Quelle expertise pour la science ?

, par   Benjamin Dessus

Benjamin Dessus
Politis, n°1126, jeudi 11 novembre 2010

Sur les questions scientifiques telles que le dérèglement climatique, l’expertise doit-elle être « neutre » ou « indépendante » ? L’amalgame entre ces deux notions sert bien souvent l’intérêt des lobbies.


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Présentation et programme du colloque « Science et Démocratie » organisé le samedi 20 novembre 2010 par Politis, en partenariat avec Global Chance, la Fondation Sciences citoyennes et l’Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs.


Dans le contexte de relativisation des faits, scientifiques ou non, que nous avons décrite dans une tribune récente [1] et dans lequel se place aujourd’hui aussi bien l’offensive des climato-sceptiques que celle des retraites, quelle place pour une expertise « indépendante » ?

Les signataires de la tribune publiée par Politis mettant en cause l’intégrité intellectuelle de Claude Allègre [2], dont une bonne partie avait signé en 1992 « L’appel à la raison pour une solidarité planétaire » en réponse au discours positiviste de l’Appel d’Heidelberg, se retrouvent, de façon paradoxale, défenseurs de la rationalité scientifique auprès de médias et de décideurs qui privilégient le « débat » au titre de la démocratie et de l’égalité plutôt que la recherche de la vérité. Avec le risque de « sanctuariser » la communauté scientifique et de rendre impossible toute critique vis-à-vis d’elle, non seulement sur certains de ses résultats ou ses lacunes, mais aussi sur ses modes de fonctionnement et peut-être, surtout, sur ses objectifs et ses choix thématiques.

C’est donc évidemment en dépassant la seule communauté scientifique qu’il faut avancer sur ces questions, et en particulier avec les citoyens et leurs représentants politiques. Au centre de ces questions, on retrouve, comme toujours, la question de l’indépendance de l’expertise. Comment en effet caractériser cette « indépendance » ? En quoi l’expertise de certains serait-elle plus indépendante qu’une autre ?

On assimile en effet, bien souvent à tort, la notion d’indépendance à celle de neutralité. Cet amalgame, cheval de bataille classique de porteurs d’intérêt divers, leur sert à décrédibiliser toute expertise contradictoire sous le prétexte qu’elle est exercée par des hommes et des femmes qui se réclament clairement de principes éthiques et philosophiques, bien évidemment subjectifs. Ces mêmes porteurs d’intérêt se targuent généralement de « neutralité » sous le prétexte qu’ils évitent toute référence à quelque principe que ce soit et prétendent délivrer une expertise « objective », alors que les principes et parfois les intérêts dont ils sont les porteurs sont simplement masqués.

Cette façon de renvoyer dos à dos l’expert au service d’un lobby (dont il dépend souvent) et celui qui reconnaît et affiche tout simplement les principes sur lesquels il s’appuie est évidemment manipulatoire. En effet, ce n’est pas au niveau de l’absence affichée d’attache éthique, politique ou philosophique que se joue l’indépendance de l’expertise – sous prétexte d’un principe supérieur d’objectivité –, mais bien vis-à-vis des organisations, des modes de pensée dominants, du conformisme, des entreprises, des enjeux de pouvoir et des intérêts financiers.

Elle se joue dans une déclinaison objective des principes affichés à chacun des sujets spécifiques abordés. C’est alors la cohérence de l’analyse qui devient l’élément central de crédibilité de l’expertise – cohérence interne au projet analysé, et cohérence globale avec les autres analyses produites par l’expert ou le groupe d’experts concernés. Il faut alors résister à la tentation d’un discours de pure conviction pour privilégier un raisonnement objectif à partir de ces principes subjectifs. Chaque problème mérite non une réponse toute faite fondée sur des convictions préétablies, mais sur une analyse spécifique, sans « petits arrangements » dictés par l’intuition ou les convictions, les amitiés et les inimitiés.

Une volonté aussi de rendre accessible au plus grand nombre les éléments factuels du débat, souvent masqués par les porteurs d’intérêt sous le prétexte que les questions sont « bien trop complexes » pour le commun des mortels. Notre conviction est en effet qu’un groupe de citoyens correctement informés (ce qui implique de leur part un réel effort de formation et d’acquisition de connaissances) est capable d’apporter au débat public une valeur ajoutée irremplaçable, indépendante des diverses factions en présence, avec un contenu de propositions de terrain individuelles et collectives réalistes.

C’est ce que nous avons pu observer avec la « conférence de citoyens » sur l’effet de serre organisée en 2002 par la Commission du développement durable sous la présidence de Jacques Testart. La largeur de vue, l’équilibre des propos, la clarté des conclusions, le réalisme des propositions du groupe ont amplement confirmé l’intuition initiale des organisateurs de cet exercice.

Dans le contexte actuel, où les questions de conflit d’intérêts envahissent la vie publique, le problème de l’indépendance, aussi bien des médias que de la communauté scientifique ou de la justice, mérite une attention particulière. L’apport d’une expertise indépendante – au sens et avec les limites que nous lui avons donnés plus haut –, nous paraît un élément important pour lutter contre la lassitude et le dégoût qui atteignent bien souvent le citoyen devant la collusion que révèlent ces affaires.

Benjamin Dessus est président de l’association Global Chance.

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