Les coûts des différentes filières de production et d’économie d’électricité

, par   Benjamin Dessus

Recommandée par la Cour des comptes pour comparer des filières de production et d’économie d’électricité de durées de vie très différentes, la méthode dite des coûts courants économiques vient confirmer l’intérêt d’un changement de cap en matière de politique énergétique.

Benjamin Dessus, note de travail, 13 pages, 8 avril 2012

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EXTRAITS

Introduction

Le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire a été l’occasion d’une nouvelle discussion à la fois méthodologique et factuelle sur les coûts du nucléaire actuel et sur ceux de la prochaine génération, la filière EPR.
Pour approcher au mieux la réalité des coûts actuels d’un parc nucléaire construit depuis de nombreuses années mais dont l’échéance de vie n’est pas définitivement arrêtée, ni pour l’ensemble du parc, ni pour chaque réacteur, la Cour a choisi d’employer la méthode du coût courant économique, en justifiant ce choix par la faculté qu’elle présente de permettre la comparaison des coûts de différentes filières énergétiques.
On en rappelle ici brièvement le principe.
Il consiste à calculer un coût global au MWh sur toute la durée de fonctionnement de l’outil de production choisi.
Ce coût est constitué de charges de capital correspondant aux investissements passés et futurs, de charges annuelles d’exploitation ou d’investissements de maintenance annuels et de provisions annuelles pour diverses charges futures. Ces provisions sont constituées sur la base d’estimations de leurs coûts totaux et de leur échéancier. Le choix d’un taux d’actualisation de ces charges futures vient compléter le dispositif.
En ce qui concerne le capital investi, on cherche à en mesurer un coût annuel de rémunération et de remboursement permettant à la fin de vie de l’ouvrage ou du parc d’ouvrages, de reconstituer en monnaie constante l’investissement initial. C’est donc un montant annuel qui permettrait de reconstituer l’ouvrage ou le parc en question à l’identique. Le taux de rémunération du capital choisi par la Cour est de 7,8%.
L’investissement pris en compte par la Cour comprend les intérêts intercalaires éventuels qui courent entre le début des chantiers et la mise en exploitation industrielle de l’ouvrage. Négligeables pour certaines filières, ces frais peuvent devenir déterminants pour d’autres, comme le nucléaire. Pour le parc nucléaire actuel la Cour évalue à 3,4 ans l’avance de trésorerie réalisée par le constructeur du parc ce qui multiplie par 1,0783,4 = 1,29 fois le coût « overnight » [1] du parc nucléaire actuel.
Ce coût annuel est mesuré par un loyer économique à échéances annuelles constantes, et peut être assimilé au loyer que payerait un locataire de l’ouvrage ou du parc d’ouvrages pour rembourser et rémunérer l’investisseur de l’installation.
Les frais d’exploitation annuels comprennent les frais d’opération, de maintenance et de
combustibles engendrés par le fonctionnement de l’ouvrage.
Dans le cas du parc nucléaire actuel, la Cour des comptes a ainsi montré que coût du MWh atteignait un coût de l’ordre de 54 €/ MWh, avec une marge d’erreur qui tient aux difficultés d’estimation des mesures de sûreté post Fukushima, du démantèlement des installations et de la gestion stockage des déchets. Si on y ajoute les frais de recherche publique (estimés à 38 Milliards€) le coût total atteint 69 €/MWh.
La Cour s’est livrée au même type d’expertise pour l’EPR et fournit une fourchette de coûts de 70 à 90 €/ MWh pour le réacteur de Flamanville.

(...)

Il nous a semblé intéressant, dans un souci de cohérence, d’estimer à partir de la méthode des coûts courants économiques les coûts d’autres filières de production mais aussi d’économie d’électricité puisque cette méthode est justement recommandée par la Cour pour comparer des filières et des projets de nature et de durée de vie différents. Il est en effet indispensable de traiter à la fois de la production et de l’économie d’électricité puisque c’est la facture annuelle d’électricité qui importe à la fois pour l’usager et la collectivité et non pas le coût unitaire d’approvisionnement en électricité.
Pour effectuer son exercice la Cour a choisi un taux d’intérêt de 7,8%. Par souci d’homogénéité nous retiendrons le même taux dans l’ensemble de l’étude.

(...)

Éléments de conclusion

La méthode de calcul des coûts courants économiques prônée par la Cour des comptes permet de comparer des filières de production et d’économie d’électricité de durées de vie très différentes.
Mais, comme toutes les méthodes qui actualisent les dépenses de fin de vie des filières sous forme de provision pour charges futures, cette méthode minimise par construction la part apparente de ces charges dans les coûts calculés. Il faut donc souligner qu’elle doit s’accompagner impérativement de la constitution de réserves financières protégées contre tout aléa, au même taux d’actualisation, qui sont le seul garant de la possibilité financière de réaliser les travaux nécessaires en fin de vie de ces filières. Il est bien évident que la pérennité et la sécurité de la constitution de ces réserves dépendent du temps. Elle sont beaucoup plus faciles à assurer par exemple pour des durées de 20 à 30 ans que pour des durées supérieures à 50 ou 100 ans caractéristiques de la filière nucléaire ou des barrages hydrauliques.
Ces précautions rappelées, on constate tout d’abord l’intérêt d’évaluer grâce à la même méthode les investissements d’économie et celles de production – transport - distribution d’électricité. Les quelques exemples traités montrent que dans de nombreux cas, et pour des
applications de l’électricité qui représentent des consommations très significatives, se chiffrant en dizaines de TWh, les coûts courants économiques constatés sont très souvent inférieurs aux coûts d’achat de l’électricité par l’usager et parfois même très inférieurs aux coûts courants économiques de production d’électricité. Ce constat plaide pour une étude économique systématique des grandes filières d’économie d’électricité en parallèle de celle des filières de production d’électricité, pour éclairer les enjeux des différentes stratégies envisageables pour la collectivité nationale comme pour les usagers.
En qui concerne les filières de production électrique, l’étude confirme tout d’abord l’inéluctable hausse des coûts de production d’électricité de remplacement des filières actuelles par de nouveaux moyens de production, qu’ils soient fossiles, renouvelables ou nucléaires de troisième génération. A ce propos, la proposition par la commission Energies 2050 de prolongation de la durée de vie du parc actuel de 20 ans sur la base de la comparaison du coût actuel du MWh nucléaire proposé par la Cour (54€/ MWh hors frais de recherche), avec celui des filières de remplacement, et en particulier avec le coût du MWh nucléaire futur de l’EPR, ne devrait pas faire l’économie d’une évaluation économique des risques d’arrêt prématuré d’un certain nombre des centrales les plus anciennes qui se révèleraient insuffisamment sûres à l’issue des opérations de jouvence envisagées.
L’étude confirme ensuite que la filière des centrales à gaz et celle des éoliennes terrestres constituent à court terme des alternatives économiques crédibles au nucléaire de troisième génération. Il est donc urgent d’évaluer les conséquences en termes d’investissements et de mode de gestion des réseaux, de sécurité énergétique et d’environnement d’un développement éventuel de ces filières.
Les résultats obtenus pour les filières non encore parvenues à maturité comme l’éolien offshore et le photovoltaïque mettent en évidence l’importance stratégique à accorder au débat centralisation versus décentralisation de la production électrique et à ses conséquences sur la conception même du réseau électrique.
Globalement l’outil proposé par la Cour, à condition de l’étendre au transport, à la distribution et aux économies de l’électricité au client final, pourrait donc constituer un élément déterminant d’aide à la décision pour les pouvoirs publics et les citoyens.

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