Le rapport de la commission énergies 2050 : la pensée unique au secours du nucléaire

, par   Benjamin Dessus

Révolutions comportementales, société autarcique, gestion de la pénurie ? Face à une Commission Energies 2050 figée sur son dogme de la croissance indéfinie et indépassable de la consommation d’électricité, les scénarios de sortie du nucléaire ont surtout l’inconvenance d’envisager de rendre les mêmes services à la population avec moins d’énergie et en particulier moins d’électricité qu’aujourd’hui. Une tribune de Benjamin Desssus, publiée sur le site Mediapart le mardi 14 février 2012.

La synthèse du rapport de la Commission Energies 2050 présentée le 13 février à la presse ne fait pas dans la dentelle en dénonçant « les analyses simplistes celles qui présentent les avantages en oubliant les inconvénients… » et plus loin « certains scénarios ne sont envisageables qu’au prix de révolutions dans les comportements individuels et sociaux qui ne nous semblent ni crédibles ni souhaitables ». Sont visés évidemment les scénarios de négawatt et de Global Chance qui ont l’inconvenance d’envisager de rendre les mêmes services à la population avec moins d’énergie et en particulier moins d’électricité qu’aujourd’hui. Ils sont donc accusés « de prôner la mise en œuvre d’une société autarcique qui ne ferait que gérer la pénurie dans tous les domaines de la vie courante ».

Après une telle réaffirmation du dogme de la croissance indéfinie et indépassable de la consommation d’électricité, ne reste plus qu’à examiner le coût de production du kWh pour montrer, comme on pouvait s’y attendre, que « ne rien faire » est ce qui coûte le moins cher : prolongeons au maximum la durée du parc jusqu’à ce que l’Autorité de sûreté nucléaire l’interdise ! Après on verra bien…

Mais c’est plutôt à la validité économique de ces scénarios « révolutionnaires » que s’attaque le corps du rapport. Trop d’EPR par exemple dans le scénario de référence choisi pour la comparaison avec le scénario de sortie du nucléaire en 20 ans de Global Chance, un coût du kW et du kWh produit par ces EPR bien trop élevés.

Soit ! Mais que se passe-t-il si l’on compare notre scénario de sortie à un scénario tout ce qu’il y a de plus officiel comme le scénario AMS Objectif [1], commandé par la Direction générale de l’énergie et du climat du ministère de l’industrie au bureau d’études Enerdata pour ses négociations à Bruxelles, en adoptant les coûts recensés par la Cour des comptes dans son rapport du 31 janvier dernier [2] ?

Dans le cas où l’on remplace les réacteurs du parc actuel par des EPR dans le scénario de la DGEC, on trouve encore, avec les données chiffrées de la Cour des comptes, un avantage économique au scénario de sortie du nucléaire : une facture annuelle inférieure de 8% pour le scénario de sortie et un investissement cumulé analogue.

Dans le cas où l’on maintient le parc actuel pour 20 ans de plus, les factures des deux scénarios deviennent quasiment équivalents : une facture 4% supérieure pour le scénario de sortie du nucléaire. Par contre le cumul d’investissement du scénario GDEC tombe à 267 Md€ contre 451 pour le scénario « Sortie du nucléaire », ce qui n’a rien de surprenant puisqu’on repousse les investissements lourds au delà de 2030.

L’explication en est simple : les coûts de mise à disposition d’une économie d’électricité d’un kWh, et en particulier d’électricité spécifique (l’éclairage, le froid, l’électroménager, la télévision, l’informatique, etc.) sont généralement nettement bien moindres que ceux de mise à disposition d’un kWh d’électricité à l’usager final.

C’est la principale raison pour laquelle les scénarios sobres et efficaces en électricité obtiennent de bonnes performances en terme de coût d’investissement et de facture annuelle des usagers.

Mais plutôt que de reconnaître ce fait bien connu partout ailleurs qu’en France, voire d’en discuter les limites, et très probablement pour éviter d’affronter la colère des producteurs d’électricité [3], ce point n’est pas même discuté dans le rapport. On se souvient à ce propos des déboires de Madame Kozusco-Morizet qui proposait une prime de 100 ou 150 euros aux ménages dits « modestes » pour se procurer un réfrigérateur de classe A++ plutôt qu’un réfrigérateur de faible efficacité électrique. On peut supposer en effet que ses services avaient pris la précaution de vérifier, avant de faire cette proposition,que cette prime se justifiait par les économies d’électricité engendrées au cours de la vie de l’appareil. La résistance du lobby des électriciens (producteurs et constructeurs) a eu pourtant bien vite raison de son engouement passager pour les économies d’électricité.

On sait aussi, en observant nos voisins, que ces politiques sont parfaitement possibles à mettre en place. En Allemagne par exemple, dont les dépenses d’électricité hors usages thermiques (chauffage et eau chaude sanitaire électrique qui sont une spécialité française) étaient équivalentes à celles d’un français en 1999, la politique d’économie d’électricité engagée s’est révélée très efficace : 10 ans plus tard la consommation domestique moyenne d’un allemand est 27% plus faible que celle d’un français [4]. Personne ne semble pourtant dire que nos voisins sont revenus à la bougie. Mais cela passe par une volonté politique, par une politique industrielle pérenne, par des incitations et des réglementations adaptées.

Alors que reste–t-il à nos rapporteurs pour tenter de déconsidérer les stratégies alternatives proposées plutôt que les discuter pied à pied ? Tenter de les diaboliser en utilisant des « éléments de langage » bien rôdés, révolution, autarcie, pénurie, pour faire peur à nous autres, bons pères de famille.

C’est en effet tellement plus simple de se retrancher derrière une recommandation du type de celle que nous produisent sans ciller nos rapporteurs sourcilleux de démocratie : « s’interdire toute fermeture administrative d’une centrale nucléaire qui n’aurait pas été décidée par l’exploitant à la suite des injonctions de l’Autorité de sûreté » que d’engager les citoyens à prendre en main leur avenir énergétique.

Et le débat démocratique dans tout cela ? Inutile puisque la catastrophe de Fukushima est un non événement pour notre ministre de l’industrie qui réussit la performance notoire à ne pas écrire le mot sûreté nucléaire dans son dépliant publicitaire « Les enseignements préliminaires du rapport de la Commission Energies 2050 [5] » diffusé largement à la presse quelques jours avant la sortie du rapport.

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À voir également sur le site :

Nucléaire : par ici la sortie
(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)

Fukushima : réactions en chaîne
(Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima)

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