Vers une nouvelle génération d’instruments de régulation pour un développement énergétique durable

, par   Samir Allal

Samir Allal et Nidhal Ouerfelli (1)

Liaison Énergie Francophonie, n°74, premier trimestre 2007, p. 28-30

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La volonté affichée des pays du Sud de développer l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables pour desserrer les contraintes énergétiques et favoriser le développement invite à s’interroger sur la qualité du fonctionnement du dispositif d’aide à la décision mis en œuvre et tout particulièrement sur l’efficacité comparée des instruments d’incitation qui peuvent être utilisés en vue d’atteindre ces objectifs. Force est de constater qu’une grande variété de mécanismes de soutien à l’énergie durable (efficacité énergétique et énergies renouvelables) voit le jour depuis une vingtaine d’années.

Un instrument de soutien est un moyen d’action choisi par les décideurs politiques devant permettre de modifier le comportement des acteurs concernés de façon à atteindre l’objectif poursuivi. Deux distinctions sont alors à faire. La première consiste à distinguer les instruments directs de ceux indirects (les instruments directs visent à internaliser les externalités positives de l’énergie durable, alors que les instruments indirects concernent l’internalisation des externalités négatives des autres formes d’énergie). La seconde consiste à classer en quatre catégories les instruments de politique énergétique selon la nature de l’intervention de l’autorité publique : les instruments réglementaires, les instruments basés sur le volontariat, les instruments économiques et les instruments participatifs.

Vers une nouvelle génération d’instruments de régulation de l’énergie durable

Les caractéristiques des problèmes énergétiques et environnementaux sont irrémédiablement entachées de conflits et laissent place à une pluralité irréductible de points de vue, et donc de systèmes de valeurs émanant d’individus ou de groupes d’intérêts divers. Force est de constater que les mesures préconisées pour lutter contre les risques liés au développement énergétique imposent des contraintes à court terme (coûts économiques ou modification des modes de vie) alors que les bénéfices se feront sentir dans le long terme. La mise en œuvre de telles mesures exige des « sacrifices immédiats » à divers groupes d’acteurs. Une manière d’envisager l’acceptabilité de tels sacrifices serait de s’assurer de la participation des acteurs concernés au processus décisionnel ; celle-ci devrait positivement contribuer à faire prendre conscience aux acteurs des bénéfices associés à leurs sacrifices, même si ces derniers sont différés dans le temps.

Les processus décisionnels en matière de développement énergétique durable doivent permettre d’articuler différents jugements de valeurs et de logiques différentes qui ne sont pas toujours réconciliables. Ce constat indique le besoin de mise en place de processus participatifs multiacteurs pour la gouvernance dans le domaine de politique énergétique durable. S’ils s’inscrivent dans un processus large et dynamique de gouvernance, de tels arrangements discursifs peuvent favoriser la construction collective et rationnelle de normes sociales, ainsi que l’élaboration de politiques de développement énergétique durable. La délibération entre acteurs est non seulement possible, mais elle est aussi toujours susceptible d’améliorations. Le développement énergétique durable fournit donc un domaine conceptuel et pratique unique pour la mise en place de nouvelles formes de gouvernance participative, car les besoins et les possibilités du développement énergétique durable ne peuvent être identifiés et réalisés que par les acteurs eux-mêmes.

Les négociations environnementales et réglementaires, la médiation, les groupes consultatifs, les ateliers multi-acteurs, les interfaces experts/ décideurs, les forums de réflexion, la prospective énergétique participative sont autant d’exemples d’approches participatives de plus en plus utilisées dans le champ de la prise de décision en matière d’énergie. On assiste, actuellement, à une évolution des instruments de régulation de développement énergétique durable reposant sur des processus de dialogue « multi-stakeholders ». Après les instruments de régulation directe, les instruments économiques se sont développés et, aujourd’hui, on assiste à l’émergence de la troisième génération d’instruments de régulation, que l’on peut qualifier de participatifs.

Les apports des approches participatives sur le processus décisionnel dans le domaine de l’énergie

Les approches participatives peuvent vraisemblablement avoir des effets sur la qualité des résultats de la décision en matière énergétique. Ces effets sont les plus discutés, dans la mesure où un processus décisionnel énergétique sera d’abord jugé par ses « résultats » en termes de réponse aux besoins énergétiques et leur compatibilité avec le développement durable. La qualité substantive peut être évaluée selon plusieurs critères. Ainsi, une approche décisionnelle participative peut améliorer la qualité substantive des décisions en permettant des choix plus avantageux du point de vue environnemental et du point de vue économique, qui soient techniquement plus judicieux et socialement plus acceptables que les choix qui émergeraient de processus décisionnels non participatifs, de type topdown par exemple.

Du point de vue environnemental

La participation d’acteurs différents peut permettre de sortir du cercle restreint de l’expertise et d’intégrer de ce fait au processus une expertise pluraliste, qui prenne en compte des dimensions parfois négligées par l’expertise traditionnelle et qui mette en lumière d’éventuels effets pervers du point de vue environnemental (Funtowicz et Ravetz 1993 ; Callon 1998 ; Faucheux et O’Connor, 1999). La participation peut aider à dépasser les cadres d’analyse classiques et habituels, et en particulier à prendre en considération le long terme dans le domaine de l’énergie pour lequel le processus politique traditionnel est mal armé (S. Allal, 2006, LEF n° 71). Elle peut aussi favoriser une approche transversale, c’est-à-dire qui intègre à la réflexion tous les champs de politique énergétique concernés dans une perspective de développement durable.

Du point de vue économique

La démarche participative peut avoir également pour effet d’aboutir à des choix qui seront économiquement plus pertinents, c’est-à-dire des choix énergétiques se traduisant pour ceux qui les mettront en œuvre par des coûts économiques moindres. C’est un objectif fréquemment poursuivi par exemple par les accords volontaires, engagements pris par des entreprises ou des groupes d’entreprises, souvent suite à des négociations avec les autorités publiques et éventuellement d’autres acteurs.

Signalons par ailleurs que c’est également un objectif d’efficience économique qui est poursuivi par les recours aux mécanismes de marché en matière de politique d’efficacité énergétique. Ainsi, la mise en place de marchés de droits d’émissions tels que pour le SO2 aux États-Unis ou les « instruments de flexibilité » définis par le Protocole de Kyoto sur le changement climatique se fait au nom d’un objectif d’efficacité économique. Certains mécanismes de ce type ont une dimension participative lorsqu’ils font intervenir des acteurs autres que les décideurs politiques, en particulier les industriels, mais également des acteurs institutionnels ou de la société civile qui peuvent réguler ou opérer sur le marché. Le cas du Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) du Protocle de Kyoto fournit une illustration de l’ouverture participative des mécanismes de marché.

Du point de vue technologique

La participation de différents acteurs au processus décisionnel peut également améliorer la qualité des choix énergétiques qui en résultent du point de vue technologique. En effet, par rapport à un processus traditionnel, l’approche participative permet plus de flexibilité et d’innovation dans la façon dont est appréhendée la technologie. Par des processus ouverts, où peuvent s’exprimer les acteurs qui sont au fait des développements technologiques (notamment les industriels), on pourra, d’une part, éviter des décisions trop rigides qui gèlent le cadre technologique dans certaines voies privilégiées et, d’autre part, intégrer l’évolution technologique en temps réel dans le processus de prise de décision.

Dans ces exercices, « la spécificité des processus participatifs est de mettre en œuvre les mécanismes de dialogue dans la recherche collective pour des futurs originaux (parfois inattendus) et pour définir, soit le domaine des choix acceptables, soit (lorsque cela est possible) les choix faisant l’objet d’un consensus fondé sur le respect des divergences de critères et de besoin de coexistence » (Faucheux et alii., 2005).

Motiver davantage les différents acteurs

Une approche participative et une plus grande transparence dans les processus de décision en matière de choix énergétiques ne peuvent qu’augmenter la crédibilité de ces choix aux yeux des différents acteurs, voire du grand public. Cette démarche et la crédibilité des processus sont importantes pour au moins deux raisons. D’une part, en l’absence de ces dimensions, et dans l’hypothèse où le résultat de la prise de décision leur est défavorable, les acteurs ne peuvent pas savoir si leurs intérêts ont réellement été pris en compte. Ils percevront alors le processus et son résultat comme peu équitables et donc peu légitimes (Stiglitz 1999). D’autre part, la participation, la transparence et la crédibilité apparaissent de plus en plus comme nécessaires pour motiver les acteurs à mettre en œuvre les résultats de la décision en faveur de choix énergétiques durables (Faucheux et alii., 2001).

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(1) Titulaire d’un Doctorat en économie de l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Nidhal Ouerfelli est Ingénieur chercheur et responsable pédagogique du Master « Économie et Politique de l’Énergie et de l’Environnement » au sein de l’Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires (INSTN / CEA Saclay).

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