Vers un nucléogate français ?

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Des normes techniques non respectées sur des matériels critiques pour la sûreté, des certificats falsifiés en masse pour obtenir le feu vert des autorités, et ce dans des entreprises quasi-nationalisées et sous l’égide de l’élite des grands corps techniques français, le tout, semble-t-il, dans la plus totale impunité des dirigeants responsables : alors que la conformité de la cuve de l’EPR de Flamanville est gravement hypothéquée par des malfaçons et que la moitié du parc nucléaire français se trouve en situation de sûreté nucléaire dégradée, avec en particulier 18 réacteurs désormais concernés par les rebondissements récents de l’affaire des défauts de fabrication et contraints de ce fait à l’arrêt à l’approche de l’hiver, le « nucléogate » qui s’annonce à de quoi faire réfléchir nos concitoyens sur les faiblesses de notre démocratie face au lobby nucléaire...


Sur cette page :
Benjamin Dessus et Bernard Laponche : Vers un nucléogate français ? (tribune)
Bernard Laponche : Nos centrales nucléaires sont-elles sûres ? (interview)
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VERS UN NUCLÉOGATE FRANÇAIS ?

Benjamin Dessus et Bernard Laponche, AlterEcoPlus.fr, mardi 25 octobre 2016

Les dernières semaines ont été fertiles en découvertes sur l’état réel du parc nucléaire français.

On savait déjà que la cuve du réacteur EPR de Flamanville présentait des défauts susceptibles d’en interdire l’emploi : des concentrations trop élevées de carbone dans le couvercle et le fond de cuve qui, fragilisant l’acier, risquaient de conduire à la rupture de la cuve en cas de choc thermique. Cette question évidemment cruciale pour l’avenir de l’EPR de Flamanville est en cours d’instruction par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) qui rendra son diagnostic et ses prescriptions en mars prochain.

18 réacteurs défectueux

Mais ces dernières semaines, on a également appris que ce défaut de fabrication touchait aussi 18 des réacteurs actuellement en service, au niveau de la cuve ou des générateurs de vapeur. L’ASN a donc demandé l’arrêt provisoire de ces réacteurs afin de faire un diagnostic de la gravité de la situation et signifié l’interdiction du redémarrage du générateur de vapeur d’un des réacteurs de Fessenheim. En cause, la forge du Creusot, propriété d’Areva, mais aussi une entreprise japonaise qui pourrait ne pas avoir envoyé en France ses meilleurs produits.

Une situation catastrophique

C’est évidemment une catastrophe sur plusieurs plans. D’abord, près d’un tiers du parc nucléaire se retrouve à l’arrêt à l’approche de l’hiver, soit plus de 20 % de la capacité totale de production française. C’est un véritable casse-tête pour EDF. Il n’est pas la peine d’aller chercher plus loin la décision du gouvernement de renoncer à son engagement solennel d’établir un prix plancher du CO2 applicable aux centrales à charbon. Ce serait évidemment pénalisant pour l’entreprise nationale déjà bien fragilisée sur le plan financier qui a en toute hâte remis en route les centrales à charbon qu’elle possède encore.

Ensuite, cette découverte de défauts sur des matériels aussi importants que les cuves, les générateurs de vapeur ou les pressuriseurs est d’autant plus grave que ces défauts sont formellement exclus des hypothèses des différents scénarios accidentels. Ces matériels sont en effet censés obéir à un principe « d’exclusion de rupture ». La découverte de ces défauts de fabrication remet donc en cause l’architecture et la philosophie même des calculs qui conduisent à l’affichage de probabilités d’accidents graves ou majeurs. Que veulent dire en effet ces calculs si l’on découvre des défauts graves et irréparables sur les matériels les plus critiques et censés être parfaits ?

Mais il y a encore plus grave. L’ASN, inquiète de cette avalanche de découvertes a diligenté une enquête à Areva pour vérifier la conformité de centaines de pièces avec les spécifications demandées. Et là, nouvelle surprise, la découverte de plusieurs centaines de « dossiers barrés » dans lesquels Areva pourrait avoir tranquillement falsifié les certificats de conformité requis. Une pratique semble-t-il courante dont on a bien du mal à imaginer qu’elle provienne d’une initiative isolée.

L’inimaginable s’est produit

Anomalies et falsifications sur des matériels supposés parfaits : tout y est. Comme le disait en 2011 Jacques Repussard, alors directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), « Il faut imaginer l’inimaginable ». Avec la moitié du parc nucléaire français en situation de sûreté nucléaire dégradée, nous y sommes et c’est très grave.

Avant ces « découvertes », le président de l’autorité de sûreté nucléaire déclarait : « Un accident nucléaire majeur ne peut être exclu nulle part ». Dans la situation actuelle, il est de moins en moins exclu en France.

Le parallèle avec le dieselgate allemand saute aux yeux. Des normes techniques non respectées sur des matériels critiques pour la sûreté, des certificats falsifiés en masse pour obtenir le feu vert des autorités, tout y est, mais avec en plus un élément déterminant : ce n’est pas comme en Allemagne sous la direction d’un patron dictatorial de multinationale que ce « nucléogate » se produit, c’est bien dans des entreprises quasi-nationalisées et sous l’égide de l’élite des grands corps techniques français qui se targuent de leur dévouement au pays et de leur honnêteté. Et ceci, semble-t-il, dans la plus totale impunité des dirigeants responsables.

De quoi faire réfléchir nos concitoyens sur les limites de notre démocratie…

Benjamin Dessus et Bernard Laponche

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NOS CENTRALES NUCLÉAIRES SONT-ELLES SÛRES ?

Bernard Laponche (interview), France Culture, « La question du jour », vendredi 21 octobre 2016

Cette semaine, l’Autorité de Sûreté Nucléaire, qui assure la sécurité de nos centrales en France, a demandé à EDF l’arrêt rapide de 5 réacteurs, après avoir détecté des anomalies sérieuses sur 4 autres réacteurs déjà l’arrêt. Au total,18 réacteurs sont surveillés car des malfaçons ont été observées...

Une émission de Guillaume Erner.

Invité : Bernard Laponche, ancien ingénieur au CEA, physicien nucléaire, expert en politique énergétique, membre de l’association Global Chance.

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