Six EPR vendus à l’Inde ? (tribune)

, par   Bernard Laponche

La France vendra-t-elle six réacteurs EPR à l’Inde, comme l’a annoncé la presse après la visite officielle de François Hollande en Inde fin janvier 2016 ? Rien n’est moins sûr : alors qu’EDF “hérite” là d’un dossier auparavant géré par AREVA et qui n’avait que peu avancé du fait de désaccords sur le coût du projet, de nombreux obstacles juridiques, technologiques, économiques et politiques devront être surmontés avant que cette perspective ne se précise. Sans oublier la question cruciale de la responsabilité civile en cas d’accident...


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• Bernard Laponche : Six EPR vendus à l’Inde ?
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SIX EPR VENDUS À L’INDE ?

Bernard Laponche, AlterEcoPlus.fr, mardi 31 mai 2016

La France vendra-t-elle six réacteurs EPR à l’Inde ? Jean-Bernard Lévy, le président d’EDF, en a annoncé la possibilité lors de l’assemblée générale des actionnaires le 12 mai dernier. Et Xavier Ursat, directeur exécutif en charge de l’ingénierie et des projets « nouveau nucléaire », a indiqué que l’Inde avait demandé au groupe de lui remettre pour la fin 2016 une proposition technique et économique complète. Le 25 janvier dernier, François Hollande, en visite officielle, et le Premier ministre indien Narendra Modi avaient déclaré qu’ils souhaitent que cette vente, en discussion depuis plusieurs années, soit conclue d’ici à la fin de l’année.

La France se considère en pointe sur la coopération nucléaire avec l’Inde du fait d’un accord de partenariat stratégique signé en 1998 à l’issue de la première visite d’État de Jacques Chirac à New Delhi. En février 2006, la deuxième visite du président français s’était conclue par une déclaration politique bilatérale sur « le développement de l’énergie nucléaire à des fins civiles (…), couverte, lorsque cela est applicable, par des accords de garanties appropriés avec l’Agence internationale de l’énergie atomique ».

Un accord de coopération avec la France a été ensuite passé en septembre 2008, conduisant à la signature en avril 2015 d’une convention entre Areva et Nuclear Power Corporation of India Ltd (NPCIL). Elle prévoit la construction de six réacteurs de 1 650 mégawatts (MW) de type EPR, une première phase portant sur deux réacteurs. La visite d’État du président Hollande de janvier dernier a donné lieu à une « déclaration commune » traitant d’un grand nombre de domaines dont le nucléaire, tandis qu’EDF, prenant le relais d’Areva, signait parallèlement un nouvel accord avec NPCIL sur le même projet.

Des questions centrales non réglées

Cette déclaration commune soulève un certain nombre de problèmes qui sont loin d’être réglés. Il y a, d’abord, une question de droit international. La coopération en matière de nucléaire est en principe ouverte aux seuls pays signataires du traité de non-prolifération (TNP). Or, l’Inde ne l’a pas signé. Elle n’adhère pas non plus au mécanisme de contrôle international des exportations de matières fissiles et ne fait pas partie du NSG, le groupe des pays fournisseurs nucléaires.

Ensuite, la France s’engagerait sur l’approvisionnement en combustible nucléaire pendant toute la durée de vie des réacteurs. Il est difficile d’interpréter cet engagement : est-ce une fourniture de matière première (uranium naturel), une fourniture d’uranium enrichi ou bien une fourniture de combustibles prêts à l’emploi (assemblages), et à quel prix ? Et est-ce que cela va jusqu’à la gestion des combustibles irradiés ?

Enfin, de l’aveu même des deux parties, les questions fondamentales font encore l’objet de négociations : le coût du projet, le montant du financement du côté français, le transfert de technologie, le niveau de la part locale (Inde) pour la production des équipements et notamment les plus importants. On sait d’ailleurs que, d’après la presse indienne, la négociation menée jusqu’ici par Areva n’avait que très peu avancé du fait d’un désaccord avec NPCIL sur le coût du projet. Qu’en sera-t-il avec EDF ? Ces difficultés apparaissent d’ailleurs dans le communiqué d’EDF du 26 janvier 2016 : « L’objectif des prochains mois sera de poursuivre la préparation, commencée par Areva et NPCIL en avril 2015, de la certification du réacteur EPR en Inde par l’autorité de sûreté indienne et de finaliser les conditions notamment économiques et financières et les spécifications techniques du projet, supervisées par l’agence nucléaire indienne DAE. »

La responsabilité civile, un sujet oublié

Outre ces complexités multiples, une question d’importance reste pendante : celle de la responsabilité civile en cas d’accident. L’Inde avait signé en octobre 2010 la Convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires. Il a fallu attendre le 4 février 2016 pour qu’elle dépose officiellement son document de ratification de cette convention auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cette date n’est probablement pas fortuite et cette ratification est à même de rassurer le partenaire français. Néanmoins, la question reste extrêmement complexe sur un plan juridique, en particulier pour la France.

Dans un pays tel que les États-Unis, par exemple, le gouvernement peut renvoyer les constructeurs, qui sont des sociétés privées (Westinghouse et General Electric), à leur propre responsabilité. Ce n’est pas le cas en France où l’État est actionnaire très largement majoritaire dans le capital d’EDF. Toute obligation pour EDF de participer à une compensation financière consécutive à un accident nucléaire en Inde sur une centrale construite par EDF aurait des conséquences directes sur le budget de l’État. La question se pose de façon encore plus aiguë dans l’hypothèse où EDF n’assurerait pas seulement le rôle de constructeur mais participerait aussi à l’exploitation.

Bernard Laponche

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Pour une version plus détaillée, consulter :

Six EPR vendus à l’Inde ?
Bernard Laponche, note de travail, 6 pages, samedi 9 avril 2016
>
1. Relations Inde-France dans le nucléaire civil
2. La déclaration commune France-Inde de janvier 2016
2.1 Sécurité
2.2 Énergie nucléaire

3. Commentaires
4. Une question délicate : la responsabilité civile en cas d’accident
4.1 Problématique
4.2 Situation actuelle

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