« Sur le climat, la France doit être plus ambitieuse »

, par   Laurence Tubiana

Alors que le gouvernement doit rendre public prochainement un plan interministériel pour le climat – un domaine dans lequel Emmanuel Macron affiche son volontarisme –, juste avant la tenue à Hambourg du G20 – qui rassemble les pays responsables des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre – la directrice de la Fondation européenne pour le climat et ancienne ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique Laurence Tubiana décrypte dans un interview accordé au quotidien La Croix les enjeux de ces deux rendez-vous majeurs.

Sur cette page :
Laurence Tubiana : « Sur le climat, la France doit être plus ambitieuse »
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

« SUR LE CLIMAT, LA FRANCE DOIT ÊTRE PLUS AMBITIEUSE »

Laurence Tubiana (interview), La Croix, mercredi 5 juillet 2017

Le gouvernement doit rendre public jeudi 6 juillet un plan interministériel pour le climat, un domaine dans lequel Emmanuel Macron affiche son volontarisme.

Laurence Tubiana est directrice de la Fondation européenne pour le climat, ancienne ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique. À deux jours du G20, elle décrypte les enjeux de ces deux rendez-vous majeurs.

Les 7 et 8 juillet, l’Allemagne accueille le G20 à Hambourg. Quel est l’enjeu pour le climat, un mois après l’annonce du retrait américain de l’accord de Paris ?

Habituellement, le G20 n’est pas la meilleure enceinte pour avancer sur le climat. Ces rencontres sont centrées sur les questions macroéconomiques, et l’environnement n’est pas la priorité. Cependant, cette année, le contexte est très particulier. Il s’agit en effet de la première rencontre à ce niveau depuis l’élection de Donald Trump. Les chefs d’État des 20 plus grandes puissances mondiales vont débattre de sujets globaux, dont bien sûr le climat.

C’est aussi là que va se dessiner la stratégie américaine ; car au G7, en Italie, le retrait de l’accord de Paris n’avait pas encore été annoncé. Ainsi, ce G20 – qui rassemble les pays responsables des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre – enverra un signal politique majeur pour la suite.

Quelles sont les options ?

Tout l’enjeu est de savoir si les États-Unis vont entraîner derrière eux d’autres pays ou si la coalition des États moteurs sur le climat sera suffisamment solide pour maintenir l’ambition mondiale. Une chose est sûre : depuis la décision américaine du 1er juin, plusieurs pays affichent leur détermination à poursuivre leurs efforts – les pays de l’Europe et en particulier la France, l’Allemagne et l’Italie au G7, mais aussi la Chine, l’Inde, et de très nombreux autres États.

En un mois, de nombreuses ratifications sont aussi venues renforcer la portée de l’accord de Paris. Et certains pays, plutôt en retrait lors de la COP21, se montrent aujourd’hui volontaristes. C’est le cas de la Corée du Sud, sous l’impulsion de son nouveau président. Au G20, il faudra donc être attentifs à certains marqueurs : le jeu politique de Vladimir Poutine, prompt ou non à soutenir son homologue américain ; l’attitude de pays moins engagés comme l’Indonésie ou l’Arabie saoudite. Enfin, la position du Mexique et du Canada, dont les relations commerciales sont très étroites avec les États-Unis. En fonction de ces rapports de force, l’Allemagne pourra tenir une ligne ambitieuse ou bien sera contrainte au compromis.

Peut-on s’attendre à une initiative franco-allemande d’envergure ?

Oui. L’Allemagne fait du climat une priorité ; quant à la France, elle montre depuis l’élection d’Emmanuel Macron son souhait de prendre une part de leadership. À l’annonce de Donald Trump, le président français a tout de suite saisi la balle au bond, et c’est une très bonne chose. Il faut dire que la question du climat lui offre un formidable espace politique ! Il peut apporter une vision, nouer des échanges bilatéraux avec des pays comme la Chine, avec laquelle les relations commerciales sont par ailleurs délicates…

Certes, la France n’a pas le poids économique des États-Unis. Mais elle peut être un moteur important en Europe. Et le couple franco-allemand peut porter plusieurs initiatives : sur la transparence de l’empreinte carbone des entreprises et des investisseurs, les stratégies de décarbonation à long terme, un prix plancher du carbone, la coopération technologique, etc.

Pour peser, la France ne doit-elle pas – d’abord – être exemplaire sur le plan national ?

Si, bien sûr. Il y va de sa crédibilité. En 2020, l’Union européenne ira au-delà de l’objectif fixé il y a près de dix ans dans le « paquet climat énergie », soit la baisse de 20 % de ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. La France s’honorerait à faire de même, en allant plus loin que prévu en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables. On n’y est pas encore… Si elle veut assumer un rôle de leader, la France doit faire mieux et plus vite, être plus ambitieuse.

En prend-elle le chemin, selon vous ?

Attendons de connaître le contenu précis du plan climat. En tout cas, la trajectoire tracée par Nicolas Hulot d’une neutralité carbone en 2050 est bonne : si l’on en croit la feuille de route récemment dévoilée dans la presse, le ministre ambitionne d’aller au-delà des objectifs de la loi de transition énergétique (NDLR : diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre en 2050). On ne peut que s’en réjouir. Mais quels seront les arbitrages gouvernementaux ?

D’une manière générale, Nicolas Hulot doit tenir bon face aux pressions, en particulier lorsque la France se fixe des règles environnementales plus strictes que l’Union européenne. En effet, être exemplaire, c’est être mieux disant, dans le domaine agricole par exemple. La récente controverse sur les néonicotinoïdes illustre bien ces pressions, qui s’exercent au nom de la compétitivité économique.

Que préconisez-vous pour que notre pays soit à la hauteur du défi climatique ?

Comme je l’ai dit, la France doit accélérer dans les domaines clés de la performance énergétique et des renouvelables. Il me semble aussi crucial d’impulser une véritable transformation dans les transports. Quand le premier ministre indien s’engage à ce qu’en 2030, plus aucun véhicule diesel ou essence ne soit vendu en Inde, il montre l’exemple. Nous pourrions en faire autant ! Je rappelle que les marchés publics sont un moyen très efficace pour déployer des technologies propres. Enfin, favorisons le passage à l’agro-écologie, pourquoi pas en rémunérant les agriculteurs pour le stockage du CO2.

Propos recueillis par Marine Lamoureux


CE QUE DISENT LES TEXTES

Les objectifs de la loi de transition énergétique. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a défini en 2015 les cadres d’un « nouveau modèle énergétique français ». Elle a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 et de 75 % en 2050 par rapport à 1990. Elle prévoit la rénovation de 500 000 logements par an (dont au moins la moitié est occupée par des ménages modestes). Selon cette loi, la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale doit être portée à 32 % en 2030.

Accord de Paris. La conférence sur le climat de Paris de décembre 2015, dit « COP21 », a permis d’aboutir à un accord historique, signé par plus de 190 pays (152, dont la France, l’ont ratifié à ce jour). L’objectif est de stabiliser le réchauffement climatique « nettement en dessous » de 2 °C d’ici à 2100 par rapport à l’ère préindustrielle (période de référence 1861-1880).

(haut de page)

pour aller plus loin...
CHANGER DE PARADIGME | LES DOSSIERS DE GLOBAL-CHANCE.ORG

Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

Les Dossiers de Global-Chance.org

(haut de page)