« L’accord de Paris a déjà tout changé »

, par   Laurence Tubiana

Laurence Tubiana, représentante spéciale du gouvernement français pour la COP21, détaille les clés de la stratégie suivie pour aboutir à l’accord de Paris dans une interview exclusive accordée au magazine Sciences et Avenir.

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Laurence Tubiana : « L’accord de Paris a déjà tout changé » (interview)
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« L’ACCORD DE PARIS A DÉJÀ TOUT CHANGÉ »

Laurence Tubiana (interview), Sciences et Avenir, samedi 14 novembre 2015

Laurence Tubiana, représentante spéciale du gouvernement français pour la COP21, nous donne les clés de la stratégie suivie pour aboutir à l’accord de Paris. Interview exclusive.


Comment avez-vous réussi à faire signer l’accord de Paris ?

Le succès tient beaucoup à la méthode choisie pour la préparation de la COP21. Le mot d’ordre a été l’inclusivité. Il n’était pas question qu’un groupe de pays décide des contours de l’Accord et le transmette aux autres, comme ce fut le cas à Copenhague. Pendant des années on a essayé en G20, en petits groupes, et tout a échoué. Dans cette enceinte très particulière qu’est la COP, qui touche aux sujets politiques, scientifiques, techniques, tous les pays ont leur voix. J’ai décidé qu’on allait travailler tous ensemble, de manière représentative. Au lieu d’avoir des groupes de travail concentrés sur les très grands pollueurs, il fallait que les autres soient aussi présents. Lors des réunions, 40 ou 50 pays représentaient donc tous les groupes de négociations. On en a tiré, au fur et à mesure, une perception juste de ce qui était possible.

La France – présidente de la COP21– est un pays du nord. Comment a-t-on évité la méfiance des pays du sud ?

Depuis la COP20 à Lima, nous avons toujours avancé en collaboration avec le Pérou. Une collaboration Nord-Sud constante était la garantie d’avoir en permanence l’autre point de vue. Pour ne pas avoir une vision biaisée. On a tenu cette méthode tout du long. Même si ce n’était pas forcément compris par tous. Cela nous a donné une intelligence du résultat possible.

Et durant la COP21, comment avez-vous géré la négociation ?

J’ai insisté, auprès des délégations, sur la prévisibilité, sur le fait qu’il n’y aurait aucune surprise. Ils allaient comprendre ce qu’on faisait parce qu’on allait – pour rédiger l’Accord – partir de leurs propositions et rien d’autre. La première semaine, j’ai averti les négociateurs : « Il n’y aura pas de plan B ». C’était à partir de leur texte que l’on avancerait. Donc, si il était impraticable, il resterait impraticable. Le corolaire de cette appropriation c’est la responsabilité collective.

En quoi l’échec de Copenhague vous a-t-il aidé ?

Nous avons fait tout l’inverse. Copenhague nous a montré l’impossibilité de s’entendre à 10 dans des pièces fermées. Et aussi on a fait très différemment pour la rédaction de l’accord lui-même. On n’a pas créé de “drafting comitee” (groupe écrivant). C’est nous (l’équipe de la présidence française de la COP21) qui tenions le stylo. Pour rassurer tout le monde.

Quelle a été votre stratégie pendant deux semaines ?

Notre stratégie a été de concentrer l’attention sur les trois sujets politiques : ambition (objectif de long terme, révision à la hausse, cycle de révision de 5 ans), différenciation (entre pays développés et en développement) et finance. On a rapidement clos les autres sujets pour se focaliser sur ce “paquet politique”. Dans la version du texte N-1, la partie sur l’ambition était nettement tirée vers le haut alors que la partie finance était proprement inacceptable pour les pays développés (avec des engagements financiers à long terme). Pour la différenciation les options étaient moyennes. Il est donc arrivé ce qu’il devait arriver. Les pays développés ont hurlé au scandale sur la partie finance, l’Union européenne en premier lieu. Les pays en développement eux, se sont inquiétés des options restantes sur la différenciation. Et au final personne n’a regardé l’ambition (qui était très haute) ! Dans le texte N, on a clos les finances et l’accord a pu être finalisé.

L’Arabie Saoudite ou les petites îles avaient des positions radicalement opposées (sur l’objectif de 1,5°C notamment) Comment avez-vous fait pour les concilier ?

On a essayé de donner un petit peu à chacun, selon ses besoins. Les petites îles et le groupe des pays africains les moins avancés avaient besoin de l’objectif de température de 1,5°C et des « Pertes et dommages ». Ils l’ont eu. Quant au groupe des pays pétroliers, il s’agissait de reconnaître que les politiques climatiques pouvaient avoir des effets négatifs sur eux et donc reconnaître leurs efforts de diversification de l’économie comme une contribution à l’accord. Plus précisément l’article 4 de la partie Atténuation dit que « les mesures d’adaptation avec co-bénéfices de réduction peuvent être comptées comme des contributions de réduction d’émissions. » C’est ce qu’ils souhaitaient.

L’Union européenne a, elle, obtenu l’ambition de l’accord qu’elle a forgée depuis le début. Les États-Unis ont obtenu une formulation sur la différenciation, notamment sur la transparence (mesures et vérifications) qui leur permet de dire chez eux qu’ils sont soumis au même régime que les Chinois. Pour la Chine, tout est protégé en terme de souveraineté nationale.

Quand est-ce que cela a failli capoter ?

Chaque nouvelle proposition d’accord mise sur la table a été une grande prise de risque. Le matin de l’adoption finale on a eu soudain très peur en réalisant qu’on avait poussé les curseurs au maximum. On a fait alors le pari que la pression politique était tellement forte, que tout le monde voulait tellement un accord, que ça allait passer.

Au tout dernier moment tout s’est pourtant arrêté à cause d’un mot. Que s’est-il passé ?

Les Américains ne veulent pas d’une obligation juridiquement contraignante au regard du droit international, sur la nature de leur engagement. Car cela les obligerait à passer devant le congrès pour ratifier l’accord. Toute leur stratégie était de ne pas avoir à le faire. Le problème c’est que dans une certaine phrase de l’accord, qui fixe la nature de l’engagement, il a été écrit un « shall » (contraignant) et non un « should » (incitatif). C’était une vraie erreur technique, due à l’épuisement des équipes. Et qui a failli tout tout faire capoter au dernier moment. Certains voulaient qu’on rouvre les discussions. On a compris le danger et pas cédé. On n’a dit que l’erreur allait être corrigée. Ça s’est réglé.

Une grande victoire pour les pays les plus vulnérables a été la mention de l’objectif de 1,5°C. Mais est-il réaliste ?

Cela paraît aujourd’hui, dans l’état actuel des techniques, très difficile. Mais à l’échelle du siècle, on ne peut pas préjuger de la profondeur des transformations qui vont se produire. On est dans un point de passage. Tout est en train de bouger. La science nous démontre qu’une élévation de 2°C déjà provoquerait déjà des dégâts climatiques irréversibles. Et que l’objectif de 1,5°C est plus raisonnable. Il ne faut donc pas cesser de se fixer cet objectif-là et on en aura peut être un jour les moyens de l’atteindre.

Vous savez, on nous a longtemps dit que 2°C c’était irréaliste et qu’il fallait revoir l’objectif à 3°C. Or il se passe exactement l’inverse dans l’économie. Il vaut mieux se fixer un objectif qui paraît déraisonnable. Puis faire l’effort intellectuel pour se demander comment ça peut marcher. Jusqu’à ce qu’une lame de fond dans l’économie réelle fasse qu’on soit en mesure de dépasser l’impossibilité.

Qu’est ce que va changer l’accord de Paris ?

Il a déjà tout changé. Tous les pays du monde ont fait un plan de réduction des émissions et se sont engagés à raconter ce qu’ils font. C’est un signal économique fort, c’est ça le grand changement. S’en suit toute une mobilisation des moyens autour de ce signal économique. Regardez notamment la Mission Innovation lancée le premier jour de la COP : 28 milliardaires qui vont financer la R&D et 20 pays qui se sont engagés à doubler la recherche sur les énergies propres. C’est énorme ! De la même façon, les fonds de pension sont arrivés à la COP en disant qu’ils espéraient 200 milliards de dollars dans les portefeuilles de décarbonation. Et ils sont repartis avec le triple ! C’est comme une vague, un accélérateur.

Réalisez-vous que l’accord de Paris est entré dans l’histoire…

Non... Je ne réalise pas encore ce qu’on vient de réussir à accomplir. Je dois atterrir.

Propos recueillis par Elena Sander

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