La transition énergétique par tous et pour tous : quel potentiel d’hybridation pour les projets d’énergies renouvelables ?

, par  Andreas Andreas Rüdinger

Partant de l’analyse de la transition énergétique comme enjeu de gouvernance collective, la notion d’appropriation citoyenne et locale s’est imposée comme un marqueur important, dans l’objectif de valoriser la participation de tous les acteurs sous différentes formes. Cet objectif a été consacré en France par la formule d’une « transition par tous et pour tous ». Dans ce contexte, la participation directe des acteurs locaux – citoyens et collectivités – dans la mise en œuvre des projets énergétiques sur leur territoire a reçu une attention grandissante de la part des décideurs politiques, attention renforcée par l’engouement plus récent pour les projets citoyens d’énergies renouvelables en France ainsi que le retour d’expériences étrangères (Danemark et Allemagne notamment).

Sur cette page :
Andreas Rüdinger : La transition énergétique par tous et pour tous : quel potentiel d’hybridation pour les projets d’énergies renouvelables ?
Pour aller plus loin : Changer de paradigme | Les Dossiers de Global-Chance.org

LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE PAR TOUS ET POUR TOUS :
QUEL POTENTIEL D’HYBRIDATION POUR LES PROJETS D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ?

Andreas Rüdinger, Institut du développement durable et des relations internationales, document de travail, mars 2016, 22 pages

Partant de l’analyse de la transition énergétique comme enjeu de gouvernance collective, la notion d’appropriation citoyenne et locale s’est imposée comme un marqueur important, dans l’objectif de valoriser la participation de tous les acteurs sous différentes formes. Cet objectif a été consacré en France par la formule d’une « transition par tous et pour tous ». Dans ce contexte, la participation directe des acteurs locaux – citoyens et collectivités – dans la mise en œuvre des projets énergétiques sur leur territoire a reçu une attention grandissante de la part des décideurs politiques, attention renforcée par l’engouement plus récent pour les projets citoyens d’énergies renouvelables en France ainsi que le retour d’expériences étrangères (Danemark et Allemagne notamment).

Télécharger l’étude publiée par l’Iddri [330 ko, 24 pages, fichier pdf]

Ci-dessous : Points clés | Table des matières | Introduction | Conclusion & Recommandations

(haut de page) (sommaire de la page)

POINTS CLÉS

FAVORISER LES MODÈLES INNOVANTS D’ÉNERGIES RENOUVELABLES

Les modèles de projets participatifs et citoyens d’énergies renouvelables font l’objet d’un intérêt croissant de la part des acteurs politiques et industriels, motivés par la volonté de favoriser l’acceptation des projets et de flécher l’épargne locale vers les projets de la transition. Alors que la loi relative à la transition énergétique prévoit explicitement de favoriser ces modèles innovants, il est néanmoins indispensable d’opérer une classification plus fine de la multitude d’approches existantes. Partant d’une typologie fondée sur les niveaux de participation au financement et à la gouvernance des projets, cette étude vise ainsi à s’interroger sur les avantages et limites respectifs de ces modèles, en lien avec leur capacité à répondre aux objectifs définis par les porteurs de projets.

UNE TYPOLOGIE DES PROJETS D’ÉNERGIES RENOUVELABLES

Trois grandes familles de modèles peuvent être définies : les projets développés dans une approche conventionnelle, focalisée sur la rentabilité financière directe, n’incluant pas de participation financière des acteurs locaux et pour lesquels l’implication à la gouvernance se limite généralement à une fonction consultative ; les projets désignés comme « citoyens », développés autour d’une gouvernance collective et d’un financement maîtrisé par les acteurs locaux (citoyens et/ou collectivités locales) ; et la diversité de modèles « participatifs » issue des formes d’hybridation entre ces deux approches, combinant l’approche industrielle à des formes et niveaux variables de participation citoyenne et locale au financement et à la gouvernance des projets.

QUELLE FINALITÉ POLITIQUE POUR LES PROJETS PARTICIPATIFS ?

Cette diversité de modèles constitue un atout pour favoriser la montée en puissance des projets participatifs, mais porte cependant aussi le risque de focaliser l’attention sur la seule implication financière des acteurs locaux, évacuant le débat plus large sur les modèles de gouvernance participative des projets. Ce débat doit répondre à un double enjeu. Sur le plan normatif, quelle valeur politique souhaite-t-on accorder à la mise en œuvre d’une gouvernance collaborative, en phase avec la vision d’une transition énergétique par tous et pour tous ? Et sur le plan politique, comment concilier la mise en place d’un cadre réglementaire d’avantage concurrentiel et compétitif pour les énergies renouvelables avec ce principe d’une participation renforcée des acteurs ?

(haut de page) (sommaire de la page)

TABLE DES MATIÈRES

1. INTRODUCTION

2. LES ORIENTATIONS DE LA LOI TECV : VERS UNE TRANSITION PLUS PARTICIPATIVE ?

2.1. L’ambition portée par la loi relative à la transition énergétique en France
2.2. La consécration des modèles participatifs par la loi
2.3. Le participatif à l’épreuve des nouveaux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables

3. LE PARTICIPATIF : QUELLES MOTIVATIONS POUR LES ACTEURS INDUSTRIELS ?

4. LA DIVERSITÉ DES MODÈLES PARTICIPATIFS : UNE CLASSIFICATION

4.1. Classifier les modèles suivant les critères de participation au financement et à la gouvernance
4.2. Situer la diversité de modèles participatifs

5. DIFFÉRENTS MODÈLES, DIFFÉRENTES VERTUS

6. CONCLUSION : RECOMMANDATIONS POUR FAVORISER LE DÉVELOPPEMENT DES MODÈLES PARTICIPATIFS

Bibliographie

(haut de page) (sommaire de la page)

INTRODUCTION

Traditionnellement très ancrés dans le registre technico-économique, les débats sur la transition énergétique ont progressivement intégré une dimension plus politique autour des questions de gouvernance. Ainsi, si la problématique des choix technologiques pour opérer la décarbonation de l’économie au moindre coût reste centrale, s’y ajoute désormais une réflexion sur le rôle des différents acteurs et des interactions entre innovations technologiques et sociales, notamment à l’échelle des territoires. Cette réflexion couvre un vaste champ, de la question de la gouvernance institutionnelle – répartition des compétences politiques entre l’État et les différentes collectivités territoriales (Saujot, Rüdinger, & Guerry, 2014) – à la question de l’ancrage territorial et de l’acceptabilité sociale des projets (Fortin & Brisson, 2015 ; Walker, Devine-Wright, Hunter, High, & Evans, 2010), en passant par la question centrale du « facteur humain » dans cette transition : comment prendre en compte le facteur comportemental et les modes de vie dans les processus de transformation, à l’échelle d’un bâtiment, d’une ville, d’un pays ? Quelles modalités de participation des acteurs locaux et citoyens aux processus de planification et de mise en œuvre des projets de la transition ?

Partant de l’analyse de la transition énergétique comme enjeu de gouvernance collective, la notion d’appropriation citoyenne et locale s’est imposée comme un marqueur important, dans l’objectif de valoriser la participation de tous les acteurs sous différentes formes (1). Cet objectif a été consacré en France par la formule d’une « transition par tous et pour tous » (CNTE, 2013). Dans ce contexte, la participation directe des acteurs locaux – citoyens et collectivités – dans la mise en œuvre des projets énergétiques sur leur territoire a reçu une attention grandissante de la part des décideurs politiques, attention renforcée par l’engouement plus récent pour les projets citoyens d’énergies renouvelables en France ainsi que le retour d’expériences étrangères, à l’instar du succès des coopératives locales au Danemark, acteurs historiques des énergies renouvelables, et l’importance croissante du mouvement d’énergie citoyenne en Allemagne.

Fondés sur une implication directe des citoyens et des collectivités dans la gouvernance et/ou le financement des projets énergétiques, ces mécanismes citoyens sont en encore bien souvent cantonnés à une « niche » innovante, mais sont de plus en plus visibles et à forte valeur symbolique, et on leur associe de nombreuses vertus et promesses : amélioration de l’acception sociale des projets, renforcement des logiques de gouvernance locale, maximisation des retombées économiques à l’échelle du territoire, sensibilisation des citoyens aux enjeux de la transition énergétique, pour n’en citer que les plus importantes.

Pourraient-ils néanmoins se déployer massivement et suffisamment rapidement pour accélérer notablement la transition énergétique et en faire – réellement – une transition par tous et pour tous ?

Si la mobilisation des acteurs locaux s’est souvent construite sur l’opposition vis-à-vis d’un modèle de gouvernance « conventionnel » des projets, porté par de grands acteurs privés, il nous semble intéressant ici de ne pas opposer les modèles citoyens et industriels, mais d’ouvrir plutôt la perspective sur leurs possibilités d’hybridation, combinant l’innovation apportée par les approches citoyennes avec le savoir-faire des acteurs industriels de l’énergie.

Dans cette perspective, cette étude vise à analyser les modalités d’une telle hybridation et ses implications sur la gouvernance de la transition : quels modèles participatifs, entre les approches citoyennes et industrielles, se dessinent actuellement ? Quelles motivations poussent les industriels à participer ou construire des projets plus participatifs ? Et – surtout – quels avantages et limites associer aux différentes approches hybrides, participatives, qui sont mises en œuvre, envisagées, envisageables ?

Une telle approche par l’hybridation des modèles de gouvernance paraît particulièrement pertinente en relation avec le développement des énergies renouvelables électriques (ENR-E) et ce pour trois raisons. En premier lieu, c’est dans le secteur électrique que l’on dispose du plus grand retour d’expérience sur le fonctionnement et la diversité de modèles participatifs, grâce à leur développement rapide favorisé par les bonnes conditions d’investissement que procuraient les dispositifs de soutien sous forme de tarifs d’achat garantis (Roberts, Bodman, & Rybiski, 2014). En deuxième lieu, c’est également dans le secteur des ENR-E, et du grand éolien en particulier (2), que les phénomènes d’opposition aux projets sont les plus pressants, rendant les approches participatives d’autant plus pertinentes dans l’espoir de surmonter ces difficultés à l’échelle locale (Musall & Kuik, 2011 ; Warren & McFadyen, 2010).

Enfin, la mutation des mécanismes de soutien actuellement à l’œuvre en Europe, impulsée par la Commission européenne et visant à favoriser une plus forte intégration au marché (Dezobry, 2015) pourrait sensiblement reconfigurer les dynamiques locales autour des projets (section 2.3.). À travers l’exigence de compétences (techniques, financières) qu’elles impliquent, ces évolutions réglementaires risquent d’écarter les acteurs locaux « non-professionnels » et de petite taille de la dynamique de développement des projets (IZES, 2014 ; Jacobs, Gotchev, Schäuble, & Matschoss, 2014). Face à ce risque, l’émergence de nouveaux modèles de développement de projets « hybrides », associant les parties prenantes locales et les acteurs industriels, pourrait constituer un modèle d’organisation innovant, autour de différentes configurations possibles.

Partant de ce cadrage, cette étude vise à fournir un éclairage sur les formes d’hybridation possibles, combinant les approches citoyennes et industrielles, au travers d’une analyse élaborée à partir d’une revue de la littérature, d’entretiens avec de nombreux experts du secteur énergétique et avec des porteurs de projets participatifs. L’étude se divise en cinq sections :
 analyse des évolutions réglementaires apportées par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et leurs implications pour les projets participatifs d’énergies renouvelables ;
analyse des intérêts pouvant motiver les acteurs industriels à adopter ces modèles innovants ;
présentation des modèles participatifs existants et élaboration d’une première classification en fonction des critères de participation financière et d’implication à la gouvernance des projets ;
analyse des différents modèles participatifs en fonction de leurs vertus respectives, avec un focus spécifique sur la question de l’acceptation des projets ;
mise en perspective de cette analyse, en identifiant les enjeux réglementaires et politiques que suscite l’effervescence de modèles participatifs dans le contexte de la transition énergétique française.

Notes

(1) Au sens premier, l’appropriation peut renvoyer au concept de propriété, notamment économique, des projets et des actifs. En parallèle, dans une perspective sociologique, cette « prise de possession » peut s’étendre aux dimensions psychologiques et sociales : le sentiment de pouvoir influencer une décision ou un objet par son usage. Dans sa perspective géographique, la notion renvoie de plus au fait d’adapter l’objet en question (décision, idée, territoire géographique, objet matériel) à un contexte spécifique, à travers l’action de l’usager. Ainsi, les processus de concertation et de co-construction peuvent tout aussi bien favoriser « l’appropriation locale » que la participation financière aux projets.

(2) De manière croissante, ce constat sur les difficultés d’acceptabilité locale s’applique également aux projets de méthanisation.

(haut de page) (sommaire de la page)

CONCLUSION : RECOMMANDATIONS POUR FAVORISER
LE DÉVELOPPEMENT DES MODÈLES PARTICIPATIFS

Encore absents du débat public il y a quelques années, les projets participatifs d’énergies renouvelables émergent désormais comme un enjeu majeur dans les réflexions sur la gouvernance de la transition énergétique. Néanmoins, au-delà du consensus de principe sur la volonté de favoriser les démarches participatives, la complexité sous-jacente à leur mise en œuvre reste encore insuffisamment prise en compte.

Cette complexité renvoie en premier lieu à la diversité de modèles participatifs qui coexistent dans une relative confusion en l’absence de définitions et délimitations claires. Or, comme le montre la classification élaborée dans cette étude, ces modèles renvoient à des logiques de participation contrastées, que ce soit par leur nature, le niveau d’implication des différents acteurs ou encore les résultats qui peuvent y être associés.

Loin d’être un artefact conceptuel, la reconnaissance de cette diversité de modèles participatifs a des implications pratiques, dans un premier temps pour les porteurs de projets eux-mêmes. En effet, elle est synonyme de flexibilité, permettant à chaque acteur de sélectionner (ou de combiner) différents modèles en fonction des caractéristiques du projet et des attentes associées à la démarche participative : mobilisation de financements additionnels, stratégie de communication et d’image, diversification des services proposées ou encore amélioration de l’acceptation des projets par les acteurs locaux. À l’inverse, la reconnaissance de cette diversité implique également d’être conscient du fait que ces modèles n’ont pas tous les mêmes vertus, notamment en ce qui concerne leur capacité à faire évoluer l’acceptation (ou l’opposition contre) d’un projet, objectif recherché dans la majorité des cas. Si les modèles fondés sur une gouvernance partagée avec les acteurs locaux sont les plus à même à produire un résultat en termes d’acceptation, ils sont également les plus complexes à mettre en œuvre.

La question de la définition des critères permettant de qualifier les modèles participatifs se pose également du point de vue des politiques publiques. En effet, si la loi relative à la transition énergétique introduit des dispositions pour faciliter la participation des citoyens et des collectivités locales en allégeant certaines contraintes réglementaires, elle omet de définir les critères permettant de déterminer le caractère « participatif » d’un projet, tout en restreignant les modalités de participation à la seule dimension financière.

Cette solution de facilité peut néanmoins devenir problématique, au sens où elle évite de poser la question de la finalité politique que l’on associe à ces démarches participatives : s’agit-il d’utiliser ces outils pour remédier aux problèmes d’acceptation locale des projets afin de « faire passer la pilule » ? De garantir une participation financière a minima des acteurs locaux ? Et, le cas échéant, dans quel but ? Ou de provoquer un réel changement de paradigme dans la conduite des projets énergétiques selon l’adage d’une « transition par tous et pour tous », valorisant le processus de gouvernance collaborative et démocratique tout autant que le résultat ?

Si c’est bien cette vision normative qui est recherchée, il faudra en tirer toutes les conclusions. Cela passe en premier lieu par la prise de conscience de la part de tous les acteurs qu’une telle approche n’est pas un « luxe », source de délais et coûts additionnels, mais bien une nécessité d’un point de vue démocratique.

D’autre part, cela implique de traiter les questions de gouvernance non pas comme un simple débat de principe, sans aucune emprise sur l’évolution des cadres réglementaires et économiques, mais comme une dimension essentielle et transversale. En effet, à défaut de tenir compte des enjeux de gouvernance, la réforme des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables actuellement à l’œuvre risque bel et bien de mettre un frein brutal à la dynamique encore émergente des projets citoyens d’énergies renouvelables en France.

(haut de page) (sommaire de la page)

pour aller plus loin...
CHANGER DE PARADIGME | LES DOSSIERS DE GLOBAL-CHANCE.ORG

Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

Les Dossiers de Global-Chance.org

(haut de page) (sommaire de la page)