L’empreinte écologique : comparer la demande et l’offre de ressources régénératives de la biosphère

, par   Natacha Gondran

Pour faire face aux crises écologiques planétaires actuelles, la société doit disposer d’informations lui permettant de comparer les pressions qu’elle exerce sur la biosphère mondiale aux capacités de cette biosphère. Article de Natacha Gondran & Aurélien Boutaud, publié par l’Encyclopédie du Développement Durable en décembre 2009.

Le postulat de cet article est que pour faire face aux crises écologiques planétaires actuelles, la société doit disposer d’informations lui permettant de comparer les pressions qu’elle exerce sur la biosphère mondiale aux capacités de cette biosphère. Les travaux sur l’empreinte écologique visent à contribuer à cette réflexion. Les principes, méthodes, atouts et limites de cet indice sont discutés ci-dessous.

Un indicateur est la traduction d’un concept ou d’un phénomène sous la forme d’un signal ou d’un chiffre. Il s’agit donc d’une construction humaine qui agence entre elles des données qui peuvent être de natures ou d’origines différentes (observations directes, échanges économiques, statistiques nationales ou internationales, données géographiques, etc.). Ainsi, tout indicateur repose sur des hypothèses, des choix plus ou moins explicites, et des conventions de calcul. Oublier cela fait courir le risque de fausse interprétation et de mauvaise utilisation des résultats affichés. Il n’est pas inutile de le rappeler… en particulier lorsqu’il s’agit d’aborder la question du développement durable ! Car ce concept aux contours flous fait l’objet d’interprétations diverses, et la sélection d’« indicateurs du développement durable » est donc intimement liée aux présupposés qu’ont les personnes qui effectuent ces choix.

Par exemple, les indicateurs monétarisés, de type PIB vert ou épargne nette ajustée, reposent implicitement sur l’hypothèse que capital économique et ressources naturelles sont substituables (hypothèse dite de soutenabilité faible) (Gadrey, 2009). De tels indicateurs monétaires écartent donc largement l’hypothèse d’un « seuil de durabilité écologique » au-delà duquel le capital naturel serait trop sollicité et le maintien des équilibres écologiques ne serait plus assuré. Comment, dans ces conditions, savoir si la pression exercée par l’Homme sur la biosphère dépasse, ou non, ses capacités de régénération ? L’empreinte écologique a été conçue afin d’apporter des éléments de réponse à cette question.

qu’est ce que l’empreinte écologique ?

L’empreinte écologique a été conceptualisée dans les années 1990 par deux chercheurs de l’Université de Colombie Britannique : Mathis Wackernagel et William Rees (Wackernagel et Rees, 1999). Depuis, l’outil n’a cessé d’évoluer et de s’améliorer, grâce, notamment, aux travaux du Global Footprint Network [1]. Cependant, son cadre théorique, ses principes généraux et son mode de calcul sont globalement restés les mêmes.

Un des postulats de base de ses inventeurs est que, dans un monde où la pression humaine sur les ressources naturelles est croissante tandis que l’état des écosystèmes fait l’objet d’inquiétudes dans de nombreux domaines, il apparaît nécessaire de pouvoir comparer « l’offre » en ressources naturelles à la « demande » humaine sur ces ressources. La vocation de l’empreinte écologique est donc de comparer les capacités de la biosphère (pour régénérer les ressources naturelles et assimiler les déchets) à la demande humaine. Concrètement, cet objectif se traduit par une question de recherche qui peut être quantifiée : quelle part des capacités bioproductives de la planète est nécessaire pour subvenir à la demande liée aux activités humaines ? (Wackernagel, 2009)

Pour répondre à cette question, le système de comptabilité de l’empreinte écologique repose sur l’hypothèse que les flux de ressources et de déchets peuvent être mesurés en termes de surfaces biologiquement productives, nécessaires pour produire ou assimiler ces flux. En effet, grâce aux végétaux qu’elles abritent et au processus de photosynthèse, ces surfaces ont la capacité remarquable de transformer, grâce à l’énergie reçue du soleil, les ressources minérales (eau, sels minéraux, dioxyde de carbone) en matières organiques dont une partie pourra être utilisée par l’Homme. Ainsi, d’un côté, l’empreinte écologique vise à estimer la surface biologiquement productive de terre et de mer qu’il faudrait mobiliser pour produire les biens et services consommés par les activités humaines ou absorber certains déchets. D’un autre côté, est recensée la surface de terre ou de mer disponible pour cette production : la « biocapacité » qui représente la capacité de la biosphère à répondre à la demande humaine en termes de ressources renouvelables et d’absorption des déchets. Par exemple, l’empreinte écologique liée à la consommation de cultures agricoles sera la surface nécessaire pour produire les quantités de céréales, fruits et légumes consommées chaque année par une population donnée, tandis que la biocapacité sera la surface disponible pour cette production agricole.

Cet indicateur cherche donc à représenter la quantité de « nature » qu’il faut mobiliser pour faire fonctionner durablement l’économie humaine (Boutaud, 2009b). Plus précisément, il s’attache à la partie vivante et régénérative de l’écosystème terrestre (la biosphère) en considérant que le maintien dans le temps de la capacité de charge de cette biosphère est une des conditions les plus critiques de la durabilité écologique. Cette capacité de charge est caractérisée par deux fonctions essentielles : la capacité de renouvellement des ressources issues de la biomasse (cultures agricoles, élevage, produits forestiers, produits issus de la pêche) et sa capacité d’assimilation des déchets. Partant de là, le système comptable de l’empreinte écologique repose sur un constat simple : l’essentiel de ces services biologiques (production de ressources biologiques, épuration et séquestration de certains déchets) trouve son origine dans le processus de photosynthèse. La quantité de services que la biosphère peut rendre dépend donc en grande partie de la surface disponible pour capter la lumière du soleil par le biais de la photosynthèse. Ces surfaces de sol et de mer sont qualifiées de « surfaces bioproductives ».

L’empreinte écologique peut donc être définie comme « un indicateur synthétique qui représente la quantité de capacité régénérative de la biosphère nécessaire au fonctionnement des activités humaines pendant une année donnée, en termes de superficie correspondante de sols ou d’espaces aquatiques biologiquement productive devant être mobilisée pour répondre à cette demande sans entamer le capital naturel – en utilisant les technologies et les méthodes de production et de gestion des ressources en vigueur durant l’année en question » (Boutaud et Gondran, 2009).

comment est-elle mesurée ?

Le principe de l’empreinte écologique est donc assez simple : il s’agit de traduire des quantités de matières consommées par les hommes (exprimées en tonnes ou en volumes), de sols occupés (en hectares) ou encore d’émissions de CO2 sous la forme d’une surface de terre ou de mer nécessaire à leur production – ou leur séquestration pour ce qui concerne les émissions de CO2. Mais du principe à sa concrétisation, le cheminement est long et complexe : pour estimer l’empreinte écologique d’une nation, le Global Footprint Network utilise plus de 5000 données statistiques issues de différentes sources statistiques internationales ! Quelques principes fondamentaux sont à retenir :

L’empreinte écologique est relative à la consommation nette d’une nation

L’empreinte écologique est relative à la consommation nette d’un pays. Il s’agit donc d’estimer l’impact environnemental lié à la consommation finale d’une population donnée et non à sa production. La consommation nette est donc calculée en additionnant productions et importations d’un bien donné avant d’en retrancher ses exportations.

L’empreinte utilise une unité de mesure standardisée : l’hectare global

Les surfaces mondiales présentent des productivités biologiques très variables selon leur nature (pâturages, surfaces marines, forêts, champs cultivés) et leur localisation géographique. Pour agréger ces surfaces, le système comptable de l’empreinte écologique pondère chaque surface en fonction de sa productivité [2] en termes de biomasse utilisable. Les surfaces ainsi standardisées sont baptisées « hectares globaux » (hag).

L’hectare global est donc un hectare de surface bioproductive dont la productivité en termes de biomasse utilisable équivaut à la moyenne mondiale constatée sur une année donnée. Une autre manière de présenter les choses consiste à dire que l’empreinte écologique nous informe sur la surface productive de la planète qu’il faut mobiliser “en moyenne” pour répondre à nos besoins.

Pour chaque type d’empreinte (cf. encadré ci-dessous), la conversion entre hectares réels et hectares globaux est donc opérée en utilisant :
• des facteurs d’équivalence qui reflètent les variations de productivité entre les différentes catégories de surfaces (champs cultivés, pâturages, espaces marins, etc.) ;
• des facteurs de rendement ou de récolte qui reflètent les différences de productivité entre chaque catégorie de surface nationale et la moyenne mondiale de cette catégorie.

Trois types d’empreinte écologique sont alors calculés : l’empreinte écologique liée aux consommations de ressources biologiques (elles-mêmes de différents types), celle liée aux surfaces urbanisées, et enfin celle liée à l’utilisation des énergies fossiles.


Encadré :

Quelques éléments techniques sur les calculs d’empreinte écologique

L’empreinte écologique agrège trois grands types d’empreinte, présentés ci-après :

L’empreinte écologique liée aux consommations de ressources renouvelables

L’empreinte des ressources renouvelables équivaut aux surfaces bioproductives nécessaires à la production de ces ressources. Il peut s’agir :
• de champs cultivés pour fournir les céréales, les légumes, les fibres textiles, le tabac, etc. (plus de 70 produits issus de champs cultivés sont aujourd’hui pris en compte) ;
• de pâturages (pour produire le lait et les produits laitiers, la viande…) ;
• de surfaces d’espaces marins (mers et océans pour produire les poissons et autres ressources halieutiques) ;
• ou encore d’espaces forestiers (pour fournir le bois nécessaire aux constructions, au chauffage des bâtiments ou encore à la fabrication du papier).

Au niveau des nations, la formule de calcul générique des ressources renouvelables est la suivante :

Empreinte (hag) = (consommation (t/an) / rendement mondial (t/ha/an)) x facteur d’équivalence (hag/ha)

Les données utilisées pour calculer l’empreinte écologique liée aux consommations de ressources renouvelables sont obtenues auprès de la FAO [3].

L’empreinte écologique liée aux surfaces urbanisées

L’empreinte des surfaces urbanisées correspond aux surfaces mobilisées pour installer des infrastructures qui peuvent être dédiées au logement (habitat), au travail (bureaux, usines), au commerce, aux loisirs, aux transports (chemins, routes, voies ferrées...) ou encore à la production d’énergie renouvelable (surfaces noyées pour la production d’hydroélectricité par exemple). La plupart du temps, ces surfaces empiètent sur des surfaces d’anciens champs cultivés ou de pâturages – sauf exception, comme certains barrages hydroélectriques de montagne. La conversion entre hectares réels et hectares globaux se base alors sur les facteurs d’équivalence et de récolte des terres arables. Les données utilisées sont issues du World Resources Institute Global Land cover [3].

L’empreinte écologique liée à l’utilisation des énergies fossiles

Enfin, pour l’empreinte écologique liée à l’utilisation des énergies fossiles, plusieurs méthodes de calcul étaient envisageables car, contrairement aux autres types d’empreinte, il ne s’agit pas de surfaces effectivement utilisées, mais de surfaces qui seraient nécessaires pour assimiler de façon durable les émissions générées par les activités humaines. Le choix actuel de la méthode de calcul de l’empreinte écologique est donc d’estimer les surfaces de forêt qui seraient nécessaires pour absorber les émissions de CO2 qui ne sont pas absorbées par les océans.

Cette méthode de comptabilisation des émissions de CO2 découle de la logique conceptuelle de l’empreinte écologique : l’hypothèse sous-jacente est que la préservation du climat actuel nécessiterait de solliciter la biosphère terrestre pour assimiler le dioxyde de carbone émis par la combustion des ressources fossiles afin d’éviter son accumulation dans l’atmosphère.
Elle ne signifie pas que la plantation de forêts soit la bonne réponse face au changement climatique. Bien au contraire, elle conduit à conclure que la biosphère n’a pas la capacité d’assimiler ainsi tout le dioxyde de carbone émis par les activités humaines. Il s’agit donc de surfaces de forêt “théoriques”, dont il faudrait disposer (en plus de la capacité de séquestration des océans) pour éviter le changement climatique.

Le mode de calcul de l’empreinte écologique liée à l’utilisation des énergies fossiles est le suivant :

Surfaces fossiles (ha) = (émissions anthropiques de CO2 (t) – part absorbée par les océans (t)) x facteur d’équivalence forestier (hag/ha) / ratio de séquestration des forêts (tCO2/ha)

Les données utilisées sont issues des statistiques de l’Agence Internationale de l’Energie et de rapports du GIEC. Notons que, depuis les calculs 2005 d’empreinte écologique (publiés en 2008), l’empreinte écologique n’intègre plus de composante liée à la consommation d’électricité nucléaire [3].


quelles tendances l’empreinte écologique met-elle en évidence ?

L’empreinte écologique des nations : quelques chiffres clés

En 2005, l’empreinte écologique de l’humanité était estimée à environ 17,5 milliards d’hectares globaux, soit environ 2,7 hag de terres et de mer productifs par habitant (Hails, 2008). Cela signifie qu’il faut, en moyenne, mobiliser chaque année 2,7 hectares de sols et de mer (d’une productivité mondiale moyenne) pour produire les ressources renouvelables consommées par un Terrien et absorber ses émissions de CO2. Mais cette valeur moyenne cache des inégalités très fortes selon les modes de vie dominants dans les différentes Nations du Monde. Par exemple, l’empreinte écologique d’un Étasunien est de 9,2 hectares globaux, tandis que celle d’un habitant du Bangladesh dépasse à peine 0,6 hectare global. La moyenne française, quant à elle, est de 4,9 hag.

Figure 1 : L’empreinte écologique des grandes régions du Monde en 2005 (Hails, 2008)

Empreinte écologique et biocapacité : une situation insoutenable

Au-delà de ce constat d’inégalité, il apparaît également que l’empreinte écologique de l’humanité (2,7 hag/hab) est aujourd’hui assez largement supérieure à la biocapacité mondiale (2,1 hag/hab). Cela revient à dire qu’il faudrait davantage de surfaces bioproductives que celles dont nous disposons pour répondre de manière durable à nos besoins. Depuis la fin des années 1980, l’humanité s’est ainsi mise à solliciter chaque année davantage de services issus de la biosphère que celle-ci est capable d’en régénérer : le capital naturel critique est donc bel et bien en train de se dégrader. Cette dette écologique peut s’expliquer par deux phénomènes coexistant :
• une consommation de ressources renouvelables supérieure à leur rythme de renouvellement, se traduisant par un épuisement progressif des stocks (c’est le cas par exemple des ressources halieutiques) ;
• une production de CO2 supérieure à la capacité de séquestration de la biosphère, ce qui génère une accumulation de carbone dans l’atmosphère… et donc un dérèglement climatique probable – en plus de l’épuisement des ressources fossiles.

En comparant la pression exercée par l’homme sur les ressources naturelles, à travers ses diverses consommations et émissions de CO2, aux capacités de production biologique des surfaces terrestres, l’empreinte écologique aboutit à la conclusion que les modes de vie actuels liés à une partie (une minorité !) de la population mondiale conduisent à un dépassement global des capacités de renouvellement des ressources biologiques et d’assimilation du CO2 par la biosphère (on parle de « déficit écologique »).

quels sont les atouts de l’empreinte écologique ?

Le premier atout de l’empreinte écologique est d’être un des rares indicateurs biophysiques qui vise à comparer directement la demande en biens et services fournis par la biosphère (l’empreinte écologique) à l’offre disponible (biocapacité) [4]... Son système comptable permet donc de déterminer un « seuil de durabilité écologique » et d’établir un bilan, qui peut s’avérer positif (c’est à dire soutenable, au sens fort du terme : si l’empreinte écologique est inférieure à la biocapacité disponible) ou négatif (insoutenable : si l’empreinte écologique est supérieure à la biocapacité). Cette caractéristique en fait un indicateur de durabilité incontournable. Basé sur des flux et données physiques, il est tout à fait complémentaire des indicateurs monétaires. Une autre originalité de l’empreinte écologique est d’imputer l’impact lié à la production des biens à leurs consommateurs et non à leurs producteurs. Cela permet donc d’attribuer aux consommateurs la responsabilité des aspects environnementaux se produisant à l’extérieur de leur territoire, et non seulement leurs émissions directes. Contrairement aux inventaires d’émissions de gaz à effet de serre, par exemple, ce choix méthodologique permet de ne pas valoriser des politiques qui consisteraient à délocaliser la pollution plutôt qu’à la réduire réellement. Cet enjeu n’est pas négligeable : par exemple, les émissions liées à la fabrication et aux transports des biens consommés par la Norvège ont été estimées à 67% de ses émissions domestiques (Peters et Hertwich, 2006).

Les résultats d’empreinte écologique sont synthétiques et, exprimés dans une unité (l’hectare) que l’esprit humain peut facilement se représenter, cet indicateur est souvent utilisé à des fins pédagogiques. Il connaît donc un succès tel que le concept est aujourd’hui très largement utilisé par le grand public. Mais cette utilisation généralisée ne va pas sans certaines erreurs de compréhension ou d’interprétation. En effet, ces résultats simples cachent une méthode de calcul complexe et inéluctablement imparfaite sur certains points mais qui fait l’objet de travaux de recherche afin d’être encore améliorée (Kitzes et al., 2009).

quelles sont les limites de l’empreinte écologique ?

Du fait de ses qualités indéniables, l’empreinte écologique a contribué à populariser l’idée de soutenabilité écologique. Cependant, l’indicateur est parfois victime de son succès. De nombreuses personnes utilisent parfois ses résultats sans savoir exactement ce qu’ils recouvrent. Si la littérature scientifique est honnête quant au champ que couvre l’empreinte écologique, il n’est pas inutile de rappeler ici que l’empreinte écologique ne prétend pas tout mesurer :
• Méthode basée sur des statistiques de production et consommations de ressources biologiques, l’empreinte écologique ne dit rien quant à l’état des réserves de ressources non renouvelables et leur niveau d’épuisement. Pour être informé sur ce sujet, des indicateurs complémentaires doivent être utilisés.
• Afin d’éviter les doubles-comptages de surfaces, les ressources en eau et leur utilisation ne sont pas non plus représentées dans l’empreinte écologique (les réserves d’eau sont souvent situées dans des nappes phréatiques, situées sous des sols qui ont une autres utilisation). Simultanément à la publication des résultats d’empreinte écologique, le « Rapport Planète vivante » du WWF (Hails, 2008) publie donc, par exemple, un indicateur parallèle sur l’utilisation de l’eau. Cet indicateur est basé sur certains principes communs à l’empreinte écologique : l’empreinte « eau de consommation » inclut pour chaque Nation les consommations d’eau nécessaire à la production des biens consommés dans le pays, tandis que l’empreinte « eau de production » renseigne sur la pression exercée sur les ressources en eau de chaque pays.
• Si l’empreinte écologique est supposée prendre en compte les capacités d’assimilation des déchets émis par les activités humaines, seul le CO2 est vraiment pris en compte (en plus de la surface nécessaire à l’enfouissement des déchets solides). Des améliorations méthodologiques sont envisagées pour prendre en compte l’ensemble des gaz à effet de serre.
• L’empreinte écologique porte sur les capacités de régénération de la biosphère. Ce choix exclue donc des calculs d’empreinte écologique la prise en compte directe de la toxicité et écotoxicité des polluants, ainsi que des activités intrinsèquement non régénératives et non durables (pollutions radioactives, pollution des écosystèmes par des métaux lourds ou molécules de synthèse persistantes (PCB, dioxines, etc.), par exemple). Des indicateurs portant sur ces thèmes doivent donc être utilisés en complément de l’empreinte écologique.
• De même, les dégradations écologiques (érosion des sols, salinité des nappes, etc.) ne sont pas directement représentées par l’empreinte écologique. L’impact de ces phénomènes a toutefois toutes les chances de se traduire à terme par la diminution de la productivité des sols, et donc la diminution de la biocapacité.
• Contrairement à ce que l’adjectif « écologique » pourrait laisser penser, l’empreinte est un indicateur de pression, et non d’état. Il ne prétend donc pas mesurer la biodiversité ni la perte de richesse des écosystèmes. Pour pallier à cela, des indicateurs parallèles sont là encore nécessaires. Par exemple, le « Rapport Planète vivante » du WWF publie un indicateur sur la biodiversité : « l’indice planète vivante ».
• Comme tout indice agrégé basé sur des données statistiques, l’empreinte écologique ne peut représenter les aspects pour lesquels les données statistiques sont rares ou peu pertinentes. De même, ses résultats peuvent être faussés pour des pays pour lesquels les données sont peu fiables.
• Enfin, il s’agit bien évidemment d’un indicateur concernant la durabilité écologique : l’empreinte écologique ne prétend donc pas représenter les aspects non écologiques (sociaux, économiques, démocratique, etc.) de la durabilité. Dans une optique de développement durable, il est donc nécessaire de combiner l’utilisation de l’empreinte écologique à des indicateurs socio-économiques comme par exemple l’Indice de Développement Humain [5].

Au final, si son caractère synthétique lui confère des qualités pédagogiques toutes particulières, il est par contre évident que l’empreinte écologique gagne à être associée à d’autres indicateurs représentant d’autres facettes de la complexité du développement durable.

quelle utilisation peut / devrait-on en faire ?

Que ce soit du côté de ses détracteurs [6] ou de ses partisans, l’empreinte écologique ne laisse personne indifférent. C’est un « agitateur d’idées » qui fait l’objet de nombreux débats. Que ce soit par des ONG [7], des enseignants [8], ou des collectivités, l’empreinte écologique est aujourd’hui surtout utilisée pour sensibiliser le grand public aux impacts sur l’environnement de nos modes de vie et faciliter l’appropriation des changements nécessaires à une réduction des pressions sur l’environnement. On peut toutefois regretter l’absence d’étude sociologique sur l’impact que peut avoir la présentation des résultats d’empreinte écologique sur la modification des représentations, voire des comportements. La question se pose également de savoir si cet indicateur peut être utilisé par les politiques publiques (au niveau national ou territorial) voire les entreprises.

A ce propos, on notera qu’au niveau local, plusieurs collectivités européennes ont estimé leur empreinte écologique. En France, l’exercice a été fait par plusieurs régions (Midi-Pyrénées, Nord-Pas de Calais, Île-de-France), agglomérations ou villes (Grand Lyon, Marseille, Besançon, etc.). Deux principales limites apparaissent : le manque de disponibilité des données nécessaires au calcul à l’échelle de territoires infra-nationaux, et la difficulté des collectivités à s’approprier la méthode pour en faire un outil de suivi et d’aide à la décision. Cela cantonne donc pour l’instant l’empreinte écologique à un rôle de sensibilisation et d’information du grand public (Raoul-Duval, 2008).

Au niveau national, plusieurs pays ont lancé des réflexions sur l’opportunité d’utiliser l’empreinte écologique. La Suisse semble avoir d’ores et déjà franchi le pas en publiant sur un site administratif officiel les résultats de son empreinte écologique [9]. L’administration française se montre quant à elle plus réservée.

En France, en 2008, la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social (CMPEPS), dite commission Stiglitz, a eu pour mission de « déterminer les limites du PIB en tant qu’indicateur des performances économiques et du progrès social, de réexaminer les problèmes relatifs à sa mesure, d’identifier les informations complémentaires qui pourraient être nécessaires pour aboutir à des indicateurs du progrès social plus pertinents, d’évaluer la faisabilité de nouveaux instruments de mesure et de débattre de la présentation appropriée des informations statistiques ». Pour cette commission, « les aspects environnementaux de la soutenabilité méritent un suivi séparé reposant sur une batterie d’indicateurs physiques sélectionnés avec soin. Il est nécessaire, en particulier, que l’un d’eux indique clairement dans quelle mesure nous approchons de niveaux dangereux d’atteinte à l’environnement (du fait, par exemple, du changement climatique ou de l’épuisement des ressources halieutiques) ». Cependant, si son rapport final reconnaît les qualités pédagogiques de l’empreinte écologique, il souligne également que ses « hypothèses sous-jacentes s’opposent à celles qui sous-tendent la notion de soutenabilité faible »… Argument sans appel pour cette Commission, composée majoritairement d’économistes (et sans spécialiste de sciences de l’environnement), qui renonce à envisager cet indicateur comme indicateur de durabilité. Elle en conclut donc que « les empreintes écologiques ne sont pas tant conçues comme des mesures de la soutenabilité d’un pays mais comme mesures de sa contribution à la non-soutenabilité globale ».

Le Conseil économique social et environnemental (CESE, 2009) a été également saisi par le premier ministre sur la question des indicateurs de développement durable et l’empreinte écologique. Conscient des critiques communément adressées à la méthode (voir notamment (Piguet et al., 2007)), il plaide, dans son avis sur « Les indicateurs du développement durable et l’empreinte écologique » pour une participation plus active de la statistique publique française aux travaux internationaux du Global Footprint Network (CESE, 2009) afin de contribuer aux améliorations méthodologiques préalables à une généralisation de l’utilisation de l’empreinte écologique pour le pilotage et le suivi des politiques publiques.

Enfin, le service statistique du ministère de l’environnement a mené en 2009 une mission d’évaluation de la méthode de l’empreinte écologique. L’aptitude de l’empreinte écologique à intégrer la liste des indicateurs phares de la stratégie française de développement durable devrait être examinée en 2010 lors d’une conférence nationale sur les indicateurs de développement durable organisée conjointement par le conseil national de l’information statistique (CNIS) et le ministère de l’écologie.

En conclusion, l’empreinte écologique apparaît aujourd’hui comme un outil incontournable de mobilisation et d’éveil des consciences, préalable indispensable à la mise en oeuvre de modes de vie plus durables, un outil de communication susceptible de donner un contre-poids, dans les mentalités, face au Produit Intérieur Brut. Mais il ne faut pas oublier pour autant que cet indicateur ne prétend pas prendre en compte tous les aspects de la durabilité écologique. Dans une optique d’aide à la décision plus fine, il faut donc l’associer à un tableau de bord qui permette d’assurer une meilleure exhaustivité. Le débat reste donc ouvert quant à la place que doit occuper l’empreinte écologique. Mais dans tous les cas, il nous semble qu’il est grand temps de faire sortir les discussions sur l’évaluation du développement durable hors des sphères d’experts et, comme le propose le Conseil Economique Social et Environnemental, d’« associer étroitement les citoyens et la société civile au choix des indicateurs et à l’évaluation de leurs évolutions » (CESE, 2009).

Les auteurs

Natacha Gondran : Maître-assistante au centre SITE (Sciences, informations et technologies pour l’environnement) de l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne. Ses activités de recherche et d’enseignement portent sur les enjeux et méthodes contribuant à la prise en compte de l’environnement.
Aurélien Boutaud : Docteur en sciences et génie de l’environnement de l’École nationale supérieure des mines de Saint-Étienne. Il est aujourd’hui conseiller et chercheur indépendant (www.aboco.net), spécialiste des indicateurs alternatifs.

Pour en savoir plus

BOUTAUD Aurélien, GONDRAN Natacha (2009) L’empreinte écologique, Editions La Découverte, Collection Repères, février 2009, 128p.
BOUTAUD Aurélien (2009) "L’empreinte écologique, entre fantasmes et réalité", Ecorev n°31 « Des chiffres et des êtres », mars 2009
CONSEIL ECONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL (2009) Les indicateurs de développement durable et l’empreinte écologique, Avis présenté au nom de la commission ad hoc par Philippe Le Clézio rapporteur 27 mai 2009-10-13 http://ladocumentationfrancaise.fr/...
CMPEPS (2009) Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, octobre 2009, 324 p. http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr...
EWING B., REED A., RIZK S.M., GALLI A., WACKERNAGEL M., AND KITZES J. (2008) [Calculation Methodology for the National Footprint Accounts], 2008 - Edition. Oakland : Global Footprint Network.
FIALA (2008) Measuring Sustainability : Why the Ecological Footprint is Bad Economics and Bad Environmental Science". Ecological Economics, 2008, 67(4), 519-525.
GADREY J . (2009), Richesse et développement durable : mesurer quoi pour aller où ? L’Encyclopédie du développement durable, 4D – Editions des Récollets, disponible sur http://encyclopedie-dd.org/Richesse...
HAILS C. (ed.) (2008) Rapport Planète vivante 2008, World Wildlife Fund, Gland. Disponible sur http://assets.panda.org/downloads/l... (consulté le 6/11/2009)
PETERS GP, HERTWICH EG (2008), CO2 Embodied in International Trade with Implications for Global Climate Policy, Environmental Science & Technology 42(5):1401-1407.
PIGUET F-P, BLANC I, CORBIERE-NICOLLIER T ET ERKMAN S (2007) l’empreinte écologique : un indicateur ambigu Futuribles n°334, octobre 2007 pp5-24
RAOUL-DUVAL Judith (2008) Empreinte écologique, retour sur expériences territoriales, Collection Recherche du PUCA, n° 190, mai 2008, 62 p.
WACKERNAGEL M., REES W. (1999) Notre empreinte écologique, Ecosociété, Montréal.
WACKERNAGEL Mathis (2009) Methodological advancements in footprint analysis, Ecological Economics, Volume 68, Issue 7, 15 May 2009, pp. 1925-1927

À lire également sur le site de Global Chance

Le compteur et la jauge
Aurélien Boutaud et Natacha Gondran, interview, L’ÉcologithÉque, mercredi 3 mars 2010

(haut de page)

[1Site internet : www.footprintnetwork.org

[2C’est à dire la masse totale de biomasse qui peut être produite par une surface donnée.

[3Les sources des données utilisées sont notamment consultables sur le site Internet du Global Footprint Network, ainsi que dans (Ewing et al., 2008)

[4Dans le même objectif, un autre indicateur, « l’Espace Environnemental », avait été proposé par Hans Opschoor en 1992. L’idée était de représenter « l’espace que les êtres humains peuvent utiliser dans l’environnement naturel sans porter atteinte durablement à ses caractéristiques essentielles » (Zaccai, 2002). L’indicateur a été repris et médiatisé par les Amis de la Terre, mais son calcul est difficile et souvent approximatif. De plus, chaque ressource devant faire l’objet de mesures et d’unités spécifiques, il ne pouvait y avoir d’« espace environnemental » agrégé pour les différentes ressources naturelles. Cet indicateur est donc aujourd’hui bien moins largement utilisé que l’empreinte écologique

[5Voir en particulier la confrontation pédagogique entre empreinte écologique et indice de développement humain dans Boutaud A. (2003) « Développement durable : à la recherche des bons indicateurs », Problèmes économiques, n°2800, pp.1-3

[6Voir par exemple (Fiala, 2008)

[7Par exemple, le WWF, Agir 21...

[8Voir par exemple la Cité des Sciences

[9Voir par exemple L’empreinte écologique
de la Suisse - Une contribution au débat sur la durabilité
, Office fédéral de la statistique, 2006