Centrales nucléaires : « Les risques s’accroissent avec l’âge »

, par   Bernard Laponche

Les centrales nucléaires françaises actuelles ont été conçues au début des années 70 sans que soit pris en compte le risque, jugé quasi-inexistant à l’époque, d’un accident grave. Aujourd’hui, l’Autorité de Sûreté Nucléaire elle-même considère qu’un accident grave est possible en France, avec un coût collectif “estimé” entre 500 et 5000 milliards d’euros... Or le vieillissement des centrales se traduit par une dangerosité accrue : le parc électronucléaire français est régulièrement affecté par des accidents plus ou moins graves. Combien en faudra-t-il, et de quelle ampleur, pour arriver à la conclusion qu’il vaut mieux arrêter les réacteurs ?

Page publiée en ligne le 16 juin 2013
Dernière mise à jour : 18 juin 2012 à 21h03

Sur cette page :
« Les risques s’accroissent avec l’âge » (Bernard Laponche, interview)
Les centrales nucléaires et leurs risques d’accidents (Vidéos)
À voir également sur le site de Global Chance (Dossiers & publications)

« LES RISQUES S’ACCROISSENT AVEC L’ÂGE »

Bernard Laponche (interview), Paris-Normandie.fr, dimanche 5 mai 2013

ROUEN (Seine-Maritime). Bernard Laponche, expert indépendant et co-fondateur de l’association Global Chance, est partisan d’une sortie du nucléaire. Il est intervenu le 10 avril à Saint-Martin-en-Campagne dans le cadre du débat sur la transition énergétique en Haute-Normandie.

N’est-ce pas logique de prévoir l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires pour assurer la transition énergétique ?

Ces centrales ont été conçues au début des années 70, pratiquement toutes sur le même modèle - des réacteurs à eau sous pression hérités des premiers réacteurs américains de ce type. Elles ont été prévues pour trente ans, sans que soit pris en compte dans leur conception l’accident grave. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) le dit elle-même, et la même Autorité nous indique en parallèle qu’un accident grave est possible en France. Dès lors on peut penser que cette filière n’est pas sûre. Compte tenu du vieillissement, il faudrait impérativement ne pas dépasser les 40 ans. Déjà 30 ans, c’est la limite. Même avec un maximum de précautions, les risques s’accroissent avec l’âge.

EDF avance qu’aux États-Unis, des centrales similaires ont été prolongées jusqu’à 60 ans. Qu’en pensez-vous ?

L’âge d’une centrale n’est pas calculé de la même façon. En France on compte à partir de la première divergence (premières fissions et réaction en chaîne) ; aux États-Unis, à partir du début de la construction. Il peut donc y avoir un décalage d’environ dix ans. Cela dit, si certaines centrales ont eu cette autorisation, cela ne prouve pas que l’on doive l’accorder en France. L’ancien responsable de la sûreté nucléaire américaine vient de se prononcer pour un arrêt de toutes les centrales après 40 ans du fait la dangerosité accrue liée au vieillissement. C’est donc un problème qui est aussi en discussion aux États-Unis.

Peut-on faire confiance à l’ASN pour assurer un allongement sans risque ?

En France, il n’y a pas de durée d’exploitation légale. Les avis de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’ASN sont très importants. Pour le moment, l’ASN a autorisé la poursuite d’activité d’un certain nombre de réacteurs. Fessenheim 1 a été autorisé à fonctionner jusqu’à 40 ans, alors que Fessenheim 2 a été autorisé à continuer, mais sans préjuger de la durée. Mais l’ASN étant consultative, le gouvernement peut très bien décider, pour des raisons de sécurité des populations, qu’il ne faut pas aller au-delà de 40 ans, par exemple.

Quelles sont les principales difficultés liées au vieillissement des installations ?

Le premier élément, qui ne peut pas être changé, c’est la cuve, dont la rupture éventuelle n’est pas prévue. Ou plutôt on considère que cela n’arrivera pas. Or l’acier des cuves, bombardées par les neutrons, présente un risque de dégradation. L’enceinte de confinement en béton n’étant pas non plus remplaçable, il faut s’assurer que le taux de fuite de matières radioactives ne dépasse pas un certain seuil et que sa résistance ne sera pas diminuée. Par ailleurs il y a des km de tuyaux et de fils électriques qui ne sont pas remplacés. L’industrie nucléaire dit que chaque accident est l’occasion de procéder à des modifications de façon à améliorer la sûreté. Combien faudra-t-il d’accidents pour arriver à la conclusion qu’il vaut mieux arrêter les réacteurs ? Supposons que l’accident grave survienne : c’est un coût que l’IRSN estime entre 500 et 5000 milliards d’euros, c’est aussi une région entière éventuellement condamnée pour plusieurs siècles par la contamination. La question qui se pose, c’est : est-ce que le jeu en vaut la chandelle ?

Qu’attendez-vous du débat sur la transition énergétique ?

La transition énergétique, dans le respect des engagements de la France au niveau européen, cela signifie des économies d’énergie, une réduction de la consommation d’électricité, et le développement des énergies renouvelables. La deuxième question, c’est de mettre en évidence que même en dehors de l’accident grave, le fait d’avoir un parc électrique qui dépend à 75% du nucléaire est extrêmement risqué. En cas de panne générique, la production électrique serait gravement impactée et l’économie française à genoux. L’idée de réduire la contribution du nucléaire répond donc à une logique, dont même les pro-nucléaire peuvent convenir. On peut penser que la loi sur la transition énergétique qui découlera du débat intégrera une réduction de la part du nucléaire, puisque c’est l’engagement pris par le président de la République. Ce qui déjà nous amènerait sur la bonne voie.

Propos recueillis par S.G.

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VIDÉOS : LES CENTRALES NUCLÉAIRES ET LEURS RISQUES D’ACCIDENTS

Bernard Laponche, polytechnicien, docteur ès sciences en physique des réacteurs nucléaires

1ère partie : le fonctionnement d’une centrale

2nde partie : les risques d’accidents

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