Électricité : produire plus ou consommer moins et mieux ?

, par   Benjamin Dessus

Le coût du kWh nucléaire va au moins doubler en France dans les prochaines années : ce n’est donc pas en maintenant le tout nucléaire que nous parviendrons à maîtriser nos factures d’électricité, mais d’abord par des mesures d’économie d’électricité. Une tribune de Benjamin Dessus, publiée par Les Échos le mardi 19 avril 2011.


72% des Français ne veulent pas payer plus pour sortir du nucléaire, nous révélait le 13 avril une enquête de Opinion Way, même si 57% sont favorables à son arrêt. De quoi conforter le gouvernement et l’industrie nucléaire qui continuent imperturbablement, malgré Fukushima, à défendre le tout, ou à peu près tout nucléaire pour la France : comme chacun sait, nous disposerions du nucléaire le plus sûr du monde et de l’électricité la moins chère d’Europe et nous n’aurions pas d’autre choix puisque nous dépendons pour plus de 75% de cette filière pour notre électricité. Sans même compter que les alternatives seraient soit hors de prix, soit pleines de CO2, soit les deux à la fois ! Mais sommes-nous si sûrs de toutes ces évidences ?

Dans un kilowattheure à 12 centimes d’euro aujourd’hui pour les particuliers, moins d’un tiers revient à la production d’électricité. Le reste couvre les frais de transport, de distribution, la marge d’EDF, sans compter quelques taxes. Et il est bien vrai que le nucléaire, dont le coût actuel est estimé par la Commission de régulation de l’électricité à 3,1 centimes d’euro se situe, avec l’hydraulique, dans le bas de la fourchette des coûts de production d’électricité « en base » (tout au long de l’année).

Ce n’est pas surprenant puisque le parc nucléaire, comme l’hydraulique, est largement amorti : l’âge moyen des 58 réacteurs est de vingt-cinq ans, et 20 d’entre eux dépasseront en 2011 leur durée de vie de trente ans prévue initialement. La première des centrales PWR, encore aujourd’hui en fonctionnement, Fessenheim, dont la survie fait aujourd’hui débat, aura trente-quatre ans cette année.

Il faudrait, si l’on voulait maintenir à tout prix le nucléaire, soit rénover ce parc vieillissant, soit mettre en chantier de nouveaux réacteurs, les fameux EPR. C’est alors que tout change.

Alors que le coût d’investissement initial de l’EPR était encore estimé à 3,4 milliards d’euros et celui de son kilowattheure à 4,6 centimes d’euro par EDF en juillet 2008, il a été réévalué à 4 milliards d’euros et 5,6 centimes en décembre 2008 et à 5 milliards d’euros en juillet 2010 (sans évaluation des conséquences sur le coût du kWh). Autant dire que le coût du kilowattheure se situerait au minimum entre 6 et 7 centimes par kWh, même si par extraordinaire, il échappait au renforcement des règles de sûreté post-Fukushima. Est-ce mieux pour le parc existant ?

Les premières estimations d’investissement de mise à niveau des centrales du parc existant par EDF tournaient autour de 45 milliards d’euros. En faisant l’hypothèse qu’à cette seule condition, le parc pourrait être prolongé d’une dizaine d’années supplémentaires sans risque majeur, le surcoût actualisé du kWh atteindrait déjà 1,45 centime d’euro/kWh. Mais on sait bien que l’accident de Fukushima va entraîner de nouvelles contraintes pour le parc existant : renforcement de l’enceinte de confinement des réacteurs, confinement des piscines de stockage de combustibles des centrales et peut-être de la Hague, etc. Il est plus que probable que l’addition double, au moins : le coût du kWh atteindrait alors au moins 6 centimes d’euro/kWh.

Dans tous les cas, on peut donc s’attendre à un coût futur de production d’au moins 6 centimes d’euro/kWh pour le nucléaire. C’est d’ailleurs parfaitement cohérent avec l’augmentation de 25 à 30% en quelques années que réclame EDF (+ 3 centimes à + 3,6 centimes pour un particulier) en la justifiant par la nécessité de réhabilitation du parc nucléaire.

Alors, ne nous y trompons pas. Ce n’est pas le maintien hors de l’eau du tout nucléaire qui permettrait d’éviter l’augmentation de nos factures d’électricité.

À ne parler que d’offre, on oublie que dans notre pays les marges d’économie d’électricité restent considérables, en particulier dans le secteur résidentiel et tertiaire qui totalise les deux tiers de notre consommation. La plupart des études montrent que dans ces secteurs 25% d’économie d’électricité sont possibles à coût nul ou négatif (et à qualité de service inchangé.

Et puis, il faudrait peut-être mettre sur la table la question du gaspillage d’électricité : est-il bien utile partout en France, par exemple, d’installer la climatisation, sous prétexte que nous avons trop d’électricité (nucléaire) d’été ? Est-il indispensable de disposer d’un home cinéma chez soi dont l’écran plasma de près d’un mètre carré consomme plus de dix fois plus que nos télévisions ordinaires ? Est-il indispensable d’installer un peu partout des écrans de publicité lumineux qui consomment chaque jour autant d’électricité que cinq Français ?

Il faudrait enfin reposer sérieusement la question du chauffage électrique direct par effet Joule, le « tout électrique-tout nucléaire », principal responsable de la précarité énergétique des ménages les plus pauvres de notre pays et qui concentre à lui tout seul la majorité des émissions de CO2 de notre système électrique, en créant une pointe d’hiver de consommation à laquelle le nucléaire ne peut pas répondre.

Si nous voulons maîtriser nos factures d’électricité, ce n’est pas en maintenant le tout nucléaire, c’est d’abord par des mesures d’économie d’électricité que nous y parviendrons.

Benjamin Dessus est ingénieur et économiste, président de Global Chance

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