Les enjeux d’un bon usage de l’électricité : Chine, Inde, États-Unis et Union européenne

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

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L’électricité est un produit noble et devenu central pour le développement des sociétés, mais sa production, son transport et sa distribution exigent des investissements lourds alors que les rendements de production restent modestes ou mauvais. De plus, on ne peut pas compter dans un proche avenir sur les énergies renouvelables pour produire en quantités suffisantes l’électricité bon marché qui serait indispensable à un développement énergivore, sachant par ailleurs qu’aucune des énergies dont est issue l’électricité n’est, à des degrés divers, sans inconvénient local ou global. Dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles et de croissance des émissions de gaz à effet de serre, un « bon usage » de l’électricité représente donc des enjeux sociaux, économiques et environnementaux majeurs, notamment dans les pays émergents.

C’est pourquoi l’Agence Française de Développement (AFD) a jugé important de consacrer à l’électricité une étude particulière, en choisissant délibérément de la consacrer à la demande d’électricité plutôt qu’à sa production. La rédaction en été confiée par le Département de la recherche de l’AFD à Benjamin Dessus et Bernard Laponche, qui avaient au préalable compté au nombre des principaux contributeurs à l’ouvrage collectif « Du gâchis à l’intelligence. Le bon usage de l’électricité » (1) consacré à la France.

Dans le cadre de l’étude rédigée pour l’AFD, les enjeux liés à ce « bon usage » de l’électricité ont été analysés pour 4 des principaux acteurs de la scène énergétique internationale : la Chine et l’Inde, les États-Unis et l’Union Européenne. À l’issue de ce travail, réalisé avec la collaboration avec de Sophie Attali (Topten International Services), Robert Angioletti (Ademe) et Michel Raoust (Terao), les principaux résultats en ont été présentés par Benjamin Dessus et Bernard Laponche dans le cadre d’une conférence-débat organisée le 6 avril 2011 à l’AFD.

Publiée sous le titre « Les enjeux d’un bon usage de l’électricité : Chine, Inde, États-Unis et Union Européenne » [pdf, 4.6 Mo] (AFD / Direction de la stratégie / Département de la recherche, Document de travail n°106, mars 2011), l’étude offre :
• une description des caractéristiques qui font la particularité de l’électricité et une analyse des différents critères de son « bon usage » ;
• un état des lieux des consommations d’électricité en Chine et en Inde et de leur évolution, en les comparant aux autres grands ensembles géographiques qie sont les États-Unis et l’Union Européenne ;
• une présentation des potentiels et perspectives de « bon usage » de l’électricité en Chine et en Inde pour chacun des grands secteurs socio-économiques, avec leurs conséquences sur l’environnement, la protection des ressources naturelles et l’économie de ces pays ;
• une analyse des enjeux les plus importants d’un bon usage de l’électricité pour les décennies qui viennent en Chine et en Inde.


(1) Les Cahiers de Global Chance, n°27, janvier 2010 – en ligne ici sur ce site.

sommaire

Introduction

1. L’électricité : un vecteur énergétique aux caractéristiques particulières
1.1 La production d’électricité
1.2 Le transport et la distribution d’électricité
1.3 Les usages de l’électricité
1.4 Courbes de charge et monotone de puissance : une problématique essentielle

2. Critères d’un bon usage de l’électricité
2.1 Les critères
2.2 Les émissions de gaz à effet de serre (GES)
2.4 Les questions d’environnement local
2.3 La préservation des ressources et la sécurité énergétique
2.5 Les questions économiques
2.6 Et à l’horizon de 20 ans ?

3. La consommation d’électricité en Chine, États-Unis, Inde et Union européenne
3.1 Quatre grands ensembles aux situations contrastées
3.2 Les consommations d’énergie, leur évolution et leurs indicateurs globaux
3.3 Production, transport et distribution de l’électricité
3.4 Les consommations finales d’électricité
3.5 Les émissions de gaz carbonique des systèmes électriques
3.6 La consommation d’électricité en Inde : l’exemple de la Région Nord
3.7 La consommation d’électricité en Chine : l’exemple de la province du Shandong
3.8 Les visions prospectives de la consommation d’électricité en Chine, Inde, Union européenne et États-Unis

4. Le secteur de l’industrie
4.1 La consommation d’électricité dans l’industrie
4.2 Économies et substitution d’électricité à des énergies fossiles dans l’industrie en Chine, aux États-Unis, en Inde et dans l’Union européenne

5. Le secteur des transports
5.1 La consommation d’électricité dans les transports
5.2 Les économies et substitution d’électricité à des énergies fossiles dans les transports en Chine, aux États-Unis, en Inde et dans l’Union européenne

6. Les secteurs résidentiel et tertiaire
6.1 Les consommations d’énergie des secteurs résidentiel et tertiaire
6.2 Les consommations d’électricité dans les secteurs résidentiel et tertiaire
6.3 L’enseignement de la pratique : un exemple en Chine
6.4 Une estimation prospective des enjeux de la consommation d’énergie dans les bâtiments
6.5 Instruments et mesures pour économiser l’électricité dans les bâtiments : l’expérience européenne

Eléments de conclusion

Liste des sigles et abréviations

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introduction

Chacun sait bien que l’électricité est un produit noble et de très grande utilité pour le développement des sociétés, mais dont la production, le transport et la distribution exigent des investissements lourds et entraînent des frais de maintenance importants, alors que les rendements de production restent souvent modestes et parfois franchement mauvais : de l’ordre de 10 à 15 % pour l’électricité photovoltaïque ou la géothermie, 20 à 25 % pour la biomasse, 30 % pour le nucléaire actuel, 35 à 45 % pour le charbon et le fuel, 50 à 55 % pour le gaz naturel, et de 95 % pour l’hydraulique.
D’autre part, aucune des énergies dont est issue l’électricité n’est sans inconvénient, local ou global, même si les degrés de nuisances et de risques couvrent un très large éventail (accidents majeurs, prolifération, matières dangereuses et déchets pour le nucléaire, pollution de l’air et émissions de CO2 et de méthane pour les combustibles fossiles, déforestation, dégâts à la biodiversité et concurrence avec les besoins alimentaires pour les plantations énergétiques, déplacements de population et dégâts environnementaux pour les grands barrages, problèmes paysagers pour les éoliennes, etc.).
Les coûts mondiaux d’investissement des outils de production d’électricité sont en forte augmentation depuis plusieurs années, en particulier dans le nucléaire (avec des coûts multipliés par 2,5 en 5 ans) mais aussi, dans une moindre mesure, dans les filières à combustibles fossiles, et la raréfaction des ressources fossiles et fissiles qui laisse augurer d’un renchérissement durable des coûts moyens de l’électricité.
Enfin, dans un proche avenir, les énergies renouvelables (à l’exception de l’hydraulique et de l’éolien à court-moyen termes) ne suffiront pas à produire les quantités d’électricité bon marché indispensables au développement.

Devant l’importance des impacts sociaux, économiques et environnementaux liés au bon usage de ce vecteur énergétique noble, rare et durablement onéreux, en particulier dans des pays émergents comme la Chine et l’Inde, où la croissance économique est très rapide, il a paru important à l’AFD de consacrer une étude à l’électricité délibérément axée sur la demande d’électricité plutôt que sur sa production.
L’enjeu, en Chine et en Inde (et plus largement dans l’ensemble des pays émergents) d’un bon usage de l’électricité (au sens de sa rationalité et de son économie) justifie pleinement cette approche dans un contexte de tension croissante sur les approvisionnements énergétiques et sur les questions d’environnement à court et moyen terme, et donc des prix, avec leurs conséquences sur l’activité économique, le revenu des ménages et les inégalités sociales. Il serait en effet paradoxal et totalement contradictoire de s’engager, comme y incite fortement la raréfaction des ressources fossiles et la croissance des émissions de gaz à effet de serre liées aux consommations d’énergie, dans une politique vigoureuse d’efficacité énergétique dans tous les secteurs d’activités et donc de diminuer les consommations d’énergie à service rendu égal ou supérieur, et d’exempter l’électricité de cet effort indispensable de sobriété et d’efficacité énergétiques.


Les auteurs de cette étude ont eu l’occasion récemment de s’intéresser à cette question du bon usage de l’électricité en Europe et en France. Ils ont pu à cette occasion développer une méthodologie d’approche originale de ces questions et mettre en évidence pour les grands pays européens l’évolution de la demande sectorielle d’électricité de ses usages principaux, et leurs déterminants. L’étude parue sous le titre « Du gâchis à l’intelligence : le bon usage de l’électricité » (1) comporte une série de données et de résultats sectoriels pour les pays européens qu’il nous a semblé intéressant de mettre en regard de ceux de la Chine et de l’Inde ; ils peuvent en effet potentiellement préfigurer les évolutions à moyen terme des consommations d’électricité et alerter les décideurs des pays émergents sur les priorités d’action. De plus, il nous a semblé intéressant d’élargir cette comparaison aux États-Unis dont les caractéristiques démographiques et géographiques, ainsi que le modèle économique sensiblement différent du modèle européen peuvent apporter des éléments utiles d’analyse pour les orientations futures des pays émergents.

Cette étude centrée sur la demande d’électricité et son évolution s’impose d’autant plus que les politiques actuelles de nombreux pays s’appuient sur des conventions souvent dépassées et des chiffres qui ne reflètent parfois ni la réalité physique ni la vérité économique et environnementale, justifiant ainsi à tort un développement non pertinent des usages de l’électricité.

L’étude est composée de trois parties.
La première est consacrée à la description des caractéristiques qui font la particularité de l’électricité et aux différents critères d’un « bon usage » de ce vecteur énergétique très particulier.

La deuxième dresse l’état des lieux des consommations d’électricité en Chine et en Inde et de leur évolution par rapport à deux grands ensembles géographiques, les États-Unis et l’Union européenne : les consommations globales et leur évolution, les bilans énergétiques et électriques, les bilans de production et les bilans CO2, les consommations sectorielles et leurs évolutions depuis 1992 (industrie, transports, résidentiel tertiaire). On remarquera l’absence de l’agriculture dans cette liste. Les statistiques concernant la consommation de l’agriculture, souvent agrégées aux statistiques du résidentiel tertiaire (2) ne permettent pas une analyse spécifique détaillée, malgré l’importance de ce secteur dans l’économie rurale de ces deux pays. Cette partie se conclut sur une analyse de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) des perspectives de consommation électrique des différents scénarios.
La troisième partie présente les potentiels et perspectives de « bon usage » de l’électricité en Chine et en Inde dans chacun des grands secteurs socioéconomiques, et leurs conséquences sur l’environnement, la protection des ressources naturelles et l’économie de ces pays. La comparaison avec les États–Unis et l’Union européenne(UE) permet de montrer le contraste des trajectoires de consommation d’électricité dans certains des secteurs selon la nature des choix stratégiques qu’engageront les gouvernements de la Chine et de l’Inde.
La conclusion reprend les principaux résultats de l’étude et souligne les enjeux les plus importants d’un bon usage de l’électricité pour les décennies à venir, en Chine et en Inde.


(1) Les Cahiers de Global Chance, n°27, janvier 2010, Global Chance / Association NégaWatt, disponible ici.
(2) Cette lacune importante et les caractéristiques très particulières de la consommation d’énergie du secteur agricole dans ces pays (importance du pompage pour l’irrigation) nous ont conduit à exclure l’agriculture de notre analyse.

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conclusion

La question du bon usage de l’électricité revêt une importance toute particulière dans les pays émergents comme la Chine et l’Inde. Dans ces deux pays, la consommation de ce produit noble, dont la production et la mise à disposition des usagers engagent des processus complexes et coûteux, est en très rapide croissance, en particulier depuis une décennie. Depuis vingt-cinq ans, la consommation d’électricité a cru d’un facteur 5 en Chine, 2,35 en Inde, contre 1,35 aux États-Unis, et 1,30 dans l’Union européenne.
L’intensité électrique finale – le rapport de la consommation finale d’électricité au produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat – reste sensiblement plus élevée en Chine qu’aux États-Unis et dans l’Union européenne, et de même niveau pour l’Inde (0,39 MWh/USDppa pour la Chine, 0,19 pour l’Inde, 0,20 pour l’Union européenne, 0,29 pour les États-Unis). Les rendements de mise à disposition d’un kWh d’électricité finale sont plus faibles (0,22 en Inde, 0,31 en Chine, 0,35 aux États-Unis et dans l’Union européenne), et les émissions de CO2 du kWh final sont nettement plus élevées (1 220 g CO2/kWh en Inde, 960 en Chine, 620 aux États-Unis, 420 dans l’Union européenne).
Les quantités d’énergie primaire nécessaires à la mise à disposition de cette électricité sont considérables : 814 Mtep ( 39 % de la consommation totale d’énergie) en Chine, 226 Mtep en Inde (37 %), et proches, en proportion du total, de celles des États-Unis (42 %) et de l’Union européenne (41 %).
Les divers scénarios de prospective à l’horizon 2030 de l’AIE proposent des croissances encore très fortes de ces consommations d’électricité en Chine et en Inde, durant les deux prochaines décennies : un facteur 2,5 à 3,5 pour la Chine, et de 3,3 à 4 pour l’Inde.
L’impact d’un bon usage de l’électricité sur l’économie, la sécurité d’approvisionnement et les émissions de GES, les prochaines décennies, est donc particulièrement important pour ces pays, mais aussi pour l’ensemble de la planète.

L’analyse sectorielle des consommations d’électricité en Chine et en Inde montre que les deux secteurs principaux d’usage de l’électricité sont actuellement, dans ces deux pays, le secteur industriel (Chine, 69 % du total et Inde, 46 % du total), suivi de l’ensemble résidentiel et tertiaire. La consommation de ces deux derniers secteurs connaît une croissance encore plus rapide que celle de l’industrie. Par contre, la consommation d’électricité dans les transports, limitée aujourd’hui à une part des transports ferroviaires, y est encore marginale.

L’analyse des potentiels d’économie et de substitution d’électricité à des énergies fossiles au regard des critères de bon usage de l’électricité (ressources naturelles, sécurité d’approvisionnement, économie, égalité d’accès aux services, environnement, etc.) conduit aux constats suivants :

• Dans le secteur industriel de la Chine et de l’Inde, caractérisé par l’importance des branches très consommatrices d’énergie (chimie lourde, sidérurgie, matériaux de construction, etc.), les potentiels d’économie d’énergie satisfaisant à l’ensemble des critères du « bon usage de l’électricité » sont importants : plus de 1 100 TWh en Chine (24 % par rapport à la consommation du secteur en 2030), et plus de 200 TWh en Inde (23 %), soit 20 % de plus que la consommation d’électricité finale de l’Union européenne du secteur en 2008, et cela dans de bonnes conditions économiques.
En termes d’énergie primaire et d’émissions de CO2, ces économies sont d’autant plus importantes que les rendements de production d’électricité et les émissions spécifiques de CO2 n’auront probablement pas encore atteint en 2030 les valeurs européennes. Le bilan prévisionnel de l’enjeu de substitutions d’électricité dans l’industrie à des combustibles est moins encourageant. Il faudra en effet des performances particulièrement bonnes des technologies de substitution dans ces pays pour les justifier du point de vue des économies d’énergie primaire ou d’émissions de CO2, tant que les moyens de production électrique de ces deux pays – aujourd’hui dominés par les centrales à charbon – n’auront pas changé significativement, ce qui peut demander deux décennies.

• Dans les secteurs résidentiel et tertiaire, les consommations d’électricité, encore très basses en 1992, ont augmenté à très vive allure en Chine (un rapport 5,5) et un peu moins vite en Inde (un rapport 2,5). Les quelques exemples très partiels d’enquêtes de consommation de parcs de logements et de parcs tertiaires, dont on dispose, ne permettent pas d’établir une description fiable d’évolution des consommations par usage dans les différentes régions. Il semble cependant qu’à côté des consommations spécifiques classiques (éclairage, froid domestique, audiovisuel et bureautique), dont l’évolution pourrait suivre l’évolution européenne avec l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages urbains, une attention particulière devrait être portée à la climatisation (et, plus partiellement au chauffage des locaux), responsable de pointes saisonnières d’électricité coûteuses en investissement.
L’estimation grossière des enjeux d’efficacité énergétique dans les secteurs résidentiel et tertiaire, réalisée dans l’étude à partir d’une simulation de développement « à l’américaine » ou « à l’européenne » montre, au moins qualitativement, l’importance du contrôle des évolutions de la consommation d’électricité dans ces deux secteurs. La différence des besoins d’électricité finale au moment indéterminé (mais très probablement à l’échelle de moins d’un demi-siècle) de la convergence des situations dans le résidentiel-tertiaire de la Chine et de l’Inde avec celle des États–Unis d’aujourd’hui par exemple, atteindrait en effet 8 500 TWh en Chine et 7 200 TWh en Inde.

• Enfin, dans le secteur des transports, deux points principaux ressortent de l’étude : le premier concerne l’intérêt majeur d’une pénétration rapidement accrue des modes guidés de transport (pas prioritairement alimentés à l’électricité, sauf pour des raisons de contrainte pétrolière). Ces transferts de modes permettent des économies très importantes d’énergie et donc de CO2. Si c’est l’électricité qui, de plus, pénètre plus massivement qu’aujourd’hui dans ces modes de transport en substitution au fioul, s’y ajoutent alors des économies de produits pétroliers. Par contre, les bénéfices, en termes d’émissions de CO2, de la substitution électricité aux produits pétroliers dans les transports guidés, seront peu significatifs, tant que les moyens de production d’électricité resteront inchangés.
Le second point concerne le véhicule électrique. Contrairement à une opinion largement répandue, des programmes importants de véhicules électriques n’auront pas à court et moyen terme de conséquences positives sur les consommations primaires d’énergie, ni sur les émissions de CO2 de la Chine et de l’Inde. Ils auront, par contre, des conséquences significatives sur l’indépendance pétrolière de ces pays ainsi que sur les pollutions locales, au prix d’investissements importants de production et de distribution d’électricité.

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