« Il faut déjà s’adapter au changement climatique »

, par   Laurence Tubiana

À l’occasion de la parution de son livre « Anticiper pour s’adapter – Le nouvel enjeu du changement climatique » (octobre 2010, Éditions Pearson), co-écrit avec François Gemenne et Alexandre Magnan, Laurence Tubiana fait le point sur la question de l’adaptation au changement climatique, souvent occultée par le thème de la lutte contre le réchauffement, tout en évoquant les enjeux de la conférence de Cancún (Mexique) sur le climat.

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Laurence Tubiana : « Il faut déjà s’adapter au changement climatique »
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« IL FAUT DÉJÀ S’ADAPTER AU CHANGEMENT CLIMATIQUE »

Laurence Tubiana, metronews.fr, lundi 29 novembre 2010

Questions à Laurence Tubiana directrice de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales) et co-auteure (avec François Gemenne et Alexandre Magnan) d’« Anticiper pur s’adapter – Le nouvel enjeu du changement climatique » (éd. Pearson). Elle fait partie de la délégation française au sommet international sur le climat à Cancun, au Mexique (29 novembre – 10 décembre), et pour Metro, elle fait le point sur la question de l’adaptation au changement climatique, souvent occultée par le thème de la lutte contre le réchauffement.


S’adapter au changement climatique : à l’heure où on parle plutôt de lutte contre le réchauffement, cela peut apparaître comme du défaitisme. Al Gore évoque « une sorte de paresse »...

Cela ne dispense pas de poursuivre les efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les industries, les transports ou encore l’agriculture doivent quoi qu’il en soit agir dans ce sens. L’adaptation, elle, a été le parent pauvre des débats jusqu’ici, peut-être faute de résonance médiatique suffisamment forte.

Or, ainsi que l’illustrent le risque de disparition de petites îles du fait de la montée des eaux à certains endroits (Tuvalu ; Trinidad et Tobago...) ou encore la canicule en France en 2003, le réchauffement climatique fait déjà des victimes, qui sont moins représentées lors des débats. Il est donc urgent que cette question arrive sur le devant de la scène.

Soulever la question de l’adaptation, c’est justement l’inverse de la paresse, avec l’idée sous-jacente que, quel que soit le processus de lutte contre le réchauffement, la catastrophe n’est pas inévitable et qu’il faut justement agir, mettre en œuvre les technologies adéquates et donner à chacun la capacité de "résister aux chocs".

Concrètement, ça veut dire quoi ?

Premier exemple d’adaptation : faire face aux risques d’inondation liés à la montée des eaux. Aux Pays-Bas, le débat est posé : faut-il relever les digues ou pas ? Même question en Camargue : mettre des digues ou laisser davantage de place aux eaux ? Tous les pays aujourd’hui n’ont pas encore choisi. Au Bangladesh, pays très pauvre qui a besoin d’un effort de solidarité internationale et où une grande partie de la population est en zone inondable, deux pistes sont évoquées : des déplacements de population et une révision à la hausse du système de contrôle des eaux. Et ainsi de suite, comme aux Maldives, où la question du déménagement de la population se pose aussi.

Autre exemple d’adaptation : faire face à la sécheresse. En Afrique subtropicale, deux types de réponses sont par exemple possibles, selon les régions : la migration de populations vers les côtes ou des projets d’adaptation de l’agriculture, comme la Grande Muraille verte, destinée à ériger une "barrière" au désert, en plantant de la végétation et des cultures très économes en eau et en faisant une meilleure utilisation de l’irrigation.

Partout, des solutions locales peuvent être mises en œuvre pour favoriser un plan d’occupation des sols adéquat. C’est aussi une question de sécurité. D’ores et déjà, l’agriculture doit partout s’adapter. En France, des cultures devraient "migrer" plus au nord. Certains arbres fruitiers, comme les abricotiers et les pêchers, ont du mal à rester dans le sud. Vigne, élevage... dans chaque domaine des solutions doivent être trouvées pour s’adapter au changement climatique, notamment en mettant au point des plantes résistant à la sécheresse ou des traitements face à l’apparition de nouveaux parasites.

Combien y a-t-il de réfugiés climatiques ? Et quelle est leur reconnaissance actuellement ?

Certaines études parlent de 26 millions de personnes aujourd’hui, entre 200 et 250 millions d’ici à 2050. Elles n’ont pas de statut juridique aujourd’hui.

Les pays en voie de développement estiment que les pays riches ont “l’obligation financière” de les aider, car elles se considèrent victimes d’un réchauffement en partie provoqué par la croissance des pays riches.

Où trouver l’argent pour aider les pays les plus vulnérables à s’adapter ?

Actuellement, sur les 30 milliards de dollars, enveloppe à laquelle les pays riches disaient pouvoir consentir à l’issue de Copenhague pour aider les pays du Sud dans la lutte contre le changement climatique, une partie va sur des expérimentations d’adaptation. Exemples : des travaux sur des céréales peu consommatrices en eau. Mais au Sommet de Cancun, il s’agira de se mettre d’accord sur des financements innovants. L’idée d’une taxe sur les transactions financières, défendue notamment par la France, fait partie des pistes proposées.

Au sommet de Cancun, peut-on attendre davantage d’engagements des Etats qu’à celui de Copenhague ?

On n’attend pas un traité complet dans tous les domaines et signé par tout le monde, comme on l’espérait à Copenhague. Tout le monde a été échaudé. Les anticipations ont été réduites. D’une part, les États-Unis et la Chine ne sont toujours pas prêt à un accord. D’autre part, les pays émergents craignent qu’un accord contraignant soit un frein à leur croissance, et ils redoutent une ingérence des pays occidentaux dans leurs affaires intérieures, à l’heure où les rapports de force économiques changent au profit de certains pays (Brésil, Inde...).

Un accord contraignant est donc aujourd’hui hors de portée. En attendant, parallèlement, il est à espérer que chaque pays renforce déjà en interne sa politique de lutte contre le réchauffement climatique. C’est devenu une préoccupation majeure pour un certain nombre de pays.

Peut-il cependant y avoir des avancées à Cancun ?

À Cancun, on assistera sans doute à la réaffirmation des politiques nationales, et des États vont se battre qu’il y ait le moins de contrôle possible sur leurs affaires intérieures. Les États vont se jauger mutuellement. Difficile de savoir s’ils s’en dégagera de l’émulation ou du sur-place. L’Europe, qui s’est déjà engagée à réduire de 20% ses émissions d’ici à 2020, va-t-elle annoncer 30% ? Autant de questions à suivre... Il va falloir reconstruire la confiance entre États en vue de 2012, prochain sommet en Afrique du Sud.

Reste que des “petites avancées” peuvent être obtenues en matière de financement et de lutte contre déforestation. Concernant les financements à court terme [appelés « financements précoces », ndlr] pour aider les pays en voie de développement à lutter et à s’adapter au réchauffement, 30 milliards de dollars avaient été promis par les pays riches pour la période 2010-2012. Va-t-on les atteindre ? Ce sera l’heure des comptes.

Concernant les forêts, l’idée est de mettre en place un système permettant de “récompenser” des pays quand ils limitent la déforestation. Ils pourraient ainsi bénéficier de mécanismes de financement publics ou privés pour, par exemple, le développement des énergies alternatives. L’Indonésie et l’Afrique australe seraient partants.

Enfin, concernant les financements à long terme, les États avaient promis, sans engagement, d’atteindre 100 milliards de dollars chaque année à compter de 2020. La discussion portera sur la création de financements innovants. Une taxe sur les transactions financières semble aujourd’hui la plus consensuelle. Même le Royaume-Uni, qui y était très hostile, évolue sur ce sujet. Une taxe sur l’aviation et les transports maritimes sera également discutée.

Propos recueillis par Olivier Aubrée

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