Quatrième visite décennale des réacteurs de 900 MW : la tenue des cuves

, par   Bernard Laponche

Les cuves qui contiennent le cœur du réacteur sont l’un des rares équipements non remplaçables de nos centrales nucléaires vieillissantes : la durée de vie de ces installations est en conséquence directement liée à la justification de l’aptitude à l’emploi de leurs cuves respectives. En effet, celles-ci, bien que soumises à de fortes contraintes de fonctionnement (pression et de température du circuit primaire, irradiation neutronique) affectant leur résistance, n’en sont pas moins considérées comme « non-ruptibles » : leur rupture en pression n’est pas étudiée dans la démonstration de sûreté. En contrepartie, leur conception, leur fabrication, leur réception, leur installation et leur suivi en service doivent faire l’objet de dispositions de contrôle particulièrement exigeantes. C’est pourquoi la connaissance de l’état des cuves des réacteurs de 900 MW de puissance électrique du parc d’EDF lors de la quatrième visite décennale (VD4) qui va se dérouler à partir de 2019 est cruciale dans l’instruction menée par l’IRSN et les décisions de l’ASN qui en résulteront, en réponse à la demande d’EDF de poursuivre l’exploitation de ces réacteurs au delà de la VD4.

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QUATRIÈME VISITE DÉCENNALE DES RÉACTEURS DE 900 MW : LA TENUE DES CUVES

Bernard Laponche, Global Chance, note de travail, samedi 4 mai 2019


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Table des matières

Introduction
1. Documentation
2. Le vieillissement sous irradiation des cuves des réacteurs de 900 MW
3. Avis de l’IRSN sur la tenue des cuves
4. Avis de l’IRSN « Dossier cuve dans VD4 - Viroles de cœur » du 8 novembre 2018
Conclusion
Notes
Annexe 1 : rapport du GSIEN
Annexe 2 : texte de Bella Belbéoch


INTRODUCTION

Dans les 58 réacteurs (1) électronucléaires à uranium enrichi et eau sous pression (REP) en exploitation du parc français, la cuve contient l’ensemble des éléments combustibles (2) qui constituent le cœur du réacteur. Ce cœur est refroidi par l’eau du circuit primaire dont la pression est égale à 155 bars. Cette eau entre dans la cuve à une température de l’ordre de 290 °C et en ressort à environ 325 °C en évacuant l’énergie thermique produite dans le cœur. La cuve d’un réacteur à eau sous pression est donc soumise aux conditions de pression et de température du circuit primaire, ainsi qu’à l’irradiation neutronique engendrée par les réactions nucléaires qui se produisent dans le cœur. Cette irradiation concerne principalement les parties cylindriques (viroles) de la cuve situées au droit du cœur.

La cuve constitue une partie de la deuxième barrière de confinement des éléments radioactifs (la première est la gaine des assemblages combustibles et la troisième l’enceinte de confinement) et son rôle pour la sûreté de l’installation est primordial. Son intégrité doit être assurée et justifiée dans toutes les situations de fonctionnement du réacteur et pour toute la durée de son exploitation. La cuve est un composant considéré comme « non-ruptible », sa rupture en pression n’est pas étudiée dans la démonstration de sûreté et, en conséquence, sa conception, sa fabrication, sa réception et son suivi en service doivent faire l’objet de dispositions de contrôle particulièrement exigeantes.

Par comparaison aux autres équipements du circuit primaire (pressuriseur, générateurs de vapeur, pompes, tuyauteries primaires principales et annexes), la cuve a une fragilité particulière du fait du bombardement de sa paroi par des neutrons produits par les fissions dans le cœur du réacteur.

Contrairement à d’autres appareils du circuit primaire, comme les générateurs de vapeur ou les couvercles de cuve, le remplacement d’une cuve n’est pas une opération envisagée par EDF. La durée de vie de l’installation est en conséquence directement liée à la justification de l’aptitude à l’emploi de la cuve.

La connaissance de l’état des cuves des réacteurs de 900 MW de puissance électrique du parc d’EDF lors de la quatrième visite décennale (VD4) qui va se dérouler à partir de 2019 est donc cruciale dans l’instruction menée par l’IRSN et les décisions de l’ASN qui en résulteront, en réponse à la demande d’EDF de poursuivre l’exploitation de ces réacteurs au delà de la VD4.

L’objectif de cette note est de présenter de façon succincte et de commenter des extraits de quelques textes qui nous ont paru les plus significatifs parmi les nombreux documents de l’IRSN traitant des défauts éventuels de certaines des cuves de ces réacteurs ainsi que de l’augmentation de la fragilité de toutes ces cuves du fait de leur vieillissement.

Nota : les « viroles de cuve » constituent les parois cylindriques du corps de la cuve. Elles sont soudées entre elles ainsi qu‘aux parties supérieure (virole porte tubulure) et inférieure (calotte de fond de cuve).

1. DOCUMENTATION

1.1 Documents sur la recherche et les accidents

Plusieurs séries de documents ont été publiées par l’IRSN concernant la sûreté des réacteurs REP du parc nucléaire d’EDF en fonctionnement :

a) Sur la recherche :
• « R&D relative aux accidents graves dans les réacteurs à eau pressurisée : bilan et perspectives. IRSN-CEA », 2006.
• « État des recherches dans le domaine de la sûreté des réacteurs à eau sous pression », 2017.

b) Sur les accidents :
•« Accidents graves des réacteurs de production d’électricité », 2008.
• « Les accidents de fusion du cœur des réacteurs nucléaires de puissance - État des connaissances », 2013.

Dans ces documents, les accidents de perte du réfrigérant primaire étudiés sont :
• Les accidents de perte de réfrigérant primaire via une brèche à l’extérieur de l’enceinte de confinement, localisée sur un circuit connecté au circuit primaire et non isolé de celui-ci.
• Les accidents de rupture de tuyauterie du circuit secondaire.
• Les accidents de rupture de tubes de générateurs de vapeur.

Par contre, sous la dénomination « rupture de la cuve », seule la rupture ou plutôt le percement de la cuve par le corium résultant de la fusion du cœur est étudiée.

1.2 Documents d’information de l’IRSN sur les défauts et le vieillissement des cuves

a) Document « Développement des méthodes, études sur la sûreté et la sécurité des exploitations » :
Document « IRSN Rapport scientifique et technique 2006 » (3), Chapitre 4 : « 4.2 Le vieillissement sous irradiation des cuves de réacteurs nucléaires à eau sous pression ».

b) Note d’information IRSN du 24 septembre 2012 : « Intégrité des cuves des réacteurs nucléaires à eau sous pression – Cas des réacteurs français ».

c) Document IRSN « Les cuves des réacteurs nucléaires », dans la série « Faire avancer la sûreté nucléaire ».

d) L’avis de l’IRSN de mai 2010 sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW.

e) L’avis de l’IRSN de novembre 2018 « Dossier cuve dans VD4 – Viroles de cœur ».

1.3 Défauts en fabrication dans les viroles des cuves françaises

On note en particulier dans le troisième document en c) « Les cuves des réacteurs nucléaires » :

« Malgré une conception et une fabrication soignées, certains défauts ont pu néanmoins se produire en fabrication. Les principaux sont les défauts sous revêtement (DSR) et les défauts dus à l’hydrogène (DDH). Il existe aussi des défauts plus petits comme les décohésions intergranulaires dues au réchauffage (DIDR).

Les défauts sous revêtement (DSR) peuvent se produire lors du soudage du revêtement en acier inoxydable lorsque le conditionnement thermique appliqué n’est pas suffisant. Il s’agit de défauts plans perpendiculaires à la paroi interne de la cuve (voir page suivante), correspondant à une microfissuration de l’acier de la cuve. Ces défauts sont situés dans l’acier de la cuve juste sous le revêtement, principalement au niveau des tubulures. Seules certaines cuves bien identifiées sont affectées par ce type de défaut car, suite à leur découverte en 1979, le procédé de soudage a été amélioré ; plus aucun DSR n’a été observé sur les cuves fabriquées par la suite.

Concernant la zone de cœur, une trentaine de défauts de type DSR ont été répertoriés sur l’ensemble du parc, répartis sur huit cuves. La cuve du réacteur n° 1 de la centrale du Tricastin est la plus affectée avec une vingtaine de DSR et six cuves ne présentent qu’un seul DSR. Le plus grand défaut situé sur la cuve du réacteur du Tricastin mesure 11 mm, incertitude de mesure comprise. Ces défauts sont surveillés périodiquement en service par des contrôles spécifiques et aucune évolution n’a été constatée. Par ailleurs, leur absence de nocivité a fait l’objet d’analyses mécaniques de justification détaillées ».

Commentaire : Il serait très important de connaître réacteur par réacteur ceux dont les cuves, « bien identifiées », ont été affectées par ce type de défauts.

2. LE VIEILLISSEMENT SOUS IRRADIATION DES CUVES DES RÉACTEURS DE 900 MW

2.1 Position du problème

La figure 2 montre que les viroles C1 et C2 qui se situent au niveau du cœur du réacteur sont soumises à l’irradiation par l’émission à partir du cœur (siège des fissions et de la réaction en chaîne) de neutrons qui atteignent l’acier de la cuve.

La « fluence » est la quantité de neutrons d’une énergie supérieure à un certain seuil (4) reçue par unité de surface de la cuve au cours de la durée de fonctionnement considérée, mesurée en nombre de neutrons par cm2.

Ces neutrons entrent en collision avec les atomes de l’acier de la cuve et peuvent en modifier la position initiale sous l’effet du choc et créer des défauts ponctuels. Du fait de la température de la cuve en fonctionnement (environ 290°C), ces défauts vont se recombiner mais certains d’entre eux pourront se regrouper en configuration plus stable et créer des désordres dans le réseau cristallin de l’acier.

Cette irradiation par les neutrons conduit alors à une fragilisation de la cuve qui se manifeste par une augmentation de la température de transition qui sépare le comportement fragile de l’acier du comportement ductile (5).

La température de transition ductile-fragile de l’acier de la cuve est appelée RTNDT. La RTNDT initiale des viroles d’un cœur est estimée à partir d’essais sur des éprouvettes réalisées en cours de fabrication. Le décalage de la température de transition dû à l’irradiation dans le temps est évalué à partir de formules empiriques qui font intervenir la fluence et les teneurs des principaux éléments favorisant la fragilisation sous irradiation de l’acier de la cuve (phosphore, cuivre, nickel).

Pour obtenir la ténacité de la cuve, par exemple à la VD4, en tenant compte de la fragilisation en cours de fonctionnement, la méthode retenue consiste à ajouter à la RTNDT à l’état initial de la cuve le décalage de cette RTNDT lié à l’irradiation.

Nota : Pour des explications plus précises, voir le texte de Bella Belbéoch en Annexe 2.

2.2 Ce que dit l’IRSN

Référence : document cité en 1.2 a) concernant le vieillissement sous irradiation des cuves de réacteurs nucléaire à eau sous pression.

«  Conclusions
En considérant la fluence de 6,5.1019 neutrons/cm2 actuellement prévue à 40 ans d’exploitation, la RTNDT des zones les plus irradiées des cuves des réacteurs 900 MWe devrait être comprise, en fonction des cuves, entre 40 °C et 80 °C environ. Ces évaluations obtenues à l’aide des formules empiriques de fragilisation prévisionnelles montrent que la zone la plus affectée est, pour quelques cuves, la soudure de liaison entre les viroles.
Les études de mécanique de la rupture évoquées ci-avant mettent en évidence des coefficients de sécurité acceptables avec ces valeurs de RTNDT, sur l’ensemble des cuves des réacteurs de 900 MWe (6). Ces résultats favorables, obtenus selon des hypothèses qui apparaissent pénalisantes (défaut positionné au point le plus irradié de la cuve la plus fragile) sont cependant soumis à des sources d’incertitudes multiples liées à la complexité des paramètres thermo-hydrauliques des transitoires étudiés ou à la complexité des phénomènes métallurgiques intervenant dans la fragilisation sous irradiation des grosses pièces forgées de cuve.
Les très importants travaux menés par EDF ont permis de réduire ces incertitudes en ce qui concerne la fragilisation des matériaux sous irradiation. Des travaux restent néanmoins à mener, en particulier dans le cas où EDF souhaiterait prolonger l’exploitation de tout ou d’une partie des tranches de 900 MWe au-delà de 40 ans. Ces travaux devraient viser, d’une part, à préciser le caractère sûr des formules de prévision de la fragilisation pour les fluences élevées, d’autre part, à évaluer certaines marges éventuellement existantes, mais non explicitées à ce jour, tant sous l’aspect neutronique (effet des gestions optimisées) que sous l’aspect de l’évaluation des effets de la fragilisation sur le comportement mécanique des cuves
 ».

2.3 Commentaire :

Ce texte est inquiétant car il confirme le haut degré d’une part de variabilité des propriétés selon la cuve concernée et, d’autre part du degré d’incertitude des résultats présentés par EDF, tant sur les calculs neutroniques que sur les mesures permettant de donner des valeurs fiables à la fluence d’une part et à ses conséquences sur la température de transition qui sépare le comportement fragile de l’acier de son comportement ductile.

D’autre part, on constate qu’il existe une grande différence entre les réacteurs concernés puisque cette température devrait être comprise, en fonction des cuves entre 40 °C et 80 °C.

Il serait à notre avis nécessaire que l’IRSN indique la valeur qui est considérée actuellement pour chaque réacteur ainsi que celle d’origine : on ne peut pas en effet considérer que cette question puisse être traitée globalement au niveau du palier 900 MW.

Enfin, il est difficile d’admettre que des valeurs aussi élevées de la température de transition ne puissent être atteintes en cours de fonctionnement, ne serait-ce que par l’adjonction, du fait d’une erreur ou d’une obligation liée à la sûreté en fonctionnement, d’eau froide à l’intérieur du réacteur (7). Faudrait-il alors prendre en compte la possibilité que la température de préchauffage de l’eau de l’injection de sécurité soit portée, selon les réacteurs, entre 40°C et 80°C, ce qui ouvrirait la porte à des risques importants, que ce soit du fait d’une erreur au niveau de l’exploitation ou d’une impossibilité en situation incidentelle ou accidentelle ?

3. AVIS DE L’IRSN SUR LA TENUE DES CUVES

3.1 Avis de l’IRSN de mai 2010 (8) sur la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW :

En réponse aux demandes de la section permanente nucléaire de décembre 2005 – Volet mécanique, l’IRSN conclut :

« L’IRSN en conclut qu’à VD3 (9) + 5 ans, le risque de rupture brutale n’est pas exclu pour les cuves des réacteurs de Dampierre 4, Cruas 1, Cruas 2, Saint-Laurent B1 et Chinon B2 en cas de situations incidentelles et accidentelles (transitoires de petite brèche primaire 2’’ et 3’’ (10), RTE (11) et accident de perte de réfrigérant primaire). Les marges à la rupture sont également insuffisantes à VD3 + 5 ans pour les cuves de Saint-Laurent B1 et de Bugey 5 qui sont affectées de défauts ».

3.2 Position de l’ASN

La question a été examinée par le Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaire (Séances des 16 et 30 juin 2010 - Synthèse du rapport - Tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW après leur troisième visite décennale).

La conclusion du rapporteur est la suivante :
« Au vu de ces résultats complémentaires, le rapporteur considère qu’EDF a transmis des éléments de justification suffisants pour démontrer la tenue en service de l’ensemble des cuves des réacteurs de 900 MW pendant l’intégralité de la période décennale suivant les VD3, sous réserve de la fourniture d’un nouveau dossier prenant en compte les recommandations proposées et de la mise en œuvre de dispositions permettant le réchauffage de l’IS (12) à 20°C sur certains réacteurs.
Dans ce cadre, le rapporteur note qu’EDF s’est engagé à compléter sa démonstration en quantifiant notamment les incertitudes liées aux codes de calculs, dont les résultats devront être transmis à l’ASN
 ».

Cette question reste cependant centrale dans le débat sur le prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs des centrales nucléaires.
Sept réacteurs seraient donc concernés à mi parcours entre VD3 et VD4. Qu’en est-il pour les autres qui vont atteindre la VD4 et présentent probablement des défauts de type DSR (cf 1.3) ?

Commentaire :
Sur la question de la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW, avant les avis de l’IRSN et du rapporteur, l’ASN avait adressé une demande à EDF (13) :
Demande n°18 : L’ASN vous demande d’élaborer un programme de fourniture de données relatives à la fluence des cuves des réacteurs de 900 MWe permettant de garantir le caractère enveloppe de la fluence prise en compte à la conception jusqu’à l’échéance des VD4.

3.3 Commentaires du GSIEN

Les experts du GSIEN et leurs collègues ont effectué de nombreux travaux sur la question de la tenue des cuves des réacteurs. On citera en particulier :

a) Le « Rapport sur la visite décennale n°3 du réacteur 2 du CNPE de Fessenheim », expertise réalisée à la demande de la CLIS de Fessenheim (14), présenté en Annexe 1.

« La tenue de la cuve en conditions pénalisantes, notamment accidentelles, relève de nombreux paramètres. Or, sur la plupart de ces paramètres, dont la caractérisation des matériaux (RTNDT et défauts éventuels préexistants) ou les sollicitations (transitoires) on se heurte non seulement à des incertitudes difficiles à quantifier mais à des manques de connaissances. Il est alors difficile de parler de marges et de leur faire confiance ».

Ce rapport sur la troisième visite décennale de Fessenheim 2 nous apprend également que la cuve de Fessenheim 2 présente 5 défauts notables dont 1 a évolué entre le VD2 et la VD3, et un second sur la virole B examinée pour la première fois.

b) L’article de Bella Belbéoch : « La robustesse des cuves est-elle assurée en cas d’accident grave ? » (15), présenté en Annexe 2.

4. AVIS DE L’IRSN « DOSSIER CUVE DANS VD4 - VIROLES DE CŒUR » (16) DU 8 NOVEMBRE 2018

Dans le cadre des VD4 des réacteurs de 900 MW, l’ASN a demandé l’avis de l’IRSN sur le dossier envoyé par EDF de justification de la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MW.

L’IRSN présente ainsi l’évaluation de ce dossier qu’il a effectuée :
« L’évaluation de l’IRSN a porté sur la démarche d’analyse du risque de rupture brutale des viroles de cuve des réacteurs de 900 MWe pour un fonctionnement jusqu’à 10 ans après leur VD4. Néanmoins, un certain nombre d’éléments n’étaient pas disponibles et n’ont pas pu être examinés, notamment la définition des chargements thermomécaniques. Aussi, le présent avis de l’IRSN fera l’objet d’un complément ultérieur.
Le risque de rupture brutale découle de la présence conjointe de trois facteurs : la présence d’un défaut de type fissure, un matériau insuffisamment tenace et un chargement thermomécanique relativement important. L’analyse du risque de rupture brutale des viroles de cœur des réacteurs de 900 MW comporte donc les étapes suivantes : la détermination des dimensions de défaut à étudier, l’évaluation des caractéristiques des matériaux en prenant en compte la fragilisation des viroles de cœur sous l’effet de la fluence neutronique projetée à 10 ans après la VD4, l’évaluation des chargements susceptibles d’amorcer le défaut dans toutes les situations de fonctionnement, normales et accidentelles, et enfin l’application de la démarche d’analyse du risque de rupture brutale. Cette dernière consiste en la détermination du facteur d’intensité de contrainte et en la comparaison de ce dernier avec la ténacité du matériau à l’état vieilli
 ».

4.1 Défauts considérés dans les viroles de cœur

Un contrôle non destructif est réalisé par EDF à chaque visite décennale. L’IRSN signale que quelques différences en nombre et en dimensions de défauts sont observées entre le présent dossier et le précédent. EDF considère que ces évolutions sont dues au changement de procédé de contrôle et non à une propagation de défauts en service.

L’IRSN note qu’EDF réalisera à nouveau les contrôles sur toutes les viroles de cœur de 900 MW lors des arrêts pour la VD4.

Commentaire : Donc on ne peut rien en dire actuellement et on peut espérer que ces contrôles seront effectués cette-fois là avec la même méthode…

4.2 Caractéristiques des matériaux des viroles de cœur soumis au vieillissement sous irradiation

a) Évaluation de la fluence (neutrons reçus par cm2) par EDF : calculs neutroniques plus surveillance de l’irradiation par éprouvettes (17), Programme de surveillance de l’irradiation (PSI).

Dans le cadre du PSI, EDF a exclu certaines données jugées atypiques.

L’IRSN est défavorable, dans le principe, à la démarche d’EDF consistant à exclure des données du fait de leur caractère atypique, attribué à un effet de prélèvement, sans analyse approfondie. Pour l’IRSN, EDF doit en effet s’interroger sur l’origine des anomalies constatées et proposer une manière de traiter les données atypiques afin de les maintenir au sein de la base de données du PSI. L’IRSN estime que la démarche d’exclusion de résultats provenant du PSI doit être rigoureusement encadrée. Aussi, l’IRSN formule la recommandation n°1 :

« L’IRSN recommande que l’exclusion de résultats expérimentaux du programme de surveillance de l’irradiation (PSI) soit encadrée par :
• l’identification exhaustive des phénomènes métallurgiques pouvant dégrader l’indicateur de la fragilisation par l’irradiation déterminé expérimentalement ;
• la définition de seuils portant sur les paramètres observables associés à ces phénomènes et permettant de statuer sur la conservation ou l’exclusion de résultats dégradés
 ».

Pour les projections au delà de la VD4, EDF propose des grappes de hafnium (18) neutrophages en périphérie du cœur au droit des points chauds.

L’IRSN estime que, même en l’absence de ces grappes, les cuves du palier 900 MW ne devraient pas dépasser, dix ans après les VD4, l’indicateur historique de fluence maximale de 6,5.1019 neutrons par cm2.

Notons que le GSIEN est très sceptique sur cette évaluation de la fluence par EDF.

b) Propriétés mécaniques pour le métal de base en présence de veines sombres (19)

Veines sombres : hétérogénéités chimiques à caractère discontinu dont la présence est constatée dans les gros lingots de forge.

Programmes expérimentaux réalisés par EDF, à compléter.

4.3 Sollicitations retenues dans les analyses thermomécaniques

Tous les transitoires thermo-hydrauliques considérés dans le dossier d’EDF sont issus du référentiel des troisièmes réexamens décennaux.

L’IRSN ne peut pas statuer sur toutes les questions posées par l’ASN relatives au volet thermo-hydraulique. L’expertise correspondante sera poursuivie en 2019.

Dans l’attente des études d’EDF, l’IRSN réserve sa position quant à la démarche de prise en compte des contraintes résiduelles dans les joints soudés de cuve revêtus.

4.4 Démarche d’analyse du risque de rupture brutale des viroles du cœur

Il s’agit d’estimer la fréquence d’occurrence de petites brèches primaires.

L’IRSN considère que, dans un contexte de vieillissement du parc en exploitation, la démarche d’EDF qui aboutit à relâcher le niveau de confiance associé aux études mécaniques n’est pas opportune.

En conséquence, l’IRSN formule la recommandation n°2 :
« Dans le cadre de la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs de 900 MWe, l’IRSN recommande qu’EDF maintienne l’application des coefficients de sécurité utilisés depuis la conception, dans le dossier des situations et dans le dossier de justification de tenue des cuves, pour les transitoires de brèches jusqu’à 6 pouces (20). En outre, l’IRSN recommande que les transitoires correspondants soient maintenus en troisième catégorie  ».
Pour ce qui concerne l’analyse du risque de rupture brutale, EDF s’est engagé à apporter des compléments de justification concernant l’absence de risque de rupture brutale associé au défaut cumulé de la cuve du réacteur n°1 de Tricastin, dont le facteur de marge associé est le plus faible.

Commentaire : Ces compléments ont-ils été fournis alors que commence la VD4 de Tricastin 1 ?


Encadré : Les situations et leurs catégories

Le constructeur d’un appareil établit un catalogue regroupant les situations auxquelles l’appareil pourra être soumis durant son exploitation. Il s’agit de transitoires durant lesquels la température et/ou la pression auxquelles est soumis l’appareil va évoluer plus ou moins rapidement.

Ces situations sont réparties en 4 catégories selon leur probabilité d’occurrence. Ces catégories ont été définies par l’arrêté du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de l’exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression (*) :
« e) Situations de deuxième catégorie : situations dans lesquelles peut se trouver l’appareil au cours du fonctionnement normal, c’est-à-dire tant en marche continue que pendant les régimes transitoires et les incidents courants de fonctionnement ;
f) Situations de troisième catégorie : situations exceptionnelles dans lesquelles peut se trouver l’appareil dans des circonstances accidentelles très peu fréquentes mais dont l’éventualité doit être envisagée ;
g) Situations de quatrième catégorie : situations qui apparaîtraient dans des circonstances accidentelles hautement improbables dont les conséquences sur la sécurité de l’appareil sont cependant étudiées
 ».

L’arrêté ne définit pas les situations de première catégorie.

(*) Arrêté du 10 novembre 1999 relatif à la surveillance de l’exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression


4.5 La conclusion de l’IRSN est sévère :

«  Quant aux résultats obtenus par EDF, l’IRSN n’est pas, à ce jour, en mesure de statuer sur la conclusion présentée . En effet, plusieurs éléments ayant un impact potentiellement significatif sur ces résultats ne sont pas disponibles au stade de la présente expertise. C’est le cas notamment des données thermo-hydrauliques servant à définir les chargements et de la prise en compte des contraintes résiduelles dans les joints soudés.
Ces éléments, ainsi que les réponses aux éventuelles demandes de l’ASN faisant suite au présent avis, seront instruits en 2019 et permettront à l’IRSN de se prononcer sur l’aptitude au service des cuves des réacteurs de 900 MWe pour la période décennale suivant la VD4
 ».

CONCLUSION

La question de la rupture de la cuve d’un réacteur est certainement la plus grave à laquelle doivent répondre les responsables de la sûreté nucléaire, qu’ils soient exploitant, chercheur ou contrôleur et, in fine, responsables politiques.

Cette rupture, sur un réacteur en fonctionnement, entraînerait une catastrophe nucléaire de la taille de celle des accidents de Tchernobyl ou de Fukushima. Parce qu’il n’existe aucune parade à un tel événement pour aucun des réacteurs en fonctionnement, comme pour l’EPR en construction, la cuve est considérée par hypothèse comme « non-ruptible », ce qui équivaut à garantir son intégrité, quoi qu’il arrive, grâce à la perfection de sa conception et de sa fabrication ainsi que de tout risque qui apparaîtrait sur sa fiabilité pendant toute la durée de son fonctionnement.

C’est un défi considérable et ceux qui prennent la responsabilité de le relever doivent en être conscients.

La présentation qui précède n’est qu’un éclairage très partiel de toutes les expériences et études qui tentent d’établir les réponses à un tel défi. Malgré sa brièveté si l’on considère l’ampleur du problème, elle permet cependant de présenter certaines caractéristiques de la situation actuelle et de formuler certaines interrogations.

1. On est frappé par la variété et la complexité des méthodes et des outils mis en œuvre pour estimer l’aptitude à l’emploi de chaque cuve en service à un moment donné de son fonctionnement et en particulier à l’occasion de la VD-4, soit à un peu plus que 40 ans de fonctionnement :
• Connaissance des caractéristiques physiques de chacune des cuves au démarrage (qualité de l’acier, méthode de fabrication, qualité des soudures… ).
• Expériences et mesures considérées comme représentatives de la situation réelle en réacteur.
• Calculs neutroniques, thermo-hydrauliques, thermomécaniques…
• Construction de « modèles empiriques » juxtaposant méthodes de calcul et résultats expérimentaux.

2. On constate, à tous les stades de l’investigation des propriétés des cuves concernées par des méthodes expérimentales, des différences importantes entre les cuves concernées et des marges d’incertitude considérables, que ce soit sur la qualité au stade de la fabrication, sur la valeur de la fluence en fonction du temps (et de l’emplacement dans la paroi de la cuve) ou de la température de transition ductile-fragile.

3. On lit dans l’avis de l’IRSN de mai 2010 que, pour certaines cuves, un risque de rupture n’est pas exclu, du fait de défauts de fabrication auxquels se superposent, de façon croissante avec le temps, la fragilisation liée à l’irradiation neutronique.
Quoi qu’il en soit et pour toutes les cuves, il est certain que la qualité de la cuve au moment de la VD-4 est inférieure à ce qu’elle était au moment du premier démarrage du réacteur.
En cas de trop grande incertitude ou de défaut avéré, on a connu dans certains cas comme mesure de précaution la mise en place de « mesures compensatoires » consistant à modifier certaines règles d’exploitation, ce qui peut conduire à des erreurs de pilotage en cas de situations incidentelles ou accidentelles.

4. On s’aperçoit qu’un grand nombre de questions et demandes ont été posées à EDF tant par l’IRSN que par l’ASN sans que l’on ait une connaissance précise de la suite donnée à ces demandes.

5. Se manifeste enfin le jugement très sévère de l’IRSN dans son dernier avis (8 novembre 2018) sur la présentation par EDF de sa démarche d’analyse du risque de rupture brutale des viroles de cœur des réacteurs de 900 MW de puissance électrique.

Ajoutons qu’un nombre important de critiques sur la façon dont la question de la rupture de la cuve a été traitée a été formulé de la part d’experts indépendants et tout particulièrement, en France, par ceux du GSIEN.

Au stade actuel de l’analyse sur le risque de rupture brutale des cuves des réacteurs de 900 MW, on constate qu’un certain nombre de cuves ont des défauts avérés à la fabrication et que, pour l’ensemble d’entre elles, des incertitudes considérables existent sur les effets du vieillissement sur leur robustesse et même sur la capacité à les évaluer correctement.

Par ailleurs, de nombreuses questions posées à EDF par l’IRSN n’ont pas reçu de réponse ou reçu des réponses visiblement insatisfaisantes.

En conséquence, si l’on compare la catastrophe qu’entraînerait une telle rupture sur l’un des réacteurs à l’intérêt économique supposé que représenterait la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 MW au-delà de la quatrième visite décennale, la solution la plus correcte sur le plan scientifique, la plus sage pour l’exploitant et la plus responsable sur le plan politique, serait de décider l’arrêt définitif des réacteurs de 900 MW au moment même de cette visite décennale, soit aux 40 ans de fonctionnement initialement prévus.

Bernard Laponche, samedi 4 mai 2019

(haut de page)


NOTES

(1) Nombre et puissance électrique des réacteurs : 34 de 900 MW, 20 de 1300 MW, 4 de 1450 MW.

(2) Le combustible est constitué de « crayons » d’oxyde d’uranium enrichi et pour 22 d’entre aux avec un tiers du combustible constitué d’uranium et de plutonium (MOX).

(3) https://www.irsn.fr/FR/IRSN/Publications/rapports-annuels/Documents/IRSN_RST_2006.pdf

(4) Ce seuil est de 1 MeV (million d’électronvolts). L’électronvolt (eV) est l’unité d’énergie utilisée en physique des particules : c’est l’énergie acquise par un électron soumis à un potentiel électrique de 1 Volt.
1 eV = 1,6.10-19 Joule. L’énergie des neutrons qui « bombardent » la cuve d’un réacteur peut atteindre plusieurs MeV.

(5) La ductilité désigne la capacité d’un matériau à se déformer plastiquement sans se rompre. La fragilité est la capacité de ce matériau de se rompre sous l’effet d’un choc en dessous d’une température de référence dite température de transition ductile-fragile. Dans le cas de la cuve d’un réacteur, le choc peut être un choc thermique en pression (correspondant à un accident de petite brèche primaire) au cours duquel de l’eau froide peut arriver en contact avec la paroi interne de la cuve qui est encore chaude et toujours sous pression.

(6) Le MWe (MW électrique) n’est pas une unité qui serait distincte du MW. Il n’existe que le MW, unité de puissance. La formulation correcte est : 900 MW de puissance électrique.

(7) L’introduction d’une quantité d’eau froide dans la cuve, alors que ses parois sont chaudes peut conduire à sa rupture lorsque le vieillissement a fait remonter la température à laquelle son acier perd sa ductilité pour devenir plus cassant.

(8) Avis IRSN DSR/2010-153 du 19 mai 2010.

(9) VD3 : troisième visite décennale.

(10) 3’’ : 3 pouces (unité : 1 pouce = 2,54 cm).

(11) RTE : Rupture de tuyauterie d’alimentation en eau des générateurs de vapeur.

(12) IS : Injection de sécurité (eau). Il ne faudrait pas faire une injection de sécurité avec une eau trop froide qui amènerait l’acier de la cuve dans la zone « fragile » cassante et non plus ductile.

(13) Référence ASN : DEP-PRES-0077-2009 du 1er juillet 2009.

(14) Rapport réalisé par la GSIEN et l’ANCCLI (Association Nationale des Commissions et Comités Locaux d’Information). GSIEN : Jean-Marie Brom, Gérard Gary, Monique Sené, Raymond Sené ; ANCCLI : David Boilley). www.gazettenucleaire.org. (n° 265, aout 2012).

(15) Lettre d’information n°120/121 du Comité Stop Nogent-sur-Seine (www.dissident-media.org/stop_nogent) : « La robustesse des cuves est-elle assurée en cas d’accident grave ? » ? Bella Belbéoch, octobre-novembre 2011.

(16) Avis IRSN/2018-00295.

(17) Détermination sur ces éprouvettes de l’évolution de la température de transition fragile-ductile du matériau sous l’effet de l’irradiation.

(18) Le hafnium, élément de numéro atomique 72, est un métal proche chimiquement du zirconium. Il est notamment utilisé dans les installations nucléaires comme fort absorbeur de neutrons (« neutrophage »).

(19) Voir l’article de Bella Belbéoch en Annexe 2.

(20) 6 pouces : 15,24 cm.

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ANNEXE 1 : RAPPORT DU GSIEN

Extrait du résumé du rapport d’expertise sur la VD3 de Fessenheim 2 par le GSIEN (juin 2012)

Examen de la cuve

Un contrôle de la cuve par une nouvelle machine d’Inspection en Service (MIS) capable de détecter des défauts de taille minimale 5 mm a permis de :
• Retrouver en zone plein cœur (virole C1) les 4 défauts détectés en VD2 qui n’ont pas évolué, et 1 défaut qui a évolué de 4 mm en VD2 (non notable) à 6,3 mm en VD3 (notable).
• Mettre en évidence hors zone cœur (virole B porte–tubulure) un défaut sur cette virole contrôlée pour la première fois en VD3.

EDF déclare que ces deux défauts sont de construction et non-évolutifs. Le GSIEN émet des doutes sur l’origine des défauts et leur non-évolution, en particulier à propos de la fissure dont la longueur estimée a augmenté et de celle de la virole B dont c’est le premier examen.

On peut conclure que la cuve de Fessenheim 2 présente donc 5 défauts notables dont un a évolué entre la VD2 et la VD3, et un second sur la virole B examinée pour la première fois. En conséquence le GSIEN préconise de nouveaux contrôles qui, seuls, permettront de statuer sur cette évolution.

L’acier de la cuve est soumis à un bombardement neutronique qui fait évoluer l’acier et le fragilise. Le flux de neutrons que reçoit la cuve s’appelle la fluence neutronique. Plus la fluence est élevée plus l’acier se fragilise rapidement.

Cette fragilisation se manifeste par une diminution de la tenue à la rupture du matériau liée à la présence de défauts dans le métal, d’où l’importance de la présence de 5 défauts classés notables constatés en zone de cœur de Fessenheim 2.

Par ailleurs, il existe un programme de surveillance basé sur l’étude d’éprouvettes disposées près du cœur du réacteur. Ces éprouvettes reçoivent une fluence plus élevée que l’acier de la cuve, ce qui permet d’anticiper le comportement des matériaux de ces éprouvettes. Restent les questions encore ouvertes de leur représentativité du matériau de la cuve et de l’estimation de la fluence.

EDF a mis en évidence que les températures de transition ductile/fragile (passage d’un état dans lequel l’acier peut tolérer des déformations plastiques à un état où l’acier est cassant) évaluées à l’aide des éprouvettes sont plus faibles (54°C) que celles qui sont calculées avec les formules d’évolution (80°C) et ce avec une incertitude de 15 à 20%.

Cependant, « compte tenu de la sous-estimation de la fragilisation aux fluences élevées et de la dispersion sous-évaluée des mesures de fragilisation, l’IRSN a recommandé qu’EDF augmente le niveau de fragilisation estimé à 40 ans à l’aide de ses nouvelles formules en relevant de 10°C la RTNDT des viroles de cuves, et de 3°C celle des soudures, la RTNDT étant le paramètre retenu pour évaluer la fragilisation. Cette augmentation pourrait avoir un impact sur la durée de fonctionnement des réacteurs. ». Cette dernière phrase est soulignée par le GSIEN.

L’IRSN conclut que « des travaux restent à mener pour apprécier la tenue des cuves dans le temps. Ceci s’imposerait d’autant plus qu’EDF souhaiterait prolonger l’exploitation de tout ou partie des tranches de 900 MWé au-delà de 40 ans. »

Le GSIEN ajoute : « La tenue de la cuve en conditions pénalisantes, notamment incidentelles, relève de nombreux paramètres. Or, sur la plupart de ces paramètres, dont la caractérisation des matériaux (RTNDT et défauts éventuels préexistants) ou la (les) sollicitation(s) (transitoire) on se heurte non seulement à des incertitudes difficiles à quantifier mais à des manques de connaissances. Il est alors difficile de parler de marges et de leur faire confiance ».

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ANNEXE 2 : TEXTE DE BELLA BELBEOCH

La robustesse des cuves est-elle assurée en cas d’accident nucléaire grave ?

L’acier des cuves des 6 réacteurs du palier CP0 (2 à Fessenheim, 4 au Bugey) contient des zones ségrégées dont des hétérogénéités riches en phosphore appelées « veines sombres ». À propos de Fessenheim j’ai posé la question à l’Autorité de sûreté nucléaire : ne peuvent-elles pas conduire à la rupture de cuve en cas d’accident grave nécessitant un refroidissement rapide du cœur ? Cette hypothèse est-elle stupide ? Je n’ai pas eu de réponse à ma question. (C’était avant Fukushima).

I - Introduction

A la suite de l’accident survenu à la centrale de Fukushima Daiichi le 11 mars 2011, l’Autorité de sûreté nucléaire ASN a demandé que soient effectuées des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) afin que des actions soient entreprises pour améliorer la sûreté des installations nucléaires. C’est dans ce cadre qu’il faut replacer la Décision du collège de l’Autorité de sûreté nucléaire du 4 juillet 2011 (1) et de l’Avis de l’ASN du même jour (2), d’autoriser la prolongation durant dix ans de l’exploitation du réacteur n°1 de Fessenheim mais sous conditions :
• « que EDF renforce le radier [dont l’épaisseur n’est que de 1m,50] afin d’augmenter sa résistance au corium et, qu’en cas de perte de la source froide, que soient installés, au plus tard le 31 décembre 2012, des dispositifs techniques de secours permettant d’évacuer la puissance résiduelle du cœur
• sous réserve des conclusions à venir des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) engagées à la suite de l’accident de Fukushima ».

D’autres conditions ont été formulées par le directeur général de l’ASN dans l’annexe à la lettre du 8 juillet 2011 adressée au directeur de EDF (3a) avec 4 demandes particulières, concernant :
l’état de l’installation
les agressions : évaluation des marges de sûreté, la robustesse à l’inondation, séisme, prise en compte du cumul séisme et inondation
les événements induits ou aggravants survenant dans l’installation et les agressions liées à l’environnement industriel des INB
la gestion des accidents graves

En ce qui concerne le premier point, l’état de l’installation, l’annexe précise au directeur d’EDF « L’ASN vous demande pour le 15 septembre 2011 de proposer un plan d’action visant à s’assurer que la robustesse attendue des structures et composants n’est pas en cause dans leur état actuel ».

Je vais aborder très brièvement la question de la robustesse de l’acier des cuves, ou plus exactement celle de la possibilité du manque de robustesse de l’acier des cuves en cas d’accident nucléaire qui devrait faire partie du premier point concernant l’état de l’installation et du dernier celui de la gestion des accidents graves.

Mon objectif n’est pas d’entrer dans les détails pointus de mécanique des solides, mais d’attirer l’attention sur ce qui me semble être un défaut grave d’assurance-qualité de l’acier des cuves.

En effet cet acier contient des ségrégations, dont certaines dites « veines sombres », sont des hétérogénéités très riches en phosphore, dont je crains, c’est une hypothèse de ma part, qu’en cas de situation accidentelle nécessitant un refroidissement rapide du cœur par un déversement massif d’eau froide, elles puissent entraîner un « choc froid sous pression » avec rupture de la cuve (comme à Fukushima). En effet la température de transition ductile-fragile de ces veines sombres est plus élevée que celle de la matrice et avec le déversement d’eau froide pour refroidir le cœur on passerait rapidement dans le domaine fragile. Je m’appuie essentiellement sur des renseignements que m’a fournis André-Claude Lacoste (4a).

Ces veines sombres existent : il est fait brièvement état des ségrégations et des veines sombres de l’acier dans les avis de l’IRSN et du Groupe permanent d’experts, par exemple l’Avis de l’IRSN, DSR/2009-369 du 15 décembre 2009, dans la Recommandation 4 de l’Annexe :
« L’IRSN recommande qu’un bilan des actions engagées par EDF pour évaluer l’influence des zones de ségrégations majeures et des veines sombres sur la fragilisation soit réalisé ».

De même l’Avis du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaire (16 et 30 juin 2010) relatif à la démonstration de la tenue en service des cuves des réacteurs de 900 MWe après leur troisième visite décennale :
« En plus de la quantification des incertitudes liées à l’utilisation des codes de calcul de thermo-hydraulique EDF s’est engagé à compléter sa démonstration sur les aspects suivants :
• compréhension du comportement mécanique du métal de la cuve en présence de ségrégation majeure et du phénomène potentiel de ségrégation du phosphore.
Il faut disposer d’éléments complémentaires.
• détermination des contraintes résiduelles dans les joints soudés des viroles des cuves.
 »
Pour l’analyse mécanique « le Groupe permanent souhaite que soit approfondi le caractère enveloppe de l’utilisation des propriétés mécaniques déterminées pour le métal de base en présence de veines sombres ».

EDF a peut-être fourni des réponses satisfaisantes mais je n’en ai pas eu d’écho.

Le percement de la cuve est désormais ouvertement envisagé par l’ASN dans sa Décision du 4 juillet 2011. Il importe de ne négliger aucun paramètre susceptible d’y contribuer.

II - Le vieillissement de l’acier des cuves sous irradiation. Le cas des cuves du palier CP0 (2 réacteurs à Fessenheim et 4 au Bugey)

Rappels sommaires

L’acier des cuves du palier CP0

Une cuve de réacteur est un ensemble d’environ 330 tonnes et de 12 m de haut, comportant 2 viroles soudées entre elles, dont le fond est hémisphérique et le couvercle est une calotte sphérique. Une virole est une couronne cylindrique de 20 cm d’épaisseur, d’environ 4 m de diamètre et 2,5 m de haut (5a). Les parties les plus irradiées de la cuve, face à la partie active du cœur, sont la virole C1 et la partie soudée qui la joint à la virole C2. La cuve du réacteur-1 de Fessenheim est la seule qui comporte 3 viroles mais C1 est toujours la virole de cœur la plus irradiée.

L’acier est de nuance 16MND5, il contient comme impuretés du cuivre, du nickel et du phosphore qui sont des éléments fragilisants. (Des détails seront donnés plus loin au paragraphe veines sombres).

L’acier des cuves est ductile -il se déforme sans casser- dans le domaine habituel de fonctionnement du réacteur entre la température ambiante et 300°C.

Avant irradiation il ne devient fragile -cassant- qu’à basse température, en-dessous d’une température dite « température de transition ductile-fragile » notée RTNDT.

Au démarrage du réacteur 1 de Fessenheim la température de transition fragile-ductile est de -22°C pour la virole C1 et -20°C pour la partie soudée C1/C2 (6a).

Évolution de la température de transition fragile-ductile par irradiation neutronique

Au cours de l’irradiation neutronique des défauts sont créés dans le réseau cristallin de l’acier et ses propriétés mécaniques se modifient. Les essais mécaniques s’effectuent sur des échantillons appelés « éprouvettes » placés près du cœur et dont les caractéristiques (dimensions, forme et entaille, etc.) sont très définies pour chaque type d’essais.

Avec l’augmentation de défauts l’acier durcit et ses caractéristiques de traction augmentent (limite d’élasticité et charge à la rupture). Par contre il se fragilise car on constate une diminution de la ténacité qui est l’aptitude d’un matériau à s’opposer à la propagation d’une fissure (les essais de ténacité sont des essais de traction sur des éprouvettes pré-fissurées par fatigue). Cette ténacité va diminuer au fur et à mesure qu’augmente la fluence (nombre total de neutrons reçus par 1 cm2 de la partie la plus irradiée de la cuve) ce qui va limiter la durée d’exploitation du réacteur.

Ainsi, par irradiation neutronique la température de transition ductile-fragile s’élève au fur et à mesure qu’augmente la fluence reçue par la paroi interne de la cuve.

Or l’hypothèse de la rupture de cuve -dite « hors dimensionnement »- n’a pas été retenue lors de la conception. Il faut donc que la température de transition reste suffisamment basse pour qu’en cas d’accident grave nécessitant le refroidissement rapide de la cuve par injection d’eau froide qui créerait un « choc froid sous pression », l’acier soit toujours dans le domaine ductile, sinon c’est la possibilité de rupture de cuve par le passage rapide dans le domaine fragile.

Par rapport à sa valeur initiale avant irradiation RTNDT, le décalage de la température de transition, noté Δ(RTNDT), en fonction de la fluence est déterminé à partir d’éprouvettes de résilience de type Charpy, la résilience caractérisant la capacité d’un matériau à absorber les chocs.

Dans la pratique toutes ces éprouvettes sont usinées à partir d’échantillons prélevés en pied de virole, avant le démarrage du réacteur et des éprouvettes sont également façonnées à l’aide de l’acier servant aux soudures. Elles sont placées plus près du cœur de façon à simuler précocement l’irradiation neutronique de l’acier de la cuve et sont prélevées périodiquement pour effectuer les examens de mécanique. C’est le programme de surveillance d’irradiation (PSI) (7a).

Une formule empirique « FIS » relie ce décalage à des facteurs chimiques (concentrations en impuretés cuivre Cu, nickel Ni, phosphore P) et à la fluence F. Cette formule a évolué au cours du temps. Le facteur fluence retenu en 1993 était (F/10exp19)exp0,35.

D’après le rapport d’expertise GSIEN/ANCCLI relatif à la 3ème visite décennale de Fessenheim 1 (7b) les valeurs anticipées par EDF pour 40 ans d’exploitation, à l’aide de la dernière formule empirique seraient 58°C pour la virole C1 et 85°C pour les soudures. Ces valeurs sont en désaccord avec les résultats provenant des dernières éprouvettes de contrôle du programme PSI (respectivement 27°C et 63°C).

Quelle confiance accorder aux tests sur éprouvettes ?

Les marges d’erreur sont délicates à déterminer non seulement parce que certaines soudures de joints ont été réparées par soudage à l’électrode enrobée (joints C1/C2 de Fessenheim 1 et 2 entre autres (6b) ), que pour certaines capsules contenant des éprouvettes et les dosimètres, l’anneau de support aurait fait de l’ombre faussant les valeurs de fluence (*), mais surtout parce que les éprouvettes du programme PSI ne représentent pas l’état réel de l’acier de la cuve. Cependant elles donnent un ordre de grandeur du phénomène vieillissement de l’acier au cours du temps.

Dans ma lettre du 2 janvier 1993 au responsable de la Direction de la sûreté des installations nucléaires j’indiquais entre autres « (…) Le suivi de la température de transition s’effectue essentiellement à partir des éprouvettes Charpy. Une éprouvette Charpy est mince. Est-elle vraiment représentative de l’acier de épais de la cuve (que l’on suppose parfaitement détensionné). Que se passe-t-il dans le cas de ségrégations ? »

Dans sa lettre très détaillée du 24 septembre 1993 M. André-Claude Lacoste me l’a confirmé : « Toutefois, comme vous le soulignez, ces éprouvettes peuvent, à cause de leurs petites dimensions, ne pas être représentatives de l’ensemble du matériau de la cuve. En effet les viroles forgées présentent des hétérogénéités chimiques (ségrégations) qui ont une influence sur leurs caractéristiques mécaniques ».

De plus il me donnait une description détaillée des 2 types de ségrégations dites majeures et mineures dont il va être question dans les paragraphes suivants.

III - Dans la réalité : l’existence de ségrégations dans l’acier de cuve (4b)

L’acier « 16 MND5 » de nos cuves REP est une nuance d’acier au carbone faiblement allié : à 0,16% de carbone à forte teneur en manganèse 1,4% et 0,5% de molybdène, choisi pour sa bonne résistance à la traction. Les impuretés sont essentiellement le nickel, le cuivre et le phosphore qui sont des éléments fragilisants. Si les concentrations de ces impuretés sont restées stables dans le métal de base, (teneurs maximales Cu 0,08% ; Ni 0,84% ; P 0,013%) celles du « métal déposé » -les joints qui soudent les viroles entre elles- (respectivement 0,13% ; 0,78% ; 0,019%) ont fortement diminué au cours du temps quand on compare les 6 réacteurs 900 MW du palier CP0 (4c) aux 28 réacteurs 900 MW plus tardifs du palier CP1-CP2.

Le phosphore joue un rôle important dans les ségrégations. Le rapport DES de l’IPSN (3b) donnait une concentration élevée en phosphore de 0,019% pour le joint soudé de Fessenheim 1, la valeur la plus basse du palier CP0 s’élevant tout de même à 0,012% pour Bugey 2.

La solidification d’un lingot d’acier s’effectue progressivement de l’extérieur du lingot vers l’intérieur et les impuretés tendent à se concentrer sous forme de ségrégations dans la région centrale qui se refroidit en dernier. On distingue 3 types de ségrégations : les ségrégations majeures positives et négatives où la teneur en carbone est respectivement supérieure et inférieure à la teneur moyenne et, de plus faibles dimensions, les ségrégations mineures dites « veines sombres ». (5b).

Après forgeage, qui évide la région centrale, les ségrégations ne sont pas éliminées en totalité. Elles vont donc se retrouver localisées sur la face interne de la virole sur laquelle est déposée une couche mince de 5 mm d’acier inoxydable. Ce revêtement a pour but de limiter la corrosion de l’acier de la cuve par l’eau du primaire contenant de l’acide borique, circulant sous une pression de 155 bars et qui doit refroidir le cœur (sa température est d’environ 290°C à l’entrée de cuve et 325 °C à la sortie).

Les veines sombres

Ce sont des ségrégations mineures de faible dimension par rapport aux ségrégations majeures. Elles se forment dans les grosses pièces de fonderie. Il y a une différence fondamentale entre les veines sombres et les ségrégations majeures positive et négative. Ces dernières, sont plus riches que le métal de base en cuivre et phosphore d’environ 10% en moyenne mais elles restent homogènes par rapport à la matrice non ségrégée, elles ont le même mécanisme de rupture qui est transgranulaire (c’est du « clivage » par glissement d’un plan cristallin). Leur composition est simplement légèrement différente et elles vont modifier la température de transition ductile-fragile en changeant légèrement les compositions chimiques dans la formule FIS.

Par contre les « veines sombres » représentent une phase distincte de la matrice. Elles sont très concentrées en impuretés fragilisantes dont la concentration peut être 3 fois plus élevée que la valeur normale. C’est 300% par rapport aux 10% des ségrégations majeures.

Le mécanisme de rupture est inter-granulaire dû à la plus forte concentration en phosphore qui a migré aux joints de grains. C’est donc une phase très différente du matériau homogène (matrice+ségrégations majeures).

Le point important est, je cite intégralement la lettre de M. André-Claude Lacoste et je mets mes interrogations entre crochets :

« Les premiers résultats montreraient que les zones comportant des veines sombres présentent avant irradiation une température de transition de résilience plus élevée d’environ 70°C que celle du matériau non ségrégé [ce qui, pour la virole C1 au lieu de -22°C fait +48°C ? Ou s’il s’agit du joint soudé -20°C+70°C=50°C ?]. L’irradiation provoquerait un décalage de leur température de transition de résilience de 70°C pour une fluence de 4,5 1019 neutrons/cm2 (E>1Mev) [soit 118°C ? Ou 120°C ?]. Après irradiation, leur température serait supérieure d’environ 40°C à celle du métal de base non ségrégé [soit 80°C pour le matériau de base ?] (ce qui signifie que le décalage est moindre pour les zones avec des veines ségrégées) ».

Plus loin un bémol plus rassurant : « Selon les résultats actuels, matériaux ségrégés et homogènes auraient une ténacité comparable à RTNDT donnée »

Ce qui me paraît inquiétant est :
1) qu’il existe des fissurations sous le revêtement d’acier inoxydable, que ces fissurations sous le revêtement seraient survenues lors de son soudage sur la paroi interne de cuve.
2) que la température de transition des veines sombres présentes sur la paroi interne de la cuve est de l’ordre de 100°C et que EDF envisage une fluence fin de vie de 6,5 1019 n/cm2.

Même en admettant que ces calculs de 1993 étaient pessimistes pour une fluence de 4,5 106 n/cm2 on arrive aujourd’hui à une transition voisine de 80°C pour une fluence de 6,5 n/cm2 en fin de vie envisagée par EDF et ces zones « veines sombres » certes de petites dimensions ont une température de transition plus élevée que la matrice d’environ 40°C environ 120°C.

Que se passerait-il en cas d’urgence nécessitant un apport massif et rapide d’eau pour refroidir le cœur ? N’y aurait-il pas un risque de rupture fragile de la cuve au passage de la transition par décohésion inter-granulaire se développant de proche en proche, prenant naissance à la paroi à partir des veines sombres, les fissurations existantes devenant actives ?

Comme le précise la revue Contrôle (8) « Cette fragilisation sous irradiation doit donc, pour rester acceptable, conduire, jusqu’à la fin de l’exploitation du réacteur, à une ténacité du matériau suffisante pour permettre la justification de la résistance à la rupture brutale de la cuve en toute situation de fonctionnement compte tenu de marges de sécurité prévues par la réglementation française. Si tel n’est pas le cas, le haut niveau de sécurité exigé pour la cuve n’est plus garanti et la mise à l’arrêt définitif du réacteur doit être effectuée ».

Il me paraît légitime de procéder à l’arrêt d’urgence des réacteurs à teneur élevée en phosphore dont l’acier présente des veines sombres.

C’est dans cet esprit que j’avais demandé en février 2011 - avant Fukushima, l’arrêt des réacteurs de Fessenheim (9) à M. Lignères, responsable de la division ASN de Strasbourg.

Cela renforce le bien-fondé des préoccupations des antinucléaires d’Alsace et d’Allemagne qui dénoncent depuis longtemps, et à juste titre, les risques que fait courir à la population la centrale de Fessenheim construite en zone sismique dont le séisme qui sert de référence date de 1356 et a détruit Bâle à moins de 50 km de la centrale. Au risque sismique s’ajoute le risque inondation, le séisme pouvant entraîner la rupture des digues du Grand canal d’Alsace et celle des barrages sur le Rhin car la plate-forme de l’îlot nucléaire est située en-dessous des niveaux d’eau du canal et du fleuve. Le risque inondation existe même sans séisme (acte terroriste par exemple) (**).

Conclusion

Les vieux réacteurs sont à arrêter d’urgence. Mais le danger nucléaire ne concerne pas seulement les vieux réacteurs. Le réacteur n°1 de Civaux, d’une puissance nette de 1495 MWe, a inauguré la saga des fissures du palier N4, 2 réacteurs à Civaux et 2 à Chooz, censés être le fleuron du nucléaire français... L’incident de Civaux, inondation par rupture de tuyauterie, a eu lieu 4 mois 1/2 après la mise en service. Un record ! Après diverses interprétations on s’est aperçu que les tuyauteries se corrodaient partout où il y avait un mélange d’eau chaude et d’eau froide. La corrosion existait aussi à Chooz. C’est le réacteur en fonctionnement qui permet de valider, ou ici invalider, un changement de tracé de tuyauterie, une augmentation du taux de combustion, le choix d’un alliage des gaines combustibles etc.

Un réacteur nucléaire est d’une complexité recouvrant tellement de champs, tant théoriques que technologiques, que sa réalité échappe complètement aux citoyens ce qui devrait sceller définitivement le sort du nucléaire. Les accidents majeurs montrent que la réalité échappe aussi, malheureusement, aux concepteurs, aux exploitants et aux autorités chargées de la sûreté nucléaire. La seule réalité tangible c’est la catastrophe et ses conséquences qui nécessitent l’arrêt d’urgence de la production d’électricité par les réacteurs nucléaires en utilisant tous les moyens disponibles actuellement, dont les combustibles fossiles gaz, charbon et fioul.

Bella Belbéoch, septembre-novembre 2011.
Retraitée du CEA (1956-1968 Département de métallurgie ; 1969-1986 Physique du solide et Résonance magnétique).

Notes

(*) Ceci figure dans un document de la Cie Duquesne adressé à la NRC, l’autorité de sûreté nucléaire américaine, concernant le réacteur 1 de Beaver Valley (États-Unis) qui m’a été communiqué par l’Union of Concerned Scientists « From a French source (…) The core barrel support rings may be shadowing surveillance capsules and the dosimeters within them ».

(**) Des risques similaires existent pour les installations nucléaires de Tricastin et Cadarache situées en-dessous du niveau des plans d’eau voisins.

Références

(1) Décision de l’Autorité de sûreté nucléaire n°2011-DC-0231 du 4 juillet 2011 fixant à Électricité de France – Société Anonyme (EDF-SA) les prescriptions complémentaires applicables au site électronucléaire de Fessenheim (Haut Rhin) au vu des conclusions du troisième réexamen de sûreté du réacteur n°1 de l’INB n°75.

(2) http://www.asn.fr/index.php/content/download/30385/194907/file/2Avis-n-2011-AV-0120.pdf

(3a) & (3b) La lettre de l’ASN à EDF du 8 juillet 2011 référencée CODEP-DCN-038887 signée Jean-Christophe Niel. La page ne s’ouvre plus.

(4a), (4b) & (4c) Lettre du 24 septembre 1993 adressée à Mme Bella Belbéoch secrétaire du GSIEN avec copie à Mme Sené Présidente du GSIEN par M. André-Claude Lacoste.
(J’avais écrit à Michel Lavérie, directeur de la DSIN (Direction de la sûreté des installations nucléaires) et c’est André-Claude Lacoste qui m’a répondu car, entre-temps, en fin de législature socialiste, le ministre de l’industrie Dominique Strauss-Kahn avait démis Michel Lavérie de ses fonctions en le remplaçant par André-Claude Lacoste).

(5a) & (5b) Jean-Pierre Thomas et Claude Cauquelin, « Construction des centrales REP. Equipements primaires » BN 3270.

(6a) & (6b) Rapport DES 218 (IPSN), p.13 et 22. Communiqué par Raymond Sené, représentant du GSIEN au CSSIN.

(7a) & (7b) Rapport sur la visite décennale n°3 du réacteur 1 du CNPE de Fessenheim (expertise à la demande de la CLIS de Fessenheim), Jean-Marie Brom, Gérard Gary, Monique Sené, Raymond Sené (Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) et David Boilley, (Association Nationale des Commissions et Comités locaux d’information).
Dans ce rapport les auteurs font une analyse critique de l’ensemble de ces essais effectués sur ces éprouvettes de contrôle.
Il n’est pas fait état de l’existence de veines ségrégées "veines sombres" dans l’acier...

(8) Laure Monin, Bernard Monnot, Stéphane Gitkoff, « Un équipement sous haute surveillance : la cuve des réacteurs », Contrôle n°186, février 2010, p.9-13.

(9) Lettre à M. Pascal Lignères, 14 février 2011.

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pour aller plus loin...
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Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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