Combustibles irradies, retraitement et MOX Contribution de Global Chance au débat public PNGMDR (17 avril - 25 septembre 2019)

, par   Bernard Laponche, Jean-Claude Zerbib

En amont du débat public prévu sur le Plan de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ouvert du 17 avril 2019 au 25 septembre 2019, la commission particulière du débat public (CPDP) chargée de son organisation a mis en œuvre une démarche de « clarification des controverses ». L’objectif était, dans la perspective du débat d’apporter au public non spécialiste mais soucieux de disposer d’une bonne information technique les informations permettant de comprendre les différences d’argumentations exprimées par des experts ou des organismes institutionnels, et ce sur la base d’une série de questions relevant de ce plan... Ont participé à ce travail de mise à plat des enjeux du débat : EDF, Orano, l’Andra, le CEA et l’IRSN, mais aussi la CLI de Cruas, Global Chance, France Nature Environnement (FNE) et WISE-Paris.

Sur cette page :
Bernard Laponche et Jean-Claude Zerbib : Combustibles irradies, retraitement et MOX
EDF : Contre-argumentation versée au débat
Bernard Laponche et Jean-Claude Zerbib : Réponses aux commentaires d’EDF
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

COMBUSTIBLES IRRADIES, RETRAITEMENT ET MOX

Bernard Laponche et Jean-Claude Zerbib, Global Chance, contribution préalable au débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMR 2019-2021), vendredi 19 octobre 2018


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Pour mémoire, la question posée par la CPDP :

Question 1a - Quels sont les arguments techniques en faveur, ou en défaveur, du mono-recyclage actuellement pratiqué en France du point de vue de la gestion des matières et déchets ?


LE RETRAITEMENT DES COMBUSTIBLES IRRADIÉS

La majorité des pays équipés de centrales nucléaires (États-Unis, Allemagne, Suède, Corée du Sud...) considèrent les combustibles irradiés comme des déchets ultimes, entreposés dans les “piscines” des réacteurs, puis, éventuellement dans des sites de stockage à sec. Par contre, en France et au Royaume-Uni et à un degré moindre en Russie, les combustibles irradiés, après un séjour de un à deux ans en piscines, sont envoyés à l’usine de retraitement où sont séparés par voie chimique les trois grands composants du combustible irradié : uranium, plutonium, produits de fission et actinides mineurs. Développée initialement pour les besoins militaires, la production de plutonium a été poursuivie et amplifiée pour fournir du combustible à la filière des "surgénérateurs" (Phénix et Superphénix en France) qui, sauf en Russie, s’est révélé un échec (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, France). En parallèle à cette utilisation aujourd’hui abandonnée, un nouveau combustible a été imaginé pour se substituer au combustible classique à uranium enrichi en U235 dans les réacteurs à eau ordinaire : le MOX, mélange d’oxydes d’uranium appauvri et de plutonium Ce combustible est actuellement utilisé dans 22 réacteurs de 900 MW de puissance électrique. Il reste cependant des quantités importantes de plutonium à l’usine de retraitement de La Hague : 61 tonnes fin 2017, dont 46,2 t appartenant à EDF et 14,8 t aux clients étrangers. Les combustibles MOX irradiés ne sont pas retraités.

DÉCHETS ET MATIÈRES NUCLÉAIRES

Se trouvent donc entreposés actuellement à La Hague : des combustibles irradiés classiques, car tous ne sont pas retraités ; des combustibles MOX qui contiennent des quantités importantes de plutonium, des produits de fission et des actinides mineurs ; du plutonium stocké « sur les étagères », dont une partie appartient à des pays étrangers ; des produits de fission et actinides mineurs contenus sous forme liquide, avant d’être vitrifiés ; des verres contenant les produits de fission et les actinides mineurs ; des résidus du traitement chimique contenant du plutonium ; des déchets de structures des combustibles tels que des éléments d’assemblages ou des gaines de combustible ; des déchets liés au fonctionnement de l’usine. L’uranium de retraitement qui n’est pas utilisé actuellement, est classé comme « matière nucléaire » et non comme déchet. Dans cette même catégorie figurent également des quantités considérables d’uranium appauvri issu de l’enrichissement. L’un et l’autre sont entreposés en surface dans d’autres sites d’Orano.

Le retraitement ne diminue pas la radioactivité des déchets (et même l’augmente avec l’utilisation du MOX) et disperse cette radioactivité en un grand nombre de types de déchets dont chacun pose des problèmes particuliers de gestion et n’apporte donc aucune amélioration pour la gestion des déchets. Sa fonction a été et reste la production du plutonium. L’affirmation d’un taux de recyclage de 96% grâce au retraitement ne résiste pas à l’analyse : l’uranium de retraitement n’est pas recyclé et le plutonium se retrouve, pour les quatre cinquièmes en quantité, dans les combustibles MOX irradiés. La somme des activités du plutonium et des actinides mineurs dans le combustible MOX usé est multipliée par 8 par rapport à celle d’un combustible UO2 usé. Cet indicateur conditionne l’énergie thermique dégagée par les différents combustibles.

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

• Le retraitement des combustibles irradiés ne présente que des inconvénients pour ce qui concerne la gestion des déchets issus de l’industrie électronucléaire.

• Le retraitement doit être arrêté, ce qui a pour conséquence directe l’arrêt de la fabrication et de l’utilisation du combustible MOX. Outre les risques qu’il présente, ce combustible ne présente aucun intérêt pour EDF.

• La solution proposée est, après leur séjour en “piscine”, l’entreposage à sec pérenne des combustibles irradiés, sujet qui est traité dans une autre fiche de Global Chance.

• La poursuite de la production de plutonium par le retraitement est défendue par certains au nom de la possibilité dans l’avenir d’un renouveau du développement des réacteurs à neutrons rapides “surgénérateurs”, question traitée dans une autre fiche de Global Chance.

• Il est indispensable que soit demandée dans le cadre du débat public une étude comparative de la gestion des déchets (questions techniques et économiques) de la filière retraitement et MOX et de la filière non retraitement et entreposage à sec qui constituerait une mise à jour du rapport “Charpin, Dessus, Pellat”.

Document de référence :

Usines de retraitement des combustibles irradiés de La Hague et leurs problèmes. Rapport à la Commission de l’Assemblée Nationale sur la sûreté et la sécurité nucléaires. Jean-Claude Zerbib, Global Chance, jeudi 31 mai 2018, 20 pages

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CONTRE-ARGUMENTATION VERSÉE AU DÉBAT PAR EDF

Pour Global Chance, « le retraitement des combustibles irradiés ne présente que des inconvénients pour ce qui concerne la gestion des déchets issus de l’industrie électronucléaire. »

EDF est en complet désaccord avec cette affirmation, les avantages du retraitement des combustibles irradiés sont en effet majeurs.

En plus des avantages sur la réduction de consommation des matières naturelles et des quantités d’assemblages de combustible irradiés à entreposer, le traitement/recyclage des combustibles irradiés présente les avantages notables suivants :

Une réduction du volume des déchets :
# la séparation des matières valorisables des déchets
# la séparation des déchets de haute activité (HA - produits de fissions et actinides mineurs) des déchets de moyenne activité (MA - gaines et embouts des assemblages)
# la réduction du volume des déchets de moyenne activité via un compactage

Le conditionnement en matrice de verre (vitrification) de manière sûre et stable des déchets de haute activité. Les conditionnements des déchets HA et MA VL facilitent également leur manutention et leur entreposage jusqu’à leur stockage définitif.

EDF tient à souligner que la réduction du volume et la qualité du conditionnement sont justement des critères clés pour évaluer l’intérêt de procédés de gestion de déchets.

Le mono-recyclage constitue par ailleurs une première étape technologique vers le multirecyclage en RNR qui permet des gains complémentaires significatifs en termes de gestion des matières et déchets.

Global Chance affirme qu’ « outre les risques qu[e le MOX] présente, ce combustible ne présente aucun intérêt pour EDF. »

Outre le fait que le document n’identifie pas les risques présentés spécifiquement par le MOX, EDF considère que la réduction du volume de déchets et que l’économie de ressources naturelles présentent un véritable intérêt.

Le recyclage du plutonium sous forme de MOX permet une production d’électricité là où un combustible usé non recyclé n’en produit pas. C’est aujourd’hui environ 10% de la production électronucléaire en France qui est issue du MOX. La réduction des besoins d’extraction de ressources naturelles, du volume de déchets à stocker et des quantités de combustible usé à entreposer sont des atouts de développement durable pour EDF.

Global Chance considère qu’ « il reste des quantités importantes de plutonium à l’usine de retraitement de La Hague : 61 tonnes fin 2017, dont 46,2 t appartenant à EDF et 14,8 t aux clients étrangers. »

Les 46,2 t mentionnées sont de propriété française.

Parmi les autres éléments cités par Global Chance, EDF souhaite en particulier apporter des précisions sur ceux rappelés ci-dessous.

Selon Global Chance, la filière des "surgénérateurs" (Phénix et Superphénix en France) s’est révélé un échec (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, France) sauf en Russie et est aujourd’hui abandonnée.

La filière RNR n’est pas nécessairement surgénératrice. Elle n’est pas abandonnée et se développe aujourd’hui en particulier dans les pays ayant choisi l’option nucléaire dans la durée, avec des réacteurs en fonctionnement (Russie), en construction (Inde, Russie) et en projet (Chine, Japon, France).

Selon Global Chance, « le retraitement […] disperse cette radioactivité en un grand nombre de types de déchets dont chacun pose des problèmes particuliers de gestion et n’apporte donc aucune amélioration pour la gestion des déchets. »

Les matières et déchets issus du cycle du combustible nucléaire ont un conditionnement et un mode de gestion adapté à leurs caractéristiques. Parmi ces gestions, la valorisation améliore en particulier la gestion de ces matières qui sinon seraient gérées comme des déchets.

Global Chance : « La somme des activités du plutonium et des actinides mineurs dans le combustible MOX usé est multipliée par 8 par rapport à celle d’un combustible UO2 usé. Cet indicateur conditionne l’énergie thermique dégagée par les différents combustibles. »

L’activité n’est pas un indicateur de la dangerosité d’un élément radioactif : en effet, pour une même activité, les impacts radiologique et thermique varient respectivement en fonction du type de rayonnement et de l’énergie d’émission.

Si l’on souhaite comparer l’activité d’un UNE et d’un MOX usés, il convient de considérer toutes les substances qui les composent et qui contribuent à l’activité : dans les deux cas, les produits de fission sont les contributeurs majoritaires bien au-delà du plutonium et des actinides mineurs. L’activité totale d’un assemblage MOX usé est multipliée par 2 par rapport à celle d’un combustible UNE usé.

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RÉPONSES DE GLOBAL CHANCE AUX COMMENTAIRES D’EDF

1. Sur le stock de plutonium séparé entreposé à La Hague

Exact : les 46,2 tonnes mentionnées sont de propriété française et non seulement EDF mais EDF et ORANO (pour environ 15% d’après ORANO).

2. Sur les risques liés à l’utilisation du combustible MOX, risques accrus du fait du MOX, en fonctionnement et en cas d’accident

a) Du fait de sa plus grande radioactivité alpha, un élément neuf de combustible MOX a une température de surface (paroi de la gaine du combustible) de 80 degrés, alors qu’un combustible neuf à l’uranium est à la température ambiante. Le maniement des combustibles neufs MOX nécessite donc des équipements particuliers.
La présence de combustibles MOX dans un réacteur nucléaire (en général un tiers ou un quart du chargement total) rend donc la manipulation des combustibles (chargement et déchargement) plus difficile.

b) La présence de combustibles MOX dans le réacteur rend le contrôle plus délicat (combustibles de natures différentes) et réduit l’efficacité des barres de contrôle.

c) Les températures de fusion du plutonium (640°C et 2400°C pour le PuO2) sont plus basses que celles de l’uranium (1135°C et 2 865°C pour l’UO2).

d) En cas de détérioration et de fusion des combustibles, le risque de « criticité » (emballement de la réaction en chaîne) est plus grand car la masse critique du plutonium est le tiers de celle de l’uranium 235 (celui-ci n’étant d’ailleurs pas séparé des autres isotopes en cas de fusion et ne représentant au maximum que 3,5% de la masse totale de l’uranium du combustible UO2).
Ce risque de criticité peut se présenter également dans les usines de fabrication du combustible MOX ou dans les usines de retraitement.
Ce risque est présent également dans les piscines de stockage des combustibles irradiés en cas de perte du refroidissement, détérioration et fusion de combustibles.

e) La quantité de plutonium est beaucoup plus importante dans un combustible MOX (dans un réacteur ou dans une piscine de combustibles irradiés) que dans un combustible uranium. En cas de détérioration ou de fusion du cœur ou d’explosion ou d’incendie (dans le cœur ou dans les piscines de stockage), la quantité de plutonium pouvant être projetée dans l’environnement, qu’il s’agisse d’un combustible usé ou plus encore s’il est neuf, sera donc beaucoup plus importante.

Non seulement le MOX rend le réacteur plus difficile à piloter mais encore, en cas d’accident, sa présence facilite la mise à nu des combustibles (plus de chaleur donc plus d’évaporation de l’eau), la détérioration et la fusion des combustibles (dans le réacteur lui-même et dans les piscines des combustibles irradiés) et, en cas d’émissions radioactives, ce qui est le cas à Fukushima, des particules de plutonium peuvent être dispersées dans l’environnement (terre et eau principalement).

3. Sur la réduction du volume des déchets

EDF écrit : « EDF tient à souligner que la réduction du volume et la qualité du conditionnement sont justement des critères clés pour évaluer l’intérêt de procédés de la gestion des déchets ». Voici ce qu’il en est en réalité :

En calculant les réductions de volumes apportées par le retraitement pour les seuls combustibles d’EDF l’on obtient les données moyennes suivantes :

• La vitrification des solutions fin 2016 produites par la totalité des combustibles EDF retraités dans les usines de La Hague de 1982 à fin 2015 (21 496,5 tonnes) a produit en 24 années 15 049 colis standard de déchets vitrifiés (CSD-V) et de l’ordre de 430 CSD-B [Orano 2018], soit en moyenne 0,72 colis de déchets vitrifiés par tonne retraitée.

• Le compactage des éléments métalliques des assemblages n’a commencé qu’avec les combustibles retraités en 2002, date à laquelle 16 917 tonnes avaient été retraitées. Ce type de conditionnement n’a donc concerné que le tonnage retraité de janvier 2002 à fin 2016 soit 16 379 tonnes en 15 ans.
Le conditionnement par compactage des déchets métalliques de ces 16 379 tonnes retraitées a produit 16 023 CSD-C (14 981 entreposés+1 042 expédiés aux clients étrangers), soit 0,978 colis de déchets compactés par tonne de combustible irradié retraitée.

Sachant que les deux types de colis de déchets "vitrifiés" et "compactés" sont réalisés dans un même conteneur standard (volume hors-tout de 0,203 m3), une tonne de combustible [1] irradié produit un total de (0,72 + 0,98 = 1,70) 1,70 colis par tonne correspondant à 0,345 m3. Dans l’hypothèse ou les combustibles retraités sont assimilables à ceux des 900 MWe (0,212 m x 0,212 m x 4,12 m soit 0,185 m3), une tonne de combustible correspond donc à (1 t /
0,4617 t par assemblage) 2,166 assemblages, soit un volume de 0,4007 m3.

La réduction moyenne de volume apportée par le retraitement des combustibles EDF (0,4007/0,345) par rapport au volume initial des assemblages n’est donc égale qu’à 1,161.

Ce petit gain de 16% s’accompagne en pratique d’un volume de déchets de moyenne et faible activité à vie courte qui réduit singulièrement ce faible gain.

(*) [Orano 2018], Orano, Rapport 2017, "Traitement des combustibles usés provenant de l’étranger dans les installations d’Orano la Hague", ORANO, juin 2018

4. EDF écrit que « L’activité n’est pas un indicateur de la dangerosité d’un élément radioactif »

EDF a raison de façon générale mais, dans le cas précis du MOX irradié, en plus de l’augmentation de 26% de l’activité du plutonium, due a l’isotope 241 qui donnera par décroissance un actinide de longue période (l’américium 241, T=432 ans), nous observons pour un taux de combustion identique de 45 GW/t que :
a) La masse des actinides mineurs est multipliée par 4,9.
b) L’activité de ces actinides est multipliée par 10,8.
c) La toxicité d’un microgramme de MOX usé (Sv/microgramme) est 8,8 fois plus toxique qu’un microgramme d’UOX use dans le cas d’une ingestion et 9,0 fois plus toxique dans le cas d’une inhalation.

Pour le stockage définitif, cette augmentation d’un ordre de grandeur, de l’activité des actinides mineurs est très pénalisante, quelle que soit la solution retenue.

C’est ainsi que dans le cas de CIGEO, un seul MOX usé prendrait la place de 4 UOX usé.

En finale, le MOX obèrait donc plus de place dans un stockage définitif et tout relâchement de matière serait 9 fois potentiellement plus toxique.

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pour aller plus loin...
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Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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