Prospective et enjeux énergétiques mondiaux : un nouveau paradigme

, par   Bernard Laponche

Des contraintes majeures (ressources, prix, conflits, environnement, climat...) font du développement énergétique actuel une impasse et rendent nécessaire la mise en œuvre d’une stratégie alternative. Seule une approche systémique basée sur la notion de service énergétique peut répondre aux enjeux présent et à venir dans des conditions optimales en termes de ressources, de coûts économiques et sociaux et de protection de l’environnement local et global.

Bernard Laponche, Document de travail n°59 de l’Agence Française de Développement, janvier 2008, 49 pages

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Résumé / Summary et Sommaire
Conclusion : une stratégie universelle

PRÉSENTATION ET TÉLÉCHARGEMENT

Après avoir analysé les contraintes majeures qui font du développement énergétique actuel une impasse, Bernard Laponche explique pourquoi et comment une approche systémique basée sur la notion de service énergétique peut seule répondre aux enjeux présents et à venir.

Commandée et publiée par le Département de la recherche de l’Agence Française de Développement, cette étude a été présentée le 21 février 2008 lors d’une conférence-débat animée par Bernard Laponche, dans les locaux de l’AFD.

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RÉSUMÉ / SUMMARY

Résumé

La poursuite des modes de consommation et des politiques énergétiques actuels conduirait à l’horizon de deux à trois décennies à un doublement de la consommation mondiale. Une telle évolution se heurte à des contraintes majeures : ressources énergétiques, accroissement des prix, risques de conflits, atteintes à l’environnement, risque climatique. Il n’y a pas de développement durable possible avec le système énergétique actuel basé sur un modèle de développement “énergivore” et la hausse “à tout prix” de la production d’énergie.
Le nouveau paradigme énergétique consiste à concevoir le “système énergétique” comme englobant non seulement la fourniture d’énergie mais également les conditions et les techniques de sa consommation afin d’obtenir un “service énergétique” dans des conditions optimales en termes de ressources, de coûts économiques et sociaux et de protection de l’environnement local et global. La maîtrise des consommations d’énergie arrive au premier rang des politiques qu’il faut rapidement mettre en œuvre parce que c’est celle qui possède le plus grand potentiel, qu’elle est applicable dans tous les secteurs et dans tous les pays, qu’elle représente le meilleur instrument de la lutte contre le changement climatique, enfin parce qu’elle permet de ralentir l’épuisement des ressources fossiles, tandis qu’une part croissante de la consommation d’énergie peut être assurée par les énergies renouvelables. Elle constitue en outre un facteur de développement économique par la diminution des dépenses énergétiques, ainsi que par la création de nouvelles activités et d’emplois. C’est un impératif de premier ordre des politiques énergétiques et économiques, notamment dans le secteur des transports, presque exclusivement dépendant du pétrole. Cela s’impose aussi en matière de consommation d’électricité, dont la production est chère et particulièrement vorace en énergie primaire.

Summary

To pursue the present path in the development of energy systems would lead to growing insecurity of supply and an unacceptable increase in greenhouse gas emissions. Both climate change (and other environmental hazards) and security of supply would rapidly become formidable obstacles for peace and development if energy consumption follows such an “impossible path”. Energy security and environmental constraints converge to offer mankind both a challenge and opportunity : to invent a new model compatible with sustainable development, in order to “meet the needs of the present without compromising the ability of future generations to meet their own needs“.
Energy efficiency comes first, because it presents the largest potential, it is applicable to all sectors of activities in all countries and because it is a pre-requisite to slow down the depletion rate of fossil fuel resources and to ensure a rational and significant increase of the share of renewable energy sources in total energy requirements.
An energy efficiency strategy is not a slight adjustment to an energy supply policy but a new concept of economic policy which takes into account the costs of environmental degradation, growing energy insecurity and the medium and long term trend of increasing energy costs.
Industrialised countries can and must reduce their total energy consumption. Most developing countries must increase their energy consumption for their economic development, but they can reach this objective with much lower growth than industrialised countries in the past by applying energy efficiency strategies.
At world level, priority should be given to energy efficiency in the Transport sector, literally tied to oil products, and to electricity consumption in the household and service sectors since electricity production is a voracious and expensive consumer of natural resources.

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SOMMAIRE

Résumé

1. L’impasse du développement énergétique
1.1. Poursuite des tendances et des politiques actuelles
1.2. Vers une transformation profonde du paysage énergétique
1.3. Et si tous les pays devenaient “développés” ?
1.4. Cette croissance n’est pas durable

2. Un nouveau paradigme énergétique
2.1. Jusqu’ici, deux logiques distinctes de l’offre et de la demande
2.2. La vraie demande : le service énergétique
2.3. La maîtrise de la consommation d’énergie
2.4. Une stratégie doublement gagnante
2.5. Nouvelle donne et nouveaux acteurs

3. Une stratégie de maîtrise des consommations d’énergie
3.1. Une expérience de trente ans
3.2. Des potentiels considérables
3.3. Deux cibles prioritaires pour l’efficacité énergétique

4. Dans la perspective d’une demande d’énergie « durable »
4.1. Prospective énergétique : l’avenir est ouvert
4.2. Une étude dans l’objectif « Facteur 4 »
4.3. Orientations de la politique énergétique de l’Union européenne : les trois 20%

Conclusion : une stratégie universelle

Annexes
Les consommations d’énergie dans le monde
Comparaison Chine et OCDE

Bibliographie

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CONCLUSION : UNE STRATÉGIE UNIVERSELLE

La poursuite des tendances actuelles de la consommation d’énergie au niveau mondial se heurte à des contraintes insurmontables et conduit à l’impasse du développement, accentue les inégalités entre pays riches et pays pauvres et contribue à la fracture sociale. Le développement économique et social ne peut être que freiné, voire rendu impossible, par l’insécurité énergétique (approvisionnement physique versus contraintes géopolitiques, augmentation des prix, raréfaction des ressources à moyen terme, risques technologiques et d’agressions extérieures de toutes natures) et la dégradation de l’environnement local (pollutions, accidents) et global (changement climatique). La montée des prix du pétrole ruine d’ores et déjà les économies les plus fragiles.
Les scénarios de prospective énergétique “laisser faire” (“business as usual”) mettent clairement en évidence l’impasse politique, économique et environnementale à laquelle ils conduisent.
La sécurité énergétique et les contraintes environnementales sont un défi considérable pour le développement économique et social à l’échelle de la planète. Ce défi ne peut être relevé que par la mise en chantier d’un nouveau modèle des systèmes énergétiques compatible avec le développement durable, afin de “répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures d’accéder à leurs propres besoins”.

La maîtrise des consommations d’énergie arrive au premier rang des politiques qu’il faut rapidement mettre en œuvre parce que c’est elle qui possède le plus grand potentiel, qu’elle est applicable dans tous les secteurs et dans tous les pays, qu’elle est le meilleur instrument de la lutte contre le changement climatique, enfin qu’elle permet de ralentir l’épuisement des ressources fossiles et d’assurer qu’une part croissante de la consommation d’énergie soit assurée par les énergies renouvelables. Elle constitue en outre un facteur de développement économique par la diminution des dépenses énergétiques et aussi par la création de nouvelles activités et d’emploi. C’est un impératif de premier ordre des politiques énergétiques et économiques.
Ce changement profond de paradigme énergétique qui substitue à la priorité de l’offre la priorité de la demande modifie profondément les rapports du citoyen aux systèmes énergétiques. La satisfaction d’un “service énergétique” à la place d’une “fourniture d’énergie” place au premier rang des acteurs nouveaux : entreprises, collectivités, ménages, professionnels du bâtiment, des transports, de la production industrielle ou agricole et du secteur tertiaire. Les villes et les collectivités territoriales deviennent des animateurs et des promoteurs essentiels de ces nouvelles politiques.
S’ils appliquent une telle stratégie, les pays industrialisés peuvent réduire leur consommation d’énergie dans des proportions notables. Les pays en développement ont besoin d’augmenter la leur, mais ils peuvent le faire avec des taux de croissance bien inférieurs à ceux que les pays riches ont connus dans le passé avec les dégâts que l’on sait.
Pour la plupart des pays, y compris les grands producteurs d’énergie, la maîtrise des consommations d’énergie est la première « ressource » énergétique nationale pour les prochaines décennies.

Les potentiels de la maîtrise des consommations d’énergie sont considérables. Plusieurs estimations fiables montrent que, à l’horizon d’une vingtaine d’années, la consommation d’énergie peut-être diminuée de 20% à 30% à service rendu égal ou supérieur, par rapport au scénario d’évolution tendanciel, à des conditions économiques favorables au niveau de l’Union européenne (plus si les prix de l’énergie continuent d’augmenter). Cela signifie que la consommation d’énergie de l’UE pourrait se situer en 2020 au niveau de celle de 1990. Dans les pays en transition, et notamment en Russie, ces potentiels sont encore plus élevés. On atteint des potentiels de l’ordre de 30% à l’horizon 2030 dans les pays en développement, sur la base des techniques actuelles.

L’Europe peut jouer un rôle leader dans la politique de maîtrise de la demande : tant sa sécurité énergétique que la lutte contre le changement climatique l’y engagent. Les orientations politiques de priorité à l’action sur la demande, du Livre vert sur la sécurité énergétique (2000) et du Livre vert sur l’efficacité énergétique (2005), montrent la voie à suivre. Quelques États membres sont en pointe mais la majorité continue à vouloir jouer la carte de l’offre.
Les décisions de mars 2007 du Sommet européen sur les “trois 20%“ (efficacité énergétique, énergies renouvelables, émissions de gaz à effet de serre) au niveau de l’Union européenne constituent un signal encourageant. Il reste que le “partage des efforts” entre les États membres reste à faire et constituera la pierre de touche de la volonté politique de chacun.

Les politiques mises en œuvre dans les pays émergents durant les dix années qui viennent seront décisives. La Chine et l’Inde et d’autres pays connaissent des croissances économiques fortes et de nombreux facteurs jouent en faveur de la maîtrise de la demande d’énergie : faibles ressources en hydrocarbures et poids sur leur économie des importations de pétrole, très fort potentiel dans les infrastructures nouvelles (urbanisme, bâtiments, moyens de transport), développement des énergies renouvelables dont la combinaison avec la maîtrise de la demande est la voie la plus prometteuse pour l’avenir, compréhension intelligente des acquis des pays occidentaux industrialisés et capacité réelle d’inventer et d’appliquer un “nouveau modèle énergétique”.

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