Que se passe-t-il en Allemagne ?

, par  Andreas Andreas Rüdinger

En 2011, trois mois après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement d’Angela Merkel décidait l’arrêt immédiat des huit centrales nucléaires les plus vieilles et annonçait son intention de fermer les onze réacteurs restants d’ici 2022. Alors que le Parlement français débat d’un loi sur la “transition" énergétique... qui grave dans le marbre la capacité nucléaire française sans la moindre réduction, alors que la ministre de l’Écologie appelle à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, alors que le sujet si important du nucléaire est noyé et dans la loi et dans l’actualité, il n’est pas inutile de se pencher sur les choix de notre voisin d’outre Rhin et sur leurs modalités de mise en œuvre... Sortir du nucléaire, c’est possible !

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Andreas Rüdinger : Que se passe-t-il en Allemagne ?
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QUE SE PASSE-T-IL EN ALLEMAGNE ?

Andreas Rüdinger, L’Écologiste, n°44, printemps 2015, dossier « Pourquoi sortir du nucléaire ? » (*), p. 37-38

(*) « Alors que le Parlement français débat d’un loi sur la “transition" énergétique... qui grave dans le marbre la capacité nucléaire française sans la moindre réduction, alors que la ministre de l’Écologie appelle à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, alors que le sujet si important du nucléaire est noyé et dans la loi et dans l’actualité, L’Écologiste vous propose un dossier consacré exclusivement à ce sujet essentiel. »


Trois mois après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement d’Angela Merkel décide l’arrêt immédiat des huit centrales nucléaires les plus vieilles et décide de fermer les onze réacteurs restants d’ici 2022. Sortir du nucléaire et du charbon, est-ce possible ?

Le projet de sortie du nucléaire, et plus globalement du « tournant énergétique » en Allemagne continue de susciter la curiosité des observateurs français de tout bord, à l’heure où la France est en train de structurer sa propre vision de la transition énergétique en amont de la conférence climat de Paris 2015.

Si la multiplication des reportages, rapports et débats en tout genre sur le « modèle » allemand étonne un peu, la dissonance des tonalités reste, elle, frappante : entre les incantations au prétendu échec ou « contre-modèle » allemand et celles défendant corps et âme l’originalité et le bien-fondé du projet allemand, il est parfois difficile de se faire une idée concrète. Mais avant tout, cette disparité des messages est révélatrice de la complexité même de cette transition, véritable projet de société aux multiples facettes.

Sans aller jusqu’à un état des lieux exhaustif, cet article vise à fournir une vision globale sur les évolutions récentes du tournant énergétique allemand, en essayant de les mettre en perspective vis-à-vis des défis qui se présentent à moyen et à long terme.

Ambitions fortes, bilan encore mitigé

Concernant les avancées récentes, le bilan énergétique de l’année 2014 fait état d’une progression continue. Tout d’abord au niveau du développement des énergies renouvelables (ENR) : ces dernières représentent désormais la première source de production d’électricité (157 TWh), devant le lignite. Ce résultat reste néanmoins à nuancer, considérant que l’ensemble de la production fossile (essentiellement charbon) représente toujours 54% du mix, bien qu’une baisse importante (32 TWh) ait pu être enregistrée sur les 4 dernières années. Au total, les ENR représentent ainsi 27% de la consommation d’électricité, en bonne voie pour atteindre l’objectif 2020 d’au moins 35%.

Réduction de la consommation d’électricité

De manière plus étonnante, l’année 2014 marque la quatrième année successive de réduction de la consommation d’électricité : depuis 2010, cette baisse s’élève à 39 TWh, quasiment autant que la perte de production électronucléaire (44 TWh) depuis l’arrêt des 8 réacteurs les plus anciens en 2011 suite à l’accident de Fukushima.

Pour rappel, les 11 réacteurs nucléaires restant doivent progressivement être fermés dans les prochaines années, pour une sortie définitive du nucléaire à la fin de l’année 2022.

Si cette baisse est en partie liée aux facteurs conjoncturels (hiver doux en 2014), elle traduite également un effet plus structurel en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique et en particulier électrique.

En somme (voir graphique), la réduction de la consommation et la montée en puissance rapide des ENR électriques ont donc permis de compenser non seulement la réduction de la production électronucléaire, mais également une baisse sensible de la production thermique fossile et une augmentation record du solde des échanges qui s’établit au seuil record de 34 TWh en 2014.

Cette progression s’appuie également sur une opinion publique toujours favorable à l’Energiewende : 92% des sondés jugent que le développement continu des ENR est important (dont 70% « très important ») et la majorité (60%) considère que le coût reste acceptable.

Enfin, pour la première fois depuis 2000, la contribution payée par les consommateurs pour le soutien aux ENR sera légèrement en baisse pour 2015, pour s’établir à 6,1 cents/kWh (contre 1,2 cent/kWh pour le soutien à l’électricité renouvelable couverte par la CSPE en France).

Nouveau plan national

De l’autre côté, le bilan apparaît relativement plus terne en ce qui concerne l’atteinte des objectifs à moyen terme. Constatant que le pays n’est pas en bonne voie pour atteindre l’objectif de réduction de la consommation d’énergie de -20% à l’horizon 2020 et par extension, celui de réduire de 50% la consommation d’énergie primaire d’ici 2050, un nouveau plan d’action national sur l’efficacité énergétique a été publié en fin d’année 2014. Celui-ci prévoit notamment de renforcer les mesures d’aide à l’efficacité dans les secteurs de la rénovation du bâtiment et dans l’industrie.

Un constat similaire s’applique à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si l’Allemagne a respecté son engagement sous le protocole de Kyoto, les évaluations récentes font apparaître un écart sensible vis-à-vis de l’objectif national pour 2020 (-40% par rapport à 1990). Un débat vif a émergé sur les options envisageables pour combler celui-ci : d’une part, certains experts prônent un déclassement anticipé des centrales à charbon les plus vieilles et polluantes, qui pourrait par ailleurs permettre de réduire les surcapacités sur la marché électrique ; d’autres défendent plutôt l’idée d’un renforcement des mesures d’efficacité dans les secteurs du bâtiment et de la mobilité, afin de ne pas pénaliser davantage la filière électrique, qui reste le secteur le plus impacté par les mutations de ces dernières années.

Les nouveaux défis à moyens terme

Alors que l’attention se focalise généralement sur la montée en puissance quantitative des ENR (électriques en particulier : + 13 TWh additionnels en moyenne annuelle depuis 2010), il apparaît clairement que l’enjeu des années à venir sera la montée en gamme qualitative. La gestion de la variabilité de la production éolienne et photovoltaïque commence dès à présent à représenter un réel défi pour le système allemand, comme l’illustre l’apparition de plus en plus fréquente de prix négatifs sur les marché de gros, et ce alors que leurs capacités cumulées dépasseront bientôt la point électrique allemande (85 GW).

Si cet enjeu est souvent réduit à la seule question du renforcement des infrastructures réseaux, il est également intéressant de noter la diversité d’innovations que suscite ce défi de flexibilisation du système électrique : création de centrales virtuelles pilotables à partir d’un « mix » renouvelable d’une part, ajustements du marché électrique pour se rapprocher d’un fonctionnement en temps réels et éviter les erreurs de prévision, déploiement des solutions de stockage inter-vecteurs (méthanation, hydrogène, stockage de chaleur à grande échelle, etc.).

À l’heure où de nombreux observateurs brandissent la transition comme une menace pour la compétitivité industrielle, ce développement interroge : et si les défis d’aujourd’hui représentaient les clés de l’innovation et de la compétitivité de demain ?

La sortie du charbon

Une autre question se pose sur le secteur électrique : la sortie du charbon sera-t-elle la suite logique de la sortie du nucléaire ? Si la majorité des environnementalistes défendent cette idée, le sujet reste encore délicat pour les acteurs politiques, qu’il s’agisse du SPD, historiquement très lié aux bassins miniers et industriels, ou du CDU, qui y voit une risque important pour la compétitivité de l’industrie allemande, qui affiche pourtant un excédent commercial record en ce moment (195 milliards d’euros en 2013). Toujours est-il que le gouvernement a accepté de lancer ce débat, dont on attend la suite avec impatience.

L’évolution programmée des mécanismes de soutien aux ENR suivant les préconisations de Bruxelles pour plus de concurrence représente un autre enjeu de taille. Au-delà du risque de coûts supplémentaires que génèrent les dispositifs de prime de marché et d’appels d’offre, ceux-ci font peser une menace énorme sur ce qui faisait pour l’instant l’originalité – et en grande partie le succès – du tournant allemand : la forte participation des citoyens, qui détiennent jusqu’alors près de la moitié de l’ensemble des capacités renouvelables installées (éolien, solaire, biomasse), notamment sous forme de coopératives locales (Poize/Rüdinger 2014).

Last but not least, l’absence criante d’un véritable plan de transition sur la mobilité reste un paradoxe peu assumé de la stratégie allemande - qui ne fait malheureusement pas figure d’exception en la matière : si le pétrole continue à représenter 40% de la consommation finale d’énergie (45% en France), l’attention politique se focalise, elle, sur le seul secteur électrique. Ce paradoxe est d’autant plus important que l’industrie automobile allemande risque aujourd’hui – malgré des initiatives louables mais trop peu nombreuses – de s’engouffrer dans le syndrome « américain » : produire de grands SUV de luxe, plutôt que d’opérer le tournant vers la voiture durable qui pourrait représenter un marché à l’export bien plus grand et plus... durable.

Andreas Rüdinger
Chercheur à l’Institut de développement durable et des relations internationales (Iddri)

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