Le contenu en carbone du kWh électrique français en question

, par   Benjamin Dessus

Le 24 janvier 2008, un communiqué de presse de l’association Agir pour l’Environnement relance le débat sur le contenu en CO2 du kWh électrique français, en se basant sur une note interne du RTE et de l’ADEME. Il s’agit là d’une question politiquement sensible et techniquement complexe [1], comme l’illustre l’entretien accordé par Benjamin Dessus au Journal de l’Environnement le 31 janvier. Suite à la polémique déclenchée par Agir pour l’Environnement, l’ADEME a de son côté publié le 5 février une note de cadrage sur le contenu du CO2 du Kwh par usage en France.



Entretien avec Benjamin Dessus
Journal de l’environnement, 31 janvier 2008

L’ONG Agir pour l’environnement a diffusé la semaine dernière une note interne du RTE et de l’Ademe, datée d’octobre 2007, qui détaille trois méthodes différentes pour calculer le contenu en CO2 du kWh électrique français. La première, en vigueur, donne pour le chauffage une moyenne de 180 gCO2/kWh. Les deux autres, entre 500 et 600 gCO2/kWh. Au-delà du débat sur le nucléaire, peut-on en conclure qu’il est « climaticide », quand ces méthodes ne prennent pas en compte les mêmes paramètres ? Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, président de l’association Global chance, revient pour le JDLE sur la polémique.

JDLE : Aujourd’hui, comment est calculé le contenu en CO2 du kilowattheure (kWh) français ?

Benjamin Dessus : EDF et l’Ademe utilisent la méthode dite des contenus saisonnalisés par usages, qui évalue le contenu de gaz carbonique par usage de l’électricité sur une base historique. Elle dresse la liste des différents usages de l’électricité – chauffage, éclairage, usages « intermittents » et usages « en base » (1) -, leur attribue un contenu carboné, en examinant quelles sources d’électricité sont utilisées pour chaque usage : pour les besoins de base, c’est surtout du nucléaire qui va être utilisé. Mais pour répondre au pic de consommation hivernal, dû au chauffage par exemple, on est amené à utiliser du charbon, pour répondre au surcroît de demande.
Pour lisser les variations annuelles, EDF fait la moyenne de la consommation sur plusieurs années. Entre 2000 et 2004, d’après la note, le parc électrique français a émis 180 grammes de CO2 par kilowattheure (gCO2/kWh) pour le chauffage, 100 gCO2/kWh pour l’éclairage, 60 gCO2/kWh pour les usages « intermittents », et 40 g CO2/kWh pour les usages « en base ».

JDLE : Cette même note mentionne l’existence de deux autres méthodes de calcul. Pouvez-vous les détailler ?

Benjamin Dessus : Les deux autres méthodes – dites du contenu marginal pour l’une, du contenu marginal en développement pour l’autre – s’intéressent non plus au contenu moyen de CO2 d’un usage mais au contenu en CO2 d’un kWh supplémentaire marginal d’électricité pour un usage donné. Si quelqu’un allume une lampe supplémentaire, avec quelle électricité va-t-elle fonctionner ? Si quelqu’un arrête la production de son usine pour le week-end, quel moyen de production va-t-on arrêter ? Il s’ensuit un contenu en CO2 du kWh produit ou économisé pour ces usages. La troisième méthode (méthode marginale en développement) prend en plus en compte les éléments prospectifs de ce parc. Elle répond donc au type de question suivante : si j’installe un chauffage à bois à la place d’un chauffage électrique en 2015 en France, quel moyen de production vais-je économiser et avec quel contenu de CO2 ?

JDLE : Quels sont les avantages de ces deux méthodes ?

Benjamin Dessus : Elles ont l’avantage de prendre complètement acte de la libéralisation du marché de l’électricité. Dans un parc européen libéralisé, le distributeur d’électricité (EDF ou ses concurrents) a la possibilité d’acheter à chaque instant l’électricité la moins chère à travers une bourse d’électricité sur le marché européen, pour satisfaire la demande de ses clients. Cette électricité est plus carbonée que celle issue du parc français. Si, comme le suppose la libéralisation du marché électrique, les échanges d’électricité ne sont pas limités par les capacités de transport de pays à pays, à ce moment-là, c’est le parc européen qui devient important, et non plus le parc national.

JDLE : Faut-il donc abandonner la première méthode de calcul, utilisée par EDF ?

Benjamin Dessus : Ce qui est amusant, c’est que la troisième méthode a été, depuis 1945, la seule méthode reconnue par EDF, et ce pendant 50 ans. Au contraire de l’Allemagne, qui, elle, travaillait en coût moyen. C’est sur la base du coût marginal en développement qu’EDF, pendant toutes ces années et jusqu’à la récente libéralisation du marché de l’électricité, a décidé de ses investissements de production, y compris du nucléaire. C’est aussi sur la base de cette méthode que le ministère en charge de l’industrie a édité ses coûts de référence de l’électricité.

Arrive aujourd’hui l’Union européenne, et ce n’est plus le parc français qui compte, mais le parc européen. C’est un retour des choses assez amusant alors qu’EDF avait concocté une note sur le CO2, il y a quelques années, sur la base du coût moyen pourtant bien mal noté chez ses économistes… Mais c’est vrai qu’elle permettait d’afficher un contenu particulièrement flatteur de CO2 au kWh. Avec la méthode marginale élargie à l’Europe, c’est évidemment moins brillant...

Par ailleurs, cette première méthode prend pour base les usages, et fait l’hypothèse implicite que tous les moyens de production existants sont disponibles. Cela pose un vrai problème pour les moyens de production dont le fonctionnement est plus ou moins aléatoire comme certaines des énergies renouvelables : on ne peut pas démarrer une éolienne à la demande s’il n’y a pas de vent ! C’est donc un vrai handicap de cette méthode de calcul.

JDLE : Quelles conséquences pour la politique énergétique française ?

Benjamin Dessus : La première méthode fonctionnait pour un pays « fermé » comme la France. Mais si on vante les mérites du marché électrique libre en Europe, on ne peut pas prétendre en même temps que le chauffage électrique français émet beaucoup moins de CO2 que le chauffage électrique de nos voisins.

Ce qui est intéressant dans tout cela c’est que cela va nous forcer à revisiter toute une série de concepts et de certitudes et à envisager de nouvelles règles de solidarité. Par exemple, si on économise un térawattheure de chauffage électrique en France, dont une bonne part produit par une centrale à charbon en Allemagne, cela va avoir une répercussion sur le fonctionnement du parc de centrales à charbon de nos voisins. Ceux-ci vont pouvoir ralentir leur production, donc économiser du CO2. Chez qui compter cette économie ?

JDLE : Peut-on, comme le dit Agir pour l’environnement, affirmer que le nucléaire est « climaticide » ?

Benjamin Dessus : Non, cela ne me paraît pas exact, tout au moins directement. Ce qui est vrai c’est que l’usage du chauffage des logements par l’électricité a en France un contenu de CO2 beaucoup plus élevé qu’on ne l’imaginait du fait de la mutualisation des moyens de production européens. Dans ces conditions, il devient très tendancieux de faire de la publicité pour le chauffage électrique sous prétexte qu’on a beaucoup de nucléaire en France. Ce que ce calcul met en cause, c’est d’abord le chauffage électrique...

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Agir pour l’Environnement - Communiqué de presse - 24 janvier 2008

Le kWh électrique français, radioactif ET climaticide !

Agir pour l’Environnement diffuse ce jour, une note interne éditée par RTE et l’Ademe indiquant que le contenu carbone du kWh électrique dédié au chauffage est en France de 600 grammes de CO2 par kWh, bien loin des assertions d’EDF qui n’hésite pas à affirmer que ce kWh ne pèserait "que" 180g/CO2 par kWh...

Ce poids carbone, très important, du kWh dédié au chauffage s’explique par une capacité de production électrique française tournée exclusivement vers le nucléaire, inapte à répondre aux besoins de pics. Or, l’omniprésence du chauffage électrique en France crée des pointes de consommation que le nucléaire ne peut couvrir, d’où le besoin de recourir aux vieilles centrales fioul et charbon en période de très forte demande. En reconnaissant officieusement un bilan carbone très en deça des affirmations trompeuses d’EDF, la France prend conscience que l’unilatéralisme énergétique ayant favorisé le tout nucléaire a pour conséquence la production de déchets radioactifs ET l’émission de gaz à effet de serre.

La France doit enfin accepter le multilatéralisme dans la gestion de sa politique énergétique en stoppant la construction de l’EPR, coûteux et inadpaté à la demande électrique française et imposer un moratoire sur le recours au chauffage électrique, d’une piètre efficacité énergétique et d’un bilan carbone très en deça des objectifs assignés par l’Union européenne.


Lire la note interne RTE/Ademe, version courte : http://www.agirpourlenvironnement.org/pdf/contenuCO2courte.pdf
Lire la note interne RTE/Ademe, version longue : http://www.agirpourlenvironnement.org/pdf/contenuCO2courte.pdf

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