ASTRID et les surgénérateurs Contribution de Global Chance au débat public PNGMDR (17 avril - 25 septembre 2019)

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

En amont du débat public prévu sur le Plan de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), ouvert du 17 avril 2019 au 25 septembre 2019, la commission particulière du débat public (CPDP) chargée de son organisation a mis en œuvre une démarche de « clarification des controverses ». L’objectif était, dans la perspective du débat d’apporter au public non spécialiste mais soucieux de disposer d’une bonne information technique les informations permettant de comprendre les différences d’argumentations exprimées par des experts ou des organismes institutionnels, et ce sur la base d’une série de questions relevant de ce plan... Ont participé à ce travail de mise à plat des enjeux du débat : EDF, Orano, l’Andra, le CEA et l’IRSN, mais aussi la CLI de Cruas, Global Chance, France Nature Environnement (FNE) et WISE-Paris.

Sur cette page :
Benjamin Dessus et Bernard Laponche : ASTRID et les surgénérateurs
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ASTRID ET LES SURGÉNÉRATEURS

Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Global Chance, contribution préalable au débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMR 2019-2021), vendredi 19 octobre 2018


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Pour mémoire, la question posée par la CPDP :

Question 2 b - D’un point de vue purement technique, et dans l’hypothèse où l’État le souhaiterait, des RNR industriels, inspirés éventuellement du démonstrateur ASTRID, pourraient-ils être déployés dans les prochaines décennies avec un niveau de sûreté équivalent ou supérieur à celui des réacteurs de 3ème génération (EPR) ?


1. Réacteur à neutrons rapides et surgénérateur

ASTRID (1) serait un nouveau prototype de réacteur à neutrons rapides (2), à combustible constitué d’un mélange d’oxyde d’uranium appauvri produit lors de de l’enrichissement et de 20 à 25% d’oxyde de plutonium issu du retraitement des combustibles irradiés qui constitue l’élément fissile de base du combustible. Parallèlement, une fraction de l’uranium 238 se transforme en plutonium au sein de ces combustibles. Si la quantité de plutonium ainsi fabriquée dans le réacteur est supérieure à celle détruite par les fissions, on dit que le réacteur est « surgénérateur ». La récupération de la chaleur produite se ferait grâce à du sodium liquide.

La puissance électrique d’ASTRID devait être de 600 MW. Au début de 2018, le CEA, maître d’ouvrage du programme, a proposé au gouvernement d’abaisser cette puissance pour des raisons financières à 100 ou 200 MW. De plus ASTRID ne serait pas surgénérateur mais devrait démontrer la possibilité de la surgénération.

2. Les risques de la filière

Tous les isotopes et composés du plutonium sont toxiques et radioactifs. Si des particules de plutonium sont inhalées ou ingérées, elles irradient directement les organes où elles se sont déposées : le poumon dans le cas d’une inhalation, le foie et les surfaces osseuses dans le cas d’une ingestion. Le plutonium peut donc affecter l’ADN et provoquer des cancers.

Le sodium présente de graves inconvénients :
• le sodium liquide réagit violemment avec l’eau. C’est ce qui s’est produit au niveau des générateurs de vapeur lors de l’accident de Shevchenko en 1973 en URSS.
• Le sodium liquide brûle spontanément dans l’air, d’où il résulte des risques d’incendie (accident de Monju en 1995 au Japon).

Contrairement à la plupart des autres types de réacteurs, le cœur du réacteur n’est pas dans sa configuration la plus réactive. Si, pour une raison quelconque (secousse sismique par exemple) les assemblages combustibles se rapprochaient les uns des autres ou si, à la suite d’une fusion partielle, les combustibles se rassemblaient dans une région du cœur, il y aurait possibilité de formation de masses critiques conduisant à une accélération de la réaction en chaîne, libérant une grande quantité d’énergie sous forme explosive. En cas de rupture de l’enceinte de confinement, cela conduirait à la diffusion d’aérosols de plutonium hautement toxiques dans l’atmosphère.

Enfin rappelons que le plutonium 239 est fissile. A l’état métallique (et sous forme de sphère), sa masse critique est de l’ordre de 6 kilos. Sa production pour des réacteurs civils faciliterait le développement de l’arme nucléaire ; tandis que le détournement de combustibles neufs contenant du plutonium permettrait la fabrication de bombes artisanales.

3. L’économie de la filière des réacteurs rapides à plutonium et sodium

Rien n’est publié à notre connaissance sur le coût d’ASTRID et de celui de la chaîne du combustible qui en est le complément indispensable et donc, in fine, sur le coût du kWh que produirait un tel réacteur.

La monographie du CEA de 2014 (3) fournit les éléments suivants (page 197) :
• « En conclusion, on prendra pour le reste des études présentées un surcoût de 30% de l’investissement pour un RNR, par rapport à un réacteur à eau classique, tout en notant les très fortes incertitudes sur cette valeur ».
• « La balance de compétitivité entre les réacteurs à eau et les réacteurs rapides au sodium dépend du coût de l’uranium naturel et du surcoût d’investissement des rapides. Dans l’hypothèse simpliste d’un prix de l’uranium naturel constant sur toute la durée d’exploitation d’un parc de réacteurs et d’un taux d’actualisation nul, les RNR-Na compensent un handicap de surcoût à l’investissement de 30% pour un coût de l’uranium supérieur à 200 € par kilo ».
• « Des calculs plus récents tenant compte de l’augmentation du coût du kW installé des réacteurs à eau et d’un taux d’actualisation non nul (mais non précisé) amènent ce chiffre autour de 700 € par kilo » alors qu’en 2017, le prix sur le marché se situait à environ 70 $ le kilo.

C’est bien sur l’ensemble « réacteur-industrie du plutonium » que doit porter le jugement global sur la filière ainsi proposée, sur les plans technique, de sûreté et de sécurité, comme sur le plan économique (4).

Notes

(1) ASTRID : Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration

(2) Trois réacteurs à neutrons rapides ont déjà fonctionné en France et ont été définitivement arrêtés : le réacteur expérimental Rapsodie, Phénix (250 MW) et Superphénix (1240 MW).

(3) CEA : « Les réacteurs nucléaires à caloporteur sodium », Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, monographie de la Direction de l’énergie nucléaire, éditions Le Moniteur, 2014.

(4) Cf. contribution Le multi-recyclage du plutonium et la transmutation des actinides mineurs, Benjamin Dessus et André Guillemette, Global Chance, vendredi 19 octobre 2018

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Énergie, Environnement, Développement, Démocratie : changer de paradigme pour résoudre la quadrature du cercle (Manifeste publié en ligne le 1er mai 2014)

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