« Pour réussir la fermeture de Fessenheim, il faut donner du sens à cette décision »

, par   Yves Marignac

Après un quinquennat dilatoire sur le sujet, la question de la trajectoire pour ramener d’ici 2025 à moins de 50% la part du nucléaire dans la production électrique reste posée. De ce point de vue, la fermeture de Fessenheim, plus qu’un symbole, constitue une étape importante en tant que début d’un processus. C’est cette articulation et cette cohérence entre la mise en œuvre d’une décision spécifique (fermer une centrale) et la poursuite d’un objectif plus large de transition énergétique qui doivent aujourd’hui être mieux explicitées pour redonner du sens à la fermeture de Fessenheim et réussir cette fermeture du point de vue technique, financier et social.


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Yves Marignac : « Pour réussir la fermeture de Fessenheim, il faut donner du sens à cette décision »
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Bâtie sur une faille sismique et en zone inondable, raccordée au réseau en 1977, Fessenheim est la plus ancienne des centrales nucléaires en service en France...

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« POUR RÉUSSIR LA FERMETURE DE FESSENHEIM,
IL FAUT DONNER DU SENS À CETTE DÉCISION »

Yves Marignac (interview), industrie-techno.com, mardi 30 mai 2017

Depuis son arrivée au gouvernement, le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot a confirmé la décision de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim et de réduire la part du nucléaire à 50% d’ici 2025. En face, EDF confirme qu’il s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique, mais sans confirmer la date de 2025.

Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, structure d’information et d’expertise sur l’énergie et le nucléaire favorable à une sortie de la France du nucléaire, détaille ce qu’il attend du nouveau gouvernement.

Le nouveau gouvernement souhaite abaisser à moins de 50% la part du nucléaire de la production électrique d’ici 2025. Est-ce un objectif qui vous semble plausible ?

Le sujet est moins ce qui va se passer en 2025 que la nature des actions qui vont être mises en œuvre pour réduire la part du nucléaire en France. Le quinquennat précédent a été un quinquennat dilatoire sur ce sujet : on n’a toujours aucune explicitation de la trajectoire réaliste pour y parvenir. On n’a pas de mise à plat des enjeux que cela représente en termes d’investissements, d’emploi, de sécurité du réseau, de gestion des déchets… Tout un ensemble d’enjeux associés à cette trajectoire sont fantasmés positivement ou négativement par les uns et les autres. Ils ne sont pas objectivés pour faire de vrais arbitrages politiques. Ce qui est possible aujourd’hui, c’est que le nouveau gouvernement prenne la question de la sortie du nucléaire à bras le corps. La première chose à faire aujourd’hui pour un gouvernement qui se veut responsable, c’est d’articuler politiquement cette trajectoire.

La fermeture de de Fessenheim a-t-elle valeur de symbole concernant la volonté du gouvernement ?

La fermeture de Fessenheim est évidemment importante comme début d’un processus, pas comme symbole. C’est l’un des problèmes que nous avons rencontrés lors du précédent quinquennat. Ce qui était affiché, c’était d’un côté, la décision de fermer Fessenheim, de l’autre, l’objectif de 2025. Mais aucune explicitation n’a été fournie sur la cohérence qui reliait ces deux décisions. Aujourd’hui, la question est de savoir comment on va déployer à l’échelle d’une décennie des actions conduisant à abaisser la part du nucléaire dans le mix électrique français. Il faut commencer à expliciter cela pour redonner du sens à la fermeture de Fessenheim, et la réussir du point de vue technique, financier et social.

La fermeture de Fessenheim, une centrale rentable qui fonctionne bien, n’est-il pourtant pas un choix qui met EDF encore plus en difficulté ?

Maintenir une surcapacité nucléaire de plus en plus coûteuse n’est pas dans l’intérêt d’EDF. C’est tout le paradoxe de la situation actuelle : le changement de stratégie est à la fois nécessaire mais trop difficile à mettre en place. A court terme, EDF s’accroche à un statu quo qui semble plus confortable. Mais à long terme, c’est une impasse.

Je fais l’hypothèse qu’Emmanuel Macron, par sa volonté d’être dans une action pragmatique plutôt que dogmatique, et Nicolas Hulot, par l’engament de la société civile qu’il apporte, sont prêts à s’attaquer à cette équation politique. En gros, il s’agit de résoudre la contradiction entre l’intérêt à court terme d’EDF et l’objectif de transition énergétique. EDF est criblé de dettes, en situation difficile quant à sa rentabilité sur le marché européen, et fait face à un mur de besoins d’investissement. Le tout avec une culture industrielle extrêmement dépendante d’une filière, le nucléaire, qui aujourd’hui a pratiquement perdu sa dynamique dans l’Union Européenne, aux dépends des énergies renouvelables.

La question est : comment trouver une trajectoire sécurisée pour EDF, qui soit conforme aux aspirations des Français ? Les Français sont divisés sur le sort du nucléaire, mais une majorité souhaite une évolution du modèle et une augmentation de la part des renouvelables. On peut faire des effets d’annonce et puis faire l’autruche et repousser chaque fois le moment des arbitrages et des décisions douloureuses. Je pense que le quinquennat qui s’ouvre sera celui où techniquement, on ne pourra plus le faire. La situation d’EDF obligera à trancher sur ces sujets et à mettre en place, en fonction des choix, les mécanismes de soutien adéquats.

Il y a au fond un sujet éminemment politique : quel contrat moral peut-on retisser entre EDF et la Nation, autour d’une nouvelle mission de service public, car c’est quand même dans les fondamentaux de cette entreprise, même si ses statuts ont évolué. C’est nécessaire, car il va falloir que la collectivité soutienne EDF pour mener cette transformation.

La France peut-elle s’inspirer de l’exemple de la Suisse, qui vient de voter pour la sortie du nucléaire ?

La décision suisse est à saluer. Les Suisses n’ont pas cédé au fantasme agité par le lobby nucléaire d’une transition énergétique catastrophique sur le plan économique. L’Europe, comme la France, a été en pointe lors de la construction du système énergétique actuel, mais elle a besoin aujourd’hui de réinvestir. Les études convergent pour dire que ces investissements seront du même ordre, quels que soient nos choix. Aucune étude n’étaye l’idée que la transition énergétique est un gouffre financier. Ce qui est marquant dans la décision prise par les Suisses, c’est sa large approbation par un référendum. C’est un mouvement qu’on observe partout en Europe : il y a une vraie aspiration au développement des énergies renouvelables et de l’intelligence énergétique au fur et à mesure qu’elles font la démonstration de leur faisabilité technique et des bénéfices qu’elles apportent.

En Suisse, les réacteurs ont été prolongés jusqu’à 60 ans. La France peut-elle suivre son exemple ?

Cette prolongation est envisagée (le plus vieux réacteur a 47 ans), mais il y a une différence sensible avec la France. D’une part, ils ne se sont pas posé la question de la sûreté de cette prolongation avec les mêmes exigences que la France, ce qui a rendu cette prolongation des réacteurs moins coûteuse que chez nous. D’autre part, leur parc étant plus ancien, ils se sont posé la question dans un contexte moins favorable qu’aujourd’hui pour l’investissement dans les énergies renouvelables. Il faut prendre conscience de la vitesse à laquelle le rapport des forces évolue en faveur de la compétitivité des énergies renouvelables. Il y a encore un an, on parlait d’un éolien offshore à plus de 100 euros/kwh. Aujourd’hui, on descend à moins de 50. Pour revenir à la France, cette évolution remet chaque jour davantage en question la pertinence économique des choix d’EDF.

Propos recueillis par Philippe Passebon

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