Le chemin qu’il reste à parcourir après le sommet de Durban

, par   Laurence Tubiana

Si les engagements pris en 2010 à Cancun ne sont pas revus à la hausse, le réchauffement climatique à l’horizon 2100 pourrait dépasser les 3 degrés : une température globale que nous n’avons pas observée sur terre depuis 3 millions d’années. Face à ce constat, les Etats réunis à Durban du 28 novembre au 9 décembre 2011 ont prévu de lancer une nouvelle phase de négociation avec pour objectif la conclusion d’ici 2015 d’un accord global basé sur des engagements ambitieux, crédibles et équitables.

Nicholas Stern et Laurence Tubiana, LeMonde.fr, mercredi 4 janvier 2012

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Tribune publiée par Le Monde
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le chemin qu’il reste à parcourir après le sommet de durban

La conférence de Durban s’est terminée à l’arraché par un résultat modeste mais porteur d’une nouvelle dynamique pour la négociation climat. Ce résultat doit beaucoup à l’Europe emmenée par la commissaire européenne pour le climat Connie Hedegaard, qui a joué un rôle central dans la conclusion de l’accord.

Ce résultat – le lancement d’un processus de négociation pour un accord global d’ici 2015 incluant des engagements de tous les pays –, est du a plusieurs facteurs. La plupart des pays, y compris les plus émetteurs, prennent conscience de façon de plus en plus marquée des risques climatiques. Or les émissions de gaz à effet de serre ne cessent de croître – elles augmentent aujourd’hui plus vite que la croissance économique ; tout délai dans l’action augmente le stock de GHG dans l’atmosphère et engage, du fait de l’inertie du système économique, la tendance des émissions futures. Enfin les perspectives de croissance sobre en carbone apparaissent de plus en plus attractives.

La plate-forme élaborée à Durban permettra d’ici 2020 d’engager tous les pays dans un accord juridiquement contraignant dont la forme reste à déterminer. Les obligations de chacun sont encore à négocier et devront prendre en compte les questions d’équité et de pauvreté essentielles pour beaucoup de pays. Mais quelque soit la forme choisie c’est le niveau d’ambition et la crédibilité de ces engagements qui en seront la clé.

En effet, au sommet de Cancun en 2010, les pays ont entériné l’objectif de stabilisation de la hausse moyenne de température à l’échelle du globe à un maximum de 2 degrés, pour éviter une aggravation des risques climatiques qui serait très dangereuse et très coûteuse. Mais les engagements pris pays par pays ne sont pas cohérents avec l’objectif de stabilisation des températures.

Si ces engagements sont tenus, l’accord de Cancun se situerait à mi-chemin entre les évolutions tendancielles et la trajectoire recherchée. Les émissions annuelles s’établiraient en 2020 à environ 50 milliards de tonnes, c’est-à-dire à peu près à leur niveau d’aujourd’hui. Si les engagements pris à Cancun ne sont pas revus à la hausse, les émissions annuelles ont de grandes chances de se stabiliser autour de ces 50 milliards de tonnes même après 2020. A ce rythme, le réchauffement ne pourra être contenu dans les limites de 2 degrés pour atteindre au moins 3 degrés : une température globale que nous n’avons pas observée sur terre depuis 3 millions d’années. Les conséquences seront graves pour les conditions de vie et de survie de centaines de millions de personnes dans le monde. L’accord de Cancun inclut tout de même une référence au pic des émissions : lors des prochaines conférences des parties, les pays doivent décider quand ce pic devrait s’établir en fonction des connaissances scientifiques et du principe "d’accès équitable au développement durable".

Les travaux disponibles suggèrent que pour se donner au moins 50 % de chances de limiter la hausse de la température globale à 2 degrés, les émissions mondiales devraient atteindre leur pic autour de 2020 et les émissions annuelles devraient se limiter à 35 milliards de tonnes en 2030 et 20 milliards de tonnes en 2050.

La croissance économique attendue dans les pays en développement entre 2020 et 2030 est telle que même la stabilisation des émissions annuelles à 50 milliards de tonnes représente déjà un gros effort. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), si les engagements de Cancun sont remplis, les pays développés devraient émettre 18 milliards de tonnes en 2020 (soit leur niveau de 2005), les pays en développement 32 milliards (soit 24 milliards de tonnes en plus par rapport à 2005). Cette arithmétique impitoyable montre que même si les pays riches devaient réduire à zéro leurs émissions, le monde ne serait pas pour autant sur une trajectoire soutenable, ni du point de vue du réchauffement ni de l’accès équitable au développement durable.

Cancun n’est donc qu’une étape qui doit être dépassée, c’est le signal positif de Durban. Mais il faut aussi que les pays riches fournissent un appui financier et technologique consistant aux pays en développement pour les aider à engager la transition vers une économie sobre en carbone et résister aux risques induits par le changement climatique.

Au sortir de Durban, le problème auquel nous devons faire face est de plus en plus clair : vaincre la pauvreté à l’échelle mondiale et en même temps renforcer notre action pour maîtriser les risques climatiques, pour que le développement soit réellement durable.

Nicholas Stern, président du Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment et professeur à la London School of Economics
Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

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