Pour une sortie verte de la crise de la zone euro

, par   Laurence Tubiana

L’adoption par les chefs d’Etats européens d’un plan de relance de 120 milliards d’euros soulève la question du contenu de cette relance : son objectif devra être de poser les bases solides d’une prospérité durable, en répondant par l’innovation aux grands défis du XXIe siècle, en particulier la raréfaction des ressources naturelles et le changement climatique. Sans une forte composante énergétique et écologique dans le plan de soutien à la croissance, il n’y aura en effet pas de sortie de crise durable pour la zone euro.

Laurence Tubiana et Nicholas Stern, LeMonde.fr, vendredi 29 juin 2012

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pour une sortie verte de la crise de la zone euro

Le consensus qui a enfin émergé, au cours de ce sommet européen, pour soutenir la croissance au niveau européen est une bonne nouvelle. Il faut saluer l’engagement des chefs d’Etats européens qui, sous l’impulsion de François Hollande, se sont mis d’accord sur un plan de relance de 120 milliards d’euros, soit 1 % du PIB européen. La question ouverte aujourd’hui – et très peu débattue – est le contenu de cette relance. Or son contenu sera déterminant pour son succès en termes d’emplois et de compétitivité de l’appareil productif européen.

Pour être efficace, le plan de soutien à la croissance européenne doit être un plan crédible. Un plan qui ne repose donc plus sur les bases fragiles qui ont conduit à la crise de la zone euro, en corrigeant notamment ses déséquilibres internes. Un plan qui pose au contraire les bases solides d’une prospérité durable, en répondant par l’innovation aux grands défis du XXIe siècle, en particulier la raréfaction des ressources naturelles et le changement climatique. Pour cette raison, les investissements dans la transition énergétique et la transformation écologique doivent être une composante essentielle du plan de soutien à la croissance européenne. Trois raisons a cela :

L’échelle de ces investissements et leur impact sur la croissance. Par année, le coût additionnel d’investissement pour la transition énergétique s’élèverait au total à environ 2 % du PIB (dont 0,8 % pour décarboner l’offre énergétique, 1,2 % pour réaliser des économies d’énergie). Au total, et contrairement a beaucoup d’idées reçues les investissements dans l’efficacité énergétique des bâtiments, dans les énergies renouvelables, dans la construction des réseaux de transport et d’électricité... ont donc la taille nécessaire pour avoir un impact sur la croissance. Ils couvrent tous les secteurs et sont de nature à transformer les structures de secteurs économiques et donc être une source de gains de productivité : ce dont l’économie européenne a le plus grand besoin.

La deuxième raison est la crédibilité de ce choix car c’est un pari raisonnable. A long terme la recherche d’une utilisation efficace des ressources naturelles et la transition vers une économie sobre en carbone sont – en dehors de scénarios catastrophe – inévitables. Les marchés de cette révolution technologique vont donc croître. Et il serait dommage de laisser ces marchés a nos concurrents par exemple chinois.

La troisième raison c’est que le déploiement de cette transition dépend de l’action publique et des politiques mises en œuvre. Cela donne un pouvoir considérable à la puissance publique pour inciter les investissements privés et avoir un effet de levier. En réduisant le risque politique et en accroissant la crédibilité des signaux donnés aux marchés, les Etats se donnent de grandes chances de réussir car les liquidités ne manquent pas mais l’appétence pour le risque est très faible. Moyennant les corrections de ces défaillances de marché, ces investissements sont rentables. Entre 2010–2050, le coût d’investissement additionnel s’élèverait à 260 milliards d’euros environ (dont 110 milliards pour décarboner l’offre énergétique, et 150 milliards pour réaliser des économies d’énergie). Sur cette période, ces coûts d’investissement seraient plus que compensés par la baisse des dépenses énergétiques : 315 milliards de dépenses évitées au total, soit un gain net de 55 milliards.

Les instruments financiers pour soutenir ces investissements sont aujourd’hui bien identifiés. Tous n’impliquent pas une dépense publique, même s’il est important de rappeler qu’il y a une logique à s’endetter pour réaliser des investissements productifs, y compris – voire surtout – en période de crise. Ces instruments pourraient être mobilisés différemment en fonction des secteurs : prêts bonifiés de la Banque européenne d’investissement (BEI) aux banques commerciales pour l’efficacité énergétique dans les bâtiments ; émissions de project bonds et utilisation des fonds structurels pour la construction d’infrastructures énergétiques et de transport vertes ; garanties d’Etat pour les émissions d’obligations sur le marché secondaire pour les énergies renouvelables...

Le détail de ces différents instruments reste à préciser. La clé sera la mise en place de plan de refinancement des Etats, notamment par la fiscalité. Mais les prochaines étapes devront clairement montrer que, sans une forte composante énergétique et écologique dans le plan de soutien à la croissance, il n’y aura pas de sortie de crise durable pour la zone euro.

Laurence Tubiana, directrice de l’Iddri et professeur à Sciences Po
Nicholas Stern, London School of Economics

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