’Autorité de sûreté nucléaire (NDLR : ASN) ne s’occupe que des questions de sécurité », reconnaît Pierre-Franck Chevet, son président.

Sollicités, ni le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, ni le haut fonctionnaire de défense et de sécurité rattaché à l’Environnement, Christophe Quintin, n’ont souhaité répondre à nos questions. L’opérateur EDF a, en revanche, bien voulu détailler les mesures de sécurité existant autour de nos centrales. Des mesures très insuffisantes, selon Greenpeace, et qui devraient impérativement être renforcées.

Les experts du rapport ont sorti leur calculette. Le renforcement des 58 piscines coûterait entre 1,6 et 2,26 Mds€ par piscine de réacteur. Celui des quatre piscines principales de La Hague, entre 11,6 et 22,6 Mds€. Et celui des 58 réacteurs (hors piscines), entre 2,7 et 3,8 Mds€ par réacteur. Au total, ce sont donc entre 140 et 222 Mds€ qu’il faudrait débourser pour mener à bien ce gigantesque chantier. Soit entre trois et cinq fois ce qu’EDF a prévu de dépenser pour prolonger la durée de vie des centrales... Mais ne pas le faire pourrait nous coûter encore bien plus cher.

Zoom sur deux cas sensibles

• Le cas de la Hague interpelle. Situé à 25 km à l’ouest de Cherbourg (Manche), le site de la Hague représente le plus grand centre de retraitement de déchets nucléaires au monde. « Comment un site aussi sensible peut-il faire l’objet d’aussi peu de protection ? » s’interrogent les sept experts. En effet, il n’y a pas de dispositif de sécurité particulier pour cette installation unique au monde. « On y trouve autant de combustible usé entreposé dans les quatre piscines qu’il y a de combustible chargé ou en refroidissement dans les 58 réacteurs d’EDF », est-il détaillé dans le rapport. Soit 9 955 t à la Hague, contre 9 823 t dans l’ensemble des réacteurs de l’Hexagone, selon les derniers chiffres de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) en 2013. Soit encore l’équivalent de 116 cœurs de réacteurs, usés mais toujours hautement radioactifs.

• Les piscines, talon d’Achille du parc français. La France dispose de 62 piscines de refroidissement : une par réacteur (58), et 4 à La Hague. « Contrairement aux huit réacteurs encore en fonctionnement en Allemagne, les piscines françaises sont toutes situées en dehors du bâtiment réacteur, bien moins protégées », explique Oda Becker, la contributrice allemande du rapport. « Si leur fond est renforcé avec du béton armé et un revêtement étanche en acier, les structures qui les recouvrent tiennent davantage du hangar agricole que de l’édifice nucléaire », renchérit Yannick Rousselet, chargé de campagne de Greenpeace.

Ces piscines sont remplies d’eau, jusqu’à sept mètres au-dessus du combustible. À la fois pour « refroidir » ce dernier et protéger le personnel contre la radioactivité. « Si ce bâtiment est endommagé par une attaque, peut-on lire dans le rapport, la diminution du niveau de l’eau entraîne en quelques heures de graves rejets radioactifs. Et à terme, la fonte de toute la piscine. » « À Fukushima, si les piscines avaient elles aussi été touchées, renchérit Yves Marignac, coauteur du rapport, ce sont alors les 14 millions d’habitants de la ville de Tokyo, pourtant située à 260 km, qui auraient dû être évacués. »

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Terrorisme : quatre questions après le rapport inquiétant de Greenpeace
sur la sûreté des centrales nucléaires

Francetvinfo.fr, mardi 10 octobre 2017

Durant dix-huit mois, sept experts ont étudié différents scénarios d’attaque terroriste pouvant viser les centrales de l’Hexagone.

Le document est si sensible que seule une version expurgée des éléments les plus préoccupants a été rendue publique. L’ONG Greenpeace remet aux autorités, mardi 10 octobre, un rapport alarmiste sur la sécurité des 19 sites nucléaires français face à la menace terroriste. Le Parisien, qui a pu consulter l’intégralité du texte, en révèle les principaux enseignements.

1. Qui sont les auteurs du rapport ?

L’ONG de défense de l’environnement a confié à sept experts (trois Français, une Allemande, deux Britanniques et un Américain) la rédaction de ce rapport. Durant dix-huit mois, ces ingénieurs, chercheurs ou encore docteurs en physique nucléaire, qui connaissent bien les installations françaises et collaborent pour certains avec les autorités, ont étudié différents scénarios d’attaque terroriste pouvant viser les centrales de l’Hexagone.

« Le résultat est détaillé à l’extrême : types d’armes, stratégies d’attaque, terrains utilisés (par voie aérienne, terrestre ou maritime) ou engins (avions, hélicoptères, drones…), rien n’est laissé au hasard », écrit Le Parisien. Pour éviter de donner des idées à des personnes mal intentionnées, seule une version expurgée de ces détails sera rendue publique. Le quotidien précise qu’EDF, qui exploite le parc nucléaire français, n’a pas été associé à la conception de ce rapport afin que ses auteurs puissent travailler en toute indépendance.

2. Quels sont les principaux risques ?

Dans les colonnes du Parisien, l’un des sept experts mandatés par Greenpeace, Yves Marignac, relève qu’à l’époque du lancement du programme nucléaire français, c’est-à-dire lorsque que le risque d’attaque terroriste était bien moindre qu’actuellement, les inquiétudes en matière de sécurité n’ont porté que sur « le risque d’emballement du cœur » des réacteurs nucléaires.

Or, plusieurs installations annexes posent problème et pourraient être la cible d’attaques. Les rédacteurs du rapport sont particulièrement alarmistes au sujet des piscines de refroidissement, dans lesquelles le combustible nucléaire usé est stocké et refroidi. Ces piscines sont remplies d’eau, jusqu’à 7 m au-dessus du combustible. A la différence des réacteurs, qui sont protégés par des parois de béton de 60 cm à 1 m d’épaisseur, les 62 piscines que compte la France sont recouvertes par une structure de 30 cm d’épaisseur seulement. Un revêtement qui « tient davantage du hangar agricole que de l’édifice nucléaire », selon une experte citée par le quotidien.

Les auteurs du texte s’inquiètent également de la situation des stations de pompage, utilisées pour puiser dans les rivières l’eau utilisée pour refroidir le combustible dans les réacteurs et les fameuses piscines. Le rapport relève que ces installations ont par le passé été bouchées par des invasions de méduses, de moules, ou d’algues, ce qui a menacé le bon fonctionnement du refroidissement de certains sites. Elles pourraient donc constituer des cibles de choix pour des personnes malveillantes.

3. Quelles sont les mesures préconisées ?

Les experts mandatés par Greenpeace préconisent un renforcement significatif des structures des 58 piscines de refroidissement et des 58 réacteurs nucléaires présents sur le territoire français.

Problème : le coût de ces rénovations est très élevé. Le renforcement des piscines coûterait à lui seul entre 1,6 milliard et 2,26 milliards d’euros par piscine, et celui des 58 réacteurs entre 2,7 milliards et 3,8 milliards par réacteur. Au total, l’opération serait donc comprise entre 140 et à 222 milliards d’euros. « Soit entre trois et cinq fois plus que ce qu’EDF a prévu de dépenser pour prolonger la durée de vie des centrales », note Le Parisien.

4. Que répond EDF ?

Interrogé par Le Parisien, Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d’EDF, préfère mettre l’accent sur les moyens humains déployés pour éviter les attaques terroristes visant les centrales. Il assure ainsi qu’un millier de gendarmes se relaient 24 heures sur 24 pour surveiller l’ensemble des sites, « sans compter la surveillance de l’espace aérien ou le renseignement assurés par le ministère de la Défense ».

Philippe Sasseigne insiste également sur le fait que dans le cadre du prolongement de la durée de vie des centrales, 700 millions d’euros seront investis d’ici à 2023 « aussi bien dans les effectifs que le matériel, comme l’éclairage, des clôtures, des caméras ou encore la pose de plots en béton contre les véhicules béliers ».

Il dément enfin que les piscines de refroidissement soient moins bien protégés que les réacteurs nucléaires. Et précise que « si les structures du bâtiment combustibles ne sont pas aussi épaisses qu’autour du réacteur, c’est que la configuration géométrique de ce bâtiment ne le nécessite pas ».

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Les piscines d’entreposage des centrales nucléaires doivent être mises en sécurité, alertent des experts
Agnès Sinaï, Actu-environnement.com, mardi 10 octobre 2017

Dans un rapport commandé par Greenpeace, des experts indépendants français et étrangers interrogent la sécurité des piscines d’entreposage du combustible nucléaire. Ils soulignent que la mise en sécurité de ces piscines constitue un « problème prioritaire », qui n’a pas été pris en compte au moment de la construction des 58 réacteurs français, à une époque où le risque terroriste n’était pas à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, « la nature de la menace a radicalement basculé avec les attentats du 11 septembre 2001 : une organisation criminelle détachée de tout État peut disposer d’une capacité d’agression non couverte par les dispositions de conception initiales des installations nucléaires ».

Le scénario redouté est celui d’une perte durable de refroidissement du combustible, en lien avec une situation de brèche entraînant, dans les piscines d’entreposage, une déperdition d’eau plus rapide que le rythme auquel celle-ci peut être renouvelée, conduisant à un découvrement partiel ou total du combustible, comme cela s’est produit à Fukushima.

Des installations saturées

« Compte tenu de l’absence de confinement, par conception initiale du bâtiment et du fait des dommages causés par l’attaque, une large fraction du césium et des autres radionucléides s’échapperait du bâtiment : une telle situation résulterait finalement dans un rejet massif de radioactivité dans l’environnement », alerte le rapport.

Or, les piscines d’entreposage, dont plusieurs sont proches de la saturation, « ont une capacité de plusieurs centaines de tonnes de combustible », notent les experts. A La Hague, dans la Manche, les cinq piscines contiennent l’équivalent de près de 150 cœurs de réacteurs de 900 MW.

La question d’un éventuel renforcement des ouvrages de génie civil et des équipements de sûreté de ces installations doit donc être posée au nom de considérations relevant de la sécurité, estiment les experts. Le rapport, dans sa version intégrale, a été remis ce mardi 10 octobre par Greenpeace aux autorités compétentes en matière de sécurité nucléaire, pour les alerter sur le problème. Seul le résumé a été rendu public, pour des raisons de sécurité.

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Un rapport alarmiste sur la sécurité des centrales nucléaires françaises
Challenges, mardi 10 octobre 2017

Des experts mandatés par Greenpeace mettent en garde contre des failles sécuritaires dans les centrales nucléaires françaises en cas d’attaque ou d’acte de malveillance, dans un rapport dont l’ONG publie mardi une version résumée.

Des experts mandatés par Greenpeace mettent en garde contre des failles sécuritaires dans les centrales nucléaires françaises en cas d’attaque ou d’acte de malveillance, dans un rapport dont l’ONG publie mardi une version résumée. Ces sept experts (France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), spécialistes en sûreté nucléaire, sécurité, radioprotection et économie, se sont particulièrement intéressés à la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés. Des constats similaires ont été réalisés pour les centrales belges de Doel et Tihange.

Selon ces experts qui ont analysé des éléments tirés de publications des opérateurs industriels ou des autorités, d’articles d’actualité ou d’observations sur le terrain, des attaques seraient « en mesure de provoquer sur le type de structures et d’équipements des bâtiments d’entreposage du combustible en piscine les dégâts conduisant aux scénarios redoutés ». « Certaines faiblesses connues sont génériques à l’ensemble des installations, comme l’absence de protection autre que des poutres et un bardage métallique sur les toits » de ces bâtiments, estime leur rapport, résumé par l’ONG.

« Sans appel »

Pour des raisons de sécurité, la version intégrale du rapport ne sera pas publiée mais doit être remise mardi par le directeur général de Greenpeace France à de hauts responsables en charge des questions de défense et sécurité.

« Le constat qui ressort de ce travail est sans appel », souligne Greenpeace dans un communiqué : « les piscines d’entreposage du combustible usé sont extrêmement fragiles face aux actes de malveillance. Si le bâtiment réacteur est lui protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines de combustible usé, elles, ne sont pas protégées ». « Il s’agit pourtant des bâtiments qui contiennent le plus de radioactivité dans les centrales nucléaires », ajoute l’organisation écologiste.

En comptant La Hague et Creys-Malville, la France compte un total de 63 piscines de combustible usé. Greenpeace s’en prend à EDF, accusé de n’avoir « pas procédé aux renforcements nécessaires » malgré plusieurs rapports précédents mais aussi le survol de centrales, à répétition et toujours inexpliqué, par des drones.

« Briser l’omerta »

« Ce problème de fragilité des piscines d’entreposage du combustible usé face au risque d’attaques extérieures ne peut être ignoré par l’exploitant des centrales nucléaires françaises EDF », ajoute l’ONG. « Il faut briser l’omerta sur les risques qui planent sur les centrales nucléaires. EDF, qui exploite les centrales, ne peut ignorer cette situation. Elle doit impérativement prendre en main ce problème de sécurité en effectuant les travaux nécessaires pour sécuriser les piscines d’entreposage du combustible usé », estime Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace France.

Le directeur du parc nucléaire d’EDF, Philippe Sasseigne, a assuré mardi au Parisien que « tous les moyens sont mis en oeuvre et de manière coordonnée, entre EDF et l’État » pour assurer la sécurité des centrales face aux nouvelles formes de menaces.

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Les centrales nucléaires belges vulnérables face à un attentat, selon Greenpeace
RTBF – Radio Télévision Belge Francophone, mardi 10 octobre 2017

Les bassins de refroidissement des centrales nucléaires en Belgique et en France ne sont pas suffisamment protégés contre une attaque extérieure. C’est le constat d’un rapport d’experts indépendants mandatés par Greenpeace France et dont les conclusions ont été présentées mardi. La division belge de l’organisation environnementale transmettra le document complet, qui est confidentiel, à l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), au Centre de crise et au ministre de l’Intérieur Jan Jambon, compétent en matière de sécurité nucléaire.

Chute d’avion et attaque à l’arme lourde

A la suite des récents attentats en France et en Belgique, Greenpeace a demandé à sept experts internationaux (France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), spécialistes en sûreté nucléaire, sécurité, radioprotection et économie, de vérifier si les centrales nucléaires des deux pays pouvaient résister à des agressions extérieures telles qu’une chute d’avion ou une attaque à l’arme lourde.

D’après leur conclusion « unanime », les bassins de stockage des barres de combustible usagé, situés à l’extérieur des bâtiments blindés du réacteur, sont extrêmement vulnérables. Ils présentent en outre une radioactivité beaucoup plus concentrée que les réacteurs eux-mêmes. S’ils étaient endommagés lors d’une attaque entraînant la vidange de l’eau de refroidissement, les barres de combustible seraient mises à nu, entraînant une hausse de la température et des rayonnements, prévient l’organisation environnementale, qui redoute une catastrophe nucléaire avec un impact radiologique important.

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Greenpeace pointe la sécurité des piscines d’entreposage
des combustibles nucléaires usés

Aurélie Barbaux, L’Usine nouvelle, mardi 10 octobre 2017

Selon un rapport de Greenpeace, non public pour des raisons de sécurité et de défense, les piscines de refroidissement du combustible usé des centrales nucléaires françaises et belges ne sont pas assez protégées face à des menaces d’attaques terroristes.

Dans sa panoplie d’opérations coup de poing, Greenpeace France a choisi le rapport d’experts pour mettre sur la table le problème de la sécurité des centrales nucléaires. Un rapport, remis ce mardi 11 octobre 2017 en main propre par Jean-François Julliard, président de Greenpeace France, aux autorités concernées, pointe en effet la vulnérabilité des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés face aux attaques terroristes. Pas question de donner accès à des personnes malveillantes aux quatre scénarios qui évaluent les risques d’attaque à l’explosif par avion, par hélicoptère, par missile ou de l’intérieur, et leurs conséquences. Même si le rapport a été rédigé a partir de données publiques.

Vulnérables aux attaques à l’explosif

Selon les sept auteurs du rapport, toutes les piscines de refroidissement des centrales françaises et belges sont vulnérables. Et les conséquences d’une attaque à l’explosif de ces installations seraient bien supérieures à celle d’un accident nucléaire sur une chaudière nucléaire. « En cas d’incendie d’une piscine d’entreposage, les conséquences seraient beaucoup plus graves qu’à Tchernobyl ou Fukushima », explique David Boiley, spécialiste de la radioactivité et président de l‘Acro. Sous vent porteur la diffusion de la radioactivité pourrait atteindre des centaines de kilomètres. Aucun pays ne peut être prêt à évacuer une telle zone. » D’autant qu’en cas d’attaques c’est dans l’heure qu’il faudrait évacuer les populations.

Plus grave qu’un accident de réacteur

Greenpeace pointe aussi la séparation entre les questions de sûreté nucléaire et de sécurité à des attaques extérieures, qui ferait que ce problème de sécurité des piscines serait « mis sous le tapis ». Si le premier est du ressort de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui se préoccupe du design des sites et du risque d’accident nucléaire, le second relève des autorités de Défense. Les piscines en services ont toutes été conçues à une époque où les risques d’attaques n’étaient pas aussi forts.

« Le fait même que le design de la piscine de l’EPR de Flamanville, conçue après le 11 septembre 2001, prévoit une protection aussi épaisse que celle du réacteur disqualifie le design des piscines des autres centrales construites avant », pointe Yannick Rousselet, en charge de la sûreté nucléaire chez Greenpeace France. Pour lui « toutes les piscines sont en carton mais personne n’en parle ». Sauf Greenpeace, qui entend bien « mettre le problème sur la table » avec ce rapport.

1 milliard d’euros pour la bunkerisation

Le rapport avance bien sur des recommandations. « Il faut des mesures pour réduire l’inventaire des combustibles dans les piscines, renforcer dans les meilleures délais la robustesse de ces installations et construire dans les meilleurs délais des capacités d’entreposage plus robustes », liste Yves Martignac, consultant et directeur de Wise-Paris. Quant aux coûts de ces mesures, Greenpeace ne les a pas chiffrées, mais « la bunkerisation d’une piscine couterait environ un milliard d’euros », évalue David Boiley. Une charge a priori non prévue dans les prévisions pour l’opération de grand carénage qu’EDF a lancé pour prolonger la vie de ses centrales au-delà de 40 ans.

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Sécurité nucléaire : Greenpeace alerte sur les failles des piscines de refroidissement
Sandy Dauphin, France Inter, mardi 10 octobre 2017

Dans un rapport hautement confidentiel dont une version publique, moins sensible, a été remise aux médias, l’ONG alerte sur des centrales vulnérables en cas d’attentat.

Les piscines de refroidissement de combustibles sont-elles les talons d’Achille du parc nucléaire français ? C’est ce qu’affirme Greenpeace. Dans une mise en scène très soignée, l’ONG a remis mardi aux autorités françaises un rapport jugé très sensible sur la sécurité des centrales nucléaires.

Ce document, dont les copies sont numérotées et ont été remises en main propre du directeur général de Greenpeace à de hauts fonctionnaires, est le résultat de 18 mois d’études de scénarios catastrophes. Les conclusions des sept experts internationaux ((France, Allemagne, Royaume-Uni et États-Unis), spécialistes en sûreté nucléaire, sécurité, radioprotection et économie, sont alarmantes.

La version expurgée de toute information sensible qui a été rendue publique alerte sur les piscines où sont entreposés les tonnes de combustibles usés, à la Hague et dans 19 centrales françaises, des « hangars agricoles », tels que les désigne Yannick Rousselet, chargé de campagne chez Greenpeace, qui seraient vulnérables à des agressions extérieures type chute d’avion ou attaque à l’arme lourde, parce que situés en dehors des bâtiments blindés du réacteur.

Des bunkers autour des piscines

« Certaines faiblesses connues sont génériques à l’ensemble des installations, comme l’absence de protection autre que des poutres et un bardage métallique sur les toits » de ces bâtiments, estime leur rapport, résumé par l’ONG. D’après Greenpeace, il faudrait transformer ces zones de stockage en buncker, comme cela est prévu pour le futur EPR de Flamanville.

Du côté d’EDF, on assure avoir pris en compte le risque d’attaque aérienne, depuis les attentats du 11 septembre 2001. Le directeur du parc nucléaire français, Philippe Sasseigne, n’a pas lu le rapport de Greenpeace, mais il affirme que « les centrales sont sûres ».

Si les pouvoirs publics décidaient de suivre les recommandations de l’ONG, la protection des piscines de refroidissement représenterait un coût exorbitant : entre 140 et 22 milliards d’euros.

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Le parc nucléaire face au risque terroriste, un rapport alarmant de Greenpeace
Agnès Rougier, Radio France International, mardi 10 octobre 2017

Alarmant, c’est le mot pour qualifier le rapport de Greenpeace sur la sécurité de nos centrales nucléaires en cas d’attaque terroriste. Alarmant, au point que seule une version expurgée des informations les plus sensibles est publiée ce mardi 10 octobre. Le document est signé par des experts du nucléaire et du terrorisme mandatés par Greenpeace et conclut à un « déficit historique de la protection de nos installations ».

C’est un rapport extrêmement inquiétant que publie Greenpeace ce 10 octobre 2017. Des experts anglais, américains, français et américains du nucléaire et du terrorisme pointent du doigt dans un rapport « des déficits historiques dans la protection de centrales nucléaires françaises ».

L’un des constats principaux des experts est la fragilité de la protection des piscines de combustible usé. « Si le bâtiment réacteur est protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines de combustible usé, elles, ne sont pas protégées », dit le rapport.

À quoi servent les piscines d’entreposage du combustible ?

Ces piscines assurent à la fois une fonction de protection radiologique contre la radioactivité dégagée par le combustible usé, et de refroidissement de ce combustible, qui reste longtemps extrêmement chaud. Les piscines des réacteurs français ont une capacité de plusieurs centaines de tonnes de combustible, celles de l’usine de retraitement des déchets de la Hague contiennent déjà l’équivalent de près de 150 cœurs de réacteurs de 900 MW, et toutes sont au bord de la saturation.

Le scénario redouté est celui d’une perte de refroidissement, en raison d’une brèche qui entraînerait une déperdition d’eau plus rapide que le rythme auquel celle-ci peut être renouvelée, et conduisant à découvrir le combustible, qui, alors, prendrait feu.

63 piscines mal protégées

Les piscines sont contenues dans des bâtiments épais de 30 cm. Le bâtiment réacteur est lui entouré de parois en béton de 60 cm à 1 mètre. En cas d’attaques sur ce type de structures, la capacité de résistance des piscines est problématique, et peut aboutir à « de graves rejets radioactifs, et à terme la fonte de toute la piscine ». En comptant La Hague et Creys-Malville, la France compte en effet 63 piscines de combustible usé. L’un des coauteurs du rapport, rencontré par Le Parisien, précise même que dans le cas de Fukushima, « si les piscines avaient elles aussi été touchées, ce sont les 14 millions d’habitants de la ville de Tokyo, pourtant située à 260 km, qui auraient dû être évacués ». Les experts préconisent donc de bunkériser ce type d’installations. Il faudrait investir entre 140 et 222 milliards d’euros pour mener à bien ce renforcement de la protection. Interrogé par Le Parisien, Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d’EDF, réfute les critiques sur ces fameuses piscines de combustible et insiste sur les moyens déployés pour protéger les sites.

Greenpeace, un scénario bien maîtrisé

Greepeace alerte donc l’opinion publique, et va remettre aux autorités son rapport. Et pour parfaire le scénario catastrophe dessiné par Greenpeace, l’ONG a décidé de ne rendre publique qu’une version allégée des informations les plus sensibles afin de ne pas donner des idées à des personnes mal intentionnées. De quoi trembler encore un peu plus...

« Dans la conception des installations nucléaires, beaucoup plus d’attention a été portée sur les réacteurs eux-mêmes que sur les piscines, et du coup, elles sont malheureusement victimes d’un déficit de robustesse intrinsèque qui vis-à-vis des actes de malveillance devient une vulnérabilité supplémentaire... »
Yves Marignac, un des experts qui a travaillé pour le rapport de Greenpeace

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Mise en garde sur la sécurité des centrales nucléaires françaises
La Dépêche, mardi 10 octobre 2017

Les centrales nucléaires françaises sont vulnérables à des attaques extérieures, ont assuré mardi des experts mandatés par Greenpeace, réclamant en particulier une meilleure sécurisation des piscines de stockage du combustible usé.

EDF a immédiatement rejeté ces accusations, assurant que les centrales françaises étaient « sûres, bien surveillées et très bien protégées ».

Dans un rapport dont les extraits les moins sensibles ont été publiés mardi, sept experts mandatés par l’ONG se sont penchés en particulier sur la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés, en France et dans les centrales belges de Doel et Tihange.

Ils pointent du doigt le fait que ces piscines, qui peuvent contenir plus de combustibles que les cœurs des réacteurs, ne sont pas protégées comme ces derniers par des enceintes de confinement renforcées.

Or en cas d’évaporation de l’eau, le combustible peut « s’échauffer et relâcher dans l’environnement une grande partie de sa radioactivité », a expliqué lors d’une conférence de presse Yves Marignac, directeur de l’agence d’étude sur le nucléaire Wise-Paris.

Les conséquences d’une attaque frappant une piscine seraient « potentiellement supérieures à celle d’un accident majeur survenant sur un réacteur », a-t-il mis en garde.

Les experts n’ont pas voulu faire de distinction entre les centrales sur ce point. « Toutes les piscines sont les mêmes », a commenté Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace France.

Avec une exception, l’EPR de Flammanville, où la piscine est protégée comme le réacteur « par une coque-avion, ce qui par là même disqualifie toutes les autres piscines », a-t-il insisté, regrettant qu’en France, les questions de sécurité (actes malveillants) et de sûreté (conception, fonctionnement, prévention des accidents) ne dépendent pas des mêmes autorités.

Détails confidentiels

Le rapport basé sur des éléments publics (publication des opérateurs industriels ou des autorités, articles, observations sur le terrain) étudie plusieurs scénarios d’attaques, notamment le crash volontaire d’un avion ou d’un hélicoptère, et le tir d’arme antichar.

Mais les détails de ces scénarios, qui devaient être remis mardi aux autorités françaises, n’ont pas été rendus publics pour ne pas inspirer de potentiels terroristes.

Le but était « de décrire des scénarios d’attaque pour lesquels des mesures d’intervention pour stopper l’émission de radioactivité seraient impossibles », a expliqué la physicienne Oda Becker.

« Aucun pays européen n’est prêt à faire face à une telle catastrophe », a mis en garde un autre des experts, David Boilley, notant que pour certaines centrales comme Bugey, Fessenheim ou Gravelines, cela pourrait entraîner l’évacuation de « millions de personnes ».

Greenpeace, dénonçant « l’omerta » sur ces risques nucléaires, s’en est pris à EDF, accusé de n’avoir « pas procédé aux renforcements nécessaires » malgré d’autres rapports mais aussi le survol de centrales, à répétition et toujours inexpliqué, par des drones.

Des militants de Greenpeace avaient réussi en 2014 à s’introduire dans la centrale de Fessenheim et à monter sur le toit d’un des bâtiments réacteurs.

EDF « doit impérativement prendre en main ce problème de sécurité en effectuant les travaux nécessaires », a insisté M. Rousselet.

« Le bâtiment réacteur et le bâtiment contenant le combustible ont été conçus pour résister tous les deux aux risques de séisme, d’inondation et d’actes de malveillance comme le terrorisme », s’est défendu EDF dans un communiqué.

« Plusieurs centaines de millions d’euros ont été dépensés ces trente dernières années pour améliorer la sécurité. Entre 2015 et 2023, EDF investira encore 720 millions d’euros supplémentaires », a ajouté l’exploitant.

Mais en incluant le coût des travaux et celui de l’arrêt du réacteur, la “bunkérisation” est estimée entre 500 millions et 1,5 milliard d’euros par piscine, a noté M. Marignac.

Et en comptant La Hague et Creys-Malville, la France compte un total de 63 piscines de combustible usé.

« La France a les mécanismes les plus robustes et les plus performants au monde en matière de sécurité, et de sûreté », a assuré de son côté sur RTL Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot, qui n’avait pas encore eu connaissance du contenu du rapport.

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Sécurité des centrales nucléaires : ce qui inquiète Greenpeace
Jean-Christophe Féraud, Libération, mardi 10 octobre 2017

De la chute d’avion au tir de roquette, un rapport de l’ONG pointe « la fragilité » des piscines contenant le combustible usé des centrales nucléaires face à d’éventuelles attaques terroristes.

Nos centrales nucléaires sont-elles assez protégées contre une attaque terroriste susceptible de provoquer une « catastrophe sans précédent » ? Dans un rapport choc remis mardi à la première heure aux plus hautes autorités françaises, Greenpeace France veut faire tomber « un tabou » et briser ce qu’elle considère comme « une omerta sur les risques qui planent » sur les piscines de refroidissement des 58 réacteurs d’EDF et celles de l’usine de retraitement de déchets de La Hague. Et son constat est « sans appel » : ces quelque 62 piscines (une par réacteur plus quatre piscines à La Hague), où refroidissent les barres de combustible usé hautement radioactives après leur déchargement des cœurs nucléaires sont « très mal protégées ». Moins bien en tout cas que les ouvrages bétonnés qui abritent les réacteurs. Résultat, « une attaque sur leur bâtiment pourrait provoquer une catastrophe nucléaire majeure » avec un « relâchement très important de gaz et de particules radioactives dans un périmètre » pouvant aller jusqu’à 150 ou 200 kilomètres autour du site visé. Et évidemment des conséquences « graves », potentiellement mortelles, pour les populations contaminées dans cette “dead zone”…

Ce n’est pas la première fois que la sécurité des sites nucléaires français inquiète, au-delà du risque accidentel. Fin mars, Libération avait pointé avec Yves Marignac de l’agence Wise-Paris « le potentiel de danger sans équivalent » de l’usine Areva de La Hague, où près de 10 000 tonnes de combustible usé, l’équivalent de 115 cœurs de réacteurs, refroidissent avant vitrification. Ce spécialiste avait rappelé à l’époque qu’une attaque d’avion suicide du type 11 septembre sur La Hague, la première usine de retraitement de déchets au monde, provoquerait un relâchement de Césium 137 équivalent à au moins six fois la catastrophe de Tchernobyl… Un cauchemar radioactif qui a incité Greenpeace à élargir l’étude des risques terroristes aux 58 piscines des centrales EDF…

Commandé à sept experts scientifiques internationaux, indépendants ou proches des milieux antinucléaires, dont Yves Marignac, Jean-Claude Zerbib (ancien ingénieur du Commissariat à l’énergie atomique) ou encore la physicienne allemande Oda Becker, ce rapport intitulé « Sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible en France et en Belgique » a nécessité dix-huit mois de travaux. Mais seule une version très expurgée a été rendue publique lors d’une conférence de presse ce matin : l’ONG n’a évidemment pas voulu fournir aux terroristes potentiels un guide clé en main « révélant d’éventuelles failles du système », sachant qu’elle s’exposerait par ailleurs à des poursuites pour compromission de la sécurité nationale et du secret défense. La version intégrale du rapport a en revanche été remise en sept copies par le directeur de Greenpeace France, Jean-François Julliard, aux hauts fonctionnaires du SGDSN (défense nationale), de l’ASN et de l’IRSN (sûreté nucléaire) et aux ministres concernés.

Quatre scénarios

Que dit-il en substance ? Ce que les spécialistes de la sécurité nucléaire et lanceurs d’alerte savent déjà, mais ce que le grand public mal ou peu informé par une industrie nucléaire très opaque ignore ou préférerait ne pas savoir, tant les mots atome et terrorisme conjugués ensemble font peur. « “Les piscines d’entreposage du combustible usé sont extrêmement fragiles face aux actes de malveillance. Si le bâtiment réacteur est, lui, protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines, elles, ne sont pas protégées” […] Il s’agit pourtant des bâtiments qui contiennent le plus de radioactivité », assène le rapport de Greenpeace. De fait selon l’ONG, les murs en béton font moins de 50 centimètres d’épaisseur et le toit des bâtiments est fait de simples poutres et bardages métalliques. Ce que Libération a pu constater de visu lors d’un reportage à l’usine de La Hague…

Or, si l’enceinte de protection du bâtiment abritant une piscine de refroidissement est percée ou détruite et que la piscine se vide des sept mètres d’eau dans lesquels baignent les assemblages de barres de combustible, la température va s’élever rapidement et le combustible en fusion va s’échapper de sa gaine relâchant de la radioactivité dans la nature… Précisément ce qui s’est passé à Fukushima après le raz-de-marée qui a dévasté la centrale japonaise. Mais à Fukushima, le risque a été relativement contenu et les vents ont poussé vers la mer une grande partie des particules mortelles. Les experts mandatés par Greenpeace redoutent une catastrophe dans un bassin de population dense ou transfrontalière abritant des millions de personnes : la situation géographique des centrales de Bugey, Cattenom, Fessenheim, Gravelines et de l’usine de La Hague les inquiètent particulièrement.

« Hangars agricoles »

Mais comment des terroristes pourraient-ils atteindre une piscine de refroidissement ? Les mêmes experts, qui n’ont pas eu connaissance de projets d’attentat précis, ont travaillé sur quatre scénarios visant l’intégrité des enceintes de protection des piscines de refroidissement : le crash d’un avion de ligne provoqué par des terroristes, une attaque par hélicoptère transportant des explosifs, un tir de roquette antichar « à charge thermobarique » et un sabotage suite à une intrusion… « Le plus inquiétant serait évidemment le crash d’un avion de ligne rempli de kérosène, détourné et utilisé comme une arme de destruction massive, explique Oda Becker. On ne sait pas ce que les autorités françaises en disent car elles ne communiquent pas sur le sujet, mais les autorités allemandes l’on fait : elles disent que la piscine de refroidissement d’un bâtiment réacteur serait une cible assez facile et particulièrement vulnérable. »

EDF assure au contraire que ses installations « ont été conçues pour résister à la chute d’un avion », c’est-à-dire bunkérisées avec une forte épaisseur de béton armé. « La sûreté de nos centrales est assurée sous tous ses aspects, en liaison étroite avec les autorités, c’est mon boulot. Et je peux vous assurer aussi que le risque d’une attaque type 11 septembre a été pris en compte », martèle Philippe Sasseigne, le directeur du parc nucléaire de l’électricien. Mais pour Yannick Rousselet de Greenpeace, rien ne pourrait arrêter un gros porteur s’il n’est pas intercepté avant par l’armée de l’air et aucun mur en béton n’y résisterait : « Tout le monde sait que les piscines de refroidissement sont en carton et que les bâtiments qui les abritent sont des hangars agricoles », tonne le chargé de campagne antinucléaire.

De fait, aucun des bâtiments conçus dans les années 70-80 n’a été construit pour résister à la chute d’un avion en piqué. Seul le nouveau réacteur EPR de Flamanville intègre dans son design post-11 Septembre une « coque anti-avion ». « Ce problème de fragilité des piscines d’entreposage du combustible usé face aux risques d’attaques extérieures ne peut être ignoré par EDF », interpelle Greenpeace, qui exige des travaux de renforcement pour la sécurité de tous. « En cas de catastrophe, il faudrait déplacer des millions de personnes dans un temps record, une demi-heure à une heure, pour les mettre à l’abri des retombées radioactives. Tout le monde sait que c’est impossible et aucun plan d’évacuation n’existe à cette échelle. Alors il n’y a pas d’alternative », avertit David Boiley de l’Acro, un laboratoire citoyen qui surveille la radioactivité dans l’environnement.

Menace asymétrique

EDF a bien entrepris d’investir 700 millions d’euros dans la sécurité de ses centrales sur la période 2014-2023 : renforcement des enceintes, herses, plots en béton etc. Mais c’est une goutte d’eau selon l’ONG, qui estime entre 1 et 2 milliards d’euros le coût des travaux par piscine. Multiplié par les 62 piscines concernées, on arrive à plus de 60 milliards minimum. Et dans la fourchette haute à plus de 120 milliards. On ne voit pas comment EDF pourrait mobiliser de telles sommes quand on sait que l’entreprise doit déjà investir 50 milliards pour prolonger la durée de vie de ses centrales et que sa situation financière est ultra-tendue. Greenpeace parle même d’un EDF en quasi-faillite…

Quant aux autres risques d’attaque pointés par Greenpeace, l’électricien met en avant les 1 000 gendarmes du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG). « Il y en a toujours au moins 50 par centrales », précise Philippe Sasseigne. EDF emploie aussi un millier de vigiles spécialement formés pour assurer la protection de ses centrales. Mais tous ces moyens humains n’ont pas empêché une tentative de sabotage à la centrale de Doel en Belgique, toujours non élucidée. Pour Yves Marignac, « la menace est désormais d’autant plus dangereuse qu’elle est devenue asymétrique » : « L’affaire du survol de plusieurs centrales par des drones en 2014 a été un révélateur, la rencontre d’une industrie de l’ère pompidolienne ultra-centralisée avec la technologie légère et furtive du monde moderne. » On attend la réaction des autorités à ce rapport, mais le silence radio est l’option la plus probable. Nucléaire secret défense et transparence font rarement bon ménage, surtout dans un monde devenu aussi dangereux.

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Nucléaire : la sûreté des piscines à combustible en question
Joël Cossardeaux, Les Échos, mardi 10 octobre 2017

Un rapport de Greenpeace pointe la vulnérabilité des installations d’entreposage des matières radioactives des centrales en cas d’attaque.

Avion suicide, drone chargé de TNT, hélicoptère “bombardier”... Jugés « crédibles » par les sept experts indépendants mandatés par Greenpeace, ces scénarios d’attentats contre les centrales atomiques françaises et belges, s’ils devaient viser leur piscine de stockage de combustibles usés, pourraient déclencher un accident aux « conséquences phénoménales pour le pays qui aurait à le subir », a estimé mardi l’un d’entre eux, David Boilley, docteur en physique nucléaire.

Les représentants de Greenpeace, dans ce qu’ils ont laissé filtrer du rapport transmis ce même jour aux seules « autorités compétentes », pour raison de sécurité, considèrent que ces piscines sont très mal protégées face au risque terroriste. Construits à une époque où celui-ci était assez faible, ces immenses bacs d’eau froide où les barres radioactives sont maintenues à température, n’ont pas été, selon eux, conçus pour résister à ces attaques et ne présentent pas la même robustesse que les réacteurs.

La France apparaît particulièrement exposée. À l’exception de l’EPR de Flamanville, dont le réacteur et la piscine sont coiffés d’une « coque-avion » en béton, aucun des 63 ouvrages d’entreposage que compte l’Hexagone n’a été doté d’une enceinte de confinement. Or, ceux-ci « contiennent en moyenne au moins autant de combustibles que les réacteurs eux-mêmes », note Yves Marignac, consultant et co-auteur de ce rapport établi sur la foi de données publiques uniquement. En outre, les capacités de ces piscines arrivent à saturation.

Des coûts de renforcement faramineux

L’ONG demande qu’EDF réalise les travaux pour « bunkériser » ces installations. Un chantier au coût faramineux : en moyenne 1 milliard d’euros par piscine, selon les experts. « En Europe, aucun pays n’est équipé pour faire face », indique l’un d’entre eux, soulignant les conséquences qu’aurait une attaque terroriste réussie. Une catastrophe nucléaire pourrait mettre en danger les populations dans un rayon jusqu’à 250 km, soit, pour des centrales comme Bugey, Fessenheim ou Gravelines, l’évacuation de « millions de personnes », selon David Boilley.

Interpellé par Greenpeace, EDF a indiqué dans un communiqué que « le bâtiment réacteur et le bâtiment contenant le combustible ont été conçus pour résister tous les deux aux risques de séisme, d’inondation et d’actes de malveillance comme le terrorisme ». L’électricien public précise que « plusieurs centaines de millions d’euros ont été dépensés ces trente dernières années pour améliorer la sécurité. Entre 2015 et 2023, EDF investira encore 720 millions d’euros supplémentaires ». Le dossier des piscines figure en tout cas à l’agenda de l’Autorité de sûreté nucléaire avant d’autoriser EDF à prolonger l’exploitation de ses centrales. Engie, qui exploite le parc nucléaire belge, n’a pas fait de commentaire. « La France a les mécanismes les plus robustes et les plus performants en matière de sécurité et de sûreté », a pour sa part estimé Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique.

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Sûreté nucléaire : Greenpeace épingle la fragilité des piscines à combustible qui ressemblent à « des hangars agricoles »
Fabrice Pouliquen, 20minutes.fr, mardi 10 octobre 2017

L’ONG Greenpeace a remis aux autorités, ce mardi, un rapport alarmiste sur la sûreté des centrales nucléaires en France. La sécurité des piscines à combustibles, où refroidissent de la matière hautement radioactive, pose particulièrement question...

• Le rapport des sept experts pointe la fragilité des piscines d’entreposage des combustibles usagés, « le bâtiment qui contient pourtant le plus de radioactivité dans une centrale nucléaire », juge Greenpeace.
• Le rapport demande de renforcer la sûreté de ces piscines, quitte à les couvrir d’une chappe de béton supplémentaire comme il est prévu de le faire sur le futur EPR de Flamanville.
• Une opération qui coûterait un milliard d’euros par piscine évalue le rapport.

« Disons le clairement, ce sont des hangars agricoles »… Voilà comment Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace qualifie les piscines de stockage de combustible nucléaire en France. Vous n’aimeriez pas y nager : dans ces bâtiments est entreposé le combustible nucléaire usagé, c’est-à-dire la matière radioactive (plutonium, uranium...) qui a permis au réacteur de produire de l’énergie. Ce combustible usagé, hautement radioactif, dégage encore une forte chaleur à la sortie du réacteur et doit être plongé deux à trois ans dans ces piscines le temps de refroidir en vue, ensuite, d’être retraité.

Des piscines sensibles

Il y a une piscine par réacteur en France (soit 58), plus quatre bassins au sein du centre de retraitement de déchets nucléaires de La Hague (Manche). « Dans les quatre piscines de La Hague, on trouve autant de combustible usé entreposé qu’il y a de combustible chargé ou en refroidissement dans les 58 réacteurs d’EDF », note Greenpeace pour souligner le caractère sensible de ces installations.

Or, c’est là que le bât blesse. Ce mardi, l’ONG a rendu public le résumé d’un rapport choc réalisé à sa demande et pendant près de deux ans par sept experts sur la sécurité des centrales nucléaires françaises et belges en cas d’actes de malveillance.

Le rapport déplore de sérieuses lacunes et cible un point faible : ces fameuses piscines d’entreposage du combustible. Celles-ci sont accolées aux réacteurs, « mais alors que le bâtiment qui abrite le réacteur est doté d’une enceinte de confinement renforcée, les bâtiments abritant les piscines de combustible usé sont des installations fragiles très mal protégées face au risque d’actes de malveillance extérieure », expliquent les sept experts.

Yannick Rousselet pointe tant l’épaisseur de la paroi des bâtiments abritant les piscines (30 cm de béton) que l’absence de dispositifs les protégeant d’une chute d’avions. Yves Marignac, l’un des sept experts du rapport, directeur de Wise-Paris, une agence de conseil sur le nucléaire et l’énergie, ramène alors aux années de construction des centrales françaises, soit les années 1970-1980 pour grand nombre d’entre elles : « À cette époque, la menace terroriste n’était absolument pas prise en compte, personne n’imaginait par exemple un scénario d’une attaque par les airs. Toute l’attention se portait alors sur le risque causé par la fusion du cœur du réacteur. »

La crainte d’une brèche dans la piscine

Le rapport commandé par Greenpeace a alors travaillé sur plusieurs scénarios d’attaques terroristes. Crash d’un avion civil détourné par des terroristes ou d’un hélicoptère chargé d’explosifs, un tir de roquette antichar, ou même une attaque en interne par des terroristes infiltrés soit au sein d’EDF, qui exploite le parc nucléaire français, soit au sein d’une entreprise sous-traitante.

Ces scénarios, pas impossibles dans le contexte actuel, sont de mesure à créer une brèche dans une piscine à combustible, note le rapport. « C’est le phénomène que nous craignons le plus d’un point de vue sûreté, poursuit Yves Marignac. Cette brèche est potentiellement catastrophique si elle va jusqu’à provoquer une fuite de l’eau contenue dans la piscine. Dès lors qu’on perd cette eau, on perd en capacité de refroidissement des combustibles et on s’expose à un risque d’incendie rapide, ces combustibles pouvant s’enflammer sous l’effet de leurs propres chaleurs. Cet incendie dégagerait des quantités importantes de matières radioactives. »

Pour David Boilley, l’un des experts du rapport, président de l’ Acro, un laboratoire citoyen qui surveille la radioactivité de l’environnement, un incendie dans une piscine de combustible pourrait « provoquer une catastrophe nucléaire majeure (...) plus gave encore que celles survenues à Fukushima, où les vents favorables ont poussé vers la mer une grande partie des nuages toxiques. »

Les conditions pourraient être moins favorables et David Boilley s’alarme alors des incidences d’une attaque sur une centrale proche d’un grand bassin de population (la centrale du Bugey près de Lyon par exemple) ou proche de sites classés Seveso, comme la centrale de Gravelines.

« Un tel accident nécessiterait des évacuations massives de la population, dans un rayon potentiellement supérieur à kilomètres, ce qu’aucun pays européen n’est en mesure de faire aujourd’hui », explique l’expert.

« Penser génie civil plus que mesures de protection physiques »

Le rapport a été remis aux hautes autorités gouvernementales. EDF a d’ores et déjà réagi, affirmant que « les centrales nucléaires sont sûres, bien surveillées, et très bien protégées ». « La résistance des installations nucléaires au risque d’actes de malveillance ou de terrorisme est réévaluée en permanence, affirme l’entreprise. Plusieurs centaines de millions d’euros ont été dépensées ces trente dernières années et 720 millions d’euros supplémentaires sont prévus sur la période 2015-2023. »

EDF insiste sur « la surveillance de l’espace aérien et l’interdiction de survoler les centrales, la présence pour chaque centrale d’un personnel dédié et formé à la surveillance des installations, appuyé par un peloton d’un millier de gendarmes spécialisés qui assurent une présence 24h/24 sur l’ensemble des centrales nucléaires françaises, ou encore le déclenchement d’une enquête de préfecture sur chaque personne amenée à entrer sur une centrale nucléaire… » « Mais comme toujours, on parle mesures de protection physique, déplore Yannick Rousselet. Nous parlons, nous, de génie civil, c’est-à-dire de la robustesse des infrastructures nucléaires françaises pour résister à des agressions externes. »

« Nos centrales sont sûres » répond EDF

Pour Greenpeace, ce point est le grand oublié de la filière nucléaire française, « on ne tient pas compte de la capacité des infrastructures à répondre aux catastrophes naturelles, la résistance au séisme par exemple. » Yannick Rousselet évoque alors l’EPR de Flamanville, en construction. Il prévoit lui d’inclure la future piscine du site avec le réacteur sous « une coque anti-avion », une chape en béton supplémentaire qui le protège d’une chute d’avion. Le rapport préconise alors que l’ensemble des piscines d’entreposage du combustible bénéficient de cette même protection renforcée… « ce qui coûterait 1 milliard d’euros par piscine », évalue Yves Marignac.

« L’EPR de Flamanville intègre les derniers standards de sécurité, mais cela ne veut pas dire que les piscines à combustible sur nos autres centrales ne sont pas sûres, répond EDF. Nos études de sûreté montrent que nos installations, réacteurs comme piscines, résistent bien à une chute d’avion ou à un séisme de grande ampleur. »

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Greenpeace alerte sur la vulnérabilité des centrales nucléaires par rapport aux actes de malveillance
Erwan Lecomte, Sciences et Avenir mardi 10 octobre 2017

L’ONG a fait plancher 7 experts sur des scénarios pouvant conduire à un accident nucléaire en France suite à un acte de terrorisme ou de malveillance.

« Les centrales nucléaires qui nous entourent sont une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes » martèle l’ONG Greenpeace qui, en ce mardi 10 octobre 2017, a remis aux autorités françaises un rapport détaillant les points faibles de ces infrastructures, ainsi que la manière dont elles pourraient être menacées par des actes de terrorisme ou de malveillance. Et d’après ce rapport que Greenpeace affirme avoir été rédigé par 7 « experts indépendants », les centrales seraient « très mal protégées » face à de tels actes. Greenpeace précise que seule une version du rapport expurgée de ses données sensibles est communiquée au public. Seules sept copies de ce rapport auraient été remises ce mardi 10 octobre à des hauts fonctionnaires en charge des questions de défense et de sécurité, affirme Greenpeace.

Que dit le rapport de Greenpeace ?

Ce rapport se focalise sur la vulnérabilité non pas de l’enceinte (bien protégée derrière une épaisse coque de béton) du réacteur nucléaire, mais des piscines servant à entreposer le combustible usagé. Et ce en France comme en Belgique. « L’analyse de sûreté a conduit à l’époque de leur construction à négliger le risque d’un processus d’emballement dans les piscines, et par là même à ne pas les doter d’une enceinte de confinement robuste semblable à celle des bâtiments réacteur » explique le rapport de Greenpeace. Avec une exception, l’EPR de Flammanville, où la piscine est protégée comme le réacteur « par une coque-avion, ce qui par là même disqualifie toutes les autres piscines », a commenté Yannick Rousselet, chargé de campagne ’nucléaire’ pour Greenpeace France durant une conférence de presse, regrettant qu’en France, les questions de sécurité (actes malveillants) et de sûreté (conception, fonctionnement, prévention des accidents) ne dépendent pas des mêmes autorités.

Ces piscines - il y en a 58 en France, abritées dans un bâtiment jouxtant le réacteur - ont une double fonction. Elles doivent d’abord refroidir le combustible radioactif qui dégage encore une grande quantité de chaleur une fois son cycle de vie achevé dans le réacteur. Ces piscines doivent aussi confiner la radioactivité qui continue à être émise. Ce combustible y est stocké pendant 2 à 3 ans avant d’être acheminé vers un site de stockage. Or, poursuit le rapport « certaines faiblesses connues sont génériques à l’ensemble des installations, comme l’absence de protection autre que des poutres et un bardage métallique sur les toits des bâtiments combustibles ».

Le scénario catastrophe imaginé par les experts mandatés par Greenpeace serait une attaque portant sur ces piscines, qui, vidées totalement ou partiellement de leur eau, conduiraient à une exposition à l’air libre du combustible nucléaire, constitué de petites pastilles d’oxyde d’uranium (UOx) empilées dans des gaines métalliques appelées « crayons ». En l’absence d’eau, ces crayons pourraient voir leur température augmenter au point de fondre, entraînant une fusion du matériau combustible lui-même, et relâchant ainsi une large fraction de leur contenu, affirme le rapport.

« Cette situation, qu’une attaque externe pourrait chercher à provoquer, aurait des conséquences similaires à celles d’un accident majeur sur un réacteur nucléaire » assure Greenpeace qui fait un parallèle avec la catastrophe de Fukushima au Japon. Une catastrophe qui « a pourtant mis en évidence en 2011 le risque, dans ces conditions, d’un relâchement massif de radioactivité en cas de perte durable de la capacité de refroidissement du combustible entreposé » rappelle l’ONG. « L’analyse a posteriori de ce qu’aurait pu être cet accident, et la projection de ce que pourrait être un accident similaire sur les installations évoquées dans ce rapport, confirment que son impact dépasserait largement celui des accidents les plus graves envisagés sur un cœur de réacteur, affectant potentiellement dans un rayon de 75 à 150 km plusieurs millions de personnes. Compte tenu de l’absence de plan d’urgence et de protection des populations à cette échelle, et de la désorganisation des secours que l’attaque externe risquerait d’engendrer, les conséquences radiologiques d’une telle situation seraient potentiellement sans précédent » conclut le rapport.

EDF assure que les centrales sont « sûres, bien surveillées et très bien protégées »

L’IRSN que nous avons contacté n’avait pas encore reçu le rapport au moment où nous écrivons ces lignes. Pas plus que le CEA ou EDF. Ce dernier a toutefois affirmé dans un communiqué que les « centrales nucléaires sont sûres, bien surveillées et très bien protégées ». L’exploitant des centrales en France y précise que « la résistance des installations nucléaires aux risques d’actes de malveillance ou de terrorisme est réévaluée en permanence », et que « plusieurs centaines de millions d’euros ont ainsi été dépensés ces trente dernières années pour améliorer la sécurité ».

« On ne peut pas entrer dans le détail des mesures mises en œuvre pour des raisons de sécurité, mais peut en lister quelques-unes telles qu’un renforcement de la vidéosurveillance, le déploiement de plots anti-voiture bélier ou encore le déploiement de la biométrie sur certains sites » nous a précisé un porte parole d’EDF. Ce dernier rappelle également la présence permanente sur site de plusieurs gendarmes (un millier répartis sur l’ensemble des sites du territoire). Quant aux intrusions de personnes malintentionnées sur les sites, « leur accès est très contrôlé. Chaque visiteur fait l’objet d’une enquête préfecture, ce qui représente environ 100.000 enquêtes par an » chiffre le porte parole d’EDF. Néanmoins, des militants de Greenpeace avaient réussi en 2014 à s’introduire dans la centrale de Fessenheim et à monter sur le toit d’un des bâtiments réacteurs.

Quant à l’accusation de plus grande vulnérabilité des bâtiments stockant le combustible, EDF assure que ce n’est pas le cas. Interrogé par le Parisien, Philippe Sasseigne, le directeur du parc nucléaire français affirme que « C’est faux. Elles sont certes construites à l’extérieur du bâtiment réacteur, mais bénéficient d’un niveau de protection identique, aussi bien contre des agressions naturelles comme des tempêtes ou des inondations que contre des actes de malveillance comme le terrorisme. Si les structures du bâtiment combustibles ne sont pas aussi épaisses qu’autour du réacteur, c’est que la configuration géométrique de ce bâtiment ne le nécessite pas ».

De son côté, le porte parole d’EDF joint par Sciences et Avenir précise que « ce n’est pas l’épaisseur du béton qui fait la résistance de la structure mais l’armature et le maillage de tiges de métal à l’intérieur ». Lorsque les centrales ont été construites, il n’y avait pas ce contexte de menace terroriste. « Néanmoins, les centrales sont soumises à une règlementation très stricte pour répondre à tous les risques d’agressions extérieure, qu’il s’agisse d’un acte de malveillance ou d’un risque naturel (tempête, séisme...). Le risque de chute d’avion par exemple a déjà été pris en compte y compris sur les bâtiments de stockage de combustible » assure-t-il, tout en précisant qu’EDF cherchait en permanence à s’adapter aux nouvelles menaces. D’ailleurs, entre 2015 et 2023, EDF investira encore 720 millions d’euros supplémentaires pour cette sécurité a précisé l’exploitant. En 2014 Greenpeace avait déjà agité le drapeau rouge concernant une vulnérabilité de nos centrales nucléaires vis à vis d’une attaque conduite à l’aide de drones.

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La sécurité des centrales nucléaires face au terrorisme en question
Pierre Le Hir, Le Monde, mercredi 11 octobre 2017

Un rapport commandé par Greenpeace alerte sur la vulnérabilité des piscines d’entreposage des combustibles. Un danger réfuté par EDF.

Les centrales nucléaires françaises sont mal armées pour résister à une attaque terroriste. Et leurs piscines d’entreposage des combustibles usés sont particulièrement vulnérables. C’est l’alerte que lance Greenpeace, dans un rapport commandé à sept experts indépendants de différents pays (France, Allemagne, Royaume-Uni, Etats-Unis). Un risque qu’EDF, qui n’a pas été associée à cette étude, récuse en affirmant que ses installations « sont sûres ».

Le sujet est si sensible que l’ONG a choisi de ne rendre publique qu’une version expurgée de ce document, dont l’intégralité n’a été communiquée, mardi 10 octobre, qu’aux autorités chargées de la défense auprès du premier ministre et du ministre de la transition écologique et solidaire, ainsi qu’au Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire, à l’Autorité de sûreté nucléaire et à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.

« La question de la sécurité doit pouvoir être débattue publiquement », justifie Greenpeace. Pour autant, « il ne saurait être question de favoriser la réussite d’une éventuelle attaque en révélant d’éventuelles failles du système ».

Les experts sont partis de la nouvelle donne créée par les attentats du 11 septembre 2001. Ceux-ci ont montré qu’un parc atomique doit pouvoir résister non seulement à une catastrophe naturelle (séisme, inondation ou tempête) ou à une erreur humaine, causes des accidents de Fukushima (2011) et de Tchernobyl (1986), mais aussi à un acte de malveillance.

63 installations particulièrement exposées

Face à cette menace d’un nouveau type, les piscines de combustibles posent « un problème prioritaire », estiment les rapporteurs. Le parc nucléaire hexagonal en compte 58 – une par réacteur –, dans lesquelles sont entreposés, sous eau, les assemblages de combustibles sortis des réacteurs une fois usés. Ils y refroidissent plusieurs années, avant d’être acheminés vers les usines de retraitement d’Areva de La Hague (Manche).

Ces bassins renferment au total 4 500 tonnes de combustibles. S’y ajoutent les quatre piscines de La Hague, qui en contiennent près de 10 000 tonnes, et celle du surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère) en cours de démantèlement. Soit 63 installations particulièrement exposées.

Selon Yves Marignac, directeur de WISE-Paris, ces piscines « ont été conçues de façon moins robuste que les réacteurs ». Elles ne sont ainsi protégées que par un bâtiment en béton armé aux parois de quelques dizaines de centimètres d’épaisseur. EDF a d’ailleurs déjà tiré les leçons du 11-Septembre, puisque le réacteur de troisième génération, l’EPR, confine la piscine sous une coque renforcée censée résister à la chute d’un avion.

Cette « fragilité » pourrait conduire, en cas d’agression extérieure – crash d’un avion, attaque par hélicoptère, lancement d’un missile ou intrusion de personnes munies d’explosifs –, à un accident majeur, décrit la physicienne Olda Becker, de l’université des sciences et arts appliqués de Hanovre (Allemagne).

Le coût élevé d’une « bunkérisation »

Le scénario du pire serait une brèche entraînant la perte d’eau de refroidissement, puis l’échauffement et la fusion du combustible, avec un relâchement massif de radioactivité dans l’environnement.

« Des millions de personnes devraient être évacuées dans un périmètre de plusieurs centaines de kilomètres, ajoute David Boilley, président de l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest. Aucun pays européen n’est prêt à faire face à une telle situation. »

Interrogé par Le Monde, Philippe Sasseigne, directeur du parc nucléaire d’EDF, se veut rassurant. « Nos installations – piscines comprises – ont été conçues pour résister à tout type d’agression d’origine naturelle ou humaine, chutes d’avion incluses », assure-t-il. Il rappelle que l’entreprise dispose de ses propres équipes affectées à la sécurité – quarante à cinquante agents pour chacune des dix-neuf centrales –, et qu’un millier de militaires du peloton spécialisé de protection de la Gendarmerie nationale sont répartis sur les mêmes sites. D’ici à 2023, ajoute-t-il, « 700 millions d’euros vont être investis dans le renforcement de la sécurité ».

Un chiffre très en deçà du coût nécessaire à la « bunkérisation » d’une piscine, d’après Yves Marignac, qui l’évalue à « environ 1 milliard d’euros » par unité. Après l’accident de Fukushima, l’Autorité de sûreté, non compétente sur les questions de sécurité, a prescrit à EDF des mesures renforçant la tenue de ses centrales face aux aléas naturels. Mais la mise en œuvre de ces parades doit s’étaler sur les cinq à dix ans à venir.

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Des membres de Greenpeace s’introduisent sur le site d’une centrale nucléaire en Lorraine
Le Monde.fr avec AFP et Reuters, jeudi 12 octobre 2017

Des membres de Greenpeace ont pénétré sur le site de la centrale nucléaire de Cattenom, en Lorraine, mais ont été « stoppés » par les gendarmes avant la « zone nucléaire », a annoncé Electricité de France (EDF) sur Twitter jeudi 12 octobre.

« Militants Greenpeace sur site. Stoppés par les gendarmes. Pas d’accès à la zone nucléaire. Pas d’impact sur la sûreté des installations », a tweeté EDF sur le compte de la centrale, installée à quelques kilomètres de la frontière avec le Luxembourg. C’est la première fois que des militants de l’organisation non gouvernementale pénètrent sur le site de cette centrale.

Ce sont des « irresponsables », ils ont joué avec leur vie pour « une opération de communication », a dénoncé Olivier Lamarre, directeur adjoint du parc nucléaire d’EDF. « Ils risquent plusieurs années de prison et plusieurs dizaines de milliers d’euros d’amende », a-t-il assuré.

L’affaire a également fait réagir le gouvernement luxembourgeois, dont la ministre de l’environnement, Carole Dieschbourg, s’est dite « très préoccupée par les lacunes flagrantes au niveau de la sécurité des accès de cette centrale ». Les autorités luxembourgeoises « insistent sur une enquête détaillée qui devra éclairer les circonstances de cet incident et interpelleront le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, sur cette intrusion », a précise le ministère dans un communiqué.

Huit gardes à vue

Aux alentours de 7 heures, huit personnes étaient en garde à vue, ont précisé la préfecture de Moselle et Greenpeace, qui ne donnent cependant pas la même version de l’intrusion.

Selon un communiqué de la préfecture, les militants « se sont introduits dans l’enceinte extérieure » et « l’alerte a été aussitôt déclenchée et a permis au peloton spécialisé d’interpeller les auteurs dans des délais extrêmement courts ». Selon EDF, ils ont été interceptés par les gendarmes huit minutes après leur intrusion.

Condamnant « avec vigueur des actions violentes d’un mouvement multipliant les illégalités », l’opérateur a annoncé qu’il allait déposer plainte.

Versions différentes

Les militants affirment pour leur part sur Twitter avoir tiré un feu d’artifice « au pied de la piscine de combustible usagé ».

Une affirmation contestée par Georges Bos, directeur de cabinet de la préfecture de la Moselle : si un feu d’artifice a été tiré, cela n’a eu lieu qu’« au niveau des portails, soit à l’extérieur du site », a-t-il assuré à l’Agence France-Presse.

Selon Greenpeace, les militants étaient « directement auprès de la piscine ». Pour Roger Spautz, chargé de campagne nucléaire pour Greenpeace Luxembourg, il s’agissait d’attirer l’attention sur la « fragilité » des bâtiments avec piscine « qui ne sont pas protégés, contrairement aux bâtiments réacteurs ». Il s’agissait également de « montrer que l’on peut s’introduire dans une centrale nucléaire ».

Mardi, l’ONG avait publié un rapport pour dénoncer la vulnérabilité des piscines de combustible usé des centrales nucléaires française face à des actes malveillants.

Dans ce document, Greenpeace estime que les piscines des centrales, qui peuvent chacune contenir plusieurs centaines de tonnes de combustible usé, sont particulièrement exposées à des risques d’attaques, notamment par avion et par hélicoptère, et qu’EDF doit, en conséquence, « bunkériser » ces installations.

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Sécurité nucléaire : Greenpeace passe du rapport à l’action
Jean-Christophe Féraud, Libération, jeudi 12 octobre 2017

Huit militants de l’association antinucléaire ont réussi à tirer un feu d’artifice dans l’enceinte de la centrale de Cattenom. Une opération d’intrusion destinée à sensibiliser sur le risque d’attaque terroriste.

Deux jours après la publication d’un rapport choc sur le risque d’attaques terroristes contre les piscines de refroidissement du parc nucléaire français, Greenpeace a voulu prouver par les faits que ses inquiétudes sur les failles de sécurité des installations d’EDF étaient justifiées via une opération d’agit-prop dont l’ONG militante a le secret. Ce matin à 05h37, huit militants se sont introduits dans le périmètre interdit et supposé ultra-sécurisé de la centrale de Cattenom, en Moselle, pour y tirer un feu d’artifice au pied du bâtiment abritant la piscine où refroidissent les barres de combustible usé du réacteur. « Objectif : dénoncer la fragilité et l’accessibilité de ces bâtiments pourtant lourdement chargés de radioactivité », a indiqué Greenpeace France dans un communiqué.

« Nous sommes de retour sur les sites des centrales nucléaires pour dénoncer les risques qui planent sur ces installations. Par cette action, nos militants montrent l’inquiétante vulnérabilité des piscines du combustible usé, talon d’Achille des centrales nucléaires, face à des risques d’actes de malveillance », a claironné l’association en enjoignant EDF « d’agir dès maintenant en bunkérisant ses piscines de combustibles nucléaires usés », comme le recommande le rapport d’experts remis par Greenpeace aux autorités mardi matin.

L’opération, qui a duré moins de huit minutes avant l’arrivée des gendarmes chargés de la protection du site qui ont « intercepté les intrus à 05h45 », précise EDF, a été filmée par une équipe de Greenpeace à l’extérieur de la centrale. Et les images laissent supposer que les militants antinucléaires étaient bel et bien à proximité immédiate du bâtiment quand ils ont déclenché le tir pyrotechnique...

« Frêles jeunes filles »

Mais deux versions s’affrontent sur la réussite effective de l’intrusion : EDF indique que « les intrus sont toujours restés à l’extérieur des bâtiments et hors zone nucléaire » et la préfecture de Moselle a précisé que le tir pyrotechnique n’a eu lieu qu’« au niveau des portails, soit à l’extérieur du site ». Mais contacté par Libération, Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire chez Greenpeace, assure que les militants « ont franchi sans peine deux barrières de protection et sont arrivés à proximité immédiate de la piscine » et ont déclenché le feu d’artifice « à moins de 10 mètres » du bâtiment sensible avant d’être interpellé sans heurts par les gendarmes du PSPG (Peloton spécialisé de protection de la gendarmerie). « Dans l’intervalle des huit minutes qu’a duré l’opération, nous étions dans la zone nucléaire et les gendarmes étaient coincés à l’extérieur de la centrale par la première barrière de protection », précise même Yannick Rousselet.

Echelle ? Trou dans le grillage ? Greenpeace ne souhaite pas dévoiler la manière dont ses militants ont opéré pour franchir deux grilles bardées de caméras et détecteurs de présence et pénétrer dans une « zone nucléaire à accès réglementée », considérée par les militaires comme une zone sensible strictement interdite aux personnels non autorisés. « Nous sommes une organisation pacifique et responsable et ne voulons pas donner d’informations à des personnes qui chercheraient à mener des actions malveillantes, mais je peux vous dire que nos huit militants n’étaient pas un commando au sens militaire du terme, il y avait mêmes de frêles jeunes filles. Et tout le monde s’est laissé interpeller pacifiquement en présentant les mains en l’air », raconte Yannick Rousselet.

Deux versions opposées

EDF ne souscrit évidemment pas à cette version plutôt embarrassante pour l’exploitant et la gendarmerie. « A aucun moment, les gens de Greenpeace n’ont pu approcher le bâtiment piscine et la zone vitale où se trouvent les équipements nucléaires. Nos systèmes de détection et de sécurité et de détection ont parfaitement fonctionné, les individus ont été interpellés en un temps record conformément aux procédures d’intervention et il n’y a eu aucun impact sur la sécurité », a martelé Olivier Lamarre, le directeur adjoint du parc nucléaire d’EDF, lors d’une conférence téléphonique de crise organisée ce matin par l’exploitant. Le dirigeant d’EDF a reconnu que deux barrières ont bien été franchies, mais il assure qu’il y avait « d’autres clôtures et dispositifs de protection à passer » pour arriver à proximité de la piscine du réacteur de Cattenom, et que les militants de Greenpeace « ont été arrêtés avant ».

Olivier Lamarre, qui a dénoncé « une action violente totalement illégale et irresponsable », s’est dit très en colère contre l’action de Greenpeace « qui aurait pu mettre en péril la sécurité des individus qui l’ont menée, sans rien prouver du tout car à aucun moment la sécurité des installations n’a été compromise ». EDF a annoncé son intention de porter plainte face à cette « infraction au regard du code de la défense ». Et Olivier Lamarre a précisé que les militants interpellés risquaient « plusieurs années de prison et des dizaines de milliers d’euros d’amende, même s’il appartiendra à la justice de se prononcer. »

Dans le nouvel arsenal juridique anti-terroriste dont s’est doté l’Etat, l’article L-1333/13/12 de la Loi du 2 juin 2015 « relative au renforcement de la protection des installations abritant des matières nucléaires » prévoit pour une personne physique une peine maximale pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amende. « Mais pour une personne morale », en l’occurence l’association Greenpeace France, « la justice peut être encore plus sévère », précise-t-on chez EDF où on l’a décidément mauvaise après cette nouvelle action « provoc » des anti-nucléaires.

Scénario effrayant

Mais Greenpeace, dont c’est la huitième action avec intrusion de ce genre depuis 2003, assume l’opération et a manifestement atteint son objectif : démontrer que l’on peut pénétrer dans une centrale nucléaire et s’approcher de bâtiments contenant de la matière hautement radioactive, comme le réacteur et sa piscine de refroidissement. Le mode opératoire des militants à Cattenom, correspond point par point à l’un des scénarios d’attaque terroriste détaillés par l’association dans son rapport alarmiste sur la sécurité des piscines de refroidissement : intrusion sur un site nucléaire sensible avec action de sabotage.

Que ce serait-il passé si au lieu de calicots Greenpeace, les intrus avaient été équipés d’un lance-roquettes antichar « à charge thermobarique » capable de percer un mètre de blindage d’acier et de déclencher une boule de feu à l’intérieur du bâtiment piscine de Cattenom ? « Les murs en béton du bâtiment font 30 centimètres, comme pour un immeuble de dix étages, et la piscine contient l’équivalent d’un cœur de réacteur…je ne vous fais pas un dessin sur le risque de dissémination radioactive », répond Yannick Rousselet. Le rapport de Greenpeace sur les failles de sécurité des 62 piscines du parc nucléaire français va jusqu’à pointer un risque supérieur à celui de Tchernobyl…

Le responsable de Greenpeace justifie cette opération par le fait que l’association craint que son travail d’alerte sur la sécurité des piscines qui a fait travailler sept experts scientifiques « indépendants » pendant dix-huit mois reste une nouvelle fois lettre morte : « Nous ne voulons pas que ce rapport finisse dans un tiroir et que rien ne soit fait pour bunkériser ces installations dangereuses, c’est la sécurité de millions de citoyens, en France et en Europe qui est en jeu. » Pour l’heure, c’est toujours silence radio du côté des autorités, secret nucléaire et secret défense l’emportant toujours sur l’exigence de transparence démocratique responsable revendiquée par les « anti ».

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Avec des « piscines en carton », Greenpeace veut sensibiliser au risque nucléaire
Jean-Claude Bourbon, La Croix, samedi 14 octobre 2017

Greenpeace évoque des failles dans la sûreté des centrales françaises. Ses militants ont organisé des manifestations dans plusieurs grandes villes, samedi 14 octobre.

Armés de « piscines en carton », des militants de Greenpeace ont organisé, samedi 14 octobre, des « actions de sensibilisation », dans une vingtaine de villes pour dénoncer la sécurité des centrales nucléaires qu’ils jugent vulnérables aux attaques extérieures.

À Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Rennes, Strasbourg, ou encore Poitiers une poignée de militants, avec des bonnets de bain jaune sur la tête marqués du symbole de la radioactivité, ont installé de faux bassins en carton fissurés sur lesquels était écrit « Piscine en carton = accident nucléaire » et « EDF, l’amour du risque ». Ils ont également fait signer des pétitions aux passants.

Mise en garde sur la sécurité des centrales

Dans un rapport dont un résumé a été rendu public mardi 10 octobre, sept experts mandatés par l’ONG se sont penchés sur la capacité de résistance des piscines d’entreposage des combustibles nucléaires usés dans les centrales françaises d’EDF, et dans celles de Doel et Tihange en Belgique, exploitées par Engie.

Selon eux, ces piscines, qui peuvent contenir plus de combustibles que les cœurs des réacteurs, ne sont pas protégées comme ces derniers par des enceintes de confinement renforcées. Si la piscine est endommagée par un acte de malveillance et qu’il n’y a plus d’eau, le combustible peut « s’échauffer et relâcher dans l’environnement une grande partie de sa radioactivité », estime Yves Marignac, directeur de l’agence d’étude sur le nucléaire Wise-Paris.

Un risque de grande ampleur

Les conséquences d’une attaque frappant une piscine seraient alors « potentiellement supérieures à celle d’un accident majeur survenant sur un réacteur », affirme Greenpeace. Au total, la France compte 63 piscines de combustible usé.

L’ONG accuse EDF de n’avoir « pas procédé aux renforcements nécessaires » malgré plusieurs rapports précédents mais aussi les survols à répétition des centrales nucléaires par des drones, qui sont toujours inexpliqués.

Mais l’électricien se défend de toute négligence. « Le bâtiment réacteur et le bâtiment contenant le combustible ont été conçus pour résister tous les deux aux risques de séisme, d’inondation et d’actes de malveillance comme le terrorisme », assure-t-il dans un communiqué.

« Plusieurs centaines de millions d’euros ont été dépensées ces trente dernières années pour améliorer la sécurité. Entre 2015 et 2023, EDF investira encore 720 millions d’euros supplémentaires », a ajouté l’exploitant.

Feu d’artifice à Cattenom

En réponse, huit militants de Greenpeace ont choisi de défier EDF sur son terrain, en s’introduisant jeudi 12 octobre au petit matin, sur le site de Cattenom (Moselle) allant même jusqu’à tirer un feu d’artifice au pied de la centrale, qui abrite quatre réacteurs de 1 300 mégawatts chacun.

EDF a assuré que les militants n’ont pas pénétré dans la zone nucléaire et qu’ils ont été interceptés par les gendarmes huit minutes après leur intrusion.

Cette action démontre les « lacunes flagrantes » de la sécurité des accès à la centrale, s’est inquiétée la ministre luxembourgeoise de l’Environnement Carole Dieschbourg – dont le pays est situé à une dizaine de kilomètres de Cattenom.

Critiques à répétition de l’Autorité de sûreté

Ces opérations de communication de Greenpeace tombent mal pour EDF. Depuis plusieurs mois, l’opérateur public doit faire face aux mises en garde à répétition de l’Autorité de sûreté nucléaire. Mi-septembre, le gendarme du secteur s’est ainsi inquiété de la situation de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher). Au point de la mettre « sous surveillance renforcée », en raison de la « dégradation du niveau de sûreté ». Une décision peu fréquente.

Il y a quinze jours, l’ASN est allée encore plus loin, en imposant l’arrêt provisoire des quatre réacteurs de la centrale de Tricastin (Drôme) « dans les délais les plus courts », estimant qu’elle n’était pas assez protégée contre les inondations en cas de séisme. Une première dans l’histoire du parc nucléaire français.

Certains experts voient dans ces dissensions des querelles d’ingénieurs sur la manière de gérer l’exploitation du parc nucléaire. En privé, des cadres d’EDF considèrent que l’ASN cherche à s’imposer et obtenir ainsi plus de moyens. Les syndicats dénoncent, quant à eux, un trop grand recours à la sous-traitance pour les opérations de maintenance.

Tout cela entretient en tout cas un mauvais climat autour du nucléaire, alors que le gouvernement doit décider dans les prochains mois s’il ferme ou non une vingtaine de réacteurs d’ici à 2025, comme le prévoit la loi de transition énergétique.

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Sécurité nucléaire : des militants de Greenpeace s’introduisent dans la centrale de Cruas-Meysse
Le Monde.fr avec AFP, mardi 28 novembre 2017

Vingt-deux militants ont investi les lieux mardi matin afin d’avertir les autorités de la « vulnérabilité » des piscines où sont entreposés les combustibles usagés.

Un mois et demi après une action à la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle), des militants de Greenpeace se sont introduits dans celle de Cruas-Meysse (Ardèche) pour « alerter » les autorités sur la « vulnérabilité » des piscines où sont entreposés les combustibles usagés.

L’action a commencé vers 6 h 20 et s’est terminée environ deux heures plus tard. Cette centrale exploitée par EDF, qui borde le Rhône, se situe à une quinzaine de kilomètres au nord de Montélimar (Drôme) et est constituée de quatre réacteurs à eau sous pression. Vingt-deux militants antinucléaire l’ont investie en trois lieux différents, un premier groupe allant à la rencontre des gendarmes pour « expliquer » leur action, selon Greenpeace. Un autre s’est dirigé vers un bâtiment « accolé » à l’un des réacteurs de la centrale pour l’escalader ou y laisser des empreintes de mains à la peinture afin de « démontrer son accessibilité ».

Enfin, quatre militants se sont suspendus à un bâtiment abritant une piscine de combustibles usagés et ont allumé des fumigènes, d’après des vidéos diffusées par Greenpeace. « Certains se sont effectivement attachés à un des bâtiments, il y a eu un petit feu d’artifice. L’action est désormais terminée et 22 personnes ont été interpellées ; une enquête judiciaire est en cours », a annoncé la préfecture de l’Ardèche.

L’Autorité de la sûreté nucléaire (ASN), organisme indépendant, et EDF ont assuré que cette intrusion n’avait « aucun impact sur la sûreté » des installations, en précisant que « les intrus [étaie]nt restés en dehors de la zone nucléaire ». Comme à chaque action de ce type, EDF va porter plainte et a condamné « des actions violentes d’un mouvement multipliant les illégalités ».

« Failles de sécurité »

« Nous voulons pointer du doigt les failles de sécurité des piscines d’entreposage du combustible usé, qui sont conçues comme des bâtiments classiques avec une faible résistance. Il suffirait de faire un trou pour avoir un feu de combustibles », a justifié Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de l’ONG, en rappelant le risque terroriste en France. Selon lui, « l’ASN a confirmé que les piscines d’entreposage du combustible usé sont un vrai problème mais elle a rappelé qu’elle n’était pas compétente sur les questions de sécurité ».

Les actes de « malveillance » touchant aux centrales relèvent en effet du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) rattaché au ministère de la transition écologique et solidaire. Mais pour l’ONG, « EDF a les mains libres sur le sujet et continue de nous enfumer en prétendant que la sécurité de ces installations est assurée ».

Le 10 octobre, Greenpeace avait dévoilé un rapport d’experts critiquant la capacité de résistance des bâtiments abritant les piscines d’entreposage, qui peuvent contenir plus de combustibles que les cœurs des réacteurs mais ne sont pas protégées comme ceux-là par des enceintes renforcées, ce qui les expose davantage au risque d’attaques extérieures, selon l’ONG. Dans la foulée, des militants s’étaient introduits sur le site de la centrale de Cattenom (Moselle). Le directeur général de Greenpeace France et huit militants comparaîtront le 3 janvier devant le tribunal correctionnel de Thionville pour ces faits. Poursuivis pour « intrusion en réunion et avec dégradation dans l’enceinte d’une installation civile abritant des matières nucléaires », ils encourent cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

La France compte 63 piscines de ce type dans ses centrales en activité, ainsi que dans l’usine de retraitement de La Hague (Manche) et sur le site de Creys-Malville (Isère).

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« Il faut renforcer les infrastructures, les bunkeriser »
Cyrille Cormier (Greenpeace), La Croix, mercredi 29 novembre 2017

Y a-t-il un problème de sécurité dans les centrales nucléaires ? L’avis de Cyrille Cormier, responsable des campagnes énergie et climat, Greenpeace France.

Greenpeace considère qu’il existe des défauts de sécurité importants sur les sites nucléaires en France. Le 10 octobre dernier, nous avons d’ailleurs remis un rapport de sept experts indépendants sur ce sujet aux autorités chargées de la sécurité. Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a réagi à ce texte en précisant que les faits exposés par notre ONG étaient véridiques : il y a bien un problème de sécurité avec certains équipements dans les centrales, en particulier avec les piscines d’entreposage de combustibles usés.

Depuis, nous avons mené deux actions, l’une à la centrale de Cattenom, dans la Moselle, il y a un mois et demi, et l’autre à celle de Cruas-Meysse, dans l’Ardèche, hier matin. Greenpeace a démontré à chaque fois que l’on peut facilement pénétrer dans un site nucléaire et rejoindre les bâtiments des piscines de combustibles. Dans les deux cas, il a fallu dix minutes pour que les militants soient repérés et dix minutes de plus pour que les forces de l’ordre se retrouvent à leur contact.

Plus précisément, à Cruas-Meysse, nous avons grimpé le long de la paroi de la piscine d’entreposage du combustible usagé. Nous voulions montrer que l’on pouvait être à cet endroit-là, sur le bâtiment qui contient le plus de radioactivité dans une centrale – il peut y avoir l’équivalent de deux ou trois cœurs de réacteur dans une piscine – et qui est le moins bien protégé. L’équipement ressemble à un hangar agricole, avec des murs de 30 centimètres à l’endroit du combustible et de la tôle sur le toit.

Ces failles nous permettent d’imaginer qu’un projectile explosif guidé depuis l’extérieur ou un avion qui tomberait sur cette piscine créerait un accident nucléaire majeur. Des tests de résistance ont été effectués par les autorités pour de petits avions, mais jamais pour des avions de ligne. Les forces de l’ordre sur place, militaires ou gendarmes, arriveraient trop tard pour empêcher cette catastrophe. Leur temps de réaction est d’une vingtaine de minutes, comme nous l’avons expérimenté. La seule solution pour éviter ce type d’accident est de renforcer les infrastructures, de les « bunkeriser ». Ainsi, avec ces actions, nous souhaitons informer les citoyens de risques réels mais surtout appeler EDF, responsable des sites nucléaires, à agir face à ce problème de sécurité majeur et à renforcer les bâtiments en question le plus rapidement possible. EDF a pris en compte le risque d’une chute d’avion sur les piscines dans la construction de l’EPR de Flamanville. En effet, une coque-avion recouvre des équipements importants pour la sécurité et la sûreté, dont la piscine de combustible qui, si elle était touchée dans une des autres centrales nucléaires françaises, produirait un accident potentiellement plus important que celui de Fukushima.

Propos recueillis par Frédérique Schneider

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Après la sûreté, le nouvel angle d’attaque de Greenpeace
Coralie Schaub, Libération, lundi 4 décembre 2017

L’ONG, qui a longtemps mis en avant les risques d’accident, insiste aujourd’hui sur l’absence de protection des sites et le coût écrasant qu’engendrerait leur mise en conformité.

Pour dénoncer les dangers de l’atome, Greenpeace brandissait jusqu’ici la menace d’un accident dans l’un des 58 réacteurs vieillissants d’EDF ou dans l’usine Areva de retraitement de déchets de La Hague, près de Cherbourg, la plus grande unité de retraitement de déchets radioactifs au monde. Mais l’ONG antinucléaire n’est plus seule à s’inquiéter. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Pierre-Franck Chevet, ne cesse d’avertir que « le contexte en matière de sûreté nucléaire est particulièrement préoccupant », notamment du fait que « les exploitants ont moins de moyens qu’avant ». Fin avril, les syndicats CGT-FO-Unsa-CFDT et des élus locaux déploraient de leur côté une « diminution » de la sûreté à La Hague, en raison de la chasse au coûts et du manque d’effectifs.

Les autorités n’excluant plus la possibilité d’un accident, Greenpeace axe maintenant sa stratégie sur un sujet au moins aussi grave, mais toujours tabou : la sécurité nucléaire. Le 10 octobre, l’ONG a dévoilé un rapport pointant entre autres « l’extrême fragilité face aux actes de malveillance » des 62 piscines (une par réacteur, plus celles de La Hague) où refroidit le combustible usé hautement radioactif. « Si le bâtiment réacteur est protégé par une enceinte renforcée, les piscines, elles, ne sont pas protégées. […] Il s’agit pourtant des bâtiments qui contiennent le plus de radioactivité », assène le rapport. Selon Greenpeace, l’épaisseur des murs est inférieure à 50 centimètres et le toit est en simple tôle. Ce que Libération a constaté de visu à La Hague. A priori pas de quoi résister à la chute d’un avion ou à un tir de roquette. Une attaque pourrait ainsi provoquer « une catastrophe nucléaire majeure » en relâchant des particules radioactives jusqu’à 200 kilomètres autour du site visé. Pour ne pas inspirer d’éventuels terroristes, la version intégrale du document n’a été remise qu’aux plus hautes autorités : hauts fonctionnaires du SGDSN (la défense nationale), de l’ASN et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et ministres concernés. Seule une version expurgée a été publiée.

Depuis, pour appuyer sa démonstration et s’assurer que son travail d’alerte ne finira pas dans un tiroir, Greenpeace multiplie les opérations d’agit-prop. Le 12 octobre, huit de ses militants se sont introduits dans l’enceinte de la centrale de Cattenom, en Moselle, pour y tirer un feu d’artifice au pied d’un bâtiment abritant une piscine de refroidissement. Rebelote le 28 novembre : 22 militants sont entrés dans celle de Cruas-Meysse (Ardèche), certains réussissant à escalader le même type de bâtiment et y laisser des empreintes de mains à la peinture afin de « démontrer son accessibilité ». Samedi, à l’initiative de Greenpeace et d’autres ONG, 250 personnes ont déposé plainte contre l’État français et EDF pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

L’urgence ? « La bunkérisation des piscines de combustible usé, qui sont le talon d’Achille du nucléaire français face à des risques d’actes de malveillance », insiste Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. Et de fustiger « l’irresponsabilité et le déni » dans lesquels s’enferrent l’électricien et l’État, « qui connaissent parfaitement les risques mais ont si peur des conséquences de cette réalité qu’ils préfèrent la méthode Coué ». Des conséquences économiques tellement lourdes qu’elles mettraient en péril l’ensemble du nucléaire français, déjà mal en point. C’est tout le pari tactique de l’ONG. « La filière est si délabrée, ses finances si mauvaises, que si on l’oblige à obtenir un niveau suffisant en termes de sécurité, elle ne survivra pas », estime Yannick Rousselet. EDF est lesté d’une dette de 37 milliards d’euros et devra investir au moins 50 milliards pour moderniser ses centrales. Sans compter les 20 milliards engagés pour construire les EPR britanniques et le coût du démantèlement d’au moins 17 réacteurs nécessaire pour respecter la loi de transition énergétique de 2015.

L’électricien a bien promis d’investir 700 millions d’euros dans la sécurité des centrales d’ici à 2023 (renforcement des enceintes et de leur surveillance, herses, plots en béton etc). Mais c’est une paille, selon l’ONG, qui chiffre les travaux entre 1,6 et 2,4 milliards… par piscine. À multiplier par les 62 concernées. Une fortune, qu’EDF n’a pas. « Certains préféreraient casser le thermomètre plutôt que soigner la maladie. Mais la sécurité n’a pas de prix », dit Rousselet, qui espère notamment une commission parlementaire sur le sujet. Et se félicite que la stratégie de Greenpeace « commence à percoler » : des députés interrogent l’exécutif sur la sécurité des centrales et l’IRSN estime qu’il y a « un retour d’expérience à tirer » des intrusions.

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La sécurité nucléaire battue en brèches
Pierre Alonso, Jean-Christophe Féraud et Amaelle Guiton, Libération, lundi 4 décembre 2017

Attaques par avion, par drone, sabotage en interne… Les menaces terroristes qui pèsent sur les centrales sont nombreuses et les mesures de protection insuffisantes. Pour nombre d’experts, les opérations menées par Greenpeace montrent leur vulnérabilité.

Sommes-nous à l’abri d’un attentat nucléaire dont les conséquences seraient pires que celles de Tchernobyl et Fukushima ? Taboue en France, la question qui fait peur est remontée au sommet de l’État après les attaques terroristes de Paris et Bruxelles. Greenpeace a fait de la sécurité nucléaire son nouvel axe de campagne, démontrant par les faits le manque de protection des centrales d’EDF : les 12 octobre et 28 novembre, ses activistes sont parvenus coup sur coup à s’introduire dans l’enceinte interdite des centrales de Cattenom (Moselle) et de Cruas (Ardèche). Et ce mardi soir, la diffusion du documentaire Sécurité nucléaire, le grand mensonge d’Eric Guéret et Laure Noualhat (ex-journaliste à Libé) va remettre sur la place publique un débat étouffé par le secret-défense. Zoom sur cinq scénarios catastrophes.

L’attaque aérienne type 11 Septembre

Depuis 2001, c’est le cauchemar des autorités. Le crash d’un gros porteur sur l’un des 58 réacteurs français ou leur piscine de refroidissement de combustible hautement radioactif provoquerait une catastrophe nucléaire sans précédent. EDF a beau affirmer que ses centrales « ont été conçues pour résister à la chute d’un avion » (sans préciser s’il s’agit d’un Cessna ou d’un Airbus A380), personne n’y croit. Le cas de l’usine Areva de La Hague (Manche), qui abrite la plus forte concentration au monde de déchets radioactifs dans ses piscines (10 000 tonnes) inquiète particulièrement : selon l’expert Yves Marignac qui dirige le cabinet d’étude Wise, interrogé par Libération, « un crash sur les piscines provoquerait un relâchement de césium 137 équivalent à plus de six fois Tchernobyl » dans un bassin de population de 2 millions d’habitants situé à moins de 300 km de Paris et Londres. Les chasseurs de l’armée de l’air arriveraient-ils à temps pour abattre un avion-suicide ? Et tant pis pour les passagers ? Les mesures de sécurité aéroportuaires drastiques prises depuis le 11 Septembre rendent faible la probabilité d’un détournement. Mais quid d’un pilote devenu fou, comme Andreas Lubitz, qui a précipité en 2015 le vol 9525 de Germanwings contre les Alpes françaises ?

L’assaut d’un commando

C’est la crainte de Greenpeace, qui a démontré que ses militants pouvaient entrer sur n’importe quel site nucléaire, malgré les militaires chargés de leur protection. « On ne peut pas mettre un gendarme tous les dix mètres le long des clôtures, il faudrait plutôt transformer les centrales en forteresses avec miradors », reconnaît une source sécuritaire. Car s’ils parvenaient jusqu’aux bâtiments nucléaires, des terroristes équipés d’armes antichars pourraient percer une brèche dans le mur d’une piscine épais de seulement 30 cm et provoquer un Fukushima bis : « Si une piscine se vide, c’est une catastrophe gigantesque […], vous avez un feu nucléaire sans aucune protection », constate dans Sécurité nucléaire : le grand mensonge l’ex-directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire Jacques Repussard. Il faudrait alors évacuer les habitants dans un rayon d’au moins 100 km. Greenpeace réclame de toute urgence la « bunkérisation » des 58 piscines de refroidissement d’EDF et des quatre de La Hague. Mais cela coûterait plus de 100 milliards. Impossible vu l’état de ses finances. Autre faille, un sabotage mené par un salarié autorisé sur le site : c’est arrivé en 2014, à Doel, en Belgique. Affaire non élucidée à ce jour.

Dangereux transports

Chaque année, 15 tonnes de plutonium issues du retraitement à La Hague traversent la France par la route, direction Marcoule, dans le Gard : « 100 camions roulant sur 800 kilomètres et autant d’opportunités pour des terroristes », assène Yannick Rousselet de Greenpeace, qui montre dans une incroyable séquence du documentaire comment il lui a été facile de surveiller ces convois à la minute près. L’escorte ne pourrait rien faire face à une attaque au véhicule piégé ou au lance-roquettes. Et un « simple » vol de matières radioactives permettrait aux terroristes de fabriquer une « bombe sale ».

L’attaque des drones

Dans la seule nuit du 31 octobre 2014, six centrales nucléaires sont simultanément survolées par des drones. D’autres suivront, mais cette action-là marque les esprits. Elle était « probablement coordonnée », avance l’expert Yves Marignac. À ce jour, ces survols restent inexpliqués. « Vu la facilité d’accès à ces moyens, l’action peut venir d’une multitude d’acteurs », poursuit-il. Un an après, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale reconnaissait que ces survols visaient à « décrédibiliser l’action de l’État ou de certains opérateurs [en sapant] la confiance placée dans le dispositif de protection des sites sensibles ». Au-delà, ces appareils volants, équipés de caméras, permettent d’avoir des images précises des centrales et peuvent se transformer en engins explosifs artisanaux. Mais vu leur faible capacité d’emport, la détonation d’un drone sur une centrale aurait peu de chances d’aboutir à un désastre nucléaire.

La cybermenace

C’est le scénario qui fait frémir depuis Stuxnet : en 2010, ce virus attribué aux services secrets israéliens s’était attaqué à des centrifugeuses iraniennes d’enrichissement d’uranium, franchissant l’« air gap » (l’isolation physique des réseaux) via des clés USB. Chez EDF, on se veut rassurant : non seulement les systèmes informatiques de pilotage central sont indépendants des réseaux de gestion et déconnectés d’Internet mais les salles de commande fonctionnent en analogique et l’arrêt des réacteurs s’opère en mode manuel. Le nucléaire est désormais soumis aux contrôles de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information. Reste que « les nouvelles générations d’équipement vont poser problème », relève Loïc Guézo, de la société de cybersécurité Trend Micro : « Dans les automates et leurs systèmes de commande, il y a de plus en plus de "cyber" et de Microsoft. La stabilité n’est pas garantie. » Et si le risque majeur reste l’attaque physique ou l’atteinte au confinement du réacteur, « la maîtrise de l’assaillant peut être amplifiée par un vol de données ad hoc ». En décembre 2014, KHNP, l’un des acteurs du nucléaire sud-coréen, a été victime d’un piratage : les plans et manuels de deux réacteurs avaient été dérobés.

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Feu vert à une commission d’enquête sur la sûreté nucléaire
Agence Reuters, mercredi 31 janvier 2018

PARIS (Reuters) – Les députés français ont donné mercredi leur feu vert à la création d’une commission d’enquête parlementaire « chargée d’étudier les conditions de sûreté et de sécurité des installations nucléaires ».

Les députés ont approuvé une proposition de résolution, déjà acceptée par la commission du Développement durable de l’Assemblée, déposée par le groupe La République en marche (LaRem) visant à la création d’une commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires.

Seul le groupe Les Républicains (LR) a voté contre, dénonçant à la fois la forme et le fond et en regrettant que la commission d’enquête porte également sur la sûreté et pas seulement sur la sécurité.

La commission d’enquête, qui sera mise en place dans les tout prochains jours et qui sera composée de 30 députés, disposera de six mois pour présenter ses conclusions.

Le groupe LaRem de l’Assemblée avait déposé en décembre cette demande après l’intrusion en novembre de militants de Greenpeace France dans la centrale de Cruas-Meysse (Ardèche).

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Greenpeace : des militants entrés sur le site d’une centrale condamnés à des peines de prison ferme
Le Monde.fr avec AFP, mardi 27 février 2018

Un tribunal français a condamné mardi 27 février à des peines allant de cinq mois de prison avec sursis à deux mois ferme huit militants de Greenpeace qui s’étaient introduits dans la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle) en octobre ainsi qu’un responsable de l’ONG.

Greenpeace France, représentée par son directeur général, Jean-François Julliard, a écopé pour sa part d’une amende de 20 000 euros. Les militants étaient poursuivis pour « intrusion en réunion et avec dégradation dans l’enceinte d’une installation civile abritant des matières nucléaires ».

« On assume cette action »

Des peines de six mois avec sursis avaient été requises à l’encontre de six des militants et du responsable de la campagne nucléaire de l’ONG, Yannick Rousselet. Six mois ferme avaient été, en outre, demandés à l’encontre de deux adhérents de l’ONG, déjà condamnés pour s’être introduits sur deux autres sites nucléaires en France.

« On assume cette action, on sait qu’elle était illégale (…), mais il y avait une raison très précise qui était de dénoncer les failles de sécurité », déclarait avant l’audience M. Julliard, qui comparaissait au côté des militants en tant que représentant de l’ONG. « C’est EDF qui devrait être sur le banc des accusés. Finalement, on a fait un audit gratuit », a renchéri un responsable de la campagne antinucléaire de l’ONG, Yannick Rousselet, poursuivi pour complicité.

« On est des lanceurs d’alerte avant tout », a dit Maxime, un militant antinucléaire de 35 ans, parmi cent quarante militants de Greenpeace qui brandissaient des drapeaux de l’organisation écologiste aux abords de l’hôtel de ville de Thionville. « Ce qu’on a fait n’est pas si grave en comparaison avec les risques que prend l’exploitant en laissant les piscines non protégées des actes de malveillance », a-t-il soutenu.

Alerter sur la vulnérabilité des sites nucléaires

Le 12 octobre, à l’aube, huit activistes de Greenpeace avaient été interpellés pour avoir pénétré dans la centrale afin d’alerter sur la vulnérabilité des sites nucléaires. Ils avaient diffusé sur le compte Twitter de l’organisation écologiste la vidéo d’un feu d’artifice, qu’ils disent avoir tiré tout près du bâtiment abritant la piscine à combustible. La préfecture de la Moselle et EDF avaient déclaré que les militants n’avaient pas accédé à la zone nucléaire.

Deux jours plus tôt, un rapport d’experts mandatés par Greenpeace établissait que les piscines de stockage de combustible usé étaient particulièrement vulnérables aux attaques extérieures.

Une nouvelle intrusion, sur le site nucléaire de Cruas-Meysse, en Ardèche, de vingt-deux activistes de Greenpeace, le 28 novembre, avait entraîné la création d’une commission d’enquête parlementaire sur « la sûreté et la sécurité des installations nucléaires » à l’initiative des députés LRM.

En 2014, cinquante-cinq militants de l’organisation écologiste furent condamnés à deux mois de prison avec sursis pour s’être introduits dans la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Neuf autres furent condamnés à des peines de six mois de prison avec sursis pour une action similaire en 2011 à Nogent-sur-Seine (Aube).

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Les lanceurs d’alerte de Greenpeace sévèrement condamnés par la justice
Émilie Massemin, Reporterre, mercredi 28 février 2018

Huit militants de Greenpeace ont été lourdement condamnés, mardi 27 février, par le tribunal de Thionville, pour avoir pénétré dans la centrale de Cattenom, afin de dénoncer la dangerosité de sa piscine. Ils ont mis en avant leur rôle de lanceur d’alerte – suite à leur action, une commission d’enquête parlementaire a été ouverte. Mais EDF nie la vulnérabilité de ses installations.

Les peines, d’une sévérité inédite, sont tombées le soir même, mardi 27 février peu après 21 h, au tribunal correctionnel de Thionville (Moselle). Cinq mois de prison avec sursis pour six des huit militants de Greenpeace qui se sont introduits dans la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle), le 12 octobre dernier, et ont tiré un feu d’artifice près du bâtiment abritant la piscine d’entreposage du combustible nucléaire. Deux autres militants ont carrément pris deux mois de prison ferme, au motif qu’ils auraient agi en récidive – ils avaient déjà pénétré sans autorisation dans une centrale nucléaire auparavant.

Yannick Rousselet, chargé de campagne à Greenpeace, a lui aussi écopé de cinq mois de prison avec sursis pour complicité – il a été déclaré coupable d’avoir informé et préparé les activistes, et d’en avoir conduit certains jusqu’au site nucléaire. Quant à l’ONG Greenpeace, représentée par son directeur général Jean-François Julliard, elle s’est vue condamnée à 20.000 euros d’amende. Les prévenus devront en outre verser 50.000 euros de dédommagement à EDF pour « préjudice moral » et seront fixés au mois de juin sur la somme qu’ils devront lui débourser au titre du préjudice matériel (deux grillages un peu découpés).

Greenpeace a immédiatement annoncé qu’il ferait appel de ces condamnations. « C’est la première fois dans l’histoire de Greenpeace France que des militants sont condamnés à de la prison ferme. Ils ont pris des risques pour alerter la population sur un danger et voilà comment ils sont récompensés. Nous ne l’acceptons pas », a dit Jean-François Julliard au quotidien régional L’Est républicain.

La journée avait pourtant plutôt bien commencé. Bravant le froid polaire, de nombreux militants s’étaient rassemblés devant l’hôtel de ville avant l’audience pour témoigner leur soutien aux activistes de Greenpeace. « Nous adressons un grand merci aux militants de Greenpeace pour leur courage, a salué une porte-parole du mouvement ANV-COP21. Ces procès ne sont pas un cas isolé ; trois faucheurs de chaises sont actuellement poursuivis pour avoir dénoncé l’évasion fiscale commise par la banque BNP Paribas. » Florent Compain, des Amis de la Terre, a salué la présence d’opposants au projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactif à Bure (Meuse), également victimes du harcèlement des forces de l’ordre – la semaine dernière, une quinzaine d’occupants ont été expulsés manu militari du bois Lejus par 500 gendarmes et la Maison de résistance a été vidée et perquisitionnée. « Il faut multiplier les actions non-violentes », a encouragé Florent Compain. Greenpeace, par la voix de Yannick Rousselet, a réaffirmé la légitimité de son action. « On considère qu’on a offert à EDF un audit gratuit. On devrait leur envoyer la facture ! », a ironisé le chargé de campagne.

Mais dans la salle d’audience, durant l’après-midi, l’atmosphère est rapidement devenue pesante. Appelés à la barre après le rappel des faits, sept des huit activistes (le dernier était absent, en mer sur un navire de la flotte de Greenpeace) ont répondu par monosyllabes aux interrogatoires ultra-précis menés par Me Thibault de Montbrial, l’avocat d’EDF, et Christelle Dumont, la procureure de la République. « On était huit et on a tout décidé progressivement et collectivement. On était tous interchangeables », s’est contentée d’assurer une des militants, Coralie. « Les centrales nucléaires sont assez vulnérables et il est assez facile d’y pénétrer. »

Face au cinquième militant à passer à la barre, Me de Montbrial a dégainé pour la première fois son argument favori – la démonstration de faille de sûreté réalisée par Greenpeace ne tiendrait pas au motif que les activistes se sont tout de suite identifiés comme membres de l’organisation par des combinaisons rouges très reconnaissables et des banderoles, et qu’un membre de l’association aurait appelé la direction de la centrale dès le début de l’action pour la prévenir. « N’est-ce pas une petite escroquerie intellectuelle que de dire qu’il existe une faille de sécurité dans la centrale, mais de tout faire pour être identifié dès la première seconde et d’appeler la direction de la centrale dès 5 h 43 pour prévenir qu’il s’agit de Greenpeace et éviter toute réaction forte ? Si l’on vous avait proposé de pimenter un peu la chose à la prochaine intrusion, en vous habillant en noir avec une cagoule, est-ce que vous y seriez allés quand même ? »

Le directeur de Cattenom a abondé dans ce sens en présentant un exposé du fonctionnement du système de protection de la centrale, censé démontrer l’efficacité parfaite du dispositif. « Dans le documentaire “Sécurité nucléaire, le grand mensonge”, on ne voit que deux gendarmes dans le passage consacré à l’action à Cattenom. C’est normal ! Le rôle du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG) n’est pas d’aller au contact avec les intrus mais d’aller protéger les zones d’importance vitale de la centrale en cas de multi-intrusion et de diversion. » Quant à l’attitude nonchalante des gendarmes, elle serait la conséquence d’une évaluation très fine de la dangerosité de la situation. « C’est le système de détection “position, nature, volume, attitude” (PNVA). Nous sommes en France, la réponse est proportionnée à la menace. Mais finalement, peut-être qu’il y aurait fallu tout de suite des morts pour montrer que le dispositif est efficace ? Je ne souhaite pas cela en France, mais en Russie et aux Etats-Unis, quand quelqu’un entre dans la zone franche sans autorisation, on lui tire dessus tout de suite. »

« Nous sommes des lanceurs d’alerte, notre action est légitime et non-violente »

Face à ces insinuations, les militants ont tenu bon sur leurs motivations, dénoncer l’extrême dangerosité des piscines d’entreposage des combustibles usés. « Nous avons décidé collectivement de cette action parce que nous sommes face à un danger imminent, a déclaré Anne-Fleur, une activiste aux courts cheveux noirs. Nous sommes des lanceurs d’alerte sur un sujet grave et Greenpeace assume notre action car elle est légitime et non-violente. »

Jean-François Julliard a assuré que Greenpeace assumait « l’organisation, la mise en œuvre et la communication de cette action » qu’elle avait elle-même décidée. L’avocat d’EDF Me de Montbrial soulignait qu’elle était illégale ? « Elle nous a semblé indispensable », a rétorqué le directeur général de l’ONG. « La même semaine, nous avions remis à des dépositaires bien précis un rapport que nous n’avons pas divulgué, qui alertait sur les failles de sécurité des piscines d’entreposage. Aucun de ces destinataires n’a remis en cause les informations qu’il contenait et n’a dit que les risques étaient surestimés. » Las, ce rapport n’a donné lieu à aucune amélioration de la sécurité des installations. « Mais le risque est tel que nous ne pouvons pas attendre dix ans que les choses bougent. Il a fallu trouver autre chose. Et si les militants de Greenpeace ne s’étaient pas introduits à Cattenom, la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires n’aurait jamais vu le jour. L’escroquerie est du côté d’EDF qui se réfugie derrière le secret défense pour ne pas délivrer d’informations au ministère de la Transition écologique et solidaire et aux députés. »

« J’ai écrit de nombreux articles sur la sécurité et il ne s’est rien passé »

Bernard Laponche, ingénieur polytechnicien et ancien du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), appelé à la barre comme expert, a confirmé cette inertie. « Après 2001, le problème de sécurité des piscines d’entreposage des combustibles a été souligné et confirmé mais aucune décision n’a été prise. J’ai écrit avec d’autres collègues de nombreux articles à ce sujet dans des cahiers de l’association Global Chance, et il ne s’est rien passé. Cette action de Greenpeace confirme ce problème très important de sécurité. »

Dans sa plaidoirie, l’avocat d’EDF a insisté sur la nécessité d’infliger une punition exemplaire aux militants de Greenpeace, pour inaugurer la loi du député Claude de Ganay qui crée et punit sévèrement un délit d’intrusion dans les installations nucléaires. « Nous avons affaire à des militants dont l’objectif est de faire la guerre à leur niveau », a-t-il martelé. « Ils assument leur action d’aujourd’hui, et le fait qu’ils l’aient déjà fait à treize reprises et qu’ils le referont. C’est comme si vous aviez un trafiquant de drogue qui vous regardait dans les yeux en disant : “Ouais, de toute façon, quoi que tu fasses, vas-y, je le refais !” » Il a réclamé 700.000 euros de dommages et intérêts, dont 500.000 au titre du préjudice moral et de l’atteinte à la crédibilité d’EDF. La procureure de la République Christelle Dumont, elle, a requis six mois de prison avec sursis pour les militants qui avaient pénétré dans une centrale pour la première fois ainsi qu’à Yannick Rousselet pour complicité, et six mois de prison ferme pour les militants qui s’étaient déjà introduits dans une centrale nucléaire auparavant. « La sécurité des piscines n’est pas la question, si le débat doit avoir lieu, ce ne sera pas au tribunal qui se doit d’appliquer le droit », a-t-elle tranché.

C’est après plus de cinq heures d’audience et devant un tribunal fatigué que Me Alexandre Faro, l’avocat des militants de Greenpeace, a plaidé. Après avoir ironisé sur la défense contradictoire d’EDF – qui n’a fait que décrédibiliser les militants de Greenpeace avant de demander un dédommagement astronomique pour « atteinte à la crédibilité » –, il a plaidé une nouvelle fois sur le rôle de lanceur d’alerte des militants, petits David courageux devant le Goliath atomique. « Il aura fallu que des militants de Greenpeace tirent un feu d’artifice à côté d’une piscine d’entreposage pour qu’une enquête parlementaire soit ouverte. Parce qu’il est très difficile de parler de ces choses en France. Nous sommes quand même le seul pays où il est impossible de fermer une centrale nucléaire sans en ouvrir une autre, grâce à la loi écrite par ces messieurs ! Je me rappelle aussi de la lettre du député Bataille au président du tribunal de Cherbourg, dans laquelle il lui expliquait comment il devait lire sa loi sur l’interdiction de l’importation de déchets radioactifs. C’est le monde merveilleux du nucléaire en France. »

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Greenpeace : « EDF devrait nous remercier pour cet audit gratuit de ses centrales »
Yannick Rousselet (Greenpeace / interview), Libération, mercredi 16 mai 2018

Ce jeudi à Privas, 22 militants de Greenpeace sont jugés pour s’être introduits dans l’enceinte de la centrale nucléaire de Cruas, en Ardèche, le 28 novembre. Après une action similaire à Cattenom (Moselle), les activistes voulaient pointer « les failles de sécurité » du parc nucléaire français face à la menace terroriste. EDF a porté plainte. Ils encourent de la prison ferme et 75 000 euros d’amende. Egalement sur le banc des accusés, le directeur de Greenpeace France, Jean-François Julliard, et Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de l’organisation. Jugé pour « complicité », ce dernier assume et demande aux pouvoirs publics de « bunkériser » les piscines des centrales.

Que cherchez-vous à montrer avec ce genre d’opérations ?

Yannick Rousselet : En laissant l’empreinte de leurs mains recouvertes de peinture sur les murs de la piscine de refroidissement de Cruas, nos militants ont voulu prouver de manière encore plus spectaculaire ce que nous avions déjà démontré à Cattenom : les piscines d’EDF, remplies de combustible hautement radioactif, ne sont pas sécurisées comme elles devraient l’être face au risque terroriste.

Nos activistes ne sont pas entraînés comme des commandos, ils sont entrés tranquillement au moyen d’une échelle et, une fois au pied du bâtiment-piscine, il a fallu plus de dix minutes pour que les gendarmes arrivent et interpellent tout le monde. Plus de temps qu’il n’en faudrait à des terroristes pour viser le bâtiment-piscine en faisant usage d’un lance-roquettes. Cette perméabilité met en danger les populations. La direction d’EDF traîne nos militants devant les tribunaux, mais elle devrait nous remercier pour cet audit gratuit démontrant les failles de sécurité de ses centrales nucléaires.

Pénétrer dans une zone nucléaire peut être dangereux pour vos militants…

Yannick Rousselet : Nous avons l’habitude de ce genre d’opérations : nos militants sont pacifiques et ils s’identifient clairement comme « Greenpeace ». Les gendarmes savent tout de suite qu’ils ne font pas face à des individus malveillants. Dans cette affaire, ils ont agi en lanceurs d’alerte, pas en délinquants. L’objectif était d’interpeller les pouvoirs publics sur le danger que représentent ces installations nucléaires non sécurisées. Le but est atteint : après Cattenom et Cruas, l’Assemblée a mis en place une commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Aujourd’hui, des députés comme Barbara Pompili (LREM) posent à EDF et aux autorités les questions que nous posons depuis des années. Malgré le voile épais du secret défense, nous espérons que la représentation nationale obtiendra enfin les réponses que nous n’avons pas eues. Et que des mesures seront prises pour qu’EDF sécurise sérieusement son parc nucléaire.

Y a-t-il une prise de conscience face au risque d’un terrorisme nucléaire ?

Yannick Rousselet : Nous passons en jugement, mais nous allons aussi être reçus le 11 juin par Régine Engström, la haut fonctionnaire de défense et sécurité du ministère de la Transition écologique. C’est bien la preuve que les autorités prennent au sérieux nos alertes. Mais c’est au niveau d’EDF que cela bloque : l’exploitant est tétanisé par les milliards d’euros qu’il faudrait investir pour sécuriser ses 19 centrales.
Que faudrait-il faire pour sécuriser les centrales ?

La première chose à faire, c’est de bunkériser les piscines de combustible pour les protéger d’un tir de roquette, d’une attaque à l’explosif ou d’une attaque aérienne. Aujourd’hui, les murs en béton de ces piscines ne font que 30 centimètres d’épaisseur ! A défaut, il faudrait au moins ériger des tumulus pour priver d’éventuels assaillants d’un angle de tir. On peut aussi installer des filets métalliques pour arrêter les projectiles et disposer des câbles en hauteur pour empêcher le survol des centrales.

La doctrine actuelle de « défense passive » est totalement dépassée : elle repose sur 1 000 gendarmes répartis sur 19 centrales pour protéger 58 réacteurs. Les autorités parlent de 50 gendarmes déployés sur chaque centrale, mais à Cruas quatre sont intervenus pour interpeller 22 militants. Que se serait-il passé s’ils étaient tombés sur 22 terroristes armés ? La plainte d’EDF ne répond pas à cette question.

Que préconisez-vous pour mettre les combustibles radioactifs à l’abri ?

Yannick Rousselet : Greenpeace demande depuis des années que la France expérimente l’entreposage à sec en subsurface : on laisse refroidir les combustibles usés dans des installations bunkérisées, semi-enterrées ou creusées à flanc de colline.

Premier avantage, ces installations sont à l’abri d’un tir de roquette ou d’une attaque aérienne. Deuxième avantage, la matière est conditionnée dans des « châteaux » qui assurent à la fois la protection d’un coffre-fort et un refroidissement beaucoup moins coûteux qu’une piscine. Troisième avantage : c’est réversible, à tout moment on peut reprendre les déchets en vue d’un stockage plus robuste. L’entreposage à sec des matières radioactives est une solution technologiquement éprouvée que tout le monde a choisie sauf la France. Si la France s’accroche à ses piscines de refroidissement, c’est qu’elle a fait le choix délirant du retraitement pour réutiliser une partie du combustible usé. Pour le lobby de l’atome, il s’agit d’assurer coûte que coûte la continuité du nucléaire, alors que la seule option, c’est de fermer le robinet des centrales au bénéfice des énergies renouvelables.

Deux militants ont été condamnés à deux mois de prison ferme pour Cattenom. Allez-vous poursuivre ces actions ?

Yannick Rousselet : Nous allons sans doute faire une pause puisque notre objectif a été atteint : le débat sur la sécurité des centrales nucléaires est désormais entre les mains de la représentation nationale.

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Contre Greenpeace, l’État fait le procès de la désobéissance civile
Jade Lindgaard, Mediapart, vendredi 18 mai 2018

Deux mondes se font face au tribunal de grande instance de Privas, jeudi 17 mai, et rien ne semble pouvoir les réconcilier. Pas même les blagues. Il s’en formule pourtant une savoureuse, quand le procureur de la République, Pierre-Yves Michaud, s’en prend à Bernard Laponche, expert critique du nucléaire : pourquoi témoigner pour Greenpeace s’il n’a pas pris part à l’action ? N’est-ce pas une façon de ne pas prendre ses responsabilités ? Ne peut-on faire de l’expertise et de l’action ? Réponse directe : « Je vais y réfléchir ! » lui lance le physicien, 80 ans, élégant dans son costume-cravate.

Des rires se font entendre dans la salle d’audience, mais ils viennent tous des prévenus. Aucun terrain d’entente ne sera apparu pendant les presque 8 heures d’audience. D’un côté, et d’un bloc : l’affirmation par l’État et EDF que la sécurité du nucléaire est bien assurée et la condamnation de la désobéissance civile. De l’autre, la dénonciation du risque de catastrophe et la conviction que l’introduction illégale dans les centrales est le seul moyen de réveiller la société sur ce sujet.

Vingt-trois personnes comparaissaient pour s’être introduites dans la centrale nucléaire de Cruas (Ardèche), le 28 novembre 2017, et avoir réussi à atteindre le bâtiment d’entreposage des combustibles usagés. Certain·e·s y ont laissé une empreinte de leur main en peinture, pour prouver leur présence. Les onomatopées « boum » et « crac » furent projetées sur des bâtiments de la centrale. Au bout d’une dizaine de minutes, les personnes furent identifiées et interpellées. Au fil des heures d’audience, leurs visages, très divers générationnellement, deviennent familiers au regard. Une ligne de défense s’érige. C’est le plus jeune, Titouan Billon, né en 1991, qui parle pour tou·te·s. Il est musicien. « Cette action est l’aboutissement d’un travail beaucoup plus long d’expertise, de rédaction de rapport, de sensibilisation. On essaie de faire bouger les lignes avant. Mais cela fait de jolis dossiers dans des tiroirs. »

C’est tout le début de l’histoire : en octobre 2017, Greenpeace publie un rapport sur la vulnérabilité des installations nucléaires françaises et belges face aux risques d’attaques extérieures. Quelques reprises médiatiques mais pas d’annonces fortes d’EDF. Quelques jours plus tard, huit militant·e·s de Greenpeace entrent par effraction dans la centrale de Cattenom, en Lorraine, proche de la frontière avec le Luxembourg. Puis vingt-deux activistes pénètrent la zone protégée de la centrale de Cruas fin novembre. Pour Titouan Billon, « n’importe quel quidam peut entrer dans une centrale nucléaire avec une échelle ». Surtout, « les centrales ont été construites à un moment où les terroristes ne jetaient pas d’avion contre elles. Les temps ont changé. Les centrales n’ont pas changé ». Il poursuit : « Ce procès, je m’en remettrai. Mais si un feu se déclenche dans une piscine de combustibles, on en parlera encore dans dix générations. »

Pour Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace, poursuivi comme personne morale : « Ces actions sont nécessaires, légitimes et utiles. Les rapports ne suffisent pas. Les rencontres politiques avec Hulot et Macron ne suffisent pas. C’est une action désintéressée au nom de l’intérêt général. » Selon Alexandre Faro, l’avocat de Greenpeace, les activistes mettent en œuvre l’état de nécessité : n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien.

En dehors de l’audience, il s’inquiète des effets répressifs de la loi Ganay de juillet 2015 qui crée un délit spécifique pour l’intrusion dans les centrales. Il n’y avait pas de laxisme, insiste-t-il, chaque fois les militant·e·s de Greenpeace ont été poursuivi·e·s et condamné·e·s. La jurisprudence fondée sur cette loi est l’un des enjeux du procès, car ce n’est que la deuxième fois qu’un tribunal est appelé à juger dans ce cadre. À Thionville (Moselle) en février, la justice a condamné deux activistes de Greenpeace à deux mois de prison ferme pour leur intrusion dans la centrale de Cattenom – ils avaient un casier judiciaire, les quatre autres ont écopé de peines avec sursis. « C’est un thermomètre de l’époque. »

Mais le procureur de la République considère qu’« il y a un problème croissant dans notre société de désobéissance civile. C’est au-delà de la liberté d’expression. La désobéissance civile, c’est violer la loi, le revendiquer, l’assumer publiquement pour prétendument faire avancer le débat d’idées ». Pour le ministère public, « c’est un déni de démocratie. C’est le refus du résultat des urnes. C’est bafouer les décisions du peuple français. Aucune minorité, faction, structure, organisation n’a le droit de s’arroger une parcelle de souveraineté et d’imposer sa vérité à tous ».

L’intrusion à Cruas est à ses yeux « ridicule, totalement irresponsable et dangereuse. C’est tout sauf une action non violente. Ça crée de la tension supplémentaire, dans le contexte du terrorisme ». Il réclame 6 mois de prison avec sursis pour les prévenus, 4 mois ferme pour celles et ceux qui avaient un casier et ne peuvent plus bénéficier du sursis et 30 000 euros d’amende, contre Greenpeace : « C’est indécent de faire ce genre d’action dans la situation de notre pays. Ça ne sert à rien. Cette action n’est pas pertinente. C’est un grand carnaval, une mascarade. » Car à ses yeux : « Les seuls problèmes de sécurité dans les centrales nucléaires depuis 20 ans ce sont les intrusions de vos militants ! » Pour son final, il se dit d’accord avec l’idée d’augmenter le niveau de défense des installations nucléaires pour permettre aux gendarmes de tirer sans sommation sur les intrus. « Il est temps que ça s’arrête. Il n’est plus possible de tolérer ces intrusions à répétition ! »

Pour l’avocat d’EDF, Thibault de Montbrial, « le débat sur la sécurité nucléaire est légitime. Mais ce qui ne peut être légitime, c’est de commettre sciemment, mécaniquement, militairement des infractions pénales en faisant croire à la vulnérabilité des installations nucléaires. » Il avait demandé 1,2 million d’euros de dommages et intérêts à Greenpeace : « Il y a un moment où ça suffit. » Il compare les activistes à « des délinquants d’habitude » qui « arrivent à la barre avec une démarche plus ou moins chaloupée », et se prennent du sursis. Peines inutiles à ses yeux car « l’autorité n’est ressentie que quand elle a un effet concret. Si ça ne tombe pas, ça ne s’arrête pas ». Entre 2003 et 2014, il y a eu quatorze intrusions, puis deux en six semaines fin 2017.

En début d’audience, le président du tribunal, Jacques Vuillet, pose le cadre qu’il souhaite donner au débat : « C’est un procès de forme. Il y a d’autres manières de manifester ses convictions. » Mais il questionne attentivement et en finesse les prévenus, leur permettant de s’expliquer. L’enjeu des débats porte sur les piscines de refroidissement, où le combustible usé est stocké, avant de partir vers le site d’Areva à La Hague (Manche).

Dans un bâtiment combustible, on trouve l’équivalent en radioactivité de deux ou trois réacteurs. C’est énorme. Pour Greenpeace, à la différence des bâtiments réacteurs, où la radioactivité est confinée par trois barrières de protection, ces bâtiments combustibles sont construits comme de vulgaires hangars, sans aucune protection de sécurité.

L’EPR toujours en construction à Flamanville protège sa piscine de stockage de combustible sous une coque de béton, preuve pour les militant·e·s que l’architecture des actuels bâtiments est insuffisamment protectrice. En off, un responsable chez EDF nous explique que les bâtiments combustibles sont conçus pour résister à un choc avec un avion qui arriverait latéralement, mais pas par le dessus.

Reste une question de fond : que prouve l’action de Greenpeace sur la vulnérabilité ? Le président du tribunal s’est montré dubitatif : « Mais puisque vous êtes reconnus comme Greenpeace, qu’est-ce que ça prouve ? » Pour Thibault de Montbrial, avocat d’EDF : « Greenpeace prétend que si ses militants entrent dans le périmètre de la centrale, c’est la démonstration en soi de l’insuffisance des mesures de sécurité. Mais Greenpeace a tout de suite été identifié. Prétendre le contraire est malhonnête. »

Pour Yannick Rousselet, principal expert nucléaire de l’association : « Ce n’est pas parce que nous sommes siglés que le risque est moindre. Les gendarmes sont arrivés après. Ils sont arrivés en retard. » Une personne qui a participé à l’action en grimpant sur l’un des bâtiments raconte dans la salle des pas perdus que les policiers ont mis 2 h 30 à la décrocher et que lorsque le premier gendarme les met en joue, pendant une demi-heure, il n’est même pas dans le périmètre de la centrale.

L’association considère que ses actions ont conduit EDF à améliorer la sécurité des installations nucléaires en France. Pour Lina, 46 ans, l’une des prévenu·e·s, maître d’œuvre dans le bâtiment : « C’est très important de s’engager, y compris en prenant des risques juridiques. Il est essentiel de dénoncer. C’est un acte citoyen. » Pour Sébastien, brasseur : « C’est notre rôle de lanceur d’alerte de mettre en lumière les failles des centrales nucléaires. Les terroristes n’ont pas besoin de nous pour avoir des idées dangereuses. Le problème n’est pas Greenpeace. Nous ne sommes pas malveillants. Nous sommes pacifistes. »

L’originalité de Greenpeace dans le monde associatif est de développer une double stratégie, détaillée par Yannick Rousselet, son spécialiste en sûreté nucléaire : « On est dans une stratégie de discussion sur l’expertise, mais elle n’est pas suivie d’effets s’il n’y a pas de rapport de force. Il faut être dedans et dehors. » À la suite de l’intrusion à Cattenom, une commission parlementaire s’est montée sur le sujet, sous la houlette de Barbara Pompili (LREM, ex-EELV).

Mais la voie est étroite. Pour Christophe Chanut, directeur de la centrale de Cruas depuis 2014, et EDF, les militants se trompent : les piscines ne sont pas vulnérables, l’intérieur est protégé par un couvercle en acier. Mais « aux questions sur l’évaluation précise des risques d’attaques terroristes, les réponses sont secret défense, regrette Cyril Cormier, autre spécialiste du nucléaire dans l’association. On est dans le cul-de-sac de la démocratie ».

Pendant l’audience, Thibault de Montbrial demande au porte-parole des prévenus s’il est certain qu’ils n’étaient pas dans la ligne de mire d’un tireur de haute précision de la centrale. Ce sera dans le rapport parlementaire veut croire le jeune homme. « Si c’est dans le rapport, ce sera dans sa partie classifiée », lui rétorque aussitôt l’avocat. L’échange résume bien l’ambiance de la journée : zone d’ombre assumée dans le discours de Greenpeace, opacité revendiquée du côté d’EDF. Juste avant que le procès ne commence, des dizaines de militant·e·s de Greenpeace ont chacun tenu une lettre en grand format. L’ensemble déroulait : « À quand le procès des centrales d’EDF ? » Le jugement des prévenu·e·s sera rendu le 28 juin.

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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