Cahier de Global Chance n°28 ∣ La science face aux citoyens

Quelle information pour les élus dans le domaine scientifique ?

, par   Marie-Christine Blandin

Marie Christine Blandin est membre d’Europe Ecologie-les verts, sénatrice du Nord et membre de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques.

Cet article a été publié en 2010 dans le cadre du numéro 28 des cahiers de Global Chance en collaboration avec Politis : Science, pouvoir et démocratie. faisant actes du colloque « Science et démocratie » organisé le 20 novembre 2010 par l’AITEC, la Fondation Sciences citoyennes, Global Chance et Politis. Cette intervention fut suivie d’un débat reproduit dans ce numéro.

Quelle information pour les élus dans le domaine scientifique ?

Entre culture et politique, Jean Vilar alertait sur le « mariage cruel ».
Entre recherche et politique, on trouve les mêmes ambiguïtés, les mêmes difficultés.

Quel chercheur n’est pas fier de se prévaloir de sa proximité de tel ou tel pouvoir  ? Quel élu n’est pas fier de ses rencontres avec tel ou tel chercheur  ? Il n’est qu’à voir la fierté des membres de l’OPECST rencontrant leur conseil scientifique où siègent 13 académiciens sur 25.
Mais, comme pour la culture, le rapport est faussé, puisque l’un, par ses choix, va faire que l’autre sera ou non financé. Ce qui est particulièrement vrai au niveau des présidents de région ou d’intercommunalité, et des ministres.
Les vecteurs d’information pour les élus sont dans l’ordre le kilogramme de documentation reçu chaque jour : rapport d’activités, journaux, fiches de l’IRD, plaquettes des lobbies avec invitation au restaurant ou plus si affinités, ainsi que les médias.
L’UIPP, union des industries pour la protection des plantes (nouveau nom de l’union des industries productrices de pesticides) est très active. Des publications comme AE (agriculture et environnement) sont de vrais outils de propagande antiécologie. Le travail en commission concerne la recherche pour les affaires culturelles, et pour les affaires économiques, avec une vraie lutte d’influence. On y entend les ministres, les présidents d’institutions, parfois les syndicats ou une coordination comme Sauvons la Recherche. Les rapporteurs du budget y font autorité.
Ensuite il y a les colloques, organisés par les parlementaires, en réalité parfois organisés par des acteurs extérieurs, et qu’endossent des parlementaires. C’est le mode de financement qui tord la démocratie : par exemple les rencontres parlementaires pendant la grippe H1N1 sur la réalité de la pandémie étaient financées par GSK, Roche et Sanofi... Enfin il y a l’OPECST, 18 sénateurs et 18 députés, travaillant par auditions et rapports, censés éclairer le gouvernement et le parlement sur les enjeux de telles ou telles recherches et applications.
Sur les méthodes, tout est à revoir, puisque les administrateurs tiennent souvent la plume, aidés par des acteurs extérieurs, que le rapport est mis sur table, qu’il n’y a pas de quorum.
Le dernier rapport sur les pesticides qui met la mortalité des abeilles sur le dos de l’incompétence des apiculteurs, et les maladies des agriculteurs sur le dos des échappements de leurs tracteurs et de leur exposition aux UV du soleil est un monument du genre.
Un parlementaire peut aussi aller à la rencontre des informations, par exemple les journées annuelles de l’institut de Veille Sanitaire. J’y ai là appris toutes les nuances des conclusions :
 » Une jeune doctorante, il y a quelques années, exposait son étude sur les risques du mercure pour les populations du Haut Maroni, et concluait : « il n’y a pas de risque pour les Amérindiens dès lors qu’ils ne mangent plus de poissons (!!!).
 » Une étude épidémiologique sur les impacts de plusieurs incinérateurs s’appuyait sur des protocoles très stricts, éliminant tout sujet ayant pu être contaminé par ailleurs (habitants venant d’un autre territoire, fumeurs, travailleurs de la chimie, famille ayant connu un cas de cancer). Malgré tout, l’incidence était visiblement plus forte autour d’un incinérateur que dans la population témoin. Cependant, la conclusion se terminait par : « néanmoins la causalité n’est pas prouvée ». Les fabricants d’incinérateurs s’emparèrent de cette phrase, tandis que les écologistes firent état des résultats. 

Enfin, il faut savoir que certains assistants de parlementaires sont payés en tout ou partie par des firmes (ex. Air France).
Un espace qualitatif est celui des missions ou commissions d’enquête. Dans celle de l’amiante, nous avons vraiment pu fouiller les mécanismes de détournement de l’intérêt public, et aussi la question « A partir de quand savait-on ? ». Oui, on savait en 1906 quand un inspecteur du travail sonna l’alerte ; oui on savait quand les ouvrières de Condé sur Noireau dénoncèrent l’hécatombe qui les frappait... Mais de ces sources modestes, on ne tint pas compte. En revanche, quand tardivement on approcha de l’interdiction, l’Académie émit des doutes sur la nocivité, et fit autorité, retardant les lois attendues. Une mention spéciale doit être faite pour la première partie du Grenelle, celle de l’élaboration. La médiation et la coproduction à 5 était, comme le dit Edwy Plenel à propos de ses attentes dans d’autres domaines, un véritable écosystème démocratique.
Les agences sanitaires, en revanche, ne signalent pas aux élus leurs rapports ; pourtant les élus débattent de sujets documentés par leurs expertises ! Les messages récurrents reçus par les élus plaident la liberté de la recherche, dénoncent l’absurdité de la distinction recherche fondamentale et recherche appliquée, et alertent sur la place lamentable de la France. La liberté est défendue par les militants comme par les mandarins.

Pourtant les nouveaux modes de financement conduisent les laboratoires vers les choix du privé, du rentable, du brevetable : Crédit d’impôt Recherche, compétition, financement au projet. Les nanomatériaux ont plus de chance que l’étude de la médiation chez les aborigènes !
La promotion des Partenariats Publics Privés est plus souvent la conséquence de la critique de la distinction « fondamental et appliqué », que la création d’un continuum intelligent, facilitateur et permettant des critères pour distinguer où doit aller l’argent public et qui en a les retombées.
Enfin les classements internationaux, les vrais faux exemples comme les USA, culpabilisent les donneurs d’ordre et les poussent à encourager la sélection, l’évaluation, les CDD, la mise en concurrence.

Depuis 2004, le Principe de précaution est régulièrement pointé du doigt comme « entrave à la science et au progrès ». Les orientations qui découlent de ce bruit de fond, et cette « délégation de cerveau » à quelques élus considérés comme spécialistes, sont un suivisme des secteurs internationalement juteux : génétique, nano technologies, information, trois domaines qui flirtent avec la diminution de nos libertés, nano matériaux, chimie des pesticides et médicaments : deux domaines qui tournent le dos au principe de précaution et entament notre capital santé. Tous mettent davantage en péril le bien commun qu’ils ne le protègent et le partagent.
Par effet collatéral, les lobbies veillent à n’être pas entravés dans leur démarche, et parviennent à suggérer et faire voter des amendements qui leur donnent les coudées franches : confiscation des semences, brevetabilité des procédés confisquant le vivant, minoration des contrôles (REACH seulement pour plus d’une tonne de substance en circulation).

Les autres secteurs, sciences humaines et sociales, botanique, écologie, ramassent les miettes. Tandis que certaines filières « gênantes » sont mises au pain sec : toxicologie, pédologie, quand ce ne sont pas leurs chercheurs qui se trouvent calomniés et marginalisés. En conclusion, je citerai trois informations qui ne nous parviennent jamais :

  • Ce n’est pas parce qu’on peut le faire qu’on doit le faire.
  • Tout ce qui crée de l’emploi n’est pas bon à prendre.
  • L’urgence, c’est le bonheur partagé, pas le bénéfice de quelques-uns.