Transition énergétique : l’exécutif doit respecter la loi

, par   Bernard Laponche

La réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité en France d’ici 2025, n’est pas seulement un engagement présidentiel mais un objectif fixé par la loi d’août 2015 sur la transition énergétique. En annonçant de façon intempestive que cet objectif n’est plus à l’ordre du jour, le gouvernement, bafouant le Parlement, se met donc “hors-la-loi” : en droit, l’annonce faite est nulle et non avenue. Et ce d’autant plus que l’exécutif habille ce renoncement politique d’arguments irrecevables au regard des risques et enjeux systémiques cruciaux auxquels est aujourd’hui confronté le secteur électrique français du fait de son hypertrophie nucléaire...

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Bernard Laponche : Transition énergétique : l’exécutif doit respecter la loi
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« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748.

« [...] Tout compte fait, sortir de l’atome ou y rester mobilisera donc des centaines de milliards d’euros. Les deux options sont-elles alors équivalentes ? « Dans les deux cas, il y faudra un investissement massif, dont le niveau est sans doute comparable, considère Yves Marignac, directeur de l’agence d’information sur le nucléaire Wise-Paris et administrateur de Global Chance. Mais l’investissement dans les renouvelables créera une rente, avec de très faibles coûts de fonctionnement et de remplacement, alors que le réinvestissement dans le nucléaire créera un fardeau, avec de lourdes charges de démantèlement et de gestion des déchets. » [...] »
Sortir du nucléaire ou y rester : un coût astronomique, Pierre Le Hir, LeMonde.fr, 3 avril 2017.

Pour creuser la question, se reporter à notre dossier :

Nucléaire : quand la facture explose...
Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc :
Le débat sur les coûts réels du nucléaire vu par Global Chance et ses membres


TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : L’EXÉCUTIF DOIT RESPECTER LA LOI

Bernard Laponche, Le Monde, mardi 21 novembre 2017


« Suite aux derniers atermoiements du gouvernement vis-à-vis du nucléaire, c’est avec plaisir que je vous recommande la lecture de cette tribune très éclairante de Bernard Laponche sur la dérive de notre démocratie et le peu de cas que fait l’Exécutif des lois votées par le Parlement. »

Benjamin Dessus, président d’honneur de Global Chance


En déclarant que l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité n’est plus à l’ordre du jour, l’exécutif se montre irresponsable, estime, dans une tribune au « Monde », le physicien Bernard Laponche.

Dans un État de droit, la plus élémentaire des exigences est le respect de la loi. La réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité en France, de 75 % environ aujourd’hui à 50 % en 2025, n’est pas seulement un engagement présidentiel mais un objectif fixé par la loi d’août 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte. Un changement de gouvernement n’efface pas la loi et aussi bien EDF que le gouvernement doivent s’y soumettre.

Lorsque ce gouvernement, par la voix du ministre responsable de la transition énergétique, déclare que cet objectif n’est plus à l’ordre du jour, cela revient à dire qu’il n’a pas l’intention de respecter la loi. Le dire ainsi eût soulevé un tollé général alors que l’annonce est présentée par la plupart des médias comme assez « naturelle ». Le Parlement est bafoué. En droit, l’annonce faite est nulle et non avenue. Et cela d’autant plus que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit être établie (article 49 de la loi) « afin d’atteindre les objectifs de la loi ».

Quel sens aurait alors la PPE en préparation si son contenu était déjà fixé par un non-respect de l’un de ses éléments les plus sensibles ? Et quel sens aurait le débat public prévu sur la PPE ? Cette déclaration intempestive est condamnable sur le plan du droit et assez lamentable sur celui des arguments utilisés pour justifier un tel renoncement. La lutte contre le réchauffement climatique a beau jeu. On néglige que ce sont les émissions totales de gaz à effet de serre (GES) qui sont visées pour se concentrer sur celles de la production d’électricité.

Accumulation des risques

Isoler ce secteur et en faire l’enjeu majeur de la politique climatique fausse totalement le débat : va-t-on respecter les objectifs sur les produits pétroliers, premiers émetteurs ? Le système nucléaire émet moins de CO2 que la combustion des fossiles mais plus que la production d’électricité d’origine renouvelable ; une centrale au gaz à cycle combiné émet trois fois moins de GES par kilowattheure produit que celle d’une centrale à charbon ; et le nucléaire produit des déchets radioactifs dangereux pour des centaines de millénaires…

Sans oublier les risques qui s’accumulent avec le vieillissement des réacteurs, la multiplication des incidents, la présence d’équipements vitaux non conformes et la crise financière des principaux opérateurs.

Dans l’exposé des motifs d’une telle déclaration, on ne parle que du « mix » électrique, c’est-à-dire de la répartition des moyens de production. Or, le premier facteur sur lequel on peut agir, et très rapidement, est la consommation d’électricité, dont près de 70 % se situent dans les bâtiments des secteurs résidentiel et tertiaire. Il y a là un potentiel d’économies considérable sur le chauffage électrique et plus encore sur les usages spécifiques de l’électricité (éclairage, électroménager, audiovisuel, informatique, électronique), à la fois par le biais des comportements d’usage et d’achat et par celui d’équipements plus efficaces.

Voilà un programme national innovant et intelligent qui allégerait la facture des ménages, créerait de nouvelles activités, moderniserait notre industrie et réduirait les contraintes sur le système électrique, avec des coûts du kWh économisé souvent nuls ou très faibles et, dans la grande majorité des cas, inférieurs au coût de production.

Marché de dupes

L’exportation d’électricité d’origine nucléaire a pour origine la surcapacité nucléaire par rapport à la consommation nationale. Elle rapporte peu et on garde chez nous les risques et les déchets radioactifs : marché de dupes. Elle représente annuellement la production de dix à douze réacteurs nucléaires que l’on pourrait arrêter sans que la consommation nationale en soit affectée.

Certes, il y a la question de la pointe hivernale, encore une spécialité française (la pointe française représente environ la moitié de la pointe européenne). Ce pic causé par le chauffage électrique provoque chaque hiver la mise en marche de toutes les centrales, tout en nécessitant l’importation d’électricité, essentiellement d’Allemagne : la France « importe » des émissions de CO2 (qui, évidemment, ne lui sont pas attribuées).

Ce phénomène est invoqué chaque automne pour justifier le maintien en fonction de toutes les centrales nucléaires. Faux argument : le nucléaire est fait pour fonctionner en base ; la solution, plutôt que de recourir aux importations, est de disposer d’un parc équilibré, avec une production, pour la pointe, tenant compte davantage des centrales à gaz à cycle combiné et d’énergies renouvelables.

Bref, il y a beaucoup de sujets à discuter dans la préparation de la programmation pluriannuelle de l’énergie, dans le respect de la loi.

Bernard Laponche est polytechnicien, docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires, ancien directeur général de l’AFME (aujourd’hui ADEME),...

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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