Perrette et le pot au nucléaire

, par   Benjamin Dessus

Au moment où la Commission nationale du débat public est saisie par EDF pour organiser un débat purement local autour de la construction d’un deuxième réacteur EPR à Penly, et où EDF lance un grand emprunt pour financer ses investissements, Benjamin Dessus, président de Global Chance, revient sur le contexte dans lequel se situe cette décision déjà prise par le président Sarkozy.

Benjamin Dessus
Mediapart, jeudi 2 juillet 2009

La Programmation pluriannuelle des investissements électriques (PPI) qui a été présentée par J.L. Borloo le 3 juin le permet puisque cet exercice « décline les objectifs de la politique énergétique en terme de développement du parc électrique à l’horizon 2020 ».

Du côté de la demande d’électricité

Plusieurs scénarios sont envisagés à l’horizon 2020 : un scénario tendanciel et un scénario « Grenelle » qui tient compte des engagements du Grenelle de l’environnement, en particulier des économies d’énergie.

Alors que la consommation intérieure d’électricité était de 446 TWh en 2008, elle atteindrait 552 TWh en 2020 dans le premier scénario et 450 dans le second. L’essentiel de la différence provient du secteur habitat tertiaire qui concentre les mesures d’économie d’énergie du Grenelle. Par contre dans les deux scénarios, avec une croissance prévue de la production de 2,1%, la consommation d’électricité de l’industrie (non traitée dans le Grenelle) continue à augmenter sur la période pour atteindre 158 TWh en 2020 contre 132 en 2008, sur la base du raisonnement implicite suivant : les coûts du nucléaire sont compétitifs en base, on lance donc une stratégie industrielle française sur la base de coûts protégés de l’électricité qui justifie à son tour la mise en place d’unités nucléaires : une série d’hypothèses très aléatoires et incompatibles avec l’esprit et la lettre du marché européen de l’électricité. Sans même compter que ces scénarios, construits avant la crise, prévoyaient une forte augmentation de la production industrielle, de près de 30% en 2020, tirée par le faible coût de l’électricité nucléaire.... Quand on sait que la production industrielle française a reculé de 11,2% en 2008 et que l’Insee prévoit une chute supplémentaire de 15% en 2009, on peut très sérieusement se demander si la consommation de l’industrie en 2020 n’est pas surestimée de 20 à 30 TWh.

Du côté de l’offre d’électricité

Pour la production d’électricité, deux sources principales d’inspiration, les « coûts de référence de l’électricité », exercice ministériel qui compare, vu de la collectivité nationale, les coûts d’électricité prévisionnels issus des différentes sources, et les préconisations du Grenelle de l’environnement.

• Les « coûts de référence », depuis plus de 25 ans, ont tenté de montrer, à chaque époque, sur la base de prévisions des coûts d’investissement des réacteurs futurs, que l’électricité nucléaire à construire, serait moins chère que toutes les autres. Mais, depuis 25 ans, ces prévisions d’évolution des coûts d’investissement du nucléaire sont remises régulièrement en cause par les faits : l’apprentissage industriel ne se traduit pas dans le nucléaire en France par une diminution, mais par une augmentation des coûts, au rythme de 3,3% par an sur la période. Alors, dans la dernière version de ces « coûts de référence » (2008), la Direction de l’énergie et du climat (DGEC) du MEDDAT a trouvé la solution : le coût du kWh nucléaire devient l’étalon de mesure auquel on compare toutes les autres filières de production d’électricité. On évite ainsi d’avoir à justifier la valeur de ce kWh futur, en le décomposant dans ses différents éléments (investissement, exploitation, combustible, etc.).

• La montée en puissance de l’électricité renouvelable du Grenelle prise en compte dans la PPI est très significative : 25 000 MW d’éolien en 2020 contre 3000 en 2008, 5400 MW de solaire, 2300 de biomasse, etc.

Armée de ces outils, et d’un dogme intangible, celui du maintien du parc nucléaire à son niveau actuel, avec en plus les deux EPR décidés par le Président de la République dont il faut bien tenir compte, la PPI constate (avec étonnement ?) que la France produira de quoi satisfaire 580 TWh de demande en 2020, 130 de plus que ses besoins en 2020, tout au moins si l’on admet un instant que le Grenelle n’est pas un simple exercice de style.

Compte tenu du ralentissement de la production industrielle, ce sont plutôt 150 à 160 TWh d’électricité excédentaire qu’il va falloir essayer d’exporter (80 en 2008).

Comment, à qui et à quels coûts ?

Comment exporter 160 TWh par an alors que nos lignes transfrontalières à haute tension sont aujourd’hui limitées à moins de 100 TWh ? Il faudrait, d’ici 2020, un effort d’investissement de lignes 400 000 volts sans précédent, non compté dans la PPI, qui se heurtera certainement à des questions d’acceptation sociale majeures, avec des retards et des surcoûts importants.

À qui exporter ? A nos voisins européens nous dit-on. A ceci près que eux aussi connaissent la crise et parfois plus durement que nous dans le domaine industriel, qu’ils ont entrepris des politiques de maîtrise de l’électricité volontaristes (contrairement à la France) et de production d’électricité renouvelable et que certains d’entre eux, avec l’appui de notre président VRP en réacteurs nucléaires, envisagent de nouveaux réacteurs...

Enfin, à quel coût ? Là encore on nage en pleine incertitude : depuis 2003, dernière date à laquelle la DGEMP, ancêtre de la DGEC, a publié des chiffres concernant l’EPR, les coûts d’investissement ont été multipliés par 2,5. Rien qu’entre 2006 et 2008, le coût complet de production d’électricité en base de l’EPR de Flamanville, selon EDF, passe de 46 Euros/MWh à 54 Euros/MWh, 60 pour celui de Penly, contre 28,4 Euros/MWh en 2003 (DGEMP), plus d’un doublement en 5 ans ! Et les difficultés que rencontre aujourd’hui EDF dans la construction de Flamanville ne sont pas pour nous rassurer.

On a tristement le sentiment qu’on reproduit, sous la pression du lobby nucléaire, les mêmes erreurs que dans les années 70- 80 : on "prévoyait" en 75 une consommation de 1000 TWh en 2000 (contre 474 TWh en réalité) d’où le surdimensionnement du parc nucléaire d’une douzaine de tranches qu’on a connu.

Alors pour faire passer la pilule, on développe des arguments qui ne tiennent pas la route :

• La voiture électrique arrive, il faudra 2 EPR pour l’alimenter (Les Échos du 26 décembre 2008). Imaginons qu’effectivement les véhicules électriques fassent une percée en France et qu’on en compte 1 million en 2020 : pour 10 000 km par an ce nouveau parc consommera 2,5TWh/an, à peine un cinquième de la production d’un EPR... Il serait donc ridicule d’y dédier un nouvel EPR qui ne fonctionnerait que 2000 heures par an, avec des coûts prohibitifs.

• La généralisation du chauffage électrique ? Ce n’est pas mieux [1] car il s’agit d’un emploi très saisonnier. Et pour 3000 heures de fonctionnement par an le coût du kWh nucléaire est 2,5 fois plus important que pour un fonctionnement en continu, alors qu’il ne l’est que 1,4 fois plus pour le kWh ex gaz.

Restent deux arguments :

La durée de vie du parc actuel ne sera peut être pas aussi longue que prévu, on risque d’avoir brutalement besoin d’arrêter un grand nombre de PWR et donc de les remplacer. Outre que cet argument est en totale contradiction avec la stratégie d’EDF qui fait tout pour prolonger la durée des centrales actuelles, largement amorties, on comprendrait mal qu’on utilise les défaillances d’une filière pour en justifier un nouveau développement massif.

L’argument industriel : c’est le seul apparu comme tant soit peu crédible à l’issue du débat national de 2006. Pour ne pas perdre la main, nous disait-on, EDF, en plus d’Areva avec son réacteur finlandais, se doit de lancer un nouveau prototype et le tester tranquillement pour être en mesure en 2020, si nécessaire, d’en lancer d’autres et d’en exporter. Dont acte. Mais alors, pourquoi en lancer un second, sans avoir même pris le temps d’essuyer les plâtres des deux premiers ? D’autant qu’en termes d’emploi, la construction d’une centrale nucléaire est particulièrement pauvre. Dans la période actuelle, ne vaudrait-il pas mieux investir dans la réhabilitation thermique des bâtiments dont le contenu en emploi par million d’euros dépensé est au moins 5 fois supérieur ?

Bref, des arguments qui n’en sont pas pour justifier l’injustifiable.

On comprendrait mal dans ces conditions, alors que l’emploi et les finances publiques devraient être au cœur des préoccupations actuelles de nos dirigeants, que le débat national sur Penly se borne à des considérations locales et ne soit pas l’occasion de revenir sur les prévisions de demande et la pertinence des choix d’investissement. Quant aux particuliers qui sont tentés par une souscription à l’emprunt d’EDF et aux investisseurs éventuels qui s’intéressent à l’EPR de Penly, ils seraient bien inspirés de ne pas trop se fier à ces "prévisions" officielles, mais de faire sérieusement leurs calculs de rentabilité en fonction de perspectives plus réalistes.

Benjamin Dessus


Télécharger l’article en version pdf [110 ko]

(haut de page)