« Nos dirigeants sont face à l’Histoire »

, par   Pierre Radanne

Pierre Radanne

Terra Eco, mercredi 9 décembre 2009
Propos recueillis par Walter Bouvais

Rappel du contexte. Depuis trois jours, les pays en développement font entendre leur voix en multipliant les déclarations fracassantes. Ils craignent que les nations industrielles ne contribuent pas suffisamment à la lutte contre le changement climatique. Ils réclament la fixation d’objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Et une enveloppe financière des pays du nord pour financer leur adaptation au changement climatique.

Pierre Radanne, les manifestations parfois spectaculaires des délégations des pays du Sud ne sont-elles pas du théâtre ?

Il vous faut combien de morts ?

Ce n’est pas la question...

Il vous faut combien de morts pour dire que ce n’est pas du théâtre ?

Je ne dis pas que c’est du théâtre...

Alors qu’est-ce que signifie la question ?

Ici à Copenhague, nous sommes dans un endroit où tout est codé. Les manifestations de la délégation africaine sont surprenantes dans ce cadre. La question est donc de les décoder proprement et sans biais, dans un souci de compréhension des rapports de force.

D’accord... c’est déjà mieux dit. Vous avez ici, en début de négociation quelque chose dans notre tête qui est difficile à vivre, qui est totalement contradictoire. Vous êtes dans une négociation qui est extrêmement plantée et qui, aujourd’hui, se passe très mal. Puisque l’on doit diviser par deux nos émissions de gaz à effet de serre, les pays en développement doivent réussir leur développement dans ce contexte-là. Or aujourd’hui ils ne savent pas faire. La question pour qu’ils puissent faire est donc celle des transferts nord-sud. Or aujourd’hui cette question est bloquée.

En même temps vous avez dans l’événement ici quelque chose que vous devez ressentir et que tout le monde ressent : vous êtes devant le plus grand rassemblement de la diversité humaine qui ait jamais eu lieu. Il y a 30.000 personnes et jamais il n’y a eu autant de responsables du monde ensemble. Donc ces gens-là ont un plaisir d’être ensemble ici. Et vous avez cette ambivalence entre le plaisir d’être ensemble ici et la difficulté de la négociation.

Alors vous savez, on est encore au début donc ces choses-là ne sont pas encore calées, mais j’insiste sur le fait que ce ni du cinéma, ni du théâtre.

C’est vrai que l’on ressent une grande confraternité...

Oui ! Parce que les gens sont dans un objectif commun. Mais ils ont aussi des intérêts divergents. Il faut bien comprendre cela.

Pourquoi dites-vous que la négociation est plantée ? On avait le sentiment lundi qu’il y avait beaucoup de volontarisme, même si ce sont des discours d’estrade...

On a aujourd’hui plus de 200 pages de texte et on ne sait pas quoi en faire. Est-ce que c’est un protocole ? Est-ce que ce sont des décisions ? Est-ce que c’est engageant pour les pays ? Est-ce que ce n’est pas engageant ? Ces questions-là sont des questions totalement déterminantes, qu’il faut prendre au sérieux.

Ce que vous dites, c’est que sur ces questions personne ne sait vraiment où l’on en est aujourd’hui...

C’est pour cela que je dis que nous sommes plantés. On ne sait pas.

Faut-il un texte qui soit dans le prolongement du protocole de Kyoto (1997) et de ce qui a été négocié depuis Bali il y a deux ans ?

Çla ne suffira pas. Il n’y aurait pas d’accord.

Il faut donc qu’un autre texte surgisse ?

Ecoutez, il faut que dans la journée du 18 au 19 décembre il y ait un vrai coup de rein. Mais vous savez, je crois dans l’Histoire. Le mur de Berlin ne serait jamais tombé si à un moment il n’y avait eu un déclic. Les gens qui sont ici aspirent à ce déclic. Il faut qu’il se produise. Mais pour l’instant il n’est pas là.

Qu’est-ce qui fait que ce déclic se transmettrait de cercle en cercle jusqu’aux chefs d’Etat qui décideront à partir du 18 décembre ?

C’est à eux, les chefs d’Etat, qu’il revient de décider. Ils sont face à l’Histoire.

En ont-ils vraiment conscience ?

Oui, oui. Mais au-delà de ce que vous dites, il y a un deuxième risque d’échec : rêvons et imaginons que les chefs d’Etat parviennent, le 19 décembre prochain à un texte génial et qu’en rentrant chez eux il ne se passe rien. Le problème n’est pas le traité en tant qu’objet. Le problème c’est la mise en mouvement de l’ensemble des sociétés. Or le niveau de l’action c’est celui des collectivités locales. Donc les collectivités locales doivent se mettre en mouvement.

La granulométrie des actions est très fine. La moitié des émissions de gaz à effet de serre est due aux comportements de chacun d’entre nous dans notre vie privée. Votre manière de manger, vos choix de logement, vos choix de transport pèsent la moitié des émissions. Il faut arriver à mettre en route l’ensemble des sociétés. On n’a jamais eu un bidule comme ça à faire !

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