Protéger l’environnement n’est pas une contrainte, mais bien une opportunité

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Face aux tentations de repliement sur elles-mêmes des sociétés, à l’intolérance, aux nationalismes, à la xénophobie, à l’injustice sociale, au mépris de l’égalité, au saccage de la nature, la protection de notre planète n’est ni une contrainte inopportune, ni une sorte de compromis à consentir avec la nature, c’est en fait notre plus grande chance de maintien de civilisations humaines dignes de ce nom sur notre planète. À nous de faire de la prise de conscience collective des menaces d’environnement global qui émerge aujourd’hui une chance pour promouvoir un monde plus juste, plus solidaire et plus équilibré.


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Protéger l’environnement n’est pas une contrainte, mais bien une opportunité (tribune collective)
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PROTÉGER L’ENVIRONNEMENT N’EST PAS UNE CONTRAINTE,
MAIS BIEN UNE OPPORTUNITÉ

Jean Louis Basdevant, Denis Clerc, Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Hervé Le Treut, Georges Mercadal, Michel Mousel et Jacques Testart, AlterEco+, vendredi 22 janvier 2016


Rappelons-nous le début des années 1970 : en pleines Trente glorieuses, le club de Rome nous avertit que le développement démographique et industriel mondial de l’époque va nous conduire à la catastrophe par pénurie d’énergie et de matières premières. Il est reçu dans le scepticisme par une société encore convaincue de la toute-puissance de la science et de la technique.

Pourtant, certains commencent à prendre conscience des effets du développement sur l’environnement, en particulier local. Mais sa protection reste une préoccupation marginale, la cerise sur le gâteau d’un développement industriel considéré comme incontournable.

Externalités

Le terme « d’externalité » employé par les économistes pour désigner les effets négatifs de l’activité économique sur l’environnement montre bien que ces effets ne sont pas vraiment considérés comme inhérents à l’activité elle-même. On fait au mieux du point de vue du projet d’activité, après quoi on tente d’en apprécier les effets secondaires sur l’environnement, inévitables mais généralement considérés comme mineurs en regard des bénéfices attendus. De cette époque aussi date la notion de pollueur-payeur qui met face à face un pollueur et des victimes, bien identifiés.

Avec l’affaire des pluies acides et Tchernobyl, changement d’échelle : ni les pluies acides ni les nuages radioactifs n’ont en effet le bon goût de s’arrêter aux frontières des États. L’anonymat gagne les pollueurs et les victimes. La solution des conflits justifie les services de la diplomatie internationale. Les gouvernements veillent cependant jalousement à ne pas hisser les questions environnementales au niveau des questions commerciales discutées d’abord au sein du GATT puis de l’OMC.

Enfin, le début des années 1990 voit l’émergence dans la sphère publique des préoccupations d’environnement global, le changement climatique, la désertification et les atteintes à la biodiversité, et celle de développement durable. On passe progressivement de l’idée d’un développement qui s’impose comme une nécessité dont on tenterait de compenser au mieux les dégâts collatéraux inéluctables, à un concept où les préoccupations d’environnement viennent faire jeu égal avec les préoccupations économiques et sociales (tout au moins sur le papier). Les écologistes prennent conscience qu’il n’est plus possible de traiter des questions de protection de l’environnement sans traiter en même temps des questions sociales et économiques.

Partage du fardeau

En France cependant, le développement durable reste largement assimilé par les partis de gouvernement à la croissance durable, l’objectif principal demeurant la croissance, censée être « la » solution aux problèmes de société, à laquelle on associe des précautions environnementales pour ne pas l’entraver à long terme. D’où le glissement progressif du concept vers celui de croissance verte. Au niveau international aussi, la négociation de Kyoto reste centrée sur un concept de contrainte. Celui de burden
sharing
 : « le partage du fardeau ».

On assiste en parallèle à la diffusion d’une pensée de la « décroissance », encore politiquement très marginale et généralement mal ressentie par une classe politique, restée majoritairement productiviste. Elle s’appuie sur la prise de conscience des limites physiques de la planète mais aussi sur le constat que la croissance des vingt dernières années n’a apporté aucune solution ni à la question de l’emploi ni à celle des inégalités. La question « dans quel monde voulons-nous vivre ? » vient alors naturellement se substituer à celle des possibilités physiques d’une croissance qui n’apparaît plus comme aussi souhaitable.

Mais la crise financière de 2008 relègue une nouvelle fois au second plan l’environnement qui devient même un obstacle sur la voie du « progrès » qu’on attend d’une reprise de la croissance. Il y a « des choix à faire » nous dit-on...

Prise de conscience

Cependant en 2013, le rapport du GIEC, en reconnaissant une corrélation forte entre les événements météorologiques extrêmes de ces dernières années et le renforcement des émissions de gaz à effet de serre, accélère la prise de conscience de la gravité de la situation qui s’affirme dans la société civile. En dehors des États–Unis, le climato-scepticisme ne fait plus autant recette.

C’est dans ce contexte de contradictions très fortes qu’une loi sur la transition énergétique finalement assez ambitieuse dans ses objectifs, si ce n’est dans ses moyens, est élaborée en France et votée en 2015. C’est aussi dans ce contexte que se prépare la COP 21, avec pour objectif affiché de remettre en marche une ambition commune de protection du climat de la planète.

Le débat national sur la transition énergétique et plus récemment l’accord de Paris sur le climat, montrent en tout cas que les réponses aux questions d’environnement global n’apparaissent plus aujourd’hui seulement comme une contrainte, ni même comme indissociables des questions sociales et économiques, mais bien plus comme une source et une raison majeure des évolutions sociétales que l’humanité doit mettre en place d’urgence.

L’intuition que la connaissance croissante des conséquences de nos actions sur l’environnement global pouvait être une chance unique de prise de conscience de notre interdépendance profonde et provoquer l’émergence d’un gisement nouveau de solidarités, de modes de vie et de comportements économiques et sociaux est aujourd’hui au centre des débats sur l’avenir de l’humanité.

Le réflexe de solidarité de tous les pays du monde que révèle l’accord de Paris constitue une opportunité tout à fait nouvelle : la menace est assez forte pour commencer à dépasser les égoïsmes et les conservatismes, à débrider les imaginations, à penser en termes de coopération et de complémentarité plutôt que de compétition. D’autres trajectoires, d’autres modes de vie que la consommation à outrance, d’autres relations entre les hommes que la domination et l’inégalité toujours croissantes, d’autres rapports avec la nature, sont non seulement indispensables à la survie de l’humanité, sont non seulement possibles, mais plus encore sont tout simplement souhaitables.

La protection de notre planète n’est ni une contrainte inopportune, ni une sorte de compromis à consentir avec la nature, c’est en fait notre plus grande chance de maintien de civilisations humaines dignes de ce nom sur notre planète.

Face aux tentations de repliement sur elles-mêmes des sociétés, à l’intolérance, aux nationalismes, à la xénophobie, à l’injustice sociale, au mépris de l’égalité, au saccage de la nature, à nous de faire une chance de la prise de conscience collective des menaces d’environnement global qui émerge aujourd’hui pour promouvoir un monde plus juste, plus solidaire et plus équilibré.

Tribune collective publiée le vendredi 22 janvier 2016 sur le site AlterEcoPlus.fr

Liste des signataires :
Jean Louis Basdevant, physicien, professeur honoraire de l’école polytechnique
Denis Clerc, économiste, fondateur d’Alternatives Économiques
Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, fondateur et président de l’association Global Chance
Bernard Laponche, polytechnicien, docteur ès sciences, ancien directeur général de l’ADEME,
Hervé Le Treut, climatologue, directeur de l’Institut Simon Laplace
Georges Mercadal, ingénieur des ponts et Chaussées, Vice-président honoraire de la commission Nationale du Débat Public
Michel Mousel, contrôleur d’État honoraire, fondateur de l’association 4D (Dossiers et Débats pour le Développement Durable)
Jacques Testart, biologiste, directeur honoraire de recherches à l’Inserm, président
d’honneur de Fondation Sciences Citoyennes

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À DÉCOUVRIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie :
changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle

Global Chance, mai 2011

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Publications de Global Chance

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Sans relâche : décrypter, expliquer, proposer...
Les Cahiers de Global Chance, n°38, janvier 2016, 84 pages

Imaginer l’inimaginable ou cultiver son jardin ?
Les Cahiers de Global Chance, n°37, juin 2015, 100 pages

Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité (suite)
Les Cahiers de Global Chance, n°36, novembre 2014, 68 pages

Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité
Les Cahiers de Global Chance, n°35, juin 2014, 84 pages

Le casse-tête des matières et déchets nucléaires
Les Cahiers de Global Chance, n°34, novembre 2013, 76 pages

Des questions qui fâchent : contribution au débat national sur la transition énergétique
Les Cahiers de Global Chance, n°33, mars 2013, 116 pages

L’efficacité énergétique à travers le monde : sur le chemin de la transition
Les Cahiers de Global Chance, n°32, octobre 2012, 180 pages

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Publications de membres de Global Chance (sélection)

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Sauver la planète sans changer nos pratiques sociales, économiques et politiques ?
Benjamin Dessus, ÉcoRev’, n°43, « L’écologie, le capitalisme et la COP : le bon, la brute et le truand », printemps-été 2016, pp. 104-115

Une prise de conscience collective
Jean Louis Basdevant, Denis Clerc, Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Hervé Le Treut, Denez L’Hostis, Georges Mercadal, Michel Mousel et Jacques Testart, Politis, n°1388, jeudi 28 janvier 2016

Où va la transition énergétique à la française ?
Benjamin Dessus, Politis, n°1327, jeudi 13 novembre 2014

Déchiffrer l’énergie
Benjamin Dessus, Éd. Belin, octobre 2014, 384 pages

Une politique de gauche pour le climat ?
Benjamin Dessus, L’Économie politique, n°63, juillet-août-septembre 2014, p. 86-95

La transition énergétique : pourquoi, pour qui et comment ?
Benjamin Dessus, Les Possibles, n°3 - printemps 2014, dossier : « L’écologie, nouvel enjeu »

Plogoff : retour sur une lutte victorieuse
Bernard Laponche, La Revue des Livres, n°12, juillet-août 2013

Les inégalités au cœur du développement (non) durable
Laurence Tubiana et Rémi Genevey, Slate.fr, jeudi 18 juillet 2013

Le double épuisement de nos sociétés industrialisées
Laurence Tubiana et Damien Demailly, Le Cercle/Les Échos, vendredi 12 juillet 2013

La transition énergétique est une nécessité
Laurence Tubiana, Le Monde, samedi 22 juin 2013

Transition énergétique et sortie du nucléaire
Bernard Laponche, document de travail, décembre 2012, 20 pages

Rio+20 : où en est notre empreinte écologique ?
Natacha Gondran et Aurélien Boutaud (entretien), France Culture, émission « Planète Terre », mercredi 20 juin 2012

Choix énergétiques : un débat biaisé
Benjamin Dessus, Pour La Science, n°414, avril 2012, pp. 30-35

Énergie : demain, « tous prod’acteurs » ?
Benjamin Dessus (interview), L’Âge de faire, n°62, mars 2012

Manifeste négaWatt : réussir la transition énergétique
Thierry Salomon, Marc Jedliczka et Yves Marignac, Association négaWatt / Éditions Actes Sud, janvier 2012, 376 pages

Nécessités et limites des scénarios énergétiques
Benjamin Dessus, Thierry Salomon, Meike Fink, Stéphane Lhomme et Marie-Christine Gamberini (entretiens), Les Amis de la Terre, jeudi 29 décembre 2011, 29 p.

CO2 : la responsabilité des classes aisées
Benjamin Dessus, Politis, numéro 1139, jeudi 10 février 2011

Quelle expertise pour la science ?
Benjamin Dessus, Politis, numéro 1126, jeudi 11 novembre 2010

Peut-on sauver notre planète sans toucher à notre mode de vie ?
Benjamin Dessus, / Sylvain David, Éditions Prométhée, Collection Pour ou Contre ?, octobre 2010, 128 p.

Pour une remise à plat concertée et démocratique de nos modes de vie
Benjamin Dessus, intervention dans le cadre du bicentenaire du corps des Mines, jeudi 23 septembre 2010

La crise de l’énergie n’a pas de solution technique
Benjamin Dessus, Manière de voir, n°112, août-septembre 2010 : « Le temps des utopies »

« La crise va aggraver les inégalités face à l’énergie »
Hélène Gassin (interview), Mediapart, lundi 29 mars 2010

Le compteur et la jauge
Aurélien Boutaud et Natacha Gondran (entretien), L’ÉcologithÉque, mercredi 3 mars 2010

Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage « écologique »
Bernard Laponche, entretien avec Charlotte Nordmann, La Revue internationale des Livres & des idées, n°14, novembre-décembre 2009

« La crise accélère la marche vers un développement plus durable »
Laurence Tubiana (interview), La Tribune , lundi 2 novembre 2009

Dix-huit ans de négociations sur le climat
Michel Colombier (entretien), Le Courrier de la Planète, n°89, novembre 2009

Energy and Global Economic Crisis : The chances for Progress
George Joffé, Samir Allal & Houda Ben Jannet Allal, European Institute of the Mediterranean / European Union Institute for Security Studies, october 2009

Changement climatique – développement : même combat !
Youba Sokona (interview), Swissinfo.ch, dimanche 23 août 2009

Le climat otage de la finance, un essai d’Aurélien Bernier
Béatrice Quenault, Développement durable et territoires, samedi 10 janvier 2009

« Changer de paradigme énergétique »
Bernard Laponche (interview), Actu-environnement.com, jeudi 28 août 2008

Nous ne pouvons plus nous payer de mots
Benjamin Dessus, Liaison Énergie Francophonie, n°78, 1er trimestre 2008

Remettre en cause notre sacro-sainte croissance
Benjamin Dessus, Politis, hors-série n°46 : « Vivre autrement. Un autre monde existe déjà ! », octobre-novembre 2007

Énergie : « la solution, c’est la sobriété »
Benjamin Dessus (interview), DeveloppementDurableLeJournal.com, lundi 17 septembre 2007

Énergie : les nouvelles technologies n’y suffiront pas, il faut changer de paradigme !
Benjamin Dessus, Liaison Énergie Francophonie, numéro 75, 2ème trimestre 2007

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