Le méthane, un gaz qui pèse lourd sur le climat

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Les politiques de lutte contre le changement climatique se sont focalisées sur le dioxyde de carbone pour tenter de limiter, d’ici la fin du siècle, la hausse de la température mondiale à 2 °C par rapport à la période préindustrielle. Mais le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre à jouer un rôle important dans le réchauffement climatique. Trop souvent oublié, l’impact du méthane peut désormais être mieux quantifié grâce à un algorithme. De quoi fournir des outils pour mettre en place de nouvelles politiques de lutte contre le réchauffement climatique.

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Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Hervé Le Treut :
Le méthane, un gaz qui pèse lourd sur le climat (La Recherche, novembre 2017)
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LE MÉTHANE, UN GAZ QUI PÈSE LOURD SUR LE CLIMAT

Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Hervé Le Treut
La Recherche, n°529, novembre 2017, pp. 68-72


Les auteurs : Benjamin Dessus a fondé l’association Global Chance. Bernard Laponche est expert en politiques de l’énergie. Hervé Le Treut dirige l’Institut Pierre-Simon-Laplace et est membre de l’Académie des sciences.

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Pour en savoir plus, notamment sur l’algorithme quantifiant l’impact du méthane sur le climat :

Évaluer simplement l’importance pour le changement climatique des principaux gaz à effet de serre dans les scénarios mondiaux à partir des enseignements du dernier rapport du GIEC
Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Hervé Le Treut, document de travail, 11 pages, lundi 24 juillet 2017
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Introduction
1 – Qu’en est-il des gaz à effet de serre autres que le CO2 ?
2 – Évaluer simplement l’impact des gaz autres que le CO2 sur l’évolution de la température de l’atmosphère
2.1 Les trajectoires d’émission de GES à l’horizon 2100 élaborées par le GIEC
2.2 Des trajectoires d’émissions au réchauffement climatique
2.3 Calcul des augmentations de température pour cinq scénarios représentatifs
3 – Un algorithme simple d’appréciation des conséquences climatiques de scénarios diversifiés
3.1 Une relation linéaire entre cumuls et augmentation des températures
3.2 Un exemple d’utilisation
Éléments de conclusion


Le dioxyde de carbone n’est pas le seul gaz à effet de serre à jouer un rôle important dans le réchauffement climatique. Trop souvent oublié, l’impact du méthane peut désormais être mieux quantifié grâce à un algorithme. De quoi fournir des outils pour mettre en place de nouvelles politiques de lutte contre le réchauffement climatique.

La COP23 – Conférence des Nations unies sur les changements climatiques – s’ouvre début novembre à Bonn, en Allemagne. Le contexte est difficile après que les États-Unis ont annoncé, en juin dernier, leur intention de sortir des accords de Paris. On savait déjà que les contributions des États actuellement associées à ces accords ne seraient pas suffisantes pour espérer maintenir l’augmentation de la température de la surface terrestre en dessous de 2 °C à l’horizon 2100 par rapport à la période préindustrielle. Mais le défaut des États-Unis, dont les émissions représentent 15 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES), rend l’équation encore plus délicate à résoudre.

Dans ce contexte, il devient nécessaire de voir à quelles conditions chacun pourrait aller plus vite et plus loin dans la limitation de ses émissions de gaz à effet de serre. Or, depuis le début des années 1990, les préoccupations de la communauté scientifique et des négociateurs sur la lutte contre le changement climatique ont porté principalement sur la question de la réduction des émissions de gaz carbonique. Pourtant, le dioxyde de carbone (CO2) n’est pas le seul gaz à effet de serre ayant un fort impact sur la température globale : en effet, le méthane (CH4) contribue également de manière importante au réchauffement climatique. C’est pourquoi nous avons mis en place un algorithme simple, permettant de mieux appréhender le rôle de ce gaz souvent négligé.

Pourquoi se focalise-t-on tant sur le CO2 ? Tout d’abord, c’est le premier gaz à effet de serre par l’importance de ses émissions et de ses conséquences dans le réchauffement. Dans son dernier rapport publié en 2014 (1), le Groupe international d’experts sur le climat (Giec) estime que, entre 1750 et 2010, le forçage radiatif – qui mesure la capacité instantanée d’un gaz à se réchauffer sous l’effet du rayonnement solaire et de la réémission de rayonnement par la Terre – attribuable aux émissions de CO2 représente 56 % du total imputable à l’ensemble des gaz à effet de serre. Ensuite, sa durée de vie dans l’atmosphère dépasse largement la centaine d’années. Cela lui donne un caractère d’irréversibilité qui doit à juste titre faire réfléchir.

On sait enfin quantifier avec une précision raisonnable les quantités d’émission des principales sources de CO2. Il est donc bien normal que les objectifs de réduction d’émission de CO2 aient toujours occupé le devant de la scène scientifique et politique. Cette attention compréhensible commence à porter ses fruits. Depuis quelques années, on assiste à un ralentissement de la progression des émissions de CO2 mondiales.

Une dangerosité oubliée

Mais les autres principaux gaz à effet de serre, le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O), ne bénéficient pas de la même attention. Pourtant, le rapport du Giec déjà cité nous rappelle l’importance du méthane, puisqu’il serait responsable, de manière directe ou indirecte et sur la même période 1750-2010, de 32,3 % du forçage radiatif total. Il présente une série de caractéristiques qui peuvent expliquer l’importance moindre qu’on lui accorde dans la plupart des analyses économiques.

D’abord, sa durée de vie dans l’atmosphère est beaucoup moins élevée que celle du CO2, de l’ordre d’une douzaine d’années : elle suit une décroissance exponentielle [La loi de décroissance est de la forme e-t/12. Il ne reste que 37 % du CH4 douze ans après son émission, mais encore 19 % vingt ans plus tard et 1,6 % cinquante ans plus tard]. Au terme de réactions complexes, il se transforme en effet en différents gaz (vapeur d’eau, ozone, CO2), qui sont eux-mêmes à l’origine du réchauffement climatique. En revanche, son pouvoir radiatif, c’est-à-dire la variation du forçage radiatif lorsque l’on augmente la quantité de ce gaz dans l’atmosphère, est 120 fois plus élevé que celui du CO2. La combinaison de ces deux particularités conduit à une variation importante de l’effet du CH4 sur le climat ; il dépend du temps qui s’écoule entre l’instant de l’émission et l’horizon des effets auquel on s’intéresse. Pour en tenir compte, les climatologues ont mis au point un indicateur, le potentiel de réchauffement global (PRG). Ce dernier représente l’impact sur le climat, à un horizon déterminé, de l’émission ponctuelle d’une tonne d’un gaz à effet de serre spécifique par rapport à celui de l’émission d’une tonne de CO2 (teqCO2) à la même date. Dans le cas du méthane, ce PRG peut connaître une amplitude de variation très importante : un facteur 4 sur cent ans.

Les différentes valeurs du PRG peuvent être aisément présentées sous forme d’un tableau comportant en ordonnées les dates d’émission de méthane et en abscisses les dates d’observation des conséquences de ces émissions. À chaque croisement d’une date d’émission et d’observation, on trouve le PRG correspondant. Ainsi, une tonne de CH4 émise en 2020 équivaut en 2120 à 28,5 tonnes de CO2, 48,4 tonnes en 2070, 68,1 tonnes en 2050, 104,2 tonnes en 2030 et 119,6 en 2020 (voir ci-dessous). Impossible de trouver une équivalence fixe entre le méthane et le dioxyde de carbone pour caractériser les efficacités relatives du CH4 par rapport au CO2 : elle dépend de l’horizon des conséquences auquel on s’intéresse.


Pour évaluer le rôle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, les climatologues ont mis au point un indicateur baptisé potentiel de réchauffement global (PRG), qui évalue l’impact sur le climat d’une tonne d’un de ces gaz par rapport à celui d’une tonne de CO2 à la même date. Pour le méthane, c’est une fonction qui décroît d’un facteur 4 en cent ans. Par exemple, une tonne de méthane émise en 2020 équivaut à 119,6 tonnes de CO2 en 2020, 104,2 tonnes de CO2 en 2030, 68,1 tonnes en 2050, 48,4 tonnes en 2070, 28,5 tonnes en 2120.


Ensuite, l’origine de ses émissions est beaucoup moins bien renseignée que celle du CO2, dominée par les combustions fossiles. Rares sont ceux qui savent que, si l’agriculture et l’élevage sont responsables de l’ordre de 40 % des émissions mondiales de méthane, les 60 % restants se partagent entre les émissions du système énergétique (grisou des mines de charbon, fuites des puits de pétrole et de gaz, en particulier de gaz de schiste, fuites durant le transport et la distribution), les déchets ménagers et agricoles, ainsi que les feux de forêt.

Le méthane est donc victime d’une image brouillée : sa dangerosité est vite oubliée au motif de sa faible durée de vie, ses émissions sont associées dans l’esprit du public et des médias à l’alimentation (en particulier la consommation de viande) et la quantification de ses émissions reste délicate, notamment en raison de la multiplicité des sources. Quant à la notion de PRG, elle est restée incomprise et conduit à des erreurs d’interprétation parfois importantes dues à la méconnaissance de ses variations temporelles.

Quatre scénarios

La croissance des émissions anthropiques de méthane à un rythme inquiétant depuis 2005 (de 318 à 360 millions de tonnes en huit ans) ne suscite donc guère de commentaires ou de recherche sur les déterminants sectoriels et technologiques de cette hausse. Il persiste un profond décalage entre les efforts des chercheurs pour comprendre le comportement du méthane et sa prise en compte dans l’élaboration de politiques de réduction des émissions spécifiques à ce gaz.

Les chiffres précédents mettent pourtant bien en lumière l’importance particulière du méthane, même si elle reste encore très en deçà de celle du CO2 sur la période 1750-2010. Avec la décroissance prévue des émissions de CO2 et sans effort spécifique de réduction du méthane, celui-ci va donc mécaniquement devenir rapidement prépondérant. Or on a découvert récemment que sa nocivité était plus importante qu’on ne l’imaginait. Maryam Etminan, de l’université de Reading, au Royaume-Uni, et ses collègues ont ainsi montré, grâce à une nouvelle méthode de calcul, que le forçage radioactif du méthane était environ 25 % supérieur entre 1750 et 2011 à ce qu’estimait le Giec dans son rapport de 2013 (2). En outre, son pouvoir de réchauffement global sur cent ans est 14 % plus élevé que les valeurs proposées par le Giec.

Dès lors, comment apprécier simplement l’impact des gaz autres que le CO2, et en particulier du méthane, sur l’évolution de la température de l’atmosphère dans les scénarios du Giec ? Pour cela, les climatologues ont mis au point une famille de modèles estimant la température de l’atmosphère à partir de l’évolution des émissions des gaz à effet de serre en quantités physiques pour divers horizons et différents scénarios (3).

À partir de ces données, des propriétés physiques et chimiques de ces gaz et des constantes de temps qui gouvernent leur évolution dans l’atmosphère, les climatologues reconstituent l’évolution des concentrations de chacun des gaz à effet de serre considérés. Ils accèdent alors à une « concentration en équivalent CO2 » (exprimée en partie par million éqCO2). Cette dernière se définit comme la concentration en CO2 qui produirait les mêmes effets à tout instant sur le climat que le mix de GES étudié. Cela permet d’obtenir les températures de l’atmosphère au cours du temps pour chacun des scénarios envisagés.

Il existe ainsi quatre classes de scénarios, présentés dans le rapport du Giec. Ces scénarios de référence aboutissent à des concentrations, des forçages radiatifs et des augmentations de température contrastés en 2100. On les a baptisés les scénarios RCP (pour Representative Concentration Pathway). Ainsi, dans le scénario le plus ambitieux (RCP 2,6-2,9) qui prévoit de maintenir la concentration dans l’atmosphère de l’ensemble des GES de 430 à 530 parties par million en équivalent CO2, l’augmentation des températures par rapport à 1880 sera de 1,5 à 2 °C. Pour le scénario le moins ambitieux (RCP 8,5), la concentration atteint 1 000 ppm, et la température grimpe de 5 °C.

Le Giec indique de plus que l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe à la fin du siècle et au-delà, est étroitement liée au cumul des émissions de CO2. Une conclusion qui est confirmée par ce que l’on connaît des émissions passées et du réchauffement qui en a découlé. La figure 1, établie par le Giec, montre une relation linéaire y = 0,444 x/1000 entre l’augmentation y de la température en 2100 (en ° C) et le cumul x des émissions de CO2 (en Gt) à la même date.


La température aux différents horizons dépend du cumul des émissions de CO2, ici calculé pour les quatre scénarios (de RCP 2,6 à RCP 8,5).

À partir de ce travail, nous avons établi un nouvel algorithme qui prend en compte non seulement le CO2, mais également tous les autres gaz à effet de serre. Il s’agit d’une fonction de forme identique à la fonction linéaire du cumul des émissions. Seulement, cette fois, l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe est liée non seulement au cumul des émissions de CO2 au cours du temps, mais aussi à celui des émissions des autres gaz à effet de serre. Ces derniers sont comptabilisés en tonne équivalent CO2, en appliquant la règle du potentiel de réchauffement global (PRG) entre l’année d’émission et l’année horizon à laquelle on s’intéresse. La même fonction linéaire que l’on voit sur la figure 1 permet de calculer les augmentations de température à différents horizons et pour différents scénarios des émissions des gaz à effet de serre.

Efforts remis en cause

Les résultats que nous avons ainsi obtenus soulignent notamment l’importance du méthane dans l’augmentation de la température à l’horizon 2100. Ainsi, dans le cas du scénario le plus optimiste (RCP 2,6), le méthane contribue pour 49 % à l’augmentation de la température des années 2090. Dans le cas du scénario le plus pessimiste, 33 % de la hausse totale de la température est due au méthane. La contribution du méthane est donc d’autant plus grande que les scénarios affichent des réductions ambitieuses de CO2.

Sur la base même des conclusions et des commentaires effectués par le Giec dans son dernier rapport, il est donc possible de mettre en place un algorithme d’une grande simplicité d’usage. Il apporte une première appréciation des conséquences climatiques de stratégies de lutte diversifiées contre le changement climatique à des horizons de temps également diversifiés, sans avoir besoin d’engager des campagnes de calcul ambitieuses fondées sur l’exploitation de différents modèles climatiques.

Voici un exemple d’utilisation de cet algorithme. On compare à l’un des scénarios de la famille RCP 2,6 un scénario 2,6 bis, analogue en tous points, à ceci près que les émissions de méthane, qui atteignent aujourd’hui déjà 0,36 Gt, ne diminuent pas mais restent constantes tout au long de la période (Fig. 2). Une hypothèse qui n’a rien de déraisonnable dans un contexte de croissance constante des émissions anthropiques de méthane depuis le début des années 2000 et d’absence de politique mondiale volontariste de réduction de ce gaz.

Les calculs montrent alors que, dans le scénario 2,6 bis, l’augmentation de température entre les années 2000 et 2090 (+1,34 °C) provient principalement du méthane. L’augmentation de température, cette fois-ci depuis 1880, qui était limitée dans le scénario 2,6 à 1,7 °C environ (dont 0,8 °C déjà acquis en 2020), atteint alors 2,15 °C, et dépasse nettement la limite de 2 °C considérée comme un objectif majeur par les climatologues. On voit que les très considérables efforts consentis sur la réduction des émissions de CO2 dans le scénario 2,6 pourraient être totalement remis en cause par l’absence d’une politique suffisamment volontariste de réduction du méthane sur la même période.

Cette analyse, fondée sur les résultats des rapports les plus récents du Giec, nous conduit donc à mettre en avant deux points principaux. D’une part, il apparaît qu’on peut, à travers un algorithme simple, apprécier les augmentations de température à l’horizon 2100 d’une grande variété de scénarios comportant des mix de gaz à effet de serre également diversifiés en attribuant à chacun de ces gaz sa part dans le réchauffement attendu.

D’autre part, l’analyse effectuée, qui permet de discriminer la responsabilité de chacun des gaz à effet de serre dans l’augmentation de température attendue d’un scénario d’émission déterminé, met au jour l’importance majeure à attribuer aux réductions d’émission de méthane dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il est d’autant plus nécessaire d’être vigilant sur cette question que la présentation retenue par le Giec dans le rapport déjà cité, qui se fonde sur une comptabilité des différents gaz à effet de serre à une échéance de cent ans et non pas à une date déterminée (2050 ou 2100, par exemple) masque largement l’importance du méthane.

En effet, les trajectoires des profils d’évolution des émissions de gaz à effet de serre correspondent à des scénarios d’émission bien précis au cours du temps de chacun des gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane, oxyde nitreux), traduit en Gteq avec la convention du Giec (à cent ans). Or il existe une infinité de mix différents de ces trois gaz susceptibles de conduire à ces mêmes trajectoires. Les décideurs peuvent donc très bien choisir en toute bonne foi certaines stratégies respectant une des trajectoires d’émissions du Giec, sans se rendre compte que le mix de gaz à effet de serre qu’ils ont choisi conduit en réalité à des résultats très différents de ceux attendus à l’horizon 2100.

L’algorithme dont nous préconisons l’usage devrait permettre d’éviter ce type de confusion et de garantir aux décideurs la cohérence de leur stratégie par rapport aux objectifs affichés.

Benjamin Dessus, Bernard Laponche, association Global Chance, Hervé Le Treut, Institut Pierre-Simon-Laplace, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris


Notes

(1) Giec, « Changements climatiques 2014 », http://tinyurl.com/rapport-Giec-2014

(2) M. Etminan et al., Geophys. Res. Lett., 43, 12614, 2016.

(3) IPCC Expert Meeting Report, 2007, http://tinyurl.com/IPCC-rapport-2007

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REVUE DE PRESSE (en cours...)

Le méthane, oublié du climat ?
Marine Lamoureux, La Croix, mardi 6 février 2018

Le méthane oublié du réchauffement
Marc Chevallier, Alternatives Économiques, vendredi 17 novembre 2017


Le méthane, oublié du climat ?

Marine Lamoureux, La Croix, mardi 6 février 2018

Deuxième gaz à effet de serre, le méthane n’est pas au cœur de la lutte contre le dérèglement climatique. Certains réclament une vraie « stratégie méthane », jugeant son impact largement sous-estimé.

Bonn, en Allemagne, novembre dernier. Dans les allées de la 23e conférence climat, dont l’objectif est de lutter contre le réchauffement, pas un mot sur le méthane (CH4) – ou si peu. Alors qu’une nouvelle étude montre que les émissions de gaz à effet de serre sont reparties à la hausse, chacun scrute les courbes du CO2. Et pour cause : le dioxyde de carbone est le principal responsable du dérèglement climatique, en raison de l’importance de ses émissions et de sa persistance dans l’atmosphère. Le CO2, l’ennemi numéro un.

Le méthane, peu pris en compte dans les politiques climat

Pourtant, des voix s’élèvent pour rappeler l’importance du méthane, le deuxième gaz à effet de serre, encore largement sous les radars de la communauté internationale. Pour certains scientifiques, il y a danger. « La croissance des émissions anthropiques de méthane à un rythme inquiétant depuis 2005 (…) ne suscite guère de commentaires », déplorent ainsi trois spécialistes, l’ingénieur Benjamin Dessus, le physicien Bernard Laponche et le climatologue Hervé Le Treut dans un article de La Recherche (1).

Ils dénoncent « un profond décalage » entre les données que la science recense et analyse, notamment via le « Global methane budget » [lien externe] publié en décembre 2016, et la prise en compte du CH4 dans les politiques de lutte contre le réchauffement.

Des origines naturelles et humaines au méthane

Que sait-on du méthane ? Principal constituant du gaz naturel, « le méthane a, schématiquement, trois origines, décrit Philippe Bousquet, enseignant-chercheur au laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) : la décomposition de matières organiques dans des environnements où le taux d’oxygène est bas, l’exploitation des énergies fossiles et la combustion de matière carbonée – les feux de biomasse ».

Le méthane provient donc à la fois de sources naturelles – zones humides et inondées, fonte du pergélisol – et de sources anthropiques : agriculture (élevage des ruminants, riziculture), déchets (décharges à ciel ouvert, stations d’épuration, etc.) et émissions issues du système énergétique (grisou des mines de charbon, fuites des puits de pétrole et de gaz, etc.).

10 millions de tonnes de méthane par an dans l’atmosphère

D’après le « Global methane budget », près de 560 millions de tonnes de CH4 sont ainsi émises chaque année dans le monde ; une grande partie est décomposée dans l’atmosphère, une autre est absorbée par les sols. En fin de compte, 10 millions de tonnes viennent tous les ans grossir le stock déjà contenu dans l’atmosphère. Le méthane serait ainsi responsable de 20 % de l’effet de serre observé depuis le début de l’ère industrielle (le CO2, de la moitié).

« Malgré ces chiffres, l’essentiel des efforts porte sur l’énergie et le CO2 », confirme Stéphane His, expert énergie et climat à l’Agence française de développement (AFD). Il y voit l’héritage du protocole de Kyoto de 1997. « Cet accord ne concernait que les pays du Nord, où l’enjeu était bien celui du CO2 », rappelle-t-il.

Le méthane va dépasser le CO2

Pour le physicien Bernard Laponche, cofondateur de l’association Global Chance, le biais vient aussi du choix de ne raisonner que sur un seul gaz. « On a mis en place le système de la tonne équivalent CO2 » pour appréhender tous les gaz à effet de serre. Problème : en raison de la faible durée de vie du méthane et de son pouvoir radiatif, il n’y a pas d’équivalence fixe entre ces gaz – tout dépend de l’année d’émission et de l’horizon vers lequel on se projette.

« La contribution du méthane au réchauffement est donc mal comptabilisée… et largement sous-estimée », alerte Bernard Laponche, qui, avec ses collègues, propose un algorithme plus pertinent.

Avec la décroissance prévue des émissions de dioxyde de carbone, le CH4 « va mécaniquement devenir rapidement prépondérant », écrivent-ils. Selon leurs calculs, dans le scénario le plus optimiste du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), « le méthane contribue pour 49 % à l’augmentation de la température des années 2090 ».

La méthanisation, une solution pour valoriser le gaz

L’enjeu est donc crucial. Car les efforts entrepris pour contenir le réchauffement sous la barre des 2 °C pourraient être en partie compromis sans véritable « stratégie méthane », que réclament ces scientifiques. « On aurait tout à gagner, appuie de son côté Philippe Bousquet. Non seulement il est moins difficile de limiter les émissions anthropiques de CH4, car elles ont moins d’impact sur nos modes de vie, mais on pourrait aussi y trouver des opportunités économiques. »

C’est aussi l’avis de Stéphane His, à l’AFD. « Les pertes de méthane, que l’on recense sur toute la chaîne d’exploitation des fossiles, pourraient être récupérées, souligne ce dernier. Quant au méthane, issu des déchets organiques, notamment agricoles, il pourrait être mieux valorisé, notamment dans les pays du Sud. »

Avec la méthanisation, le CH4 peut en effet être transformé en biogaz, pour produire de l’électricité ou de la chaleur. Plus largement, l’enjeu est celui de la transition énergétique. Faudra-t-il à moyen terme se passer du gaz comme du charbon et du pétrole, ou a-t-il un véritable avenir ?

Des résultats très rapidement visibles

Agir sur la question alimentaire lui semble en revanche plus délicat. « Bien sûr, il faut chercher des solutions, poursuit Stéphane His, mais gardons en tête que la riziculture nourrit une grande partie de la planète. » Des recherches sont actuellement menées en France, à l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), sur l’évolution des pratiques rizicoles comme sur l’alimentation des bovins. La surconsommation de viande est elle aussi en jeu…

« Nous n’avons plus le choix, constate Philippe Bousquet, qui enseigne à l’université de Versailles-Saint-Quentin. L’enjeu du dérèglement climatique est tel que nous devons agir sur l’ensemble des gaz à effet de serre. » Ce dernier estime « tout à fait possible de diminuer de 15 à 20 % les émissions de méthane en vingt ans, si on s’en donne les moyens ».

De fait, le CH4 a un gros atout : il est beaucoup plus réactif que le CO2. Les résultats sont donc visibles plus rapidement. « Les gens verraient l’aboutissement de leurs actions, observe le chercheur, c’est un puissant levier contre le fatalisme climatique. »

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Le méthane en chiffres

Gaz incolore et inodore, le méthane (CH4) est le 2e gaz à effet de serre anthropique après le dioxyde de carbone (CO2).

Sa durée de vie est plus courte (une douzaine d’années) mais son pouvoir réchauffant est bien supérieur (28 fois supérieur sur cent ans).

60 % des émissions de CH4 sont d’origine anthropique ; 40 % d’origine naturelle.

Chaque année, 558 millions de tonnes de méthane sont émises dans l’atmosphère. Après réactions chimiques (515 Mt) et absorption par les sols (33 Mt), 10 Mt de méthane supplémentaires s’accumulent tous les ans dans l’atmosphère, d’après le « Global methane budget ».

(1) N° 529, novembre 2017

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Le méthane oublié du réchauffement

Marc Chevallier, Alternatives Économiques, vendredi 17 novembre 2017

Alors que la COP23 (1) qui se tenait à Bonn depuis le 6 novembre s’achève aujourd’hui, 17 novembre, on oublie souvent que le CO2 n’est pas le seul gaz à effet de serre possédant un fort impact sur le climat. Si ses émissions sont responsables pour plus de la moitié du réchauffement observé depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, un tiers du phénomène est imputable au méthane (CH4).

Au plan mondial, ses émissions proviennent à 40% de l’agriculture et de l’élevage, et à 60% du système énergétique (grisou des mines de charbon, fuites des puits de gaz et de pétrole…), des déchets ménagers et agricoles et des feux de forêt. Et celles-ci croissent à un rythme inquiétant.

Une dangerosité sous-estimée

Jusqu’ici, les politiques de lutte contre le réchauffement climatique se sont cependant focalisées sur la seule réduction des émissions de CO2. Parce que la durée de vie du méthane en tant que tel est moindre que celle du CO2 (il se dégrade au bout d’une douzaine d’années en d’autres gaz à effet de serre) et que sa dangerosité a été longtemps sous-estimée : selon une nouvelle méthode de calcul employée par des chercheurs de l’université de Reading, sa contribution au réchauffement climatique serait ainsi supérieure de 25% à ce qu’estimait le Giec, le groupe international d’experts du climat, dans son rapport de 2013.

Conclusion : l’impact des efforts de réduction des émissions de CO2 pourrait être totalement annulé en l’absence d’un effort similaire entrepris sur celles de méthane, s’alarment Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Hervé Le Treut, dans un récent article, résumé sur le site du magazine La Recherche.

Mesurer cet impact était cependant compliqué jusqu’ici : cela demandait de faire tourner des modèles coûteux durant plusieurs mois. C’est pourquoi les trois chercheurs ont mis au point un algorithme simple permettant de prendre en compte l’effet des émissions de tous les gaz à effet de serre, et pas seulement du CO2, sur le climat.

Résultat, il apparaît que dans le cas du scénario le plus optimiste envisagé par le Giec, dans lequel la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait maintenant sous la barre des 450 ppm à l’horizon 2100, le méthane serait responsable pour 49% de l’augmentation de la température observée : l’enjeu d’une réduction des émissions de méthane apparaît ainsi clairement. L’objectif de Benjamin Dessus et de ses coauteurs est que les responsables politiques s’intéressent enfin à cet enjeu et se saisissent de leur algorithme pour modéliser l’impact de leurs décisions de politiques de lutte contre le réchauffement climatique.

Marc Chevallier

(1) 23e conférence des parties à la Convention des Nations unies sur le climat.

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À DÉCOUVRIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE

Énergie, Environnement, Développement, Démocratie :
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