Climat : l’urgence d’agir sur le méthane

, par   Benjamin Dessus

Dans son avis du 10 novembre 2009 sur « Les crédits carbone », l’Académie des technologies préconise d’accorder moins de poids au méthane dans les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre, au motif que ce gaz, du fait de sa faible durée de vie atmosphérique, ne s’accumule pas à long terme dans l’atmosphère. Mais cet avis péremptoire repose sur une interprétation erronée des phénomènes physiques décrits par le GIEC en ce qui concerne le méthane, dont la durée de présence dans l’atmosphère est certes réduite par rapport à celle du CO2, le gaz de référence, mais dont la puissance en termes d’effet de serre est 100 fois plus élevée. De fait, si l’on retient comme l’Académie des technologies l’horizon 2040, il faudrait au contraire accorder 3.5 fois plus d’importance au méthane qu’on ne le fait actuellement sur la base de coefficients d’équivalence (« pouvoir de réchauffement global ») calculés sur 100 ans... Au moment où les climatologues pointent le risque d’effets de seuil au-delà desquels la dérive climatique deviendrait incontrôlable et soulignent en conséquence l’urgence d’agir sans attendre, il faut donc, « en plus et non pas en concurrence avec des efforts absolument indispensables sur le CO2, [...] engager sans tarder un vaste programme international et coopératif de réduction des émissions de méthane et combiner ainsi médecine préventive et médecine d’urgence. »

Benjamin Dessus, L’Écologiste, n°31, printemps 2010

Le méthane (CH4) est le deuxième gaz à effet de serre après le CO2. Réduire sa production est-il secondaire comme l’affirme l’Académie des technologies, ou au contraire prioritaire ?

À lire l’avis du 10 novembre 2009 sur « les crédits carbone », où l’Académie des technologies parmi ses recommandations principales écrit :

« L’évaluation de l’équivalence du méthane et du CO2 (1 CH4 = 25 CO2) est un choix du GIEC qui incite à mettre en priorité la lutte contre les émissions de méthane. Or, du fait de sa faible durée de vie atmosphérique, le méthane ne s’accumule pas dans l’atmosphère. Les efforts que nous faisons aujourd’hui n’ont pas d’impact direct sur l’atmosphère de 2040. On peut s’interroger sur un rapport d’équivalence plus faible, également justifiable, qui ne détournerait pas de la priorité à donner à la lutte contre les émissions de CO2 » [1],

on se dit que le méthane, dont on ne parlait déjà pratiquement pas, devrait vite se faire oublier définitivement dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Mais cette déclaration péremptoire repose sur une interprétation erronée des phénomènes physiques décrits par le GIEC en ce qui concerne le méthane.

En effet si la durée de présence dans l’atmosphère du méthane (le second gaz émis par les activités humaines) est beaucoup plus brève que celle du CO2 comme le souligne l’Académie (une demie vie de 12 ans au lieu de plus de 100 ans), il est 100 fois plus puissant que le CO2 en termes d’effet de serre.

Le méthane sous-estimé

C’est la raison pour laquelle le GIEC a proposé de mesurer l‘influence des émissions de CH4 à travers son « potentiel de réchauffement global » (PRG) sur une durée donnée : par exemple, selon le GIEC, l’émission de 1 tonne de CH4 en 2010 « vaut », du point de vue climatique à l’horizon 2110, celle de 21 t de CO2 (teq CO2) émis en 2010. Par contre à l’horizon 2040, l’émission de cette même tonne de CH4 « vaut » celle de 58 t de CO2. Si maintenant on s’intéresse, non plus à une émission ou une réduction ponctuelle, une année donnée, mais à une réduction pérenne de cette tonne de méthane, le coefficient d’équivalence entre méthane et CO2 passe de 58 à 74 à horizon de 30 ans [2]. Il est donc très inexact d’affirmer que « les efforts que nous faisons aujourd’hui n’ont pas d’impact direct sur l’atmosphère de 2040 ». Bien au contraire puisque l’usage du PRG sous-estime déjà l’influence du méthane d’un facteur 3,5.

C’est d’autant plus grave que les climatologues ont pris conscience de l’urgence des actions de réduction des différents gaz à effet de serre : les objectifs qu’ils proposent supposent une inversion de la tendance à la croissance actuelle (plus de 3%/an) autour de 2020 et une division par deux d’ici 2050.

Un faible coût

S’il y a urgence à agir, il devient donc impératif de s’occuper sérieusement de réduction de CH4, en plus de celles du CO2. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, sous prétexte que les émissions de CH4 seraient essentiellement dues à l’élevage et à la culture du riz. Pas possible dans ces conditions de faire grand chose sans affamer les pays du Sud ou imposer au monde un régime végétarien !

C’est inexact. La plus grosse part des émissions de CH4 vient de l’énergie et des déchets : grisou des mines, fuites de gaz des puits pétroliers et gaziers, décharges d’ordures, boues d’épuration, lisiers et fumiers. Les potentiels de réduction de CH4 à bon marché y sont importants. Plusieurs publications récentes [3] montrent que 2 milliards de teq CO2 (avec le PRG de 21) pourraient y être récupérées à court terme et le plus souvent valorisées, pour un coût moyen inférieur à 20 €la teq CO2.

Bien plus, à l’horizon 2020, une telle suppression serait équivalente à celle de près de 10 milliards de tonnes d’émissions de C02, près de 20% des émissions totales.

Tout le monde y a intérêt : les pays riches dont les réductions de CO2 à court terme sont entravées par l’inertie de leur économie et de leurs modes de vie, les pays émergents puisqu’il n’y a aucune antinomie entre réduction des émissions de CH4 et développement, les PMA enfin pour qui la valorisation énergétique des déchets peut constituer une source locale d’énergie à bas coût.

En proposant une réduction de l’équivalence CH4/CO2, l’Académie fait donc fausse route. Son propos, inspiré par les distorsions qu’elle pense observer sur le marché du carbone, ne tient pas à la physique mais au marché qui amalgame deux “produits” aux caractéristiques complètement différentes. En fait, en plus et non pas en concurrence avec des efforts absolument indispensables sur le CO2, il faut engager sans tarder un vaste programme international et coopératif de réduction des émissions de méthane et combiner ainsi médecine préventive et médecine d’urgence. Et, si l’on croit aux vertus supérieures du marché, créer pour le méthane un marché distinct de celui du CO2.

Benjamin Dessus
Président de Global Chance

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