Le choc pétrolier de 1973 et les économies d’énergie

, par   Bernard Laponche

Bernard Laponche, directeur général de l’AFME de 1984 à 1987

La hausse des prix du pétrole et du gaz depuis l’été 2021, qui s’est accentuée avec la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, n’est pas sans rappeler le premier choc pétrolier 1973, lié à la guerre du Kippour.

La réponse de la France à cette crise se décline alors en deux composantes : le programme massif de construction de centrales nucléaires dit « Programme Messmer » et une politique d’économie d’énergie. La composante nucléaire est bien connue, mais ses effets sur l’approvisionnement pétrolier de la France ne deviendront vraiment significatifs qu’à partir du milieu des années 80, peu de temps avant le contre-choc pétrolier de 1986.

La politique d’économies d’énergie est alors une révolution conceptuelle : en amont de la production ou de l’approvisionnement énergétique, il est essentiel de s’intéresser à la consommation d’énergie par l’usager final. Ce qui importe, c’est avant tout de réduire les quantités d’énergie nécessaires pour satisfaire les besoins de services énergétiques (chauffage, mobilité, éclairage, etc.) dans les différents secteurs : résidentiel et tertiaire, industrie, transports, agriculture. Le mot d’ordre devient : « consommez mieux en consommant moins ».

Ce que visent les « économies d’énergie », c’est d’une part une inflexion des comportements des usagers (consommer mieux et consommer moins) et, d’autre part, le déploiement de solutions techniques plus efficaces sur le plan énergétique. Ce que l’on appelle aujourd’hui les dimensions de sobriété et d’efficacité énergétique de la transition énergétique.

Pour mener à bien cette action, le gouvernement décide, le 25 septembre 1973 de créer l’Agence pour les Economies d’Energie (AEE), ce qui sera acté par le décret du 29 Novembre 1974. Ce sera la première au monde. Jean Syrota, le premier à diriger l’AEE de 1974 à 1978, pointe rapidement une possible contradiction entre le volet nucléaire et le volet « économies d’énergie » de la politique énergétique de l’époque. Bien que partisan du développement du nucléaire, il s’était alors fortement et courageusement élevé contre les projections de consommations d’électricité portées par EDF, et qui servaient d’assise à la justification économique du programme nucléaire. Il rappelait ainsi en 2002 [1] : « L’AEE s’est battue contre l’idée de la croissance permanente de la consommation d’électricité au rythme de 7% par an, credo d’EDF qui aurait amené un doublement de la consommation tous les 10 ans et permis d’atteindre une consommation de 1000 TWh en 2000, soit plus du double de ce qui a été constaté ».

L’AEE, qui n’avait pas de moyens considérables, ni en personnel ni en budget (en 1978 une centaine de personnes et un budget de 200 millions de francs), a agi sur deux plans : la réglementation et la communication. Les moyens alloués ne permettaient pas d’aides à l’investissement.

Sur le plan réglementaire, ce fut une véritable révolution :

 Juste en amont de la création de l’AEE, la réglementation thermique, par le décret du 10 avril 1974
à l’initiative du ministère de l’équipement et du logement, pour les bâtiments neufs d’habitation ou les projets de construction, fut complétée en 1976 par un volet dédié aux bâtiments non résidentiels.

 La limitation de la température de chauffage des locaux à 19° C (décret du 22/10/1979) ; l’interdiction de la publicité incitant à la consommation d’énergie.

 Le changement d’heure avec passage à l’heure d’été.

Certaines de ces mesures ont connu des progrès, d’autres ont été oubliées ou annulées : c’est dommage.

C’est la communication, active et imaginative, qui fait que l’on se souvient de cette période : appel à la sobriété avec « En France on n’a pas de pétrole mais on a des idées » et, « Vous ne payez que la chaleur qu’il vous faut. Au degré près. Cela fait des économies, jusqu’à 25 % sur vos factures de chauffage ». Cela serait fort approprié de nos jours…

Jean Poulit, créateur de « Bison Futé », prit la direction de l’AEE en septembre 1978. Il lance alors la première « Chasse au gaspi », un jeu concours national pour les automobilistes. Ce fut ensuite des conseils pour l’achat des équipements électroménagers (le guide Topten ne viendra que bien plus tard).

En 1982, en réponse au second choc pétrolier de 1979, fut créée l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME), fusion de l’AEE, du Commissariat à l’Energie Solaire (COMES) créé en 1978 et de la « Mission Chaleur », dotée de moyens considérablement plus importants. Mais c’est une autre histoire…

Quelques années plus tard, dans sa note du 16 septembre 1987, la Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières (DGEMP) soulignait « L’intérêt des économies d’énergie au vu des résultats acquis depuis 1973 » :

« Les résultats acquis depuis le premier choc pétrolier en 1973 témoignent de l’intérêt considérable des économies d’énergie, tant pour ce qui concerne leur impact sur l’indépendance énergétique de la France que celui sur le commerce extérieur. Quelques chiffres permettent d’illustrer cette efficacité : on estime à environ 34 Mtep (million de tonnes équivalent pétrole) par an l’importance de l’économie annuelle réalisée depuis 1973 par rapport à la situation qui aurait résulté d’une consommation alignée sur la croissance économique. Ce résultat est à rapprocher des 56 Mtep produits par an après la mise en œuvre du programme nucléaire et montre l’importance prise par les économies d’énergie dans la politique énergétique nationale. Cette économie de 34 Mtep par an a nécessité la réalisation de 100 milliards de francs d’investissements. La comparaison de cet effort avec les 500 milliards de francs dépensés pour produire les 56 Mtep annuelles du nucléaire met en évidence l’intérêt des économies d’énergie pour la collectivité nationale ».

La note précisait que ces valeurs étaient en énergie primaire . Pour les économies d’énergie, essentiellement de pétrole, les 34 Mtep en énergie primaire correspondent à 28 Mtep en énergie finale. Pour la production d’électricité d’origine nucléaire, les 56 Mtep représentent la quantité de chaleur produite dans les réacteurs ; cela correspond à environ 19 Mtep d’électricité en énergie finale.

Quel bel enseignement historique pour nos gouvernants.

Article publié le 13 Avril 2022 par Alternatives Economiques.