Déchets nucléaires : « Les risques n’ont pas la publicité qu’ils méritent »

, par   Yves Marignac

Yves Marignac
L’Alsace, 27 septembre 2008
Propos recueillis par Simon Barthélémy

Aujourd’hui, les antinucléaires manifestent contre un nouveau projet d’enfouissement des déchets radioactifs. Expert à Wise-Paris, une agence indépendante d’information et de conseil sur le nucléaire, Yves Marignac explique les enjeux autour des rebuts de l’industrie nucléaire.

L’Andra a sollicité les communes pour accueillir le futur site de stockage des déchets. Que pensez-vous de cette démarche ?

La nature non démocratique d’un processus qui consiste à s’adresser aux élus sans consulter les populations n’échappe à personne. Derrière le discours sur la transparence, on s’adresse à des communes répondant à des critères géologiques — des sols imperméables pour limiter d’éventuelles fuites radioactives — mais aussi socio-économiques : le potentiel d’acceptabilité est plus fort dans le Nord-Est (Ardennes, Lorraine…) où l’économie est sinistrée. Ainsi, les tractations pour les mesures d’accompagnement risquent d’avoir lieu directement entre les élus et l’Andra, sans en informer les citoyens.

Quels sont les déchets concernés par le futur site ?

Ce sont les rebuts nucléaires à « faible activité et vie longue », notamment issus des structures combustibles des premiers réacteurs français. La loi de 2006 sur la gestion des déchets parle de deux catégories de déchets, ceux au radium et ceux au graphite, utilisé dans les premières centrales françaises qui arrivent en fin de vie.
Mais dans son courrier adressé aux communes, l’Andra évoque « le cas échéant » la possibilité d’inclure d’autres déchets. Il s’agirait notamment de déchets de l’usine de retraitement de Marcoule. Or, ils sont mal conditionnés et ne correspondraient pas aux critères de sécurité valables pour les autres déchets. Une fois encore, le niveau d’information ne correspond pas à l’importance que mérite ce sujet.

Quels sont les risques pour la santé et l’environnement de ces « FAVL » ?

Un contact physique avec ces déchets n’est pas immédiatement mortel, contrairement aux déchets fortement irradiant que sont les combustibles des réacteurs et les « HAVL » (hautement actifs et à vie longue) qui seront stockés à Bure en grande profondeur.
Le risque est plutôt dans les effets à long terme par des contaminations chroniques de l’environnement — sols et nappes phréatiques, un peu comme les incidents révélés cet été au Tricastin. Et ils sont réels : la Commission nationale d’évaluation estime que du fait des dégagements possibles de chlore 36, un élément radioactif, le graphite, devrait être stocké en grande profondeur, comme les HAVL, c’est-à-dire plutôt à des centaines de mètres qu’à partir de 15 mètres, comme le souhaite l’Andra. Elle a ainsi posé en termes scientifiques une question politique majeure.
De plus, comme l’a montré la fuite récente d’un site de stockage en Allemagne, les modélisations doivent rester modestes face à la réalité du stockage et l’incertitude sur son évolution à long terme — des centaines de milliers d’année de dangerosité pour ces déchets.

Les futures centrales permettront-elles de réduire la production de déchets ?

La troisième génération de réacteurs — l’EPR en construction à Flamanville — n’apporte aucun progrès significatif sur cette question. Tout juste pourra-t-il éventuellement utiliser du MOX (plutonium recyclé). La quatrième génération prétend au contraire résoudre le problème en recyclant le plutonium et en brûlant ses produits radioactifs, aujourd’hui vitrifiés. Mais on peut émettre des doutes énormes sur sa faisabilité.
Aucun saut qualitatif n’a été franchi depuis 10 ans. On sait faire de la transmutation — comme on appelle ce procédé — sur une petite cible, mais pas encore sur l’ensemble du cœur d’un réacteur. Et il sera très complexe de gérer les flux de déchets à l’échelle d’un parc. C’est donc, à mon sens, un mythe destiné à construire l’image d’un nucléaire propre d’ici 50 ans et légitimer d’ici là la construction d’EPR. Avec les mêmes problèmes de déchets qu’actuellement.

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