Énergie, environnement, développement, démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle

S’engager sur une nouvelle trajectoire énergétique constitue de toute évidence un défi collectif de première ampleur. Mais c’est aussi une opportunité à saisir : changer de paradigme énergétique, c’est in fine choisir une stratégie gagnante non seulement sur le plan de l’énergie et de l’environnement, mais aussi en termes de développement... et de démocratie. Car il s’agit bien, au terme d’un changement de trajectoire imposé par des contraintes multiples mais assumé et mis en œuvre démocratiquement, d’accomplir une authentique révolution énergétique, pour, enfin, nous réapproprier « notre avenir commun ».

Page publiée en ligne le 1er mai 2014

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie :
changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle

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ÉNERGIE, ENVIRONNEMENT, DÉVELOPPEMENT, DÉMOCRATIE :
CHANGER DE PARADIGME POUR RÉSOUDRE LA QUADRATURE DU CERCLE

Sommaire
Un modèle énergétique à bout de souffle
Un nouveau paradigme pour sortir de l’impasse
La transition énergétique, une chance pour l’avenir

Un modèle énergétique à bout de souffle

Depuis la révolution industrielle et l’avènement du productivisme, l’offre d’énergie est au cœur de l’approche classique de la question énergétique : la demande est considérée comme une variable exogène dont la croissance continue appelle une croissance similaire de l’offre. Dès lors, l’objectif premier des politiques énergétiques est de produire toujours plus, pour répondre, dans les meilleures conditions d’approvisionnement et de coût, à une demande toujours plus importante.

Charbon, pétrole, gaz, électricité… : à partir du milieu du 19ème siècle et en seulement quelques décennies, c’est-à-dire en un laps de temps très court à l’échelle de l’histoire humaine, les sociétés industrialisées, bientôt suivies par le reste du monde, se sont ainsi engagées dans une dépendance toujours plus prononcée à l’énergie. Nombreux sont les risques associés à cette mutation économique et stratégique majeure. Pour autant, les politiques privilégiant l’offre énergétique n’ont guère été remises en cause jusqu’à la fin des Trente Glorieuses : dans les pays à économie capitaliste comme dans les pays à économie planifiée et centralisée, l’augmentation régulière et permanente de la production et de la consommation d’énergie, symbole et mesure du progrès économique et social, était devenue une fin en soi.

La révélation des limites énergétiques et environnementales de cette approche est intervenue au cours des années 1970. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 ont fortement contribué à cette prise de conscience collective, en rappelant quelques fondamentaux aux opinions publiques comme aux décideurs : les ressources énergétiques fossiles dont dépendent nos sociétés sont inégalement réparties à la surface du globe, ce qui peut entraîner de graves crises économiques et politiques ; elles ne sont pas infinies tout en étant l’objet de prélèvements croissants, ce qui ne peut que provoquer leur raréfaction et l’augmentation de leur prix. Parallèlement, l’humanité a pris progressivement la mesure de ses impacts sur son environnement et réalisé que la capacité de charge de ce dernier n’est pas illimitée - une problématique nouvelle, illustrée par la publication en 1972 du rapport « Halte à la croissance ? » du Club de Rome, et que la montée en puissance des préoccupations relatives au dérèglement climatique achèvera au cours des décennies suivantes d’imposer dans le domaine de l’énergie.

Finitude des ressources énergétiques, finitude des ressources environnementales, la double prise de conscience amorcée au cours des années 1970 a entraîné des évolutions notables : la diminution de la dépendance énergétique et l’amélioration de la sécurité énergétique sont plus que jamais considérées comme des priorités majeures, et les propositions alternatives mettant l’accent sur la nécessité d’économiser l’énergie sont désormais plus audibles. Mais ni la survenue d’un troisième choc pétrolier en 2008 ni la confirmation année après année des menaces sur l’environnement global n’ont suffi à provoquer un véritable basculement : le paradigme dominant des politiques énergétiques reste la priorité à l’offre d’énergie, y compris via la promotion du nucléaire, pourtant source de risques nouveaux (accidents, prolifération) et de déchets radioactifs dont la gestion à court, moyen et long terme s’avère déjà hautement problématique.

Déjà à la limite de la rupture, ce modèle de développement énergivore est de surcroît jugé insoutenable par la majorité des prospectivistes du secteur énergétique. De fait, la simple poursuite des tendances actuelles se traduirait par un doublement de la consommation mondiale d’énergie à l’horizon de deux à trois décennies, conduisant l’humanité dans une impasse énergétique et environnementale aux conséquences funestes : aggravation des inégalités et des tensions, multiplication des risques et des conflits, crise voire effondrement de civilisation. Le péril est clair : c’est « notre avenir commun » qui est en jeu. Que faire alors ? Face aux menaces qui s’accumulent, il n’y a pas d’issue dans cette fuite en avant d’un système énergétique à bout de souffle : il faut changer de paradigme.

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Un nouveau paradigme pour sortir de l’impasse

Changer de paradigme, c’est en premier lieu abandonner les approches centrées sur l’offre d’énergie au profit d’une approche systémique de la question énergétique. Il s’agit en effet d’aborder les problématiques liées à l’énergie en pensant le « système énergétique » comme un tout, c’est-à-dire en intégrant non seulement les dimensions relatives à l’offre mais aussi les enjeux propres à la demande. Par rapport à l’approche classique, ce changement de paradigme constitue une véritable révolution copernicienne, tant ses implications en termes de politique énergétique renversent les perspectives traditionnelles. Ainsi, la demande d’énergie cesse d’être considérée comme une variable exogène pour devenir un champ d’action en tant que tel. Et l’augmentation continue de la production d’énergie n’est plus une fin en soi : l’objectif premier est désormais de mettre en place les conditions d’une véritable « maîtrise de l’énergie ».

La notion de « service énergétique » est au cœur de ce changement de paradigme. Elle procède d’une distinction claire entre l’énergie consommée et les usages finaux rendus possibles par cette consommation d’énergie. Les usagers (ménages, entreprises, collectivités, etc.) n’ont en effet pas besoin d’énergie à proprement parler, mais de biens et de services indispensables au développement économique et social, au bien-être et à la qualité de vie. On appelle « services énergétiques » cet ultime maillon de la « chaîne énergétique » dans la mesure où la production de ces biens et services s’accompagne d’une certaine consommation d’énergie. Mais cette consommation reste un moyen et non une fin : ce n’est pas la quantité d’énergie consommée qui importe, mais l’énergie « utile » effectivement délivrée à l’usager, par exemple sous forme de chaleur, de lumière ou de force motrice. À service rendu égal, le système énergétique le plus performant n’est donc pas celui qui pousse à la consommation d’énergie, mais bien au contraire celui qui se montre le plus économe en énergie, et, par conséquent, minimise les coûts financiers et les impacts environnementaux. De fait, le choix d’un nouveau paradigme vise à satisfaire les besoins en services énergétiques dans des conditions optimales en termes de ressources, de coûts économiques et sociaux, mais également de protection de l’environnement local et global. L’efficacité globale du système énergétique devient ainsi le maître mot, aux antipodes de la fuite en avant productiviste : le « mieux » prend le pas sur le « plus ».

Dans le cadre d’une approche systémique, l’action sur la demande constitue un impératif de premier ordre. Plutôt que d’investir dans le renforcement systématique des capacités de production et de distribution, il s’agit de maîtriser les consommations d’énergie en partant du principe que « l’énergie la moins chère et la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas ». Applicable dans tous les secteurs et dans tous les pays, cette approche est celle qui offre le plus grand potentiel en matière de politique énergétique, et, par conséquent, celle qui est la plus susceptible d’accroître les marges de manœuvres collectives dans le domaine de l’énergie. En particulier, l’accent mis sur la maîtrise de la demande, parce qu’il se traduit par un assouplissement de la contrainte pesant sur l’offre, ouvre des perspectives nouvelles en matière de diversification énergétique. En effet, dans la course de vitesse entre le rythme de déploiement des énergies renouvelables et la croissance du couple demande-offre, tout ralentissement de cette dernière est favorable à l’augmentation de la contribution des renouvelables au bilan énergétique : si le taux de croissance de la consommation énergétique est inférieur à celui des alternatives renouvelables, celles-ci gagnent du terrain au sein de l’offre d’énergie ; si, au contraire, la croissance de la demande est plus rapide que le rythme de développement des renouvelables, ces dernières reculent en part relative. La maîtrise de la consommation énergétique est ainsi non seulement un puissant levier d’action directe pour optimiser la réponse aux besoins en services énergétiques, mais également un préalable nécessaire à une diversification énergétique effective et rapide. C’est donc à double titre que l’action sur la demande s’impose comme la priorité numéro un pour réussir la transition vers un nouveau système énergétique.

La maîtrise de la demande comprend deux volets d’action complémentaires. Le premier est la sobriété énergétique : il s’agit de supprimer les gaspillages absurdes et coûteux, à tous les niveaux de la société et dans nos comportements, en responsabilisant l’ensemble des acteurs. Le but est de sortir de la surconsommation d’énergie en opérant un recentrage sur les véritables besoins en services énergétiques. La sobriété n’est donc ni l’austérité ni le rationnement, mais bien le choix individuel et collectif de s’affranchir de la boulimie énergétique et ses conséquences. Parallèlement se pose la question de l’efficacité énergétique, deuxième volet de l’action sur la demande : il s’agit cette fois d’améliorer les divers équipements que nous utilisons – bâtiments, appareils électroménagers, moyens de transports, etc. – pour réduire systématiquement les dépenses énergétiques liées à la fourniture des services énergétiques associés à ces équipements. Nul besoin pour cela d’attendre d’hypothétiques bonds en avant technologiques : il est d’ores et déjà possible, à l’aide de techniques existantes et largement éprouvées, d’agir et de réduire très fortement nos consommations d’énergie. En limitant les pertes occasionnées par l’emploi d’équipements peu performants, l’amélioration de l’efficacité énergétique débouche ainsi, à qualité de vie inchangée, sur une meilleure utilisation des ressources dont nous disposons.

Si notre consommation énergétique peut être très significativement réduite par des actions de sobriété et d’efficacité, nos besoins en services énergétiques (et donc en énergie) ne sont pas réductibles à zéro. Parallèlement à l’action sur la demande, l’optimisation du système énergétique repose donc sur un troisième volet relatif à l’offre d’énergie, puisqu’il s’agit cette fois d’accroître la contribution des renouvelables au bilan énergétique. Solaire, biomasse, éolien, hydraulique, géothermie… : bien réparties territorialement, directement accessibles, les ressources renouvelables peuvent être exploitées de façon décentralisée et en s’appuyant sur des techniques fiables. Pour la plupart issues du soleil, elles sont par définition inépuisables, contrairement aux énergies fossiles ou à l’uranium, dont les réserves sont limitées. Enfin, elles sont, parmi les diverses options de production d’énergie, les plus pertinentes au regard de l’environnement global, puisqu’elles sont les seules à offrir à la fois un faible impact climatique (contrairement aux énergies fossiles) et un niveau de risque acceptable (contrairement au nucléaire). Ceci étant, la maîtrise des consommations reste, on l’a vu, un préalable nécessaire à une diversification énergétique effective et rapide, tandis que le déploiement des énergies renouvelables n’est pas sans se heurter à diverses contraintes environnementales ou socio-économiques. Aussi est-ce bien en termes de bouclage d’une stratégie énergétique incluant sobriété et efficacité que les énergies renouvelables doivent être envisagées, et non comme une solution unique, ou, pire, comme la nouvelle fin en soi d’un nouveau productivisme énergétique.

Pour prioritaire qu’elle soit, l’action sur la demande demeure souvent le parent pauvre des politiques énergétiques, car sa mise en œuvre s’inscrit dans une logique systémique qui la fait percevoir a priori comme plus complexe que les politiques privilégiant l’offre d’énergie. Ainsi, toute stratégie de maîtrise des consommations d’énergie est par nature transversale à toutes les activités humaines et suppose de ce fait des mesures multiples et diffuses, là où une politique énergétique axée sur le renforcement de l’offre relève d’une approche à la fois plus centralisée et plus centrée sur le secteur énergétique stricto-sensu. Par ailleurs, si l’optimisation globale de la chaîne énergétique peut s’appuyer sur des mesures techniques et sur le déploiement de technologies plus performantes, elle implique aussi, et pour une part prépondérante, des changements relatifs aux usages de l’énergie, changements pour lesquels les facteurs humains et institutionnels deviennent déterminants. Déplacements, habitat, urbanisme, aménagement du territoire... : autant d’enjeux stratégiques pour la maîtrise de la demande d’énergie, autant de champs d’action structurelle où le succès d’une politique alternative reste étroitement lié aux comportements et aux choix des usagers comme des décideurs. Plus largement, c’est la question même des modes de vie qui se trouve posée, qu’il s’agisse de promouvoir un modèle énergétique plus sobre ou d’améliorer l’efficacité du système en place. Sur le long terme, une évolution en profondeur des caractéristiques de la civilisation industrielle et de consommation sera en effet nécessaire pour réussir la transition énergétique. Mais cette transition est vitale pour sortir de l’impasse actuelle, et le choix d’un nouveau paradigme énergétique, plus qu’une nécessité, une chance pour l’avenir.

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La transition énergétique, une chance pour l’avenir

S’engager sur une nouvelle trajectoire constitue de toute évidence un défi de première ampleur. Mais c’est aussi une opportunité à saisir. Car changer de paradigme énergétique, c’est in fine choisir une stratégie gagnante non seulement sur le plan de l’énergie et de l’environnement, mais aussi en termes de développement... et de démocratie.

En matière d’énergie et d’environnement, on l’a vu, le choix d’un nouveau paradigme découle du constat des limites d’un modèle à bout de souffle. Les bénéfices de la transition énergétique doivent d’abord s’analyser dans cette perspective : rompre avec la politique de l’offre au profit de stratégies inspirées par une vision systémique est le moyen le plus direct et le plus efficace de desserrer les contraintes actuelles. C’est le cas par exemple pour ce qui concerne les ressources énergétiques non renouvelables, qu’il s’agisse des énergies fossiles ou de l’uranium : mettre en œuvre des politiques ambitieuses d’action sur la demande tout en développant les énergies renouvelables permet de ralentir le rythme d’exploitation des réserves non renouvelables et donc de différer leur épuisement. C’est le cas également pour ce qui concerne les enjeux de sécurité énergétique : associer maîtrise des consommations et diversification de l’offre permet de réduire la dépendance et les risques qui lui sont associés. Du point de vue strictement énergétique, le changement de paradigme est donc doublement avantageux. Dans le même temps, l’action sur la demande et le développement des énergies renouvelables permettent de limiter très fortement l’impact environnemental de la chaîne énergétique dans son ensemble. Cet allègement de la pression exercée par l’homme sur son milieu naturel concerne les menaces sur l’environnement global (dérèglement climatique, risques nucléaires) mais aussi une part importante des atteintes à l’environnement local (émissions de polluants, accidents industriels ou maritimes, etc). Au final, sous l’angle de l’énergie comme de l’environnement, c’est donc principalement en termes de réduction des risques que les bénéfices d’un changement de paradigme se manifestent.

Mais la transition énergétique est aussi une stratégie gagnante du point de vue du développement économique et social. Parce que ce dernier est menacé par l’insécurité énergétique comme par la dégradation de l’environnement local et global et que le choix d’un nouveau paradigme permet de desserrer ces deux contraintes. Mais aussi et surtout parce que ce choix est en tant que tel porteur de nouvelles opportunités en matière de développement humain et de bien-être. Deux raisons à cela : une « consommation » de capital moindre et un contenu en emplois plus élevé. Côté capital, les travaux de prospective à modèle constant montrent que la poursuite des politiques axées sur l’offre énergétique nécessiterait au cours des prochaines décennies une croissance soutenue des capacités de production, mobilisant - et monopolisant - des ressources financières pharaoniques. La transition énergétique, a contrario, libère des capacités d’investissement, qui peuvent être affectées à un développement économique et social plus équilibré à tous les points de vue. L’amélioration de l’efficacité du système énergétique est un levier déterminant à cet égard : les innombrables « gisements » d’économies d’énergie sont autant d’opportunités de réduire la facture énergétique, à l’échelle individuelle et sur le plan collectif. Du fait des gains qu’elles entraînent en matière de dépenses énergétiques, les actions visant à maîtriser la demande sont d’ailleurs très souvent rentables en elles-mêmes, sachant par ailleurs que l’augmentation tendancielle des prix de l’énergie – et en particulier du pétrole – contribue à accroître leur pertinence en longue perspective. Et grâce à ces actions, une partie des ressources économiques qui auraient été captées par un système énergétique dominé par l’offre vont dans le cadre d’un système plus équilibré être consacrées à d’autres besoins (logement, éducation et santé, transports collectifs, etc.) et ainsi enrichir qualitativement le contenu du développement. Côté emplois, l’intérêt socio-économique d’un changement de paradigme est tout aussi patent. D’une part, parce que les investissements visant à maîtriser la demande d’énergie sont pourvoyeurs d’activité et d’emplois dans tous les secteurs et à tous les niveaux. De la réhabilitation thermique des bâtiments à la promotion des transports collectifs en passant par le développement de nouveaux produits et matériaux, sans oublier la recherche, l’expertise et le conseil, l’action sur la demande est créatrice d’emplois locaux. Et il en est de même en ce qui concerne la diversification de l’offre énergétique : promouvoir les renouvelables, c’est aussi faire le choix de filières d’autant plus pourvoyeuses d’emplois qu’elles se prêtent bien à une gestion décentralisée. Résultat : une approche systémique intégrant sobriété, efficacité et renouvelables se révèle vite plus riche en emplois que les politiques énergétiques à l’ancienne et leur penchant pour les options capitalistiques et centralisées comme le nucléaire. Changer de paradigme, engager la transition énergétique : par-delà l’énergie et l’environnement, la stratégie est aussi gagnante pour le développement humain.

Reste que l’on ne peut parler de développement humain si ce dernier ne s’accompagne pas d’un approfondissement de la démocratie. Or les choix énergétiques, qu’ils portent sur la production ou sur la consommation, sont de ce point de vue aussi des choix de société, en ce sens qu’ils induisent des formes d’organisation collectives et des pratiques démocratiques ou autoritaires, de même que ces formes d’organisation et ces pratiques, en retour, permettent, voire induisent certains choix énergétiques de préférence à d’autres. C’est pourquoi il convient également d’établir un bilan comparé des différentes approches de l’énergie au regard de cet enjeu central qu’est la démocratie.

Les politiques privilégiant l’offre d’énergie sont des plus critiquables de ce point de vue, en particulier parce qu’elles permettent aux multinationales qui contrôlent la production, le transport et la distribution d’énergie d’exercer une véritable mainmise sur les grands enjeux énergétiques. Plus généralement, la priorité accordée à l’offre induit une organisation très centralisée du système énergétique, sur le plan matériel comme au niveau décisionnel : capitalistique et technocratique par nature, concentré à l’extrême et politiquement exclusif, un tel système ne peut se mettre en place et perdurer qu’à la condition de se soustraire à l’exigence démocratique. L’engagement nucléaire de la France constitue un cas d’école de ce biais intrinsèque : depuis le lancement en 1974 du programme électro-nucléaire jusqu’aux choix récents relatifs à l’EPR, en passant par l’inacceptable culte du secret entretenu par le lobby nucléaire et l’appareil d’État, une orientation structurelle de la politique énergétique française s’est accomplie en dehors de tout véritable contrôle démocratique. Caractéristique des politiques axées sur l’offre et observable dans la plupart des pays, cette éviction des citoyens est lourde de conséquences. Sur le plan socio-économique, d’abord, des décideurs malavisés engagent l’humanité dans des politiques énergétiques qui trouvent dans la surconsommation à la fois un moteur, une justification et une finalité, provoquant pertes et gaspillages tout en alimentant une dépendance croissante des populations. Face aux grands groupes du secteur de l’énergie, celles-ci n’ont guère voix au chapitre : lorsqu’elles sont insolvables, elles se voient tout simplement dénier l’accès aux services énergétiques de base ; lorsqu’elles sont solvables, elles sont considérés moins comme des usagers que comme des clients dont le rôle, au final, se limite à payer la facture… Sur le plan international, ensuite, l’addiction de plus en plus prononcée à des ressources inégalement réparties comme les énergies fossiles ou l’uranium conduit les États, quand bien même ils se réclament de la démocratie, à en renier les principes de multiples façons : diplomatie ‘réaliste’ plutôt que défense des droits de l’homme face à des fournisseurs jugés incontournables, emprise néo-colonialiste sur certains pays du Sud aussi riches en ressources que pauvres sur le plan du développement, réactivation périodique de la politique de la canonnière dans le but de sécuriser les approvisionnements... Enfin, sur le plan des ressources énergétiques et environnementales, où l’impasse est de plus en plus patente, beaucoup craignent désormais que la fuite en avant du système productiviste ne débouche bientôt sur un effondrement brutal de civilisation, accompagné de son cortège de victimes et de violences, et prétexte à de nouvelles dérives autoritaires. Au final, bien loin d’être favorables à la démocratie, les politiques hégémoniques privilégiant l’offre d’énergie nourrissent la dépendance des populations, perpétuent les pratiques impérialistes et sapent les conditions d’un vivre-ensemble durable.

Face à ces politiques conservatrices et même régressives, un changement de paradigme ouvre des perspectives réelles sur le plan démocratique, au regard à la fois de la trajectoire empruntée - car la réussite de la transition énergétique suppose une véritable dynamique collective – et de l’objectif poursuivi – car le système énergétique proposé est un système de pouvoir partagé dans le cadre duquel les populations se sont réapproprié leur avenir commun.

Le changement de paradigme ouvre la question énergétique bien au-delà du seul secteur de l’énergie : dans le cadre d’une approche systémique, où la notion de service énergétique devient centrale et où le principe d’optimisation multidimensionnelle devient prééminent, la politique énergétique devient une affaire touchant à tous les secteurs économiques et à tous les champs sociaux. Changer de paradigme, c’est ainsi engager un processus global, associant en un mouvement d’ensemble des mutations multiples et diffuses, transversales à toutes les activités socio-économiques et pour lesquelles le facteur humain est central. Rompant avec le biais centralisateur des politiques axées sur l’offre et avec la domination des grands acteurs du secteur de l’énergie, un tel processus de transition ne peut réussir qu’avec l’appui d’une immense variété d’acteurs au pouvoir déterminant : particuliers, associations, collectivités, entreprises, etc. Bien loin du rôle de consommateurs passifs qui leur était assigné par la verticalité du pouvoir propre aux politiques énergétiques classiques, ces acteurs deviennent parties prenantes de l’élaboration et de la mise en œuvre du changement. Collectif, ouvert et démocratique, le débat public s’impose ainsi au cœur de la transition énergétique : celle-ci nous concerne et nous implique toutes et tous, dans nos vies personnelles comme dans nos pratiques collectives ; si elle s’impose à nous, elle ne peut en revanche nous être imposée : sans le concours libre et éclairé des êtres humains qui la composent, l’humanité ne saurait changer de trajectoire énergétique.

Au terme de ce changement de trajectoire, le système énergétique actuel, axé sur la concentration du pouvoir, cède la place à un système plus équilibré et donc potentiellement plus favorable à l’établissement d’une démocratie authentique. Plus équilibré, le nouveau système l’est d’abord par l’accent mis sur les énergies renouvelables : contrairement aux énergies carbonées ou au nucléaire, qui reposent sur des ressources inégalement réparties et sur des technologies propices à la domination d’une offre oligopolistique, les renouvelables reposent sur des ressources bien distribuées partout dans le monde et accessibles à tous via des techniques exploitables de façon largement décentralisée. Le rééquilibrage de l’offre au profit des renouvelables peut ainsi permettre la mise en place d’un système de production d’énergie diffus, dans le cadre duquel le pouvoir énergétique, échappant à la concentration capitalistique propre au système actuel, serait suffisamment dispersé pour ne plus constituer une entrave structurelle à la démocratie. Cette perspective doit toutefois être considérée comme une opportunité potentielle et non comme une issue historiquement déterminée : sur le plan matériel comme sur le plan juridique, le développement des renouvelables peut tout aussi bien reproduire à l’identique la structuration centralisée et concentrée qui caractérise le système actuel. La vigilance reste donc de mise : pour nécessaire et souhaitable qu’il soit, le développement des énergies renouvelables n’offre pas en soi la garantie d’une société plus démocratique si leur promotion ne s’accompagne d’un refus de principe des approches et des projets qui pérennisent les conditions d’un pouvoir non partagé. C’est pourquoi aussi la question de la demande doit rester centrale dans la mise en place d’un nouveau système énergétique : mettre l’accent sur la maîtrise des consommations, c’est en effet renforcer l’autonomie réelle des populations face à une offre traditionnellement oligopolistique. Car il s’agit bien, au terme d’un changement de trajectoire imposé par des contraintes multiples mais assumé et mis en œuvre démocratiquement, d’accomplir une authentique révolution énergétique, pour, enfin, nous réapproprier notre avenir commun.

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