Une politique de gauche pour le climat ?

, par   Benjamin Dessus

Sur quoi s’appuyer pour réussir à réduire suffisamment les émissions de GES d’ici 2050 afin d’éviter la catastrophe climatique ? Comme l’a illustré le débat national sur la transition énergétique de 2013, deux modes de pensée s’affrontent. Le premier, dogme de la droite largement accepté par la gauche au pouvoir, met en avant la nécessité absolue de la croissance économique comme mode de gestion principal des diverses difficultés auxquelles se heurte la société (emploi, pouvoir d’achat, réduction des inégalités, etc) et parie largement sur le succès - aujourd’hui incertain - de technologies de rupture. Le second mode de pensée privilégie l’innovation sociale, organisationnelle et technique, tout en n’affichant pas le taux de croissance de l’économie comme préoccupation principale : les contraintes d’environnement global (effet de serre, biodiversité, protection des ressources en eau, risques nucléaires, etc.) y sont considérées comme des questions de même importance que les questions économiques et sociales (emploi, pouvoir d’achat, réduction des inégalités, etc.). Pour autant, celles-ci ne sont pas négligées, loin s’en faut, dans le cadre de cette seconde approche - leur prise en compte y repose sur trois piliers complémentaires et indissociables : la recherche de l’égalité d’accès aux différents services de la société pour tous les citoyens ; la recherche systématique d’efficacité dans les usages des biens, de l’énergie et des matières premières minérales ou agricoles ; un effort de sobriété individuelle et collective pour minimiser les gaspillages.

Page publiée en ligne le 24 mars 2015
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Une politique de gauche pour le climat ? (Benjamin Dessus)
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UNE POLITIQUE DE GAUCHE POUR LE CLIMAT ?

Benjamin Dessus, L’Économie politique, n°63, juillet-août-septembre 2014, p. 86-95

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) est sans équivoque : les premiers signes d’un réchauffement rapide de la planète se confirment et, au rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre (GES), la température du globe pourrait augmenter de plus de deux degrés avant 2050, voire de plus de quatre degrés en 2100, et rendre la planète quasiment inhabitable… Pour échapper au pire, il faudrait réduire les émissions mondiales d’un bon facteur 2 (1) avant 2050, mais celles des pays occidentaux d’un facteur 4 à 5.

Pour définir une politique, il faut d’abord comprendre l’importance relative des différentes émissions de GES dans le réchauffement, leurs origines sectorielles et géographiques ; analyser et hiérarchiser, ensuite, les marges de manœuvre dont nous disposons pour agir à la fois sur l’offre et la demande de biens et de services responsables de ces émissions ; comprendre, enfin, les opportunités et les contraintes économiques et sociales des politiques possibles.

Ne pas se tromper de diagnostic

En France, tout le monde ou presque fait comme si l’unique responsable des émissions de GES était l’offre d’énergie. L’équation effet de serre = énergies carbonées, pourtant loin d’être exacte, fait figure de dogme. Lutter contre l’effet de serre se résumerait alors à évoluer des sources d’énergies carbonées (le charbon, le pétrole et le gaz) vers un mix à base de nucléaire et d’énergies renouvelables à bas contenu en carbone. Cela arrange bien les gouvernements et l’industrie nucléaire, associés depuis quarante ans dans une promotion sans nuances de cette filière, malgré les problèmes majeurs qu’elle pose et alors qu’elle poursuit au niveau mondial un déclin qui paraît inéluctable. Ainsi, sa part dans la production mondiale d’électricité est passée de 16 % à 10 % et sa part dans la consommation finale d’énergie mondiale de 2,5 % à moins de 2 % depuis 2000…

Pourtant, le dernier rapport du groupe 1 du Giec nous apprend par exemple que si le gaz carbonique (CO2) reste en tête des responsables du surcroît de chaleur apporté depuis 1750 par les émissions anthropiques – c’est-à-dire dues à l’activité humaine –, avec 56 % du total de la contribution, la part des énergies carbonées est de 40 %, celle de la déforestation et de la production de ciment de 16 %, tandis que le méthane et ses descendants (2) comptent à eux seuls pour 32 % dans ce bilan. La contribution des énergies carbonées aux émissions de GES depuis la période préindustrielle est donc importante mais pas majoritaire. Et, pour l’avenir, le même rapport du Giec nous indique que l’émission d’une tonne de méthane en 2014 aura des conséquences 34 fois plus importantes dans cent ans et près de 70 fois plus importantes en 2050 que celle d’une tonne de gaz carbonique.

L’unique focalisation sur la réduction des énergies carbonées n’est donc pas judicieuse. Elle fait l’impasse sur les dangers inacceptables associés au développement de la filière nucléaire (accidents majeurs, gestion des déchets, risques de prolifération nucléaire). De même, la promotion des gaz de schiste, sous prétexte que la combustion du gaz naturel émet moins de CO2 que celle du charbon, mais sans aucun souci des fuites de méthane importantes qu’entraîne son exploitation, comme le font aujourd’hui les États-Unis, est un non-sens du point de vue du climat.

Derrière les vérités assénées se cachent donc de nombreux intérêts nationaux, industriels, économiques, financiers et sociétaux.

Hiérarchiser les marges de manœuvre

Sur quoi s’appuyer pour réussir à réduire suffisamment les émissions de GES d’ici 2050 pour éviter la catastrophe climatique ? Deux modes de pensée s’affrontent.

Le premier, dogme de la droite largement accepté par la gauche au pouvoir, met en avant la nécessité absolue de la croissance économique comme mode de gestion principal des diverses difficultés auxquelles se heurte la société : emploi, pouvoir d’achat, réduction des inégalités, etc.

Pas question de remettre en cause les grands déterminants de l’évolution de la demande énergétique des 30 dernières années, l’étalement urbain et la décohabitation, le développement des surfaces tertiaires, la mobilité des personnes et des biens. Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, ni la prééminence de la consommation de protéines animales (viande et poisson), ni le surdosage d’engrais azotés, ni l’augmentation constante de la production de déchets ne sont remis en cause.

Cette croissance considérée comme indispensable ne peut s’obtenir qu’avec des consommations d’énergie finale et de matières premières encore importantes, sinon en croissance. D’où la notion de « croissance verte » dans laquelle le qualificatif « vert » traditionnellement réservé à l’aspect renouvelable des énergies utilisées est confondu avec le terme « décarboné » qui permet d’y introduire l’énergie nucléaire. L’effort portera donc principalement sur l’innovation technologique supposée permettre de mettre à temps à disposition les moyens de production énergétiques décarbonés indispensables (ou les moyens de stockage du carbone) en quantité suffisante pour répondre à cette indispensable croissance, les manipulations génétiques des plantes pour augmenter les rendements, l’industrialisation à outrance de l’agriculture ou de l’élevage (la ferme des mille vaches) pour améliorer la compétitivité. La confiance dans le progrès scientifique et technique justifie l’espoir de ruptures technologiques qui permettront de dépasser les différentes obstacles environnementaux aujourd’hui considérés comme incontournables.

Le second mode de pensée n’affiche pas le taux de croissance de l’économie comme préoccupation principale. Les contraintes d’environnement global (effet de serre, biodiversité, protection des ressources en eau, risques nucléaires, etc.) y sont considérées comme des questions de même importance que les questions économiques et sociales.

La gestion des problèmes sociaux et économiques (emploi, pouvoir d’achat, réduction des inégalités, etc.) repose sur trois piliers :
• la recherche de l’égalité d’accès aux différents services de la société pour tous les citoyens
• la recherche systématique d’efficacité dans les usages des biens, de l’énergie et des matières premières minérales ou agricoles,
• un effort de sobriété individuelle et collective pour minimiser les gaspillages.

Les efforts concernent autant l’innovation sociale et organisationnelle que l’innovation technique. Dans le domaine énergétique par exemple, ils portent en priorité sur la réduction de la demande et sur l’intégration de la production d’énergie dans l’économie locale. Enfin, aucun pari technologique sur l’émergence de moyens de production d’énergie ou d’aliments en rupture n’y est effectué.

Il n’est pas étonnant que les trajectoires des scénarios prospectifs à l’horizon 2050 inspirés par ces deux modes de pensée conduisent à des résultats très divergents aussi bien au niveau mondial que national. Le débat national sur la transition énergétique de 2013 en a été l’illustration.

Les nombreux scénarios proposés par différents acteurs (entreprises, ONG, organismes de recherche) à l’appui de leur discours peuvent en effet se résumer en deux types principaux de trajectoires :
• Celles où la demande d’énergie reste importante (du même ordre qu’en 2010) car les dynamiques structurelles en restent inchangées : étalement urbain et décohabitation, développement des surfaces tertiaires, augmentation des trafics passagers et fret, etc.. On y compte sur l’émergence d’une offre d’énergie non carbonée (nucléaire, renouvelables) et sur la capture et le stockage du CO2 à la sortie des centrales à charbon pour réduire suffisamment les émissions de CO2.
• Celles qui érigent en priorité l’efficacité énergétique et la sobriété des comportements individuels et collectifs : stabilisation des surfaces tertiaires par emploi et des surfaces de logement par habitant, maîtrise de la mobilité, programmes ambitieux de rénovation thermique du parc de logements anciens, priorité à la diffusion des technologies de consommation les plus efficaces… L’accent est mis sur les circuits courts et une prise en charge croissante des citoyens dans la gestion locale du système énergétique. Cette stratégie se traduit par une chute d’un facteur de l’ordre de deux des besoins d’énergie finale en 2050. Côté offre, le développement des vecteurs chaleur et gaz permettant de valoriser localement la biomasse se développent rapidement. La production d’électricité s’appuie sur les renouvelables avec ou sans complément nucléaire.

Si le deuxième type de trajectoire permet bien de diviser par quatre les émissions de GES en 2050, force est de constater que le premier type de trajectoire n’y parvient pas. Leurs auteurs semblent en effet avoir oublié que c’est l’ensemble des émissions de GES qu’il faut diviser par quatre. Leur focalisation sur le CO2 énergétique leur fait oublier une grande partie du problème. En fait, comme il est pratiquement impossible de réduire d’un facteur aussi important les émissions de méthane et d’oxyde d’azote sans faire chuter gravement la production de l’agriculture et de l’élevage, il est indispensable de faire un effort encore plus important sur les émissions de CO2. Les trajectoires qui n’aboutissent pas à des réductions de consommation de l’ordre de deux en 2050, se révèlent donc en fait incapables, quelque soit l’offre d’énergie proposée, de respecter la consigne d’une division par quatre des émissions de GES. Ce constat est d’ailleurs à l’origine du refus des plus productivistes des participants, dont le Medef, la CGT et FO, encore convaincus que le nucléaire, les gaz de schiste ou la fusion suffiront à nous sortir de l’impasse climatique, de s’associer aux conclusions du rapport du Comité du débat.

Pour sortir de l’impasse, il faut donc engager une politique très volontariste d’économie et de sobriété énergétique, développer les énergies renouvelables pour pouvoir éradiquer progressivement à la fois le nucléaire et l’essentiel des énergies fossiles et s’attaquer sérieusement à la réduction des autres gaz à effet de serre, en particulier le méthane.

La question n’est pas d’abord de nature technique, ni même économique mais de nature politique et sociale. Les technologies de maîtrise de l’énergie existent, la plupart des technologies de production à base d’énergies renouvelables ont atteint ou sont en passe d’atteindre la compétitivité, des méthodes agricoles économes en intrants se développent, les circuits courts de commercialisation de leurs produits ont démontré leur pertinence (AMAP), les technologies de capture et de valorisation du méthane issu des déchets organiques et des mines sont aujourd’hui rentables. Comment les généraliser ?

Mobiliser les citoyens dans l’égalité et la solidarité

La délégation actuelle des questions énergétiques aux seuls producteurs d’énergie est évidemment porteuse d’un déséquilibre majeur en faveur de l’offre au détriment de la maîtrise de la demande. Il est urgent que les citoyens et leurs organisations (municipalités, collectivités territoriales, associations, syndicats, etc. se saisissent de la question énergétique pour en rationaliser la demande au niveau local et en assurer une part de production. C’est en effet là qu’une conscience collective des enjeux économiques sociaux et environnementaux de l’accès du plus grand nombre aux services énergétiques peut se développer, c’est là que les solidarités peuvent s’exercer efficacement, c’est là que les mesures d’efficacité et de sobriété collectives prennent leur sens : organisation des transports en commun et des covoiturages, réhabilitation des quartiers, lutte contre la précarité, coopératives d’achat, AMAP etc. C’est à ce niveau de décentralisation que la production d’énergie ou d’alimentation locale prend son sens (coopératives de production pour la production d’électricité éolienne ou de chaleur à partir du bois ou des déchets, ramassage et méthanisation des déchets d’un canton, circuits courts pour la production agricole bio, etc.). C’est là enfin que les ménages et les citoyens prennent conscience de leur capacité d’action puisqu’ils peuvent enfin arbitrer collectivement et individuellement l’ensemble des éléments qui conduisent au services énergétiques ou alimentaires dont ils ont besoin.

La question sociale

Il est de bon ton, à gauche, de défendre le maintien de tarifs artificiellement bas de l’énergie pour éviter de renforcer la précarité énergétique qui touche 3,6 millions de français. Pourtant l’analyse montre il n’y a aucune corrélation entre niveau de précarité et prix de l’énergie : en Suède ou en Autriche par exemple, où l’énergie est 50% plus chère qu’en France pour les usagers, la vulnérabilité énergétique y est 4 fois plus faible (3). Par contre dans ces deux pays la qualité de l’isolation thermique des logements est bien meilleure. Ce n’est donc pas tant l’égalité d’accès à l’énergie qui importe mais bien l’égalité d’accès aux services de l’énergie. Lutter contre la précarité énergétique ce n’est pas rendre meilleure marché l’énergie pour les ménages dits « modestes » c’est leur permettre, en augmentant leur pouvoir d’achat et par des aides et une ingénierie financière adaptées, de réaliser les investissements qui leur permettront d’accéder au confort ou à la mobilité dans de bonnes conditions d’efficacité énergétique.

Ce n’est évidemment pas suffisant pour conduire l’ensemble de nos concitoyens sur la route d’une sobriété assumée et vers plus d’efficacité énergétique. Il est intéressant dans ce contexte d’analyser « l’emprise énergétique », c’est à dire l’ensemble des dépenses énergétiques directes et indirectes des ménages (celle contenue dans les produits et services qu’ils se procurent et qui représente près de 75 % du total) en fonction de leur revenu. Et là surprise : alors que les dépenses de consommation des 20% des ménages les plus riches étaient en 2003 (4) 2,2 fois plus fortes que celles des 20% des ménages les moins riches, leur emprise énergétique était 2,5 fois plus forte. L’énergie directe n’y était pas en cause, mais bien plutôt l’énergie grise contenue dans les biens et services que peuvent se procurer ces ménages que personne ne songerait pourtant à traiter d’« immodestes ».

L’aisance financière n’induit donc pas un comportement énergétique proportionnellement plus vertueux, bien au contraire. Dans ce contexte il n’est pas vraisemblable d’exhorter l’ensemble des citoyens à un comportement plus sobre et efficace dans le domaine énergétique et alimentaire sans commencer par une tentative de modération des dépenses énergétiques des plus riches de nos concitoyens, d’autant que le contenu en devises de ces dépenses énergétiques y est plus élevé qu’en moyenne. Cela implique la mise en place d’incitations fiscales fortes à modérer la consommation ostentatoire des ménages des catégories les plus aisées. L’exemple de la vignette automobile dont la valeur augmente très vite avec la puissance des voitures et qui sert à rendre plus accessibles les véhicules de faible consommation les moins polluants pourrait être généralisé. Pourquoi par exemple ne pas créer une vignette sur les Home cinéma qui consomment 10 fois plus d’électricité qu’un poste de télévision traditionnel et à en affecter le produit à des aides aux économies d’énergie pour les plus précaires ?

La question industrielle et l’emploi

Obnubilés par les grands programmes industriels prestigieux et centralisés (Airbus, TGV, nucléaire) à vocation mondialiste revendiquée (5), la gauche productiviste qui nous gouverne peine à comprendre l’intérêt d’un développement industriel fondé sur le développement et la diffusion d’appareils et de technologies d’ usage commun mais de grande qualité énergétique (électroménager, matériaux d’isolation, chaudières domestiques, pompes à chaleur, chauffe eau solaires, panneaux photovoltaïques, etc.) et sur des compétences artisanales pour les installer. En combinant une politique industrielle volontariste de la qualité énergétique et des programmes territoriaux de rénovation énergétique de notre patrimoine bâti, la France peut à la fois créer plusieurs centaines de milliers d’emplois locaux difficilement délocalisables, remettre à niveau les PME et PMI du secteur, diminuer ses importations de combustibles fossiles et donc les émissions de GES et impliquer fortement les citoyens producteurs et consommateurs dans la gestion du système énergétique comme dans celle de l’alimentation.

Ces quelques propositions n’ont pas l’ambition de définir une politique mais simplement d’en rappeler quelques principes : lucidité et vérité dans le diagnostic, la nature et l’ampleur des marges de manœuvre, mise à jour des responsabilités des uns et des autres, appel à la mobilisation de l’intelligence collective et à la solidarité des citoyens pour s’approprier la question du climat comme un élément majeur de nos choix de société.

À l’aune des quelques principes cités ci-dessus le projet de loi sur la transition énergétique présenté par Ségolène Royal le 18 juin est très décevant. Le discours se veut certes mobilisateur et ambitieux : la recherche d’une croissance économique qui permettrait à la fois la division par deux de la consommation finale d’énergie en 2050, le développement des énergies renouvelables électriques pour atteindre 40% en 2030, celle de la chaleur renouvelable 38%, la réduction de la part du nucléaire de 75 à 50% en 2025 et des économies d’émissions de gaz à effet de serre de 40% en 2030.

À y regarder de plus près cependant le doute s’installe. Se pose tout d’abord une question de cohérence et de diagnostic. Quand on mixe tous ces pourcentages de gains à des horizons différents et par rapport à des dates d’origine différentes, sans que jamais n’apparaisse le moindre objectif en chiffres absolus, obtient on un scénario cohérent ? Bien malin celui qui peut en effet, à partir de ces indications, retracer la trajectoire énergétique proposée et le bilan 2030. On y décèle d’autre part des reculs significatifs par rapport aux décisions précédentes : dans le projet de loi par exemple, toute référence au fameux facteur 4 de réduction de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre en 2050 qui figurait noir sur blanc dans la loi Pope a disparu au profit d’un simple respect de la volonté affichée par l’Europe d’une diminution de 40% de ces émissions en 2030, (un objectif intermédiaire très éloigné de la trajectoire à respecter pour atteindre les 75 à 80% indispensables en 2050). De même pas le moindre mot sur le méthane du système énergétique dont on a souligné plus haut l’importance pour la lutte contre le réchauffement climatique…

Mais au delà de ces reculs et de ces imprécisions, c’est surtout la description des moyens de la politique proposée qui font gravement défaut. Un exemple très significatif : alors que la volonté de passage de 75 à 50% de la part du nucléaire en 2025, dans 10 ans maintenant, est solennellement réaffirmée et devrait conduire, selon la plupart des prévisionnistes officiels (par exemple RTE (6)) à fermer une bonne vingtaine de réacteurs sur 58 avant cette date, la seule indication chiffrée est que la puissance nucléaire totale sera plafonnée à 63, 2 GW, sa valeur actuelle. Madame Royal compte- t-elle sur l’invasion des véhicules électriques qu’elle propose avec l’implantation de 7 millions de points de recharge à 20 000 euros pièce au bas mot (140 milliards !) sans compter les renforcements indispensables du réseau et 10 000 euros de bonus par véhicule pour éviter d’arrêter ces 20 réacteurs ou les faire marcher quelques milliers d’heures par an ?

Plus curieux encore : de nouveaux articles se sont glissés subrepticement le 19 juin dans le projet de loi du 18 qui n’existaient lors de la présentation à la presse et au Conseil économique et social par la ministre, en particulier un article très contesté 35 sur le projet Cigéo…

Sur le plan financier enfin, la description des moyens à mettre place comme de l’origine des fonds nécessaires n’est pas indiquée. Où et comment va-t-on trouver l’argent nécessaire à l’ambitieux programme de réhabilitation de logements (500 000 par an) et à l’institution du « chèque énergie » indiqués dans le projet de loi ? Comment empêcher que les seules multinationales profitent des appels d’offre proposés par la loi pour se substituer au tarif de rachat de l’électricité renouvelable ?

Derrière un discours qui se veut généreux et mobilisateur, on sent que la prégnance des lobbies divers et les luttes d’influence politiques risquent fort de vider de contenu réel ce texte pourtant présenté comme majeur par le président et le gouvernement. Les citoyens devront donc être très attentifs au débat parlementaire qui va s’engager, en principe à l’automne, et dont on attend qu’il apporte des amendements suffisamment significatifs au texte actuel pour le rendre à la fois crédible et opérationnel.

Benjamin Dessus est président de l’association de scientifiques Global Chance

Notes :
(1) C’est-à-dire un objectif de division, ici par deux, des émissions de gaz à effet de serre.
(2) L’émission de méthane dans l’atmosphère provoque une production de vapeur d’eau et d’ozone qui sont aussi des gaz à effet de serre.
(3) Précarité énergétique : le débat français à la lumière des exemples européens, Lucas Chancel, in « Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité », Les cahiers de Global Chance, n°35, juin 2014.
(4) P. Pourouchottamin et al., Nouvelles représentations des consommations d’énergie, Les cahiers du CLIP, n°22/2013, IDDRI, 2013.
(5) Mais pratiquement non réalisée pour le nucléaire et le TGV qui restent à 90% des activités nationales.
(6) RTE : Réseau de transport d’électricité, filiale d’EDF

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Benjamin Dessus est l’auteur de Déchiffrer l’énergie, Éditions Belin, octobre 2014, 384 pages
« Indispensable pour tous ceux qui veulent prendre part en citoyen averti aux débats actuels sur la transition énergétique. »

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Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité (suite)
Les Cahiers de Global Chance, n°36, novembre 2014, 68 pages

Autour de la transition énergétique : questions et débats d’actualité
Les Cahiers de Global Chance, n°35, juin 2014, 84 pages

Le casse-tête des matières et déchets nucléaires
Les Cahiers de Global Chance, n°34, novembre 2013, 76 pages

Des questions qui fâchent : contribution au débat national sur la transition énergétique
Les Cahiers de Global Chance, n°33, mars 2013, 116 pages

L’efficacité énergétique à travers le monde : sur le chemin de la transition
Les Cahiers de Global Chance, n°32, octobre 2012, 180 pages

L’énergie et les présidentielles : décrypter rapports et scénarios
Les Cahiers de Global Chance, n°31, mars 2012, 100 pages

L’énergie en France et en Allemagne : une comparaison instructive
Les Cahiers de Global Chance, n°30, septembre 2011, 96 pages

Nucléaire : le déclin de l’empire français
Les Cahiers de Global Chance, n°29, avril 2011, 112 pages

La science face aux citoyens
Les Cahiers de Global Chance, n°28, décembre 2010, 56 pages

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Publications de Benjamin Dessus (sélection)

Un Noël de bure
Benjamin Dessus, conte de Noël, in Les Cahiers de Global Chance, n°33, mars 2013

Quels gaz à effet de serre faut-il réduire ?
Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Hervé Le Treut, La Recherche, n°472, février 2013, pp. 46-50

Le nucléaire bon marché ?
Benjamin Dessus, in « Atomes crochus : argent, pouvoir et nucléaire », Réseau Sortir du Nucléaire, juillet 2012

Choix énergétiques : un débat biaisé
Benjamin Dessus, Pour La Science, n°414, avril 2012, pp. 30-35

Sortir du nucléaire en 20 ans. À quelles conditions et à quels coûts ?
Benjamin Dessus, note de travail, version actualisée : mardi 31 janvier 2012, 15 pages

Nécessités et limites des scénarios énergétiques
Benjamin Dessus, Thierry Salomon, Meike Fink, Stéphane Lhomme et Marie-Christine Gamberini (entretiens), Les Amis de la Terre, jeudi 29 décembre 2011, 29 p.

Quelle place pour le nucléaire dans le mix énergétique mondial du 21ème siècle ?
Benjamin Dessus, intervention dans le cadre du colloque « Le risque nucléaire et la décision publique » à l’ENS de Paris, lundi 14 novembre 2011, 8 pages

En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Édition du Seuil, Collection Sciences, Octobre 2011, 176 pages

L’entourloupe nucléaire de François Hollande
Benjamin Dessus, Politis, n°1170, jeudi 29 septembre 2011

Nucléaire : un besoin d’expertise
Benjamin Dessus, entretien publié sur LaLigue.org, le site de la Ligue de l’enseignement, juin 2011

Des mots pour le dire
Benjamin Dessus, Politis, n°1150, jeudi 28 avril 2011

Électricité : produire plus ou consommer moins et mieux ?
Benjamin Dessus, Les Échos, mardi 19 avril 2011

La France à l’abri d’un accident japonais ?
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CO2 : la responsabilité des classes aisées
Benjamin Dessus, Politis, numéro 1139, jeudi 10 février 2011

Peut-on sauver notre planète sans toucher à notre mode de vie ?
Benjamin Dessus, / Sylvain David, Éditions Prométhée, Collection Pour ou Contre ?, octobre 2010, 128 p.

Pour une remise à plat concertée et démocratique de nos modes de vie
Benjamin Dessus, intervention dans le cadre du bicentenaire du corps des Mines, jeudi 23 septembre 2010

La crise de l’énergie n’a pas de solution technique
Benjamin Dessus, Manière de voir, n°112, août-septembre 2010 : « Le temps des utopies »

Les transports face aux défis de l’énergie et du climat
Benjamin Dessus, Document de travail n°86 de l’Agence Française de Développement, septembre 2009, 110 pages

Réduire le méthane : l’autre défi du changement climatique
Benjamin Dessus et Bernard Laponche, Document de travail n°68 de l’Agence Française de Développement, août 2008 - également disponible en anglais

Lanceurs d’alerte et systèmes d’expertise
Benjamin Dessus et Francis Chateauraynaud (radio), France Culture, émission Terre à Terre, samedi 12 avril 2008

Nous ne pouvons plus nous payer de mots
Benjamin Dessus, Liaison Énergie Francophonie, n°78, 1er trimestre 2008

Effet de serre : n’oublions pas le méthane !
Benjamin Dessus, Bernard Laponche et Hervé Le Treut, La Recherche, n°417, mars 2008

Remettre en cause notre sacro-sainte croissance
Benjamin Dessus, Politis, hors-série n°46 : « Vivre autrement. Un autre monde existe déjà ! », octobre-novembre 2007

La planète peut-elle se passer du nucléaire ?
Benjamin Dessus / Jean-Marc Jancovici (interview croisé), Terra Economica, 3 octobre 2007

Infrastructures de l’énergie
Benjamin Dessus, in « Infrastructures et énergie », coll., CUEPE, septembre 2007

« Le nucléaire ne nous sauvera pas du réchauffement »
Benjamin Dessus (interview), Libération, lundi 14 mai 2007

Énergie : les nouvelles technologies n’y suffiront pas, il faut changer de paradigme !
Benjamin Dessus, Liaison Énergie Francophonie, numéro 75, 2ème trimestre 2007

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