Le nucléaire bon marché ?

, par   Benjamin Dessus

En dépit de quelques lacunes, le récent rapport de la Cour des comptes sur les coûts de la filière nucléaire a profondément changé la donne de ce secteur industriel. En révélant officiellement le véritable coût prévisionnel de l’électricité que produirait l’EPR, au regard duquel les énergies renouvelables arrivées à maturité deviennent concurrentielles, la Cour des comptes a remis en cause l’avenir de ce type de réacteur. La prolongation du parc actuel, désormais privilégiée par l’État français et la filière nucléaire, est aujourd’hui présentée comme l’option la moins coûteuse. Mais cet argument ne tient pas compte des mesures d’économies d’énergie envisageables pour un coût en moyenne inférieur... De plus, on se contenterait alors « de décaler de 20 ans les investissements indispensables de démantèlement et de remplacement du parc nucléaire par de nouveaux moyens de production quels qu’ils soient, et d’en reporter la charge à la génération qui nous suit. » Et l’on accepterait aussi, tout en s’exposant au risque d’un accident majeur, « de voir la France brutalement plongée dans la pénurie électrique, si malgré les travaux engagés sur le parc, le gouvernement [était] amené à retirer son autorisation d’exploiter à tout ou partie du parc après constat d’une défaillance ou d’un risque par l’Autorité de sûreté nucléaire. »

Benjamin Dessus, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

Sur cette page :
Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire (présentation - SdN)
L’économie nucléaire (introduction - SdN)
Le nucléaire bon marché ? (Benjamin Dessus, juin 2012)
À voir également sur le site (publications et dossiers thématiques)

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ATOMES CROCHUS : ARGENT, POUVOIR ET NUCLÉAIRE

Le Réseau « Sortir du nucléaire », en association avec la Compagnie théâtrale Brut de béton production, organise ses secondes Journées d’études et de propositions les 3 et 4 novembre 2012 à Clermont-Ferrand autour du thème « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire ».

Le journal Atomes crochus a été publié pour engager les Journées d’études. Il donne de multiples informations pour peser sur l’enjeu de cette thématique et ouvrir le débat à travers de nombreux articles. L’énergie nucléaire est-elle vraiment bon marché ? L’énergie nucléaire est-elle directement liée au pouvoir ? Qui a mis en place la politique atomique de la France et sur quels réseaux s’appuie-t-elle ? Et si le nucléaire n’était plus rentable pour personne ?

16 pages couleur - format A3

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L’ÉCONOMIE NUCLÉAIRE

L’économie nucléaire est indissociable de la technologie employée : elle n’est plus quantifiable… elle est fondamentalement probabiliste, plus on avance dans la technologie nucléaire, plus la nature aléatoire du réel s’impose et plus les coûts deviennent impossibles à maîtriser.

Le caractère « irrationnel », c’est-à-dire impossible à prévoir, s’applique aux autres aspects de la technologie, et notamment dans le domaine des accidents. Les observations indiquent que le taux de probabilité d’un accident est 300 fois supérieur à celui qui avait été calculé (vous avez bien lu trois cent fois). [voir sur ce point l’article de Bernard Laponche, Accident nucléaire : l’inacceptable pari - note de la rédaction de global-chance.org]

Pour connaître le vrai prix du nucléaire, il faut, en plus des chiffres officiels
d’investissement, de fonctionnement et d’entretien, prendre en compte
les coûts dissimulés et détournés, sociaux et environnementaux.

Ce sont des coûts plutôt difficiles à quantifier :
• les coûts de la pollution radioactive engendrée par l’industrie nucléaire,
• es coûts de la gestion des déchets et du démantèlement des centrales,
• les surcoûts liés aux accidents, sans parler du coût démesuré que
pourrait impliquer une éventuelle catastrophe.

Peut-on alors toujours affirmer que le nucléaire est une énergie bon marché ?
Surtout si, au bout du compte, au vrai prix à payer s’ajoute celui des catastrophes...

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LE NUCLÉAIRE BON MARCHÉ ?

Depuis Fukushima les partisans de la poursuite du nucléaire s’appuient sur deux arguments péremptoires :
• il n’est pas possible d’en sortir en France car, avec 75% de la production d’électricité, la sortie nous ramènerait à la bougie,
• le nucléaire est bien moins cher que ses concurrents, en particulier les renouvelables.

À l’appui de cette seconde affirmation qui vient justifier la première, le calcul qu’a présenté la Cour des comptes dans son rapport de Janvier dernier pour le parc existant indique un coût du MWh de l’ordre de 50 €, si l’on en exclut les dépenses publiques de recherche passées (14 €/MWh) et celles à prévoir pour mettre à niveau la sûreté des réacteurs après Fukushima et en entretenir tant bien que mal les éléments accessibles, évaluées sur la base des seuls éléments fournis par EDF à 5€/MWh supplémentaires.

Il est exact qu’à ce coût-là, la concurrence est rude pour les autres filières : 55 à 70 € pour les cycles combinés à gaz et les centrales à charbon, 80 pour l’éolien terrestre, plus de 200 pour le photovoltaïque.

Bien entendu on évite soigneusement dans cette démonstration de parler du coût des mesures d’économie d’électricité. En effet il faudrait comparer le coût de ces économies d’électricité, non plus au coût de production, mais au coût complet de l’électricité distribuée (produite, transportée, distribuée) jusqu’à l’usager, aujourd’hui de l’ordre de 130 €/MWh. Et, comme les coûts de ces économies qui pourraient atteindre plus de 30% de la consommation française actuelle sont en moyenne largement inférieurs à 100€/MWh, mieux vaut pour la démonstration les passer sous silence ou les déclarer impossibles à réaliser.

C’est donc dans des conditions très spéciales que l’économie nous prescrit qu’il faut continuer !

Et, comme on a pris la précaution d’expliquer, comme l’a fait la Commission Énergies 2050 de l’ex-ministre Besson, que la sûreté nucléaire était incontournable, on fait tout simplement l’hypothèse qu’elle est acquise… Alors que jusqu’ici la question de la sûreté servait de variable d’ajustement (l’EPR est plus cher mais plus sûr nous disait-on), là tout simplement, la question est résolue par une simple incantation.

On oublie ainsi sciemment de dire qu’en essayant de prolonger la durée de vie du parc actuel de centrales d’une vingtaine d’années (dont la moitié aura atteint sa durée de vie initiale dans les 5 ans qui viennent), on accepte d’emblée une probabilité d’accident majeur du même ordre que celle que nous avons connue depuis 30 ans. Pourtant avec Fukushima et Tchernobyl, l’expérience nous a montré qu’elle était loin d’être négligeable, puisqu’elle s’est révélée de l’ordre de 300 fois plus forte que celle que l’on nous annonçait. On ne peut pas en effet rénover la partie la plus sensible du réacteur (la cuve, le circuit primaire, le câblage, l’enceinte de confinement) qui se fragilise avec le temps. Et comme personne n’est prêt à assurer un pareil risque (que l’IRSN chiffre entre 600 et 1000 Milliards d’€ pour un accident majeur de type Tchernobyl ou Fukushima), le plus simple est de l’oublier.

Mais on accepte aussi de voir la France brutalement plongée dans la pénurie électrique, si malgré les travaux engagés sur le parc, le gouvernement est amené à retirer son autorisation d’exploiter à tout ou partie du parc après constat d’une défaillance ou d’un risque par l’Autorité de sûreté nucléaire. Là, c’est d’un risque économique majeur qu’il s’agit et qui n’est pas non plus pris en compte.

On se contente enfin de décaler de 20 ans les investissements indispensables de démantèlement et de remplacement du parc nucléaire par de nouveaux moyens de production quels qu’ils soient, et d’en reporter la charge à la génération qui nous suit.

Mais le calcul de la Cour des comptes a une autre conséquence : la révélation officielle du coût prévisionnel de l’électricité que produirait l’EPR (70 à 90 €/MWh), même si elle n’a étonné personne parmi les spécialistes, a porté un rude coup à cette filière. D’autant que ce coût prévisionnel ne tient pas compte des dernières données de coûts d’investissement disponibles. On sait en effet depuis peu qu’EDF proposerait l’EPR à 7 milliards de livres au Royaume-Uni (8,5 milliards d’euros) contre 6,3 pour Flamanville. Cette évolution est d’ailleurs conforme à l’histoire du nucléaire français qui, contrairement à la loi générale dite « d’apprentissage industriel » a vu ses coûts d’investissement croître régulièrement et rapidement avec l’expérience industrielle. Et ce coût ne prend en compte aucune assurance non plus…

Finis donc les discours sur le remplacement des vieux réacteurs actuels par des EPR pourtant réputés dix fois plus sûrs, au nom du réalisme économique. Car, à partir de 70 ou 80€/MWh, les énergies renouvelables arrivées à maturité deviennent concurrentielles.

On voit bien que la donne a profondément changé.

Le calcul économique de la Cour des comptes, malgré ses lacunes qui tiennent aux très grandes incertitudes sur les coûts de démantèlement et de stockage des déchets, montre d’ores et déjà que le nucléaire futur dit de « troisième génération » n’est déjà plus compétitif par rapport à ses concurrents. Au point que certains en sont déjà réduits à compter sur la génération suivante, la génération 4, encore dans les cartons, pour redorer un blason bien terni.

Mais les chiffres annoncés par la Cour montrent du même coup la pertinence économique des scénarios de sortie du nucléaire en 20 ans comme celui qu’a publié Global Chance (1), fondé sur une politique volontariste d’économies d’électricité et le développement des énergies renouvelables. Les factures d’électricité en 2030 et les cumuls d’investissements à réaliser d’ici cette date d’un scénario de sortie et d’un scénario où des EPR viendraient remplacer nos vieilles centrales sont du même ordre, avec un petit avantage pour la sortie du nucléaire. Le faible coût d’accès des mesures d’économie d’électricité du scénario de sortie compense en effet largement les coûts de développement des renouvelables électriques et du renforcement du réseau de transport.

Et c’est bien ce constat qui a conduit la Commission Énergies 2050 et aujourd’hui EDF à préconiser la prolongation du parc actuel pour 20 ans supplémentaires, la solution peut-être la moins onéreuse à court terme, mais assurément la plus dangereuse en termes de risque d’accident majeur et de risque économique.

La sécurité d’approvisionnement des Français et la sécurité économique ne sont pas comme on tente de nous en persuader dans la poursuite du nucléaire, mais bien plutôt dans les stratégies fondées sur les économies d’électricité et les énergies renouvelables. Au contraire du nucléaire, elles sont dépourvues de risques d’accident majeur, ne laissent pas de déchets dangereux pour les générations futures et leur coût diminue régulièrement avec le temps.

Sauf à se contenter de foncer droit devant avec de vieux réacteurs, avec les risques évidents que cela comporte en termes de sûreté et de sécurité, en laissant aux générations suivantes le soin de se débrouiller d’une situation d’isolement de plus en plus évidente par rapport au reste de l’Europe, nous ne sommes donc pas condamnés à poursuivre le nucléaire quoi qu’il en coûte pour la sécurité de nos concitoyens, nous avons encore le choix.

Benjamin Dessus, président de Global Chance

(1) Benjamin Dessus et Bernard Laponche, En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment, Éditions du Seuil, 2011.

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À VOIR ÉGALEMENT SUR LE SITE DE GLOBAL CHANCE

(encadré = plus d’informations au survol)

Publications

Les coûts des différentes filières de production et d’économie d’électricité
Benjamin Dessus, Note de travail, 13 pages, 8 avril 2012

Choix énergétiques : un débat biaisé
Benjamin Dessus, Pour La Science, n°414, avril 2012, pp. 30-35

L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012

Dossiers thématiques

Fukushima : réactions en chaîne
(Tribunes, analyses, interviews, etc. : les réactions des membres de Global Chance face à la catastrophe nucléaire de Fukushima)

Nucléaire : par ici la sortie !
(Rapports, analyses, tribunes, interviews, etc. : les propositions de Global Chance et de ses membres pour, enfin, sortir du nucléaire)

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