La filière des surgénérateurs au Japon – Monju, Tokaï et Rokkasho

, par   Bernard Laponche, Jean-Claude Zerbib

L’État japonais a depuis longtemps voulu développer la filière des surgénérateurs... non sans arrières pensées militaires. Certes, le réacteur surgénérateur de Monju, à combustible plutonium et à fluide caloporteur sodium liquide, est depuis novembre 2015 considéré comme « inapte au service » par l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, après avoir été immobilisé de 1995 à 2010 suite à un feu de sodium liquide. Mais le gouvernement persiste dans ses intentions et envisage un nouveau prototype, seul ou en collaboration avec l’industrie nucléaire française. Et JNFL (Japan Nuclear Fuel Limited, responsable du combustible nucléaire), s’est depuis 1993 lancé avec le soutien de son alter-ego français Areva dans la construction d’une usine de retraitement des combustibles irradiés des réacteurs existants et donc de production du plutonium...

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La filière des surgénérateurs au Japon – Monju, Tokaï et Rokkasho
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LA FILIÈRE DES SURGÉNÉRATEURS AU JAPON – MONJU, TOKAÏ ET ROKKASHO

Bernard Laponche et Jean-Claude Zerbib, document de travail, mardi 16 octobre 2017

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La filière des surgénérateurs au Japon – Monju, Tokaï et Rokkasho (1)

Le Japon a depuis longtemps voulu développer la filière des surgénérateurs.
Sous la responsabilité de JAEA (le CEA japonais), le réacteur expérimental Joyo, à uranium enrichi (19%), a démarré en 1977 et atteint une puissance thermique de 140 MW. Il est arrêté depuis 2007 pour réparations et pourrait redémarrer en 2021, ce qui paraît très improbable.
La construction du réacteur surgénérateur de Monju, à combustible plutonium et à fluide caloporteur sodium liquide, de 280 MW de puissance électrique, a commencé en 1986 ; sa première divergence s’est produite en 1994 et la centrale a été connectée au réseau électrique en août 1995.
En décembre 1995, un feu de sodium liquide a entraîné l’immobilisation du réacteur jusqu’en 2010. Il a ensuite fonctionné à puissance réduite pendant trois mois, de mai à août 2010, quand la lourde machine de transfert des combustibles est tombée dans la cuve du réacteur.
En novembre 2015, l’autorité de sûreté nucléaire japonaise a déclaré Monju « inapte au service » et, en novembre 2016, il a été estimé que le redémarrage du réacteur demanderait huit ans.
Le gouvernement japonais a annoncé le 21 décembre 2016 sa décision d’arrêter définitivement Monju. Le gouvernement estime à 3,2 Md $ le coût « minimum » pour le démantèlement du réacteur qui devrait se poursuivre jusqu’en 2047.
Cependant, le gouvernement japonais continue d’affirmer la nécessité de poursuivre le développement de la filière des surgénérateurs, non sans arrières pensées militaires, par un nouveau prototype de 500 MW de puissance électrique qui devrait démarrer en 2025. Rien n’est acquis de ce côté-là, une alternative étant de participer au projet Astrid, si jamais ce projet serait décidé en France.

Une stratégie de développement de la filière des surgénérateurs n’a de sens que si l’on dispose d’une usine de retraitement des combustibles irradiés issus des réacteurs en fonctionnement (PWR et BWR) et, ensuite, d’une usine de retraitement des combustibles irradiés issus des réacteurs surgénérateurs eux-mêmes (ce qui n’existe pas en France par exemple).

Une première usine de retraitement a été construite sur le grand site nucléaire de Tokaï-Mura, avec la coopération de Saint-Gobain nucléaire (SGN), entreprise française filiale de la COGEMA (qui deviendra Areva), absorbée par Areva en 2013. Après les premiers tests en 1977, et dans le cadre d’une forte controverse avec le gouvernement américain (présidence Carter), l’usine a retraité 1177 tonnes de combustibles. L’arrêt définitif de l’usine a été annoncé par le gouvernement en septembre 2014.
Le site de Tokaï-Mura, situé à 150 km de Tokyo, qui comprend plusieurs installations, a été marqué par un accident important (3 dans l’échelle INES) lors d’une opération de conditionnement de déchets dans du bitume, le 11 mars 1997, mais aussi, dans une installation de fabrication du combustible, par un accident mortel de criticité le 30 septembre 1999 (deux décès (2) sur trois personnes fortement irradiées, sur un total de 69 travailleurs et exposés aux rayonnements gamma et neutrons émis. Par précaution, la population se trouvant à 350 m de l’installation, a été évacuée 24 h et les riverains situés à 10 km du site, maintenus 48h dans leurs habitations) provoqué par des anomalies extrêmement graves dans les procédures d’opérations présentant des risques de criticité (3).

En outre, JNFL (Japan Nuclear Fuel Limited, responsable du combustible nucléaire), a entrepris depuis 1993 la construction d’une usine de retraitement des combustibles irradiés des réacteurs existants et donc de production du plutonium, d’une capacité annuelle de traitement de 800 tonnes de combustible et de production de 8 tonnes de plutonium, dont la date d’achèvement était prévue en fin 1997, puis, au fur et à mesure de la construction, à 2003 puis 2006. Pour cette opération, JNFL a bénéficié de l’assistance technique d’Areva : les opérations principales (cisaillage, dissolution, séparation, raffinage) sont conçues par Areva avec sa filiale SGN, les autres opérations sont assurées par une série de sociétés anglaise (gestion des liquides de haute activité), allemande (gestion des iodes radioactifs), japonaises (vitrification, piscines d’entreposage, etc.).
Le produit final en sortie d’usine n’est pas de l’UO2 et du PuO2 séparés, comme en France ou au Royaume-Uni, mais un mélange à 50%-50% des deux oxydes, suite à un accord américano-japonais visant la non-prolifération.

Les premiers essais furent réalisés en 2006 mais suspendus en 2008 suite à un accident.
Le démarrage de l’usine a été ensuite régulièrement repoussé à 2013, puis 2015, enfin 2018, et, le 30 septembre 2017, JNFL a annoncé un nouveau retard, le 24ème report. Le coût estimé de cette usine est de 25,7 milliards de $, soit quatre fois la prévision initiale.
Il faut savoir que, en juin 2013, un contrat a été signé entre JNFL et Areva afin « d’assurer le démarrage de l’usine ».
En 2006, il y avait déjà 5000 tonnes de combustibles usés accumulés à Rokkasho (outre cet entreposage, on trouve sur ce site, situé à l’extrême pointe de l’ile principale de Hondo, une usine d’enrichissement de l’uranium et une usine de fabrication du combustible MOX). La première piscine d’entreposage des combustibles irradiés avait une capacité de 3000 tonnes. Le groupe Tepco, l’opérateur de la centrale détruite de Fukushima, et la société Japco font construire à Mutsu, une bourgade située non loin de Rokkasho, un centre d’entreposage à sec de 3.000 tonnes de combustibles usés.
Une seconde piscine a dû être construite du fait des retards dans la construction de l’usine.
Fin septembre 2015, il y avait 14 730 tonnes de combustibles usés entreposées dans les 17 centrales nucléaires japonaises et 4 820 t en charge dans les réacteurs.

Bernard Laponche et Jean-Claude Zerbib

Notes

(1) Les noms de Rokkasho Mura et Tokaï Mura sont les noms des communes où se situent les sites nucléaires.

(2) Respectivement 83 et 211 jours après l’accident.

(3) Il a fallu l’intervention de neuf groupes de deux personnes (pour de ne pas atteindre 100 millisieverts par personne) pour vidanger de l’eau qui servait de réflecteur à la solution (oxyde d’uranium enrichi à 19% en 235U dissous dans de l’acide nitrique) et entretenait la réaction de criticité, puis rajouter de l’eau borée dans la cuve afin de neutraliser vraiment la criticité. Le plus irradié des intervenants a reçu une dose de 98 millisieverts.

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