La France du tout électrique est-elle viable ?

, par   Benjamin Dessus

Benjamin Dessus
Planète Terra, 13 octobre 2009 (a)
Propos recueillis par Julien Vinzent

La voiture électrique pointe le bout de son capot, les radiateurs n’attendent que quelques degrés de moins pour se mettre en marche, et la taxe carbone va entrer en vigueur, pénalisant le gaz ou le fuel. En route vers le tout électrique ? Réponse critique et engagée avec Benjamin Dessus, ingénieur, économiste et président de l’association Global Chance.


Terra eco : Quelles sont les prévisions concernant la consommation d’électricité en France ?

Benjamin Dessus : Elle devrait stagner dans les prochaines années : 450 TWh en 2020 contre 446 TWh en 2008, selon un scénario qui prend en compte toutes les recommandations du Grenelle (1). Du coup, quand on regarde la production en 2020, on se rend compte qu’en principe, le solde sera positif de 130 TWh. Au minimum, car ce scénario a été établi avant la crise, qui a fait chuter la production industrielle d’environ 15%, alors qu’on tablait sur une hausse de sa consommation d’électricité. Au final, je pense donc qu’on aura un solde positif de 160 TWh (contre environ 50 TWh aujourd’hui), disponibles pour l’exportation.

Les 2 millions de voitures électriques annoncés par Jean-Louis Borloo ne vont-ils changer la donne ?

Certes, elles ne sont pas comprises dans ce scénario. Mais leur mise en circulation ne nécessitera qu’environ 5 TWh. Même pas une moitié d’EPR ! L’ordre de grandeur est négligeable. En revanche, si en 2030 on en a 10 ou 20 millions de véhicules électriques, cela pourrait changer les choses. Alors, la voiture électrique sera-t-elle propre ? A condition qu’on l’utilise intelligemment, c’est à dire que l’on recharge les batteries la nuit [pour ne pas aggraver les pics de consommation en journée, en particulier l’hiver]. Pour les entreprises comme La Poste, c’est une évidence. Pour le grand public, cela sera peut-être plus difficile...

Le chauffage électrique, qui connaît un retour en grâce ce dernières années, pourrait-il profiter d’une taxe carbone qui ne porte pas sur l’électricité ?

La taxe carbone est un cadeau magnifique pour le marché de l’électricité, surtout quand la tonne de carbone passera de 17 euros aujourd’hui à 100 euros dans 10 ans. C’est très pervers car on fait croire aux gens que l’électricité émet moins de gaz à effet de serre alors que l’utilisation du chauffage est saisonnière, ce qui demande du renfort en production. Avec le système en place, toute nouvelle installation de radiateur électrique fonctionnera avec 75% d’énergie non nucléaire (en particulier du charbon). L’Ademe et RTE (Réseau de Transport d’Électricité) ont montré que tout kWh électrique supplémentaire consacré au chauffage d’ici 2020 contiendrait 500 grammes de CO2, contre 300 pour le fioul et 200 pour le gaz.

Revenons sur notre surproduction d’électricité. C’est plutôt une bonne nouvelle pour la France, financièrement parlant, non ?

Le problème, c’est que notre capacité d’exportation est actuellement limitée à moins de 100 TWh. Pour exporter beaucoup plus, il faut construire des lignes. Cela coûte cher et surtout il faut qu’elles soient acceptées. Aujourd’hui, plus personne ne veut de lignes à haute tension près de chez soi. On est sûr de mettre 20 ans à les faire... Il faut aussi des gens pour importer. Là, ce n’est pas évident que nos voisins le fassent : eux aussi tentent de limiter leur consommation et investissent dans les énergies renouvelables. Et si Nicolas Sarkozy essaie de convaincre tout le monde de se mettre au nucléaire, ils n’auront plus besoin de notre électricité.


Dans ce cas, pourquoi la France maintient-elle une production électrique si élevée ?

Peut-être que les ministères doutent des mesures d’économies d’énergie qui découleront du Grenelle de l’environnement (2). Plus sérieusement, parce qu’on refuse de toucher au nucléaire. Alors qu’on aura davantage d’hydraulique et d’éolien demain et que les besoins de base ne vont pas beaucoup augmenter, il y a une espèce de non-dit qui fait qu’on maintient le parc et qu’en plus on va construire un nouvel EPR à Penly. On peut pourtant se poser la question du renouvellement des centrales et d’un rééquilibrage. Le nucléaire représente 80% de notre production d’électricité. On n’a aucun risque à descendre à 50%. A mon avis ce n’est d’ailleurs pas raisonnable d’avoir plus de 50% d’une technologie chez soi. Même si on ne pourra probablement pas remplacer cette part directement par le renouvelable, on peut faire un relais par le gaz. Autant l’utilité d’en faire un premier EPR (3) pouvait se comprendre au niveau industriel, pour accumuler de l’expérience, autant c’est idiot d’en refaire un.


Notes
(1) Ce scénario est contenu dans la programmation pluriannuelle des investissement (PPI) de production d’électricité, présentée par Jean-Louis-Borloo en juin 2009.
(2) Celles-ci sont estimées à 102 TWh, sur un scénario tendanciel de 552 TWh consommés en 2020, contre 450 TWh aujourd’hui.
(3) La centrale de Flamanville



(a) Date de publication en ligne sur www.planete-terra.fr, le média collaboratif mis en place par le magazine Terra eco.