Un appel de la communauté scientifique pour mobiliser la société face au nouveau programme nucléaire Compte-rendu de la conférence de presse du 12 septembre 2023

, par   Julie Chapuis

Ils sont physiciens du nucléaire, médecins, ingénieurs, anthropologues ou encore sociologues et pour tirer la sonnette d’alarme face au nouveau programme nucléaire annoncé par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, ils lancent un Appel (https://appel-de-scientifiques-contre-un-nouveau-programme-nucleaire.org/). Plusieurs députés de gauche, dont les députés LFI Emmanuel Fernandès (Bas-Rhin) et Maxime Laisney (Seine-et-Marne) et la députée EELV Julie Laernoes (Loire-Atlantique), ont organisé pour les initiateurs de l’appel, une conférence de presse à l’Assemblée nationale, le mardi 12 septembre 2023.

Une mobilisation historique

Introduisant la conférence de presse, Jean-Marie Brom, physicien du nucléaire, directeur de recherches émérite au CNRS, précise que cet Appel fait écho à celui lancé par Monique et Raymond Sené en 1975 en réaction au « Plan Messmer » annoncé suite à la crise pétrolière. Pour dénoncer ce premier programme nucléaire français d’envergure, et alerter sur ses risques en terme de sécurité et de pollution, 400 scientifiques publiaient leur Appel dans le journal Le Monde et créaient le Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’énergie nucléaire (GSIEN).

Près de 50 ans plus tard, c’est contre le nouveau programme annoncé par le candidat Emmanuel Macron qu’une communauté scientifique plus large se mobilise, sous l’impulsion des membres du GSIEN et de Bernard Laponche, physicien nucléaire et président de l’association Global Chance.
Ce programme qui promet la construction de nouveaux EPR2 d’ici 2050 et la prolongation des réacteurs existants à 60 ans et plus, ne prend en compte ni le retard colossal pris sur le chantier de l’EPR de Flamanville, ni la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie 2023-2028 décidée en 2020 qui prévoit l’arrêt de 14 réacteurs d’ici 2035.

Mais surtout, adossé à un récit bien rôdé qui ne s’encombre ni de réel bilan des programmes précédents, ni des alternatives qui s’offrent aujourd’hui davantage qu’hier, ce nouveau programme se soustrait de tout débat démocratique.

Le nucléaire : une question de société

Car si cet Appel vient rappeler que la communauté scientifique est loin d’être acquise au nucléaire, il invite aussi la société civile dans son ensemble à se saisir de cette question non réductible à des considérations technico-scientifiques.

En effet, la mise en œuvre d’un programme nucléaire n’est pas seulement un enjeu technologique, mais aussi un enjeu éthique, politique, géopolitique, économique, ou encore sanitaire : bref, un « enjeu de société de taille », comme le fait valoir le philosophe de l’écologie, François Guerroué.

Qu’il s’agisse des risques sécuritaires que font peser le réchauffement climatique ou la guerre en Ukraine sur les centrales nucléaires, de la pollution due aux déchets radioactifs ou aux accidents graves ou majeurs qui se sont multipliés et des effets sociaux à long terme qu’ils induisent, du coût économique du « grand carénage » estimé à près de 100 milliards d’euros par la Cour des Comptes, ou du démantèlement à peine engagé des sites contaminés, les scientifiques réunis à la Conférence de presse égrainent la longue liste des dangers encore non maîtrisés de l’atome.

Des risques sécuritaires accrus dans un monde instable

Le dérèglement climatique est devenu l’un des arguments phares des pro-nucléaires pour justifier le recours à cette énergie prétendument « non polluante » en terme de gaz à effet de serre. Pourtant, Bernard Laponche le rappelle : « la production nucléaire est loin d’être décarbonée », dans la mesure où l’exploitation des mines d’uranium, la construction et l’exploitation des réacteurs et des usines du combustible, ou encore la gestion des déchets radioactifs, émettent du CO2 ainsi que d’autres GES plus puissants comme le SF6.

Par ailleurs, les réacteurs nucléaires consomment un volume d’eau important pour leur construction et leur exploitation et participent ainsi au réchauffement des eaux fluviales dont les débits ont dores et déjà dramatiquement diminué, limitant ainsi la capacité de refroidissement des réacteurs. Un cercle vicieux auquel s’ajoutent d’autres menaces (submersion, risque sismique etc.) qui ont de quoi inquiéter face au manque de résilience du parc nucléaire français pointé par Marc Denis, membre du GSIEN.

D’autant que celui-ci, pour fonctionner, est aussi soumis aux menaces et aléas sécuritaires dans un contexte géopolitique instable qui touche particulièrement les pays importateurs d’uranium en France, à savoir le Niger où le coup d’État militaire du 26 juillet dernier remet en cause le privilège français, mais aussi le Kazakhstan et l’Ouzbékistan dont l’uranium transite par la Russie sous le contrôle de Rosatom. De quoi nuancer la prétendue « souveraineté énergétique » de la France...

Une énergie coûteuse

Les récentes menaces autour de la centrale ukrainienne de Zaporijjia ont rappelé combien le risque d’accidents majeurs ou graves est encore prégnant. La pollution qui en résulterait, de même que la pollution au long cours provoquée par les rejets permanents de matières radioactives auxquels sont particulièrement exposés les travailleurs du secteur, ont pourtant des effets sanitaires et sociaux à long terme de mieux en mieux identifiés. Ainsi Mariette Gerber, ancienne chercheuse à l’INSERM-Institut du Cancer à Montpellier, et experte à l’ANSES, rappelle qu’une étude réalisée sur une cohorte d’ouvriers en France, en Grande-Bretagne et aux USA en 2015, et réactualisée cet été, a clairement établi que des faibles doses d’irradiation sont cancérigènes.

Revenant sur l’accident de 2011 à Fukushima, l’anthropologue Kurumi Sugita a, quant à elle, mis l’accent sur des effets sociaux moins connus, mais tout aussi pervers, provoqués par l’évacuation et le déplacement des populations environnantes à la centrale de Daiichi : non seulement elles subissent une véritable discrimination au Japon, mais leurs vies familiale, sociale et professionnelle ont pu être affectées et leurs liens communautaires se déliter.

Aussi, au coût financier exorbitant de construction de nouveaux EPR, du « grand carénage » et du démantèlement, s’ajoutent un coût humain et un coût financier pour prendre en charge des effets sanitaires et sociaux bien trop souvent passés sous silence.

Face à cette « omerta » dénoncée par l’ingénieure Polytechnicienne déserteuse, Jeanne Mermet, c’est donc à une remise à plat et à une mise en débat de tous les enjeux (écologiques, économiques, sociaux etc.) soulevés par le projet nucléaire français qu’en appellent les scientifiques signataires de cet Appel.

Le dossier de presse :

Revue de presse :

Revoir la conférence de presse : https://www.youtube.com/watch?v=t5tD2yOQIKo#t=1m40s