« La crise accélère la marche vers un développement plus durable »

, par   Laurence Tubiana

Laurence Tubiana
La Tribune, lundi 2 novembre 2009
Propos recueillis par Laurent Chemineau

Votre position à la tête de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) vous amène à poser un regard sur les évolutions de moyen et long terme. Estimez-vous qu’à l’issue de la crise le monde ne sera plus comme avant ?

Des éléments d’un monde différent apparaissent mais ils se situent moins dans les réponses qui sont apportées à la crise que dans la façon dont ces réponses sont élaborées. Il s’agit, par exemple, de la multipolarité. Elle était déjà présente dans le débat avant la crise, mais aujourd’hui, elle s’inscrit dans les faits. La crise financière a montré que les réponses aux défis actuels peuvent aussi venir des pays émergents. Dans le domaine du changement climatique, les négociations ne sont plus accaparées par quelques grands pays, elles sont davantage partagées. La crise a levé le tabou qui empêchait certains esprits d’évoquer librement les absurdités du système économique, y compris parmi ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. La critique de la dégradation environnementale ou du creusement des inégalités sociales n’est plus cantonnée aux courants minoritaires radicaux. La crise accélère la marche vers un développement plus durable.

Les moteurs de l’économie et de la société peuvent-ils changer ?

La prise de conscience très large des défaillances de notre système donne de la pertinence aux réponses que certains groupes sociaux construisent en dehors du cadre de référence dominant, en dehors du marché, que ce soit dans leur vie quotidienne, sur un plan politique ou philosophique. Ce sont, par exemple, les réseaux alternatifs qui défendent des valeurs comme l’accès gratuit à l’information, l’échange de services, les circuits courts entre producteurs et consommateurs. Internet joue un grand rôle. Des mobilisations d’opinion peuvent se créer hors des partis. On le voit en Iran avec la contestation de la rue qui résiste aux intimidations du pouvoir.

Vous en déduisez un bouleversement dans la hiérarchie des valeurs ?

Ces pratiques hors cadre dominant sont porteuses de nouveaux modèles de comportement et de nouvelles organisations sociales. De tout cela émergent une plus grande valorisation des biens communs, un rapport différent à l’environnement et aux autres. Ces évolutions sont contradictoires avec l’individualisme et la valorisation de l’accumulation des biens matériels.

L’hypothèse d’une nouvelle gouvernance des entreprises vous paraît-elle crédible ?

J’attends peu de changements en profondeur dans la gouvernance des entreprises.