Problème de piquages du circuit primaire de l’EPR de Flamanville

, par   Manon Besnard, Yves Marignac

Synthèse

L’annonce par EDF puis par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), les 4 et 16 mars 2021, d’un nouveau problème de sûreté concernant l’EPR de Flamanville interroge une nouvelle fois la maîtrise des démarches de sûreté et leur contrôle. Ce nouvel « écart au référentiel », qui devra être traité avant la mise en service du réacteur, concerne cette fois les piquages, ou raccordements de tuyaux auxiliaires sur les tuyauteries du circuit primaire principal de refroidissement du réacteur. Une modification de conception introduite en 2006, visant à élargir le diamètre de soudage de trois de ces raccordements pour en faciliter le contrôle de qualité, a conduit à augmenter le débit d’une éventuelle brèche au niveau de ces soudures. La brèche du circuit primaire est l’événement initiateur des accidents avec perte du réfrigérant primaire (APRP) qui, lorsque cette perte d’eau n’est pas compensée, peuvent conduire à une fusion du cœur et font à ce titre partie des situations les
plus critiques pour la démonstration de sûreté.

La brèche la plus importante pouvant survenir sur le circuit primaire est une rupture dite doublement débattue entre deux tronçons du circuit principal. Or, si cette hypothèse reste la référence pour le dimensionnement de l’apport en eau du réacteur par chacun des quatre systèmes d’injection de sécurité, elle fait par ailleurs l’objet d’une démarche dite d’exclusion de rupture : par choix initial, EDF s’est engagé à apporter les garanties de conception, de fabrication et de suivi en exploitation permettant d’exclure le risque d’une telle rupture, ce qui lui permet de ne pas la prendre en compte dans les études de sûreté visant à définir les différentes dispositions associées à la gestion de ces situations. Le débit d’une brèche à l’un des piquages devient dès lors l’hypothèse majorante de ces études.

L’élargissement du diamètre de trois piquages, décidé en 2006, impliquait dès lors de revoir les études de sûreté pour prendre en compte l’élargissement de la brèche hypothétique correspondante. EDF affirme pourtant n’avoir identifié ce problème qu’en 2013. L’ensemble des piquages a dans l’intervalle été fabriqué et installé sur site, créant une nouvelle fois une situation de fait-accompli. EDF a alors décidé en 2014, plutôt que de reprendre les études, d’étendre l’application de l’exclusion de rupture à ces trois piquages, afin d’écarter cette hypothèse de brèche élargie. L’application a posteriori de ce critère est contraire au principe même de la démarche d’exclusion de rupture, qui suppose un effort accru a priori sur la conception et la fabrication. Elle n’a du reste été possible qu’au moyen d’une dégradation correspondante, a posteriori elle aussi, des exigences associées à cette démarche par le biais d’une modification du rapport préliminaire de sûreté.

Ce n’est qu’entre 2019 et 2021, à la faveur d’une demande de vérification de conformité aux exigences d’exclusion de rupture sur les tuyauteries du circuit primaire principal née des problèmes rencontrés sur le circuit secondaire, que cet écart a pu être identifié. Le traitement de cet écart passe désormais par une reprise des études de sûreté, pouvant déboucher sur des modifications matérielles, ou par une reprise des soudures des trois piquages afin d’atteindre le niveau d’exigence nécessaire, EDF semblant privilégier cette seconde option. La nature des opérations à réaliser et les délais associés restent difficiles à préciser à ce stade.

On peut, à la lumière des premiers éléments disponibles, constater une nouvelle fois la grande liberté dont jouit EDF vis-à-vis de son devoir d’information de l’ASN comme du public. On peut surtout s’inquiéter, au vu des précisions apportées et des demandes formulées par l’ASN dans un courrier à EDF du 26 mars 2021, qu’aucune procédure n’ait permis à l’ASN, pendant quinze ans, de repérer d’abord l’impact non pris en compte de la modification sur les études de sûreté, puis le choix d’EDF d’étendre l’exclusion de rupture pour masquer cette non-conformité, et la dégradation du référentiel associé dans le rapport préliminaire de sûreté. Le caractère fortuit de l’identification de cet écart, via une procédure spécifique dont il n’était toutefois pas l’objet, contraste avec le caractère récurrent des schémas de défaillance observés et renforce le tableau d’une crise systémique de la sûreté.

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