L’entreposage à sec des combustibles nucléaires irradiés : pas si bête...

, par   Bernard Laponche, Webmestre Global Chance

Après avoir été utilisés dans les réacteurs nucléaires, les combustibles irradiés sont stockés quelques années dans des piscines de refroidissement attenantes aux réacteurs. La question d’un stockage plus pérenne se pose ensuite, lorsque leur radioactivité et la chaleur qu’ils dégagent ont suffisamment diminué. Dans la majorité des pays pourvus de centrales nucléaires (États-Unis, Allemagne, Suède, Japon, Corée du Sud...), c’est alors la solution de l’entreposage à sec qui a été retenue. La France se distingue par son refus de cette option, au nom de sa doctrine du « retraitement » et au profit de deux projets contestables et contestés : l’enfouissement pour les déchets nucléaires hautement radioactifs et à durée de vie longue (projet Cigéo à Bure) et le stockage en piscine de très grande capacité pour les combustibles UOX, MOX et URE (projet d’entreposage centralisé de Belleville-sur-Loire). Non sans paradoxe : tandis que les promoteurs français du nucléaire écartent l’entreposage à sec et feignent d’ignorer l’expérience acquise en la matière par un pays tel que les États-Unis, le “champion” du retraitement en France, Areva-Orano, se positionne sur le marché américain... en vantant les mérites de son système d’entreposage à sec des combustibles irradiés !

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Bernard Laponche : L’entreposage à sec des combustibles nucléaires irradiés : pas si bête...
Revue de presse : La piscine baladeuse (Le Canard enchaîné) & En France, l’entreposage à sec des « cœurs » nucléaires n’est plus un tabou (Libération)
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L’ENTREPOSAGE À SEC DES COMBUSTIBLES
NUCLÉAIRES IRRADIÉS : PAS SI BÊTE...

Bernard Laponche, Le Club Mediapart, vendredi 4 mai 2018

L’entreposage à sec des combustibles irradiés est présenté par la NRC, autorité de sûreté nucléaire des États-Unis, et par ORANO USA, ex-Areva, qui en fait le commerce aux États-Unis. Cette méthode, décriée en France, présente des avantages certains par rapport au retraitement des combustibles irradiés ainsi que pour la gestion des déchets radioactifs.

INTRODUCTION

À la fin de leur utilisation dans le réacteur nucléaire (trois ou quatre ans environ), les combustibles irradiés sont entreposés sous eau dans une « piscine » située à proximité du réacteur. Ils sont constamment refroidis par circulation de l’eau afin d’évacuer la chaleur produite par la radioactivité des produits de fission et des transuraniens, dont le plutonium, qu’ils contiennent.

La solution adoptée dans la majorité des pays pourvus de centrales nucléaires (États-Unis, Allemagne, Suède, Japon, Corée du Sud...) est de garder les combustibles irradiés en l’état, de les entreposer dans les piscines des réacteurs, et, après quelques années, dans des installations d’entreposage à sec lorsque leur radioactivité et la chaleur qu’ils dégagent ont suffisamment diminué.

Par contre, en France (La Hague) et au Royaume-Uni (Sellafield), est pratiqué le « retraitement » des combustibles irradiés, opération qui consiste à en extraire, par voie chimique, l’uranium et le plutonium, tandis que les produits de fission et les transuraniens autres que le plutonium, ou « actinides mineurs » sont gardés ensemble sous forme liquide, puis « vitrifiés » avant de les entreposer, également à La Hague pour la France.

Selon ce schéma, l’ensemble des combustibles irradiés issus des 58 réacteurs des 19 centrales nucléaires d’EDF en France, devrait être retraité après leur transfert des piscines proches des réacteurs vers les piscines de La Hague. En réalité, tous les combustibles irradiés ne sont pas retraités et un nombre important reste dans les piscines de La Hague, ainsi que les combustibles MOX au plutonium que l’on ne sait pas retraiter à l’échelle industrielle (risques de criticité et coût élevé). Il se produit donc une accumulation de combustibles irradiés dans les piscines de La Hague et, en amont, dans les piscines des centrales nucléaires en fonctionnement.

C’est dans ce contexte « d’engorgement » qu’est apparu assez récemment le projet d’EDF d’une grande piscine « centralisée » (1), de très grande capacité, qui pourrait accueillir les combustibles UOX (2) irradiés après un séjour suffisant dans les piscines des réacteurs, ainsi que les MOX et les URE (3) irradiés et qui, effectivement, n’ont rien à faire à La Hague puisqu’ils n’ont pas vocation à être retraités. L’instruction du projet de piscine centralisée donne l’occasion d’examiner l’opportunité de la poursuite de l’entreposage en piscine comme seule solution d’entreposage des combustibles irradiés, solution qui est la seule a être utilisée et même admise en France.

La présente note se contente de présenter la solution de l’entreposage à sec en s’appuyant sur l’expérience acquise aux États-Unis qui est le pays qui a non seulement le plus grand nombre de réacteurs producteurs d’électricité au monde, environ la centaine, mais aussi celui où ont été conçus et construits les réacteurs à uranium enrichi et eau ordinaire sous pression (REP) qui ont servi de modèles aux réacteurs français actuellement en fonctionnement.Nous présentons en première partie le document d’information de la NRC, autorité de sûreté nucléaire des États-Unis, sur l’entreposage à sec des combustibles irradiés. Et, en deuxième partie, le document publié par Orano, champion du retraitement en France, qui vante les mérites de son système d’entreposage à sec des combustibles irradiés, pour le marché américain.

Tandis qu’en France, les promoteurs du nucléaire disent tout le mal qu’ils pensent de l’entreposage à sec, qu’il s’agisse de la piscine centralisée ou du projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires, on voit que l’un d’entre eux en vante les mérites aux États-Unis et s’en fait le pourvoyeur.

1. DOCUMENT D’INFORMATION SUR L’ENTREPOSAGE
EN CONTENEUR À SEC DU COMBUSTIBLE NUCLÉAIRE IRRADIÉ
(4)

Autorité de sûreté nucléaire des États-Unis, NRC (5) – Octobre 2016.

« À l’origine, les centrales nucléaires ont été conçues pour assurer l’entreposage (ou « stockage temporaire ») sur place du combustible nucléaire irradié. Connus sous le nom de « combustibles irradiés », ces faisceaux de barres de combustible doivent être remplacés de temps en temps parce qu’ils perdent leur efficacité. Environ un tiers du combustible nucléaire dans un réacteur est retiré et remplacé par du combustible neuf à chaque ravitaillement annuel. Le combustible irradié, qui génère une chaleur et une intensité d’irradiation considérables, est placé dans des bassins d’eau profonds sur le site du réacteur, où il peut être entreposé en toute sécurité.

Les concepteurs de réacteurs s’attendaient à ce que le combustible irradié soit entreposé dans des piscines pendant quelques années avant d’être retiré pour être « retraité ». Une usine de retraitement séparerait les parties qui pourraient être recyclées en nouveau combustible des parties inutilisables qui seraient éliminées comme déchets. Mais le retraitement commercial n’a jamais réussi aux États-Unis, de sorte que les piscines ont commencé à se remplir.

Les piscines atteignent leur capacité maximale

À mesure que le combustible irradié s’accumulait dans les piscines au début des années 1980, les compagnies d’électricité ont commencé à envisager des options pour augmenter la quantité qu’elles pouvaient entreposer. Les piscines sont des structures robustes qui ne peuvent pas être agrandies. Donc, les exploitants devaient ajouter plus de combustibles dans leurs piscines. Les réglementations actuelles autorisent deux options pour augmenter la capacité de la piscine : soit réarranger les assemblages pour réduire la distance entre eux, soit retirer les barres de combustible des assemblages pour les stocker de façon plus dense. La NRC doit examiner et approuver de tels changements. Mais la capacité de la piscine ne peut être augmentée.

Arrive l’entreposage à sec

Les exploitants ont alors commencé à se tourner vers l’entreposage à sec pour gérer leur combustible irradié sur place. Après quelques années dans la piscine, le combustible s’est refroidi et sa radioactivité a diminué suffisamment pour permettre son retrait. Le transport du combustible usé dans des conteneurs secs libère de l’espace dans la piscine pour stocker le combustible irradié nouvellement retiré du réacteur.

Schéma de l’entreposage à sec des combustibles irradiés

Les conteneurs à sec sont typiquement constitués d’un cylindre métallique scellé pour contenir le combustible usé, enfermé dans une coquille extérieure en métal ou en béton pour fournir une protection contre les rayonnements. Dans certains modèles, les conteneurs sont posés verticalement sur un socle en béton ; dans d’autres, ils sont placés horizontalement.

L’entreposage en conteneur à sec est sans danger pour les personnes et l’environnement. Les systèmes de conteneurs sont conçus pour absorber les rayonnements, gérer la chaleur et prévenir la fission nucléaire. Ils doivent résister aux tremblements de terre, aux projectiles, aux tornades, aux inondations, aux températures extrêmes et à d’autres scénarios. La chaleur générée par un conteneur de combustible usé chargé est généralement inférieure à celle générée par un système de chauffage domestique. La chaleur et la radioactivité diminuent avec le temps sans avoir besoin de ventilateurs ou de pompes. Les fûts sont sous surveillance constante.

Procédure d’autorisation de l’entreposage à sec

La NRC a élaboré des exigences en matière de permis d’utilisation de conteneurs par le biais d’un processus de consultation publique afin de fournir une base solide pour assurer la protection de la santé et de la sécurité publiques ainsi que de l’environnement. Le personnel de la NRC effectue des examens approfondis et n’approuve que les conceptions qui répondent à ces exigences. Les exploitants peuvent choisir parmi deux options de licence, ce qui permet au public de participer :

• Soit une licence spécifique à un site qui permet d’utiliser un modèle de fût spécifique à une centrale nucléaire particulière et offre la possibilité d’une consultation publique avant que la NRC n’octroie le permis.

• Soit une licence générale qui permet à un site de réacteur d’utiliser tout conteneur certifié par la NRC, à condition que le site respecte les conditions précisées dans le certificat. Le public peut commenter les conceptions des conteneurs avant que la NRC ne les certifie.

La NRC inspecte périodiquement la conception, la fabrication et l’utilisation des conteneurs à sec. Ces inspections font en sorte que les titulaires de permis et les fournisseurs respectent les exigences en matière de sûreté et de sécurité et respectent les conditions de leurs licences et de leurs programmes d’assurance de la qualité. Les inspecteurs de la NRC observent également des séances d’entraînement avant que les exploitants commencent à déplacer leur combustible irradié dans des conteneurs à sec.

Système d’entreposage horizontal

Système d’entreposage vertical en cours de vérification

Depuis que les premiers conteneurs ont été chargés en 1986, l’entreposage à sec n’a libéré aucun rayonnement ayant affecté le public ou contaminé l’environnement. Il n’y a eu aucune tentative connue ou soupçonnée de saboter des installations d’entreposage de conteneurs. Les tests effectués sur les composants du combustible usé et du conteneur après des années d’entreposage à sec confirment que les systèmes assurent un entreposage sûr et sécurisé. La NRC a également analysé les risques liés au chargement et à l’entreposage du combustible irradié dans des conteneurs à sec. Cette étude a révélé que les risques potentiels pour la santé sont très faibles.

Le combustible irradié est actuellement entreposé à sec dans 34 États sur plus de 60 sites sous licence générale et 15 sites avec des licences spécifiques. Des informations supplémentaires sont disponibles sur le site Web de la NRC ».

2. FICHE DE PRÉSENTATION DU PROCÉDÉ
D’ENTREPOSAGE À SEC D’ORANO USA : NUHOMS
(6)

« Lorsque le combustible nucléaire irradié est entreposé à sec, il est généralement transféré de la piscine des combustible irradiés à des conteneurs métalliques, qui sont ensuite chargés dans de lourds suremballages en béton. Ces "systèmes" d’entreposage à sec de combustibles et de suremballage ne nécessitent aucune alimentation électrique pour les systèmes d’évacuation de chaleur actifs et ne comportent aucune pièce mobile. À l’inverse, l’entreposage « à l’eau » dans la piscine des combustibles irradiés nécessite une alimentation électrique constante pour maintenir les pompes à eau de refroidissement en fonctionnement.

Orano TN fournit des systèmes d’entreposage à sec de qualité supérieure, y compris des conteneurs blindés en acier inoxydable chez notre fabricant américain, Columbiana Hi Tech, ou chez l’un de nos fabricants qualifiés QA à travers le monde. Nos suremballages en béton sont appelés « Modules de Stockage Horizontaux ». Ils sont fabriqués sur place ou fabriqués par notre fabricant américain et expédiés sur le site pour y être installés.

L’équipe d’experts offre plus que de la technologie

La gestion sûre du combustible irradié ne consiste pas seulement à acheter un système d’entreposage. Il s’agit de s’assurer les services d’une équipe coordonnée de spécialistes de la construction, d’ingénieurs et d’équipes de gestion des combustible irradiés, formées et expérimentées, les « meilleures de l’industrie ». Le programme de gestion du combustible irradié d’Orano comprend des technologies et des services de gestion du vieillissement à la pointe de la technologie, ainsi qu’un système de transport fiable et sécurisé pour acheminer les combustibles irradiés hors site.

Grâce à ces capacités et à la conception personnalisée, Orano offre tous les services nécessaires pour gérer le combustible nucléaire irradié de manière sûre et efficace du début à la fin.

Les systèmes d’entreposage à sec contiennent le combustible irradié dans une position horizontale ou verticale. Initialement, les systèmes d’entreposage à sec étaient à la verticale, jusqu’à ce qu’Orano développe une solution moins risquée et innovante : les systèmes horizontaux ne peuvent pas basculer, et la manipulation sur site de ces systèmes lourds est simple et plus sûre en position horizontale. De plus, l’orientation horizontale pendant l’entreposage évite la différence de température significative entre les deux extrémités du conteneur d’un système vertical, ce qui réduit la possibilité de contraintes thermiques induites dans le matériau. Les systèmes horizontaux sont faciles à inspecter et à transporter. Plus important encore, les modules d’entreposage horizontal d’Orano sont disposés de manière à ne laisser aucun espace, côte à côte, ce qui élimine pratiquement les émissions de rayonnement et entraîne une exposition minimale des travailleurs de l’usine et du public.

L’entreposage horizontal NUHOMS® offre :

• Le meilleur chargement grâce à un agencement côte à côte.

• Le plus haut niveau de sécurité.

• Des conteneurs en acier inoxydable hautement résistants à la corrosion, plus l’option duplex en acier inoxydable pour les environnements marins.

• Des modules massifs d’entreposage de béton offrant comme une forteresse la protection du combustible irradié.

• Un risque faible dans le déplacement du combustible sur site en raison de l’orientation horizontale.

• La performance sismique la plus élevée de tous les systèmes connus.

• Un conteneur agréé par la NRC pour le transport du combustible irradié.

• Le plus sûr moyen de déplacer le combustible usé des centrales nucléaires vers l’installation d’entreposage provisoire de la WCS (7).

• Les principales caractéristiques de sécurité résultant d’une conception conservatrice et de la conduction de la chaleur, plutôt que de dépendre de la convection.

Offrant la protection la plus importante, des prix transparents et des coûts de cycle de vie réduits, NUHOMS® est la solution d’un entreposage à sec de choix pour les installations nucléaires à travers le monde.

Avec son emballage de transport homologué par la NRC pour le combustible irradié à fort taux de combustion (burn-up) et son expérience globale inégalée dans le transport de combustibles irradiés, Orano offre des technologies et une expertise pour répondre au défi des États-Unis d’entreposer le combustible nucléaire irradié en toute sécurité ».

Vidéo promotionnelle proposée sur le site http://us.areva.com (cf. note 6) :

COMMENTAIRE

Le caractère commercial de ce document d’Orano est évident et rien de ce qui est dit n’est à prendre pour argent comptant.

Néanmoins, la réussite d’Orano dans ce domaine est indéniable et devrait amener les responsables, tant d’EDF que du Gouvernement, à réfléchir sérieusement sur la pertinence de la politique actuelle basée sur l’entreposage en piscine des combustibles irradiés et sur le retraitement de ces combustibles irradiés, avec l’exception notable du MOX et des URE, ce qui complique encore un peu plus les affaires.

Bernard Laponche

Notes

(1) Référence : https://reporterre.net/EXCLUSIF-EDF-veut-construire-une-piscine-geante-de-dechets-nucleaires-a

(2) Combustibles UOX : combustibles initialement à uranium enrichi (sous forme d’oxyde).

(3) Combustibles URE : fabriqués à partir d’uranium de retraitement enrichi, en faibles quantités.

(4) Référence : http://www.nrc.gov/reading-rm/doc-collections/fact-sheets/dry-cask-storage.html - traduction de l’auteur.

(5) NRC : Nuclear Regulatory Commission

(6) Référence : http://us.areva.com/EN/home-3138/areva-nuclear-materials-tn-americas--nuhoms-used-fuel-storage-system.html – Traduction de l’auteur.

(7) WCS : Waste Control and Storage

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REVUE DE PRESSE

La piscine baladeuse
Jean-Luc Porquet, Le Canard enchaîné, mercredi 9 mai 2018

En France, l’entreposage à sec des « cœurs » nucléaires n’est plus un tabou
Jean-Christophe Féraud, Libération, lundi 11 juin 2018


LA PISCINE BALADEUSE

Jean-Luc Porquet, Le Canard enchaîné, mercredi 9 mai 2018

Où finira-t-elle par atterrir, cette piscine ? À Belleville-sur-Loire, comme tout semble l’indiquer ? Et comme l’a révélé en février le site Reporterre, sans être démenti par EDF ? Belleville-sur-Loire, charmante cité du Cher, 1 000 habitants, est surtout connu pour sa centrale atomique. Et pour ses deux AOC fort réputés : le sancerre et le pouilly fumé sont produits pas loin d’ici.
Bientôt, sa piscine nucléaire géante devrait être célèbre dans le monde entier. Elle sera capable de stocker près de 8 000 tonnes de combustibles usés et radioactifs : l’équivalent d’une petite centaine de cœurs de réacteurs. Parmi ces combustibles, on trouvera notamment du MOX, ce mélange d’uranium et de plutonium, qui, une fois usé, reste très dangereux très longtemps et n’est pas recyclable. Il faudra refroidir en permanence l’eau de cette piscine (sinon, le relâchement de matières radioactives dans la nature n’est pas loin, et la catastrophe aussi). Elle sera donc très hautement sécurisée, avec une double coque en béton : tous les avions du monde pourront tomber dessus, même pas mal ! C’est du moins ce qu’assure EDF...
Pourquoi avoir choisi Belleville ? Parce que l’enceinte de la centrale couvre 170 hectares et qu’il y reste de la place. Et aussi parce qu’une gare la jouxte : toutes les matières hautement radioactives seront acheminées par le rail.
Pourquoi ce nouvel équipement ? Les 63 piscines existantes (une par réacteur, quatre à La Hague, une à Creys-Malville) ne suffisent pas ? Non. Celles de La Hague, notamment, sont en train de déborder. Elles contiennent déjà près de 10 000 tonnes de combustibles usés, et ça continue d’affluer de partout : chaque année, 1 200 tonnes, en provenance des 19 centrales nucléaires. Et la poubelle de Bure ? En bout de chaîne, elle est prévue pour stocker surtout des déchets résultants des opérations de retraitement des combustibles, actuellement entreposés à La Hague.
Le plus distrayant, dans cette histoire, c’est que la France s’entête à construire des piscines et une poubelle souterraine alors qu’il existe une solution moins coûteuse et moins dangereuse : le stockage à sec, en surface ou en subsurface, qui consiste à entreposer dans des conteneurs, tout près des réacteurs, les combustibles usés (pas besoin, donc, de les transporter à travers tout le territoire). Cette solution est celle qu’ont choisie depuis belle lurette les États-Unis. Et devinez qui en est, là-bas, l’inlassable promoteur ? Le champion français du nucléaire, Orano, ex-Areva ! Le physicien Bernard Laponche vient de dénicher une vidéo fort éloquente, et un bla-bla signé Orano vantant cette méthode, qui offre « le plus haut niveau de sécurité » et qui propose, clés en main, son « équipe coordonnée de spécialistes » (1). Méthode à laquelle la NRC, l’Autorité de sûreté nucléaire américaine, décerne tous les satisfecit possibles.
En attendant, ce 1er mai, les antinucléaires du Cher ont joyeusement manifesté contre la future piscine de « Tchernoville-sur-Loire »...

(1) Il l’a mise en ligne sur le site « global-chance.org ».


EN FRANCE, L’ENTREPOSAGE À SEC
DES « CŒURS » NUCLÉAIRES N’EST PLUS UN TABOU

Jean-Christophe Féraud, Libération, lundi 11 juin 2018

À la demande d’une commission d’enquête parlementaire sur la sûreté nucléaire qui doit rendre son rapport le 5 juillet, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire a comparé les deux grandes options pour faire « refroidir » les combustibles radioactifs. En France, on privilégie toujours les piscines, mais l’entreposage en silos n’est plus exclu.

Que faire des 10 000 tonnes de combustibles usés, déchargées des 58 réacteurs nucléaires d’EDF, qui refroidissent aujourd’hui dans les piscines de La Hague (Manche), bientôt saturées et potentiellement vulnérables au risque terroriste ? Existe-t-il une alternative à « l’entreposage sous eau », pratiqué depuis cinquante ans en France pour permettre le retraitement de l’uranium et du plutonium ? « L’entreposage à sec », privilégié par la plupart des autres pays, est-il une alternative plus sûre que le projet de piscine centralisée envisagé par EDF à Belleville-sur-Loire, dans le Cher ? Venue de l’écologie, la députée LREM Barbara Pompili voulait avoir réponse à toutes ces questions : en tant que rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur « la sûreté et la sécurité des installations nucléaires », elle planche sur cet envers du décor de l’atome depuis le mois de février. Avec le président UDI de cette commission, Paul Christophe, elle a donc demandé un rapport à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la meilleure manière de sécuriser l’entreposage de ces matières radioactives dangereuses, en attendant un éventuel stockage définitif dans les entrailles de Cigéo, le futur cimetière nucléaire de Bure (Meuse).

« Lors de nos auditions et travaux, nous avons été alertés sur la vulnérabilité des piscines de combustibles usés. Il nous fallait une expertise indépendante sur les différents types d’entreposage disponibles qui aille au-delà des postures et débats d’opinion », a expliqué vendredi Barbara Pompili lors de la remise de cette étude au siège de l’IRSN, à Fontenay-aux-Roses, en région parisienne. À l’automne, Greenpeace avait en effet jeté un pavé dans la mare atomique en pointant du doigt « les failles de sécurité » de ces fameuses piscines de combustible jugées « très mal protégées ». L’ONG était ensuite passée du rapport à l’action en envoyant une dizaine d’activistes s’introduire à Cattenom (Moselle) et Cruas (Ardèche), jusqu’à toucher le mur des piscines de refroidissement des réacteurs…

Piscine ou casemate ?

Vu la technicité de ces questions, l’IRSN, bras armé de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), était le plus outillé pour répondre aux interrogations des parlementaires. L’institut a rendu son rapport d’une soixantaine de pages sur « les concepts et enjeux de sûreté de l’entreposage du combustible nucléaire usé ». Ce document passe en revue les deux grands concepts d’entreposage de combustibles radioactifs « qui ne répondent pas totalement aux mêmes besoins ». Mais entre l’option piscine, privilégiée par l’industrie nucléaire française, et l’option entreposage à sec, en casemate ou silo de béton, poussée par Greenpeace pour « bunkériser » l’entreposage de ces matières radioactives, l’IRSN ne tranche pas clairement : « À chaque concept ses usages, ses avantages et inconvénients. L’entreposage en piscine est particulièrement adapté aux combustibles encore très chauds, alors que l’entreposage à sec est réservé aux combustibles suffisamment refroidis », a résumé le directeur général de l’IRSN, Jean-Christophe Niel, en présentant le rapport.

Car au sortir du réacteur, les barres de combustibles usées sont d’abord placées dans une piscine toute proche, pendant trois ou quatre ans, le temps de faire décroître leur chaleur, et surtout leur radioactivité. Ensuite, elles sont transportées à La Hague, à la pointe du Cotentin, pour aller baigner quelques années de plus dans les piscines de l’usine Orano (ex-Areva) avant un éventuel retraitement : la matière valorisable, uranium et plutonium, redevient du combustible recyclé, tandis que les « déchets ultimes », fortement radioactifs, sont vitrifiés dans des containers en inox. Mais les combustibles composés d’uranium et de plutonium (MOX) ne refroidissent pas à la même vitesse : « L’uranium a une puissance thermique de 7 kW quand le MOX est à 14 kW. Il faut attendre que cette valeur descende à 6kW pour que l’on puisse transporter la matière, et le combustible doit être à 2kW pour un entreposage à sec », explique Jean-Christophe Niel. Manière de dire que l’option piscine reste « la plus adaptée pour les combustibles peu refroidis ». Et notamment le MOX à base de plutonium, qui doit passer plusieurs dizaines d’années sous l’eau avant de redescendre en température.

Fermer le robinet

Autre argument de l’IRSN en faveur des piscines : elles permettent de surveiller « la maîtrise du vieillissement des gaines de combustibles à base de zirconium », alors que « dans les entreposages à sec, la capacité d’examen direct et aisé des gaines est plus réduite ». En conclusion, le rapport reconnaît que les entreposages en piscine nécessitent « des dispositions de sûreté plus importantes ». Mais dans les entreposages à sec, les gaines de combustibles, « première barrière de confinement » face au risque radioactif, « sont plus sollicitées thermiquement et moins aisément contrôlables »… Au bout du compte, l’IRSN semble plutôt pencher pour la solution des piscines, privilégiée par la France, la Russie et le Japon (alors que l’entreposage à sec est pratiqué aux Etats-Unis, au Canada ou en Allemagne). Manière de renvoyer dans ses cordes Greenpeace ? Si l’ONG milite pour l’entreposage à sec, c’est qu’elle a dans l’idée qu’en arrêtant les opérations de retraitement de La Hague, on fermera bientôt « le robinet nucléaire ». C’est pourquoi elle est aussi hostile au projet de piscine centralisée d’EDF, conçue pour accueillir 8 000 tonnes de combustibles irradiés et pour durer plus d’un siècle.

Quelle sera la position de la commission d’enquête parlementaire sur le nucléaire à la lecture de cette étude ? « Aujourd’hui, on sait que l’entreposage à sec est envisageable mais qu’il dépend de choix politiques. On a suffisamment d’éléments pour dire que l’arbitrage entre les deux peut être fait et qu’il n’est pas interdit par la législation, contrairement à ce qui nous a été dit. Ce rapport élargit la palette des possibles », estime d’ores et déjà Barbara Pompili, qui présentera son rapport d’enquête le 5 juillet. Yves Marignac, du cabinet Wise abonde : « C’est une excellente chose que l’on parle enfin de l’entreposage à sec dans ce pays, ce n’est plus un tabou et il va y avoir un débat d’opportunité sur la grande piscine d’EDF. Ce qui a été fait dans le passé est fait, mais pourquoi ne pas opter cette fois pour un entreposage à sec sécurisé ? » Selon cet expert critique, EDF pourrait y avoir intérêt. Car opter pour des silos et des casemates lui coûterait bien moins cher que de construire une méga-piscine bunkérisée. Mais pour cela, il faudrait en finir avec le dogme français du retraitement des déchets nucléaires, produire moins de combustibles… et donc fermer de nombreux réacteurs. Et ça, ce n’est pas gagné.

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Enfouir les déchets nucléaires, un débat éthique
Bernard Laponche et Pierre-Marie Abadie (interview croisée), La Croix, vendredi 20 avril 2018

« Enfouir les déchets nucléaires est la pire des solutions »
Bernard Laponche (interview), Le Monde daté du jeudi 29 mars 2018

La production de déchets dans les scénarios de RTE
Bernard Laponche, document de travail, mardi 20 février 2018

Plutonium entreposé à La Hague 2010-2016
Jean-Claude Zerbib et André Guillemette, note de travail, 13 février 2018

Belleville sur Loire, la conséquence de la faillite de la doctrine du retraitement
Benjamin Dessus, Le Club Mediapart, lundi 19 février 2018

La poursuite du retraitement des combustibles nucléaires se justifie-t-elle encore aujourd’hui ?
Benjamin Dessus, note de travail, vendredi 16 février 2018

Nucléaire : jusqu’où iront-ils ?
Jean-Marie Brom, Le Club Mediapart, dimanche 24 septembre 2017

Cigéo : « une remise en cause profonde » s’impose !
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Contribution à la consultation publique organisée par l’ASN sur son « Projet d’avis relatif au dossier d’options de sûreté de l’installation de stockage de déchets radioactifs Cigéo », 13 septembre 2017

Cigéo ou la chronique d’un échec annoncé
Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Bertrand Thuillier, Le Monde, lundi 7 août 2017

« Le potentiel de danger à La Hague est sans équivalent »
Yves Marignac (interview), Libération, mercredi 29 mars 2017

Retraitement des combustibles belges à La Hague et gestion des combustibles et des déchets radioactifs en Belgique
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À VOIR... ET À MÉDITER

Into Eternity. La cachette nucléaire (film documentaire)
Michael Madsen, Magic Hours Films, 2010, durée 1h15
Une « plongée dans l’abîme du futur nucléaire » (Le Monde, 17 mai 2011)
Onkalo, Finlande. Peut-on construire un site souterrain pour stocker des déchets nucléaires hautement radioactifs et assurer son inviolabilité pendant... 100 000 ans ? Le documentaire de science-fiction est né, fascinant et vertigineux.

Le film dans sa version intégrale est disponible en ligne sur Youtube

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Quand l’Église se mêle de Bure...
Gestion des déchets nucléaires :
Réflexions et questions sur les enjeux éthiques [6.9 Mo, fichier pdf]
Rapport du groupe de travail constitué autour de Marc Stenger, évêque de Troyes et président de Pax Christi France, novembre 2012, 31 pages
Y compris un liminaire de Philippe Gueneley (évêque de Langres), Jean-Paul Mathieu (évêque de Saint-Dié), Marc Stenger (évêque de Troyes) et François Maupu (évêque de Verdun)

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Changer de paradigme...


Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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