La triple dépendance française en combustible nucléaire

, par   Bernard Laponche, Jean-Claude Zerbib

Introduction

Avec 56 réacteurs répartis dans les 18 centrales nucléaires d’EDF, 70% environ de la production d’électricité en France sont assurés par l’utilisation de l’énergie nucléaire, grâce à la production de chaleur par la combinaison de la fission et de la réaction en chaîne dans les réacteurs.

Cette situation fait de la France le pays le plus « nucléarisé » au monde en proportion de sa population et le troisième en niveau de production après les États-Unis et la Chine, nettement plus peuplés.

Le programme des réacteurs actuellement en fonctionnement (en comptant les deux réacteurs de Fessenheim en cours de démantèlement) a été lancé au début des années 1970 et renforcé par le « Programme Messmer » de 1974, à l’occasion du premier « choc pétrolier », inaugurant la politique du « tout électrique-tout nucléaire » qui s’est poursuivie jusqu’à la construction de l’EPR de Flamanville en 2007, qui n’a toujours pas démarré.

Le gouvernement actuel se place dans cette lignée en prônant le prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs actuels et la construction d’un certain nombre de réacteurs de la filière EPR2, héritière de l’EPR.

Comme à l’époque, et bien que les temps aient bien changé, le principal argument de cette politique est « l’indépendance énergétique nationale », faisant d’ailleurs un raccourci trompeur de l’énergie à l’électricité et de celle-ci au nucléaire, symbole imaginaire d’une prétendue indépendance. Admettons toutefois que la conception et la construction des réacteurs soient « nationale », encore que bien des équipements soient importés, il n’en reste pas moins que la conception est essentiellement celle des réacteurs à uranium enrichi et eau sous pression d’origine Westinghouse, et que la « francisation » effectuée au début des années 1980 pose aujourd’hui pas mal de questions, notamment avec la découverte de fissures par corrosion sous contrainte ou fatigue thermique, qui plombent un certain nombre de réacteurs, dont les plus récents.

Par contre, l’indépendance est loin d’être acquise du côté du « combustible nucléaire » qui fait « bouillir la marmite ». En effet, l’uranium naturel, matière première pour la fission, est depuis plusieurs dizaines d’années, totalement importé. Les fournisseurs sont nombreux mais, parmi les principaux, Kazakhstan, Niger, Ouzbékistan, Australie, Canada, trois présentent des risques géopolitiques. Mais, nous dit-on, la France possédant une usine d’enrichissement, une usine de retraitement et des usines de fabrication des combustibles, on pourrait être tranquille.

La réalité est beaucoup plus complexe.

En effet, le combustible des réacteurs en fonctionnement ou en perspective est constitué d’uranium enrichi de 3 à 5%. Il faut donc « enrichir » l’uranium dans des usines d’enrichissement par diffusion gazeuse ou par centrifugation et on s’aperçoit que, bien que la France possède une telle usine, on constate qu’il y a enrichissement en Russie d’uranium naturel envoyé par la France, d’uranium acheté par la France à un pays tiers et livré en Russie pour y être enrichi, d’uranium appauvri (issu des rejets de l’enrichissement de l’uranium naturel) exporté par la France en Russie pour être enrichi à son tour et enfin, ce qui n’est pas le moins scabreux par les problèmes qu’il pose, l’envoi en Russie de l’uranium issu du retraitement (donc pollué) pour y être enrichi, ce pays gardant l’uranium appauvri, sous-produit de l’opération.

Enfin, indispensable pour EDF, la fabrication des assemblages de combustible dépend de 30% à 40% de Westinghouse.

L’objectif de cet article est d’évaluer :

  • Les tonnages d’uranium qui sont livrés directement en France par le pays producteur, sous forme de yellow cake et subissent ensuite toutes les transformations, jusqu’à la mise sous forme d’assemblages ;
  • Les tonnages d’uranium naturel qui transitent par un pays tiers, pour arriver en France sous forme d’uranium enrichi, gazeux ou solide, voire même d’assemblages combustibles réalisés à l’étranger ;
  • Les opérations d’enrichissement en Russie de l’uranium appauvri d’EDF ;
  • Les opérations d’enrichissement de l’uranium de retraitement d’EDF et d’Orano en Russie.
  • La fabrication des assemblages combustibles, assurée en partie à l’étranger.

Sera ainsi établie la triple dépendance, totale ou partielle, en approvisionnement d’uranium naturel, en enrichissement de l’uranium naturel, de l’uranium appauvri et de l’uranium de retraitement et, en fabrication des assemblages combustibles.

Cet article est dédié à la mémoire d’André Guillemette, membre de Global Chance et de l’ACRO, expert des questions liées au retraitement des combustibles irradiés et à l’industrie du plutonium, auteur de plusieurs articles sur ces sujets, notamment en collaboration avec Jean-Claude Zerbib, publiés sur le site de Global Chance (www.global-chance.org).

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