Plogoff : retour sur une lutte victorieuse

, par   Bernard Laponche

Quels enseignements tirer aujourd’hui du succès de la résistance contre l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff, entre 1978 et 1981 ? Cette victoire historique a été rendue possible par la convergence de trois formes de lutte différentes, rarement associées, et qui pourtant ne sont jamais aussi puissantes que lorsqu’elles se conjuguent. D’abord, une lutte locale - mais à haute portée symbolique - contre un grand projet décidé par le pouvoir central. Ensuite, la construction, toujours à l’échelle locale, d’alternatives cohérentes et concrètes au modèle de développement industriel voulu par l’État et le lobby nucléaire. Enfin, une lutte politico-intellectuelle, menée par des associations, des ONG, des politiques, pour imposer, dans le champ politique et médiatique, une expertise indépendante et une analyse différente de la situation. À méditer ?

Page publiée en ligne le 19 avril 2014

Sur cette page :
Plogoff : retour sur une lutte victorieuse (Bernard Laponche)
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PLOGOFF : RETOUR SUR UNE LUTTE VICTORIEUSE

Bernard Laponche, La Revue des Livres, n°12, juillet-août 2013

Trente ans après, la victoire du mouvement anti-nucléaire à Plogoff fait rêver la coalition mobilisée à travers le pays « contre les projets d’infrastructures inutiles », et plus particulièrement les opposants à la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. À la fin des années 1970, dans cette petite bourgade située à l’extrémité occidentale du Finistère, près de la pointe du raz, une coalition hétéroclite de jeunes militants antinucléaires et d’habitants, soutenus par les élus locaux, avait réussi, malgré l’asymétrie des forces en présence, à faire plier les autorités étatiques. la singularité de la lutte de Plogoff – et sans doute sa force – tient à la façon dont elle a articulé des modalités d’action très différentes, développées indépendamment ailleurs, mais rarement conjuguées. RdL

En accompagnement de « La mobilisation antinucléaire à Plogoff », un article publié par Florian Vörös dans la rubrique « Le point sur » de la RdL n°12 (juillet-août 2013), voici une courte intervention de Bernard Laponche sur Plogoff dans l’histoire des luttes antinucléaires. RdL


Comment comprendre le succès de la lutte contre l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff (1978-1981), présenté comme l’un des seuls succès du mouvement anti-nucléaire ? On trouve réunies à Plogoff trois formes de lutte différentes, rarement associées, et qui pourtant ne sont jamais aussi puissantes que lorsqu’elles se conjuguent.

C’est une lutte locale contre un grand projet décidé par le pouvoir central, une lutte qui a à la fois des enjeux locaux et une portée symbolique bien plus grande, et qui est donc susceptible de mobiliser bien au-delà des seuls habitants – et en cela elle évoque les luttes du Larzac, la lutte contre Superphénix ou, plus récemment, contre l’installation d’une ligne à haute tension dans les gorges du Verdon ou encore, aujourd’hui, la lutte de Notre-Dame-des-Landes.

Mais c’est aussi la construction d’une alternative au modèle de développement industriel – avec la mise en place d’un programme énergétique alternatif, ou l’installation d’une bergerie, puis le projet de « Maison pour tous » indépendante du point de vue énergétique et recyclant ses déchets. C’est ce type de lutte qu’on retrouvait également au Larzac, et qu’on voit aujourd’hui se développer dans le champ de l’énergie comme de l’agriculture, avec des projets divers, les uns soutenus par des mairies, les autres plus indépendants. Ces initiatives peuvent passer par la création d’une monnaie locale, et sont susceptibles de résoudre un certain nombre de questions fondamentales comme celles de l’alimentation et de l’énergie. Dans les pays d’Europe qui connaissent une crise majeure aujourd’hui, on voit se développer de telles initiatives, je pense par exemple à ce qui se passe en Grèce (1). Dans ce cas-là, contrairement au premier cas de figure, il n’y a pas forcément d’opposition frontale au pouvoir, comme c’est le cas dans la mobilisation contre un projet de l’État, ou dans une entreprise. Du coup, c’est une forme de résistance qui est susceptible de s’étendre, d’autant plus encore une fois qu’elle peut résoudre un certain nombre de problèmes immédiats vécus par les gens – l’alimentation, l’accès à l’énergie, ou encore le logement.

Troisième et dernier aspect : Plogoff est aussi une lutte politico-intellectuelle, menée par des associations, des ONG, des politiques, pour imposer, dans le champ politique et médiatique, une expertise indépendante et une analyse différente de la situation – sur le modèle du travail mené par exemple par une grande organisation comme Greenpeace, ou par des organisations moins connues du grand public mais dont l’expertise est reconnue, comme négaWatt (2) ou Global Chance. Là, il s’agit d’agir à la fois sur les politiques, sur l’opinion publique, mais aussi sur les entreprises, avec des arguments parfois purement techniques – comme les arguments financiers qu’on peut opposer au développement des gaz de schiste (lesquels nécessitent des investissements considérables) ou au maintien et au développement du nucléaire, dont la rentabilité est tout sauf établie, surtout si l’on prend en compte le risque d’accident.

C’est sans doute aussi la conjonction de ces trois dimensions de la lutte qui a permis en Allemagne à la lutte anti-nucléaire d’emporter des victoires.

En même temps, pour Plogoff, le « coup de chance » a été l’élection de Mitterrand, qui a enterré le projet à son arrivée au pouvoir, sur les conseils de Paul Quilès. Il y a eu d’ailleurs d’autres cas de renonciation à des projets de centrale du fait de résistances locales, comme à Port-la-Nouvelle, dans le Languedoc Roussillon, par exemple.

Il est certain en tout cas qu’à peine abandonné le projet de centrale à Plogoff, Mitterrand confirme le décret d’utilité publique signé par son prédécesseur et entérine l’extension de la centrale de La Hague. De façon générale, le programme énergétique élaboré par Paul Quilès, qui faisait partie du programme de campagne du PS, et qui reposait sur le principe d’une transition énergétique et d’une limitation de la dépendance au nucléaire, est remisé quelques mois après l’accession au pouvoir de Mitterrand.

Par rapport aux différents types de lutte que j’ai évoqués, on a pu constater que, en dépit de toute leur valeur, le mouvement qu’elles ont été susceptibles d’initier n’a été ni assez ample, ni assez rapide pour s’opposer à l’énorme machine nucléaire, sauf peut-être ici et là, sans que cela permette d’enrayer le projet global qui enfonçait notre pays dans une dangereuse impasse.

Bernard Laponche est physicien nucléaire, polytechnicien, consultant international dans les domaines de l’énergie et de l’efficacité énergétique et membre fondateur de l’association Global Chance.

Notes
(1) Voir par exemple l’article « Du champ à l’assiette, en Grèce, les initiatives se multiplient ! » sur www.autogestion.asso.fr
(2) Association qui a élaboré un scénario de transition énergétique permettant, par le développement de la sobriété et de l’efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables, de réduire considérablement notre dépendance aux énergies fossiles et de sortir du nucléaire.

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À VOIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE

Pour aller plus loin :
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Dossiers thématiques

Publications de Bernard Laponche

(encadré : résumé au survol)

Paroles de responsables du nucléaire. Chroniques de l’atome masqué (4)
Bernard Laponche, Médiapart, mercredi 19 juin 2013

La gouvernance de la sûreté nucléaire. Citations et questionnements
Bernard Laponche, Débat national sur la transition énergétique, Note au groupe “Gouvernance” du CNDTE, mercredi 27 mars 2013, 28 pages

Le risque d’accident des centrales nucléaires. Citations et questionnements
Bernard Laponche, Débat national sur la transition énergétique, Note au sous-groupe “scénarios” du groupe d’experts, 26 mars 2013, 41 pages

Transition énergétique et sortie du nucléaire
Bernard Laponche, document de travail, décembre 2012, 20 pages

Accident nucléaire : l’inacceptable pari
Bernard Laponche, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

Entre silence et mensonge. Le nucléaire, de la raison d’état au recyclage « écologique »
Bernard Laponche, entretien avec Charlotte Nordmann, La Revue internationale des Livres & des idées, n°14, novembre-décembre 2009

Prospective et enjeux énergétiques mondiaux : un nouveau paradigme
Bernard Laponche, document de travail n°59 de l’Agence Française de Développement, janvier 2008, 49 pages

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Publications d’autres membres de Global Chance

(encadré : résumé au survol)

« La notion de développement durable nous a endormis »
Laurence Tubiana (interview), Libération, dimanche 30 mars 2014

« Les citoyens veulent monter l’escalier environnemental marche par marche »
Pierre Radanne (interview), Libération, lundi 17 mars 2014

L’échéance des 40 ans pour le parc nucléaire français
Processus de décision, options de renforcement et coûts associés à une éventuelle prolongation d’exploitation au delà de 40 ans des réacteurs d’EDF
Yves Marignac, Wise Paris, samedi 22 février 2014, 171 pages

CIGéo : « Le vrai débat a disparu »
Benjamin Dessus, intervention dans le cadre du « débat contradictoire interactif » organisé en ligne (!) par la CPDP CIGéo le jeudi 11 juillet 2013

Innovation scientifique : la parole aux citoyens !
Jean-Marie Brom, Benjamin Dessus, Bernard Laponche, Monique Sené & Raymond Sené, Libération, mardi 29 octobre 2013

Guignol l’écolo et les gendarmes atomiques
Y.S., essai libre, 11 mars 2013

Les énergies renouvelables en transition :
de leur acceptabilité sociale à leur faisabilité sociotechnique

Marie-Christine Zélem, Revue de l’Énergie, n°610, novembre-décembre 2012

Discours d’acceptation du « Nuclear-Free Future Award 2012 »
Yves Marignac, Heiden (Suisse), samedi 29 septembre 2012

Énergie : demain, « tous prod’acteurs » ?
Benjamin Dessus (interview), L’Âge de faire, n°62, mars 2012

Sûreté nucléaire en France post-Fukushima. Analyse critique des évaluations complémentaires de sûreté (ECS) menées sur les installations nucléaires françaises après Fukushima
Arjun Makhijani et Yves Marignac, Rapport d’expertise IEER / WISE-Paris, 176 pages, lundi 20 février 2012

Manifeste négaWatt : réussir la transition énergétique
Thierry Salomon, Marc Jedliczka et Yves Marignac, Association négaWatt / Éditions Actes Sud, janvier 2012, 376 pages

Nécessités et limites des scénarios énergétiques
Benjamin Dessus, Thierry Salomon, Meike Fink, Stéphane Lhomme et Marie-Christine Gamberini (entretiens), Les Amis de la Terre, jeudi 29 décembre 2011, 29 p.

La démocratie face au risque
Claire Weill et Claude Henry, Alternatives Internationales, hors-série « L’état de la Terre 2011 », mai 2011

Quelle expertise pour la science ?
Benjamin Dessus, Politis, numéro 1126, jeudi 11 novembre 2010

Pour une remise à plat concertée et démocratique de nos modes de vie
Benjamin Dessus, intervention dans le cadre du bicentenaire du corps des Mines, jeudi 23 septembre 2010

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Claire Weill, intervention dans le cadre du colloque « La politique et la gestion des risques : vues françaises et vues britanniques », IDDRI / Conseil franco-britannique, jeudi 8 février 2007

La professionnalisation de l’expertise citoyenne
Yves Marignac, intervention dans le cadre du colloque « La politique et la gestion des risques : vues françaises et vues britanniques », IDDRI / Conseil franco-britannique, jeudi 8 février 2007

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Publications de Global Chance

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Le casse-tête des matières et déchets nucléaires
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Des questions qui fâchent : contribution au débat national sur la transition énergétique
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L’efficacité énergétique à travers le monde : sur le chemin de la transition
Les Cahiers de Global Chance, n°32, octobre 2012, 180 pages

L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012, 100 pages

L’énergie en France et en Allemagne : une comparaison instructive
Les Cahiers de Global Chance, n°30, septembre 2011, 96 pages

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 pages

La science face aux citoyens
Les Cahiers de Global Chance, n°28, décembre 2010, 56 pages

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