Soupçons d’espionnage généralisé chez les opposants au nucléaire

, par   Webmestre Global Chance

Depuis la mise en cause d’EDF dans une affaire d’espionnage visant l’association écologiste Greenpeace, plusieurs experts, consultants, anciens conseillers ministériels et militants associatifs opposés à la politique nucléaire de la France ont raconté au cours d’entretiens avec Mediapart avoir aujourd’hui des soupçons sur les mobiles, voire les auteurs, de cambriolages, vols d’ordinateur ou surveillances diverses dont ils ont été la cible ces dernières années...


Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme
Mediapart, mercredi 6 Mai 2009


Depuis la mise en cause d’EDF dans une affaire d’espionnage visant l’association écologiste Greenpeace, plusieurs experts, consultants, anciens conseillers ministériels et militants associatifs opposés à la politique nucléaire de la France ont raconté au cours d’entretiens avec Mediapart avoir aujourd’hui des soupçons sur les mobiles, voire les auteurs, de cambriolages, vols d’ordinateur ou surveillances diverses dont ils ont été la cible ces dernières années.

Tous rapportent des anecdotes jusque-là oubliées, mais qui ont resurgi avec la révélation, fin mars par Mediapart, de la mise en examen par un juge de Nanterre d’un responsable de la sécurité d’EDF, d’un hacker et d’un ex-agent de la DGSE impliqués dans le piratage informatique, en septembre 2006, de l’ordinateur de Yannick Jadot, ancien directeur des campagnes de Greenpeace France.

Les faits rapportés ne constituent en aucune manière une preuve de l’implication d’EDF dans une série de nouveaux scandales d’espionnage, mais leur accumulation vient singulièrement jeter le trouble s’ils sont mis en rapport avec les méthodes utilisées par certaines officines.

Au cœur de l’affaire EDF-Greenpeace, l’une d’elles, Kargus Consultants, sous-traitante de l’entreprise publique depuis 2004, vient d’accéder à une notoriété dont elle se serait sans doute bien passée. Son patron, l’ancien agent secret Thierry Lorho, vient d’assurer, dans un entretien au site lerenseignement.com, « assumer complètement » les actes illégaux qui lui valent d’être désormais poursuivi par la justice.

Réputé pour ses positions critiques sur le nucléaire français, le physicien et économiste Benjamin Dessus, ancien directeur des services techniques de l’Agence française de l’énergie et ancien directeur de recherches au CNRS, se demande depuis quelques semaines si, comme Yannick Jadot, il n’a pas été l’objet d’une attention « particulière » d’EDF.

Il rapporte à cet égard un fait remontant à l’automne 2005 qui prend pour cadre le débat public organisé par le gouvernement sur la question des déchets nucléaires. Expert auprès de l’organisation écologiste Global Chance, qui travaille en collaboration avec Greenpeace, Benjamin Dessus explique avoir assisté à « une drôle de scène » lors d’une table ronde organisée le 8 octobre 2005 à la Cité des Sciences, à Paris.

M. Dessus avait rédigé pour l’occasion un mémento d’une quarantaine de pages sur les déchets nucléaires [en ligne ici] pour briser « l’opacité, l’à-peu-près, l’amalgame, la contrevérité, voire le mensonge » qui entoure, selon lui, le débat sur le nucléaire. « Au cours de la table ronde, j’ai été stupéfait de voir qu’un participant, un responsable d’EDF, a pu exhiber l’impression du PDF de mon mémo », affirme-t-il. Selon lui, seules « trois ou quatre » personnes étaient alors en possession du petit ouvrage, sorti des presses la veille, comme a pu le confirmer à Mediapart un ancien responsable de l’imprimerie JV Impression, documents à l’appui.

« Je suis sûr à 99,9% qu’il s’agissait d’un tirage imprimante du PDF et pas d’un exemplaire imprimé », assure M. Dessus. Co-auteur en 2000 d’un rapport sur l’avenir du nucléaire remis à Lionel Jospin, alors premier ministre, celui-ci assure par ailleurs être allé demander après le débat à son contradicteur d’EDF comment il avait pu avoir le document. L’homme en question, Sylvain Granger, alors responsable du traitement des déchets à EDF, lui aurait rétorqué : « Vous savez, à EDF, on obtient tout ce qu’on veut. » Contacté, M. Granger n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Un autre expert, Yves Marignac, directeur du bureau d’études Wise-Paris, spécialisé dans le nucléaire, rapporte lui aussi une anecdote qu’il dit avoir « toujours trouvé bizarre ». « Je ne peux m’empêcher d’y repenser depuis les révélations de Mediapart », confie-t-il. Les faits remontent à la même époque et se seraient déroulés à l’occasion d’une autre manifestation publique – sur le réacteur de troisième génération EPR cette fois-ci – pour lequel M. Marignac avait été officiellement mandaté par la Commission particulière du débat public.

Peu apprécié d’EDF, Yves Marignac avait notamment pour mission de jouer le rôle de médiateur entre les milieux anti-nucléaires, qu’il connaît bien, et l’entreprise publique, selon les témoignages de plusieurs participants au débat.

Alors qu’une séance de travail avec un membre de la commission avait été organisée début avril 2006 dans des locaux prêtés par EDF, rue Treilhard, à Paris, Yves Marignac assure avoir été victime d’un vol, sans trace ni effraction, à l’heure du déjeuner. Son ordinateur fut dérobé. « J’avais alors déposé une plainte contre X mais ça n’avait rien donné de particulier », confie-t-il aujourd’hui. Selon une source qui a eu à connaître de l’affaire à l’époque, les policiers avaient pensé à un cambriolage tout ce qu’il y a de plus classique du fait de la présence d’échafaudages et d’une fenêtre qui aurait été laissée ouverte. Sans pour autant aboutir.

Reste que, selon des informations recueillies par Mediapart, EDF était très attentive à cette époque aux faits et gestes des anti-EPR. Ainsi, Pierre François, l’un des responsables de la sécurité d’EDF mis en examen dans le dossier Greenpeace, faisait un rapport quotidien à la direction générale d’EDF sur les opposants au moment du débat public auquel Yves Marignac a participé. Une période particulièrement tendue pour toute la filière nucléaire française : les associations Sortir du nucléaire et Greenpeace avaient alors rendu public un document « confidentiel défense » selon lequel un réacteur EPR ne résisterait pas à la chute d’un avion de ligne.

Les soupçons ne s’arrêtent pas là. Pascal Husting, le directeur de Greenpeace France, se souvient lui aussi d’un cambriolage dont l’association a été victime en 2005 et sur lequel il ne peut s’empêcher désormais d’avoir des « suspicions », comme il l’a récemment révélé dans une interview à Mediapart. « Courant 2005, nos locaux furent l’objet d’un curieux cambriolage. Deux ordinateurs portables avaient été volés au 2e étage, l’étage où jusqu’en janvier 2005 se réunissait le comité directeur de Greenpeace France. A l’époque, on s’était demandé pourquoi avoir dérobé ces deux ordinateurs-là, alors qu’il y en avait à tous les étages ! », observe Pascal Husting.

« Malheureusement pour nos "visiteurs", continue le patron de Greenpeace France, il venait d’y avoir une petite réorganisation géographique interne : du coup, ils ont dérobé les ordinateurs où étaient recensées les collectes de fonds, c’est-à-dire des choses sans aucun intérêt ! On avait déposé plainte, mais cela n’avait rien donné... »

Plus récemment, un autre expert opposé à la politique énergétique française, Bernard Laponche, a également été victime d’un cambriolage. C’était le 4 novembre 2008, entre 11 et 19 heures, à son domicile parisien. Cet ancien ingénieur physicien au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) qui a fait un détour en 1998-1999 par le cabinet de la ministre de l’environnement, Dominique Voynet, comme conseiller technique, dit aujourd’hui se « poser des questions ». D’autant que seul son ordinateur a été volé, malgré la présence de plusieurs objets de valeurs dans l’appartement.

Il raconte : « Le jour du cambriolage, mon beau-fils était venu dormir à la maison. Je lui avais demandé de laisser les clés de l’appartement dans la boîte aux lettres après son départ. Quand je suis rentré chez moi, j’ai pu constater que mon ordinateur avait disparu, sans que le voleur ne laisse trace de quoi que ce soit. Je ne peux en dire plus, mais avouez que c’est bizarre. »

Bernard Laponche a été très actif ces derniers mois contre la décision du chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, de renouer avec l’énergie nucléaire. Il a notamment participé, le 11 juillet 2008 à Rome, à un débat sur le thème du nucléaire organisé par les parlementaires du Parti radical et les Amis de la terre, à l’invitation d’Emma Bonino, ancienne commissaire européenne et actuelle vice-présidente du Sénat. Il a aussi commis plusieurs articles critiques sur le sujet où il met en cause les positions françaises dans ce domaine.

La décision de Silvio Berlusconi s’est soldée le 24 février dernier par la signature d’un accord entre la France et l’Italie sur le nucléaire en vertu duquel EDF et son homologue italien, ENEL, doivent bientôt s’entendre sur la construction de quatre réacteurs de troisième génération EPR dans le pays.

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