Comment subventionner légalement EDF et le nucléaire français ?

, par   Global Chance

La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) a publié récemment un appel d’offre portant sur un service de « Conseil juridique de la DGEC relatif à la régulation du marché de l’électricité ». Vaste sujet s’il en est.

Notre curiosité fut aiguisée car une consultation publique (discrète) avait été lancée en janvier sur une « Nouvelle régulation économique du nucléaire existant ». Cette consultation proposait en effet une réforme en profondeur du mécanisme d’accès actuel à la production nucléaire historique d’EDF (ARENH). Global Chance y a répondu en soulevant, notamment, un certain nombre de « fragilités » conceptuelles et juridiques.

Que dit donc le cahier des charges de cet appel d’offre ?

« Dans le cadre de la stratégie française pour l’énergie et le climat et des mesures du projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publié en janvier 2019, le Gouvernement prévoit de proposer les modalités d’une nouvelle régulation du parc nucléaire existant qui permette de garantir la protection des consommateurs contre les hausses de prix de marché au-delà de 2025 en les faisant bénéficier de l’avantage compétitif lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire historique, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer la pérennité économique de l’outil de production pour répondre aux besoins de la PPE dans des scénarios de prix bas.
Dans ce cadre, l’administration expertise différents mécanismes d’intervention publique, en complément ou en substitution des mécanismes actuels, afin d’accroître la visibilité dont disposent l’ensemble des acteurs du marché de l’électricité, tout en préservant la compétitivité du prix de l’électricité pour les consommateurs. Le Gouvernement a lancé le 17 janvier 2020 et jusqu’au 17 mars 2020, une consultation sur un projet de régulation économique. »

Jusque là, rien de nouveau puisque cela correspond à la consultation publique précédemment citée. Un esprit taquin pourrait faire remarquer qu’il eut été intéressant – voire pertinent - de consulter des juristes avant de proposer de transformer le parc nucléaire en Service d’intérêt économique général avec un raisonnement plus que bancal. Mais passons…

La suite du cahier des charges est plus intrigante :
« Outre les travaux sur la régulation du parc nucléaire existant, le projet de PPE prévoit que le
Gouvernement conduise avec la filière d’ici mi-2021 un programme de travail permettant d’instruire les questions relatives au nouveau nucléaire, et à ses avantages et inconvénients par rapport à d’autres moyens de production bas-carbone, afin de permettre une prise de décision sur le lancement éventuel d’un programme de construction de nouveaux réacteurs nucléaire. Dans ce cadre il s’agit en particulier d’expertiser la compatibilité d’un tel programme avec le droit de la concurrence national et communautaire. »

Les observateurs attentifs noteront que ce texte se réfère au projet de PPE de 2019, alors que sa version de janvier 2020 est bien plus précise puisqu’il s’agit d’étudier la capacité à construire six EPR [1].

Il est intéressant également de noter que la DGEC semble désormais se poser la question de leur faisabilité juridique avant de se lancer dans les grandes réformes. Les leçons successives des premiers dispositifs de soutien aux énergies renouvelables déclarés illégaux et de la procédure en cours sur la réforme du stockage de gazporteraient elles leurs fruits ? Rappelons que quand une aide d’Etat est déclarée illégale, c’est l’entreprise qui en a bénéficié qui doit rembourser, pas l’Etat qui semble jusqu’à présent s’évertuer à jouer l’argent des autres à la roulette.

Cependant, on ne voit pas pourquoi un programme de construction de réacteurs nucléaires poserait en soi question vis-à-vis du droit de la concurrence. A moins bien sûr qu’il ne fasse pas l’objet de mises en concurrence ? Evidemment, si l’Etat demande à EDF de construire les réacteurs considérés comme nécessaires dans une future PPE de manière spontanée… et le refuse aux autres… ça se complique, et on comprend le besoin de conseil juridique.

Mais le meilleur reste à venir :

« Il permettra [le marché de conseil] à l’administration d’évaluer la robustesse juridique de plusieurs dispositifs de régulation économique du marché amont de la production d’électricité, de différents schémas de financement de la construction potentielle de nouveaux réacteurs si une telle décision était prise, en particulier lorsque ce financement est intégré dans un dispositif de régulation, ainsi que de différentes options pour le portage d’un éventuel programme de nouveaux réacteurs nucléaire pour le système électrique français. Le prestataire devra notamment fournir des analyses sur la robustesse juridique des dispositifs envisagés, au regard notamment du droit de la concurrence et des aides d’État, et les conditions nécessaires pour rendre ces dispositifs viables et réalisables. »

On notera les précautions de langage et l’emploi du conditionnel ainsi que la clarté de l’exposé. Le problème de la DGEC est simple : comment faire passer auprès de la Commission Européenne un programme massif de développement d’un nouveau parc nucléaire subventionné au seul bénéfice d’EDF « si une telle décision était prise » ?

Le document de consultation amusera également probablement les avocats puisqu’on attend du conseil juridique de proposer les meilleures options pour contourner le droit.
« Le Conseil juridique doit également être force de propositions et d’innovations, capable d’identifier les enjeux de la régulation du marché de l’électricité, et proactif quant à la formulation d’hypothèses de travail puis l’élaboration d’une stratégie et la rédaction des livrables attendus, dans l’intérêt général et celui du ministère. »

Il aurait été plus honnête de dire « intérêt d’EDF » tant les multiples initiatives récentes semblent concourir à un seul objectif : le financement public direct ou indirect de l’entreprise EDF que l’on semble confondre un peu rapidement avec l’intérêt général. Les dispositifs de soutien aux entreprises en difficulté existent, et seraient probablement plus simples à mobiliser.

Enfin, rassurons-nous, ce marché ne pourra pas coûter plus de 600 000 euros par an ni excéder une durée de 3 ans. C’est très modeste en matière nucléaire et gageons que la solution arrivera avant la mise en service du premier EPR…