La France à l’abri d’un accident japonais ?

, par   Benjamin Dessus, Bernard Laponche

Présentés par les autorités françaises comme la conséquence très spécifique d’un événement très exceptionnel et tout à fait improbable en France, les accidents gravissimes en cours à Fukushima résultent d’une succession de dysfonctionnements qui peut tout aussi bien se produire sans le moindre tremblement de terre... Une tribune de Benjamin Dessus et Bernard Laponche, publiée par Mediapart le dimanche 13 mars 2011


Les deux graves accidents en cours sur deux des réacteurs de la centrale de Fukushima Daiichi sont présentés en France par les porte-parole officiels comme la conséquence très spécifique d’un événement très exceptionnel et tout à fait improbable en France, un tremblement de terre de magnitude 8.9 et le tsunami qui s’en est suivi. Il est parfaitement exact que le cumul de ces événements a été le déclencheur de la séquence qui conduit à la situation actuelle : arrêt automatique des réacteurs à la détection de la secousse, comme prévu, réacteurs qu’il faut cependant continuer à refroidir par une circulation d’eau.

Mais la perte de l’alimentation électrique extérieure entraînée par l’effondrement du réseau après l’arrêt brutal de 11 réacteurs du pays implique de mettre en route les diesels de secours dont dispose la centrale pour actionner les pompes de circulation d’eau nécessaire au refroidissement. Et cette fois, c’est le tsunami qui en est responsable, semble-t-il : les diesels inondés refusent de se mettre en marche. D’où la surchauffe dans le cœur du réacteur avec les conséquences qui se déroulent actuellement sur les deux réacteurs accidentés et dont l’issue peut conduire à une catastrophe.

Mais ce qu’omettent volontairement de signaler nos autorités est que cette succession de dysfonctionnements peut tout aussi bien se produire sans le moindre tremblement de terre.

Les arrêts programmés ou intempestifs de réacteurs pour des incidents mineurs ne sont en effet pas rares. Pas de problème si les pompes de circulation continuent à être alimentées normalement. Mais la perte du réseau extérieur peut se produire pour bien d’autres raisons que sismiques, accident sur une ligne de très haute tension, sabotage, etc. Restent alors les diesels. Il n’y a pas besoin d’un tsunami pour les neutraliser par noyade. Au cours de la tempête de 1999, à la centrale du Blayais dans l’estuaire de la Gironde, il a suffi de la conjugaison d’une grande marée et d’une dépression atmosphérique pour obtenir le même résultat : perte de l’alimentation électrique des pompes et perte d’une grande partie des informations sur l’état de la centrale. L’accident a été évité de justesse. Bien entendu, il y a bien d’autres raisons qui peuvent provoquer des pannes sur ces diesels de secours.

C’est ainsi qu’on a appris, il y a une quinzaine de jours, que dans huit des réacteurs français, des pièces essentielles des diesels de secours, « les coussinets », étaient défectueux et pouvaient fort bien entraîner la panne sèche sur ces diesels. On a appris également que dans 34 réacteurs du parc nucléaire français, le système d’injection de secours pouvait ne pas fonctionner avec la précision requise par la sûreté nucléaire. Et l’Autorité de sûreté française de déclarer benoîtement que, dans le cas d’une fuite sur le circuit primaire, « le cœur du réacteur pouvait ne pas être correctement refroidi », reconnaissant par là même la possibilité, sur ces 34 réacteurs, d’un enchaînement d’incidents successifs analogues à ceux que connaît aujourd’hui la centrale japonaise.

Cette même Autorité de sûreté, depuis le début des problèmes japonais, se distingue par sa langue de bois. Son président a poussé le bouchon jusqu’à déclarer, après une première déclaration lénifiante qui n’apportait pas la moindre information, qu’il refusait tout simplement de répondre aux questions éventuelles [1]... Quant à Eric Besson, dans sa dernière conférence de presse, il a affirmé qu’en France, toutes les précautions concernant les séismes et les inondations étaient prises depuis l’origine sous l’autorité parfaitement indépendante de l’ASN...

On a le sentiment inquiétant qu’en France aujourd’hui, il n’y a plus de pilote dans l’avion de la sûreté. Une ASN, indépendante peut être, mais qui n’a pas l’air de s’inquiéter le moins du monde de défauts génériques dont elle annonce elle-même qu’ils pourraient conduire à des catastrophes, un gouvernement aveuglé par son ambition industrielle, qui préfère fermer les yeux et s’abriter derrière l’Autorité de sûreté pour ne prendre aucune décision de précaution qui pourrait nuire à l’industrie qu’il soutient. Et à part quelques exceptions, silence presque total des élus du peuple qui devraient se préoccuper de la sécurité des citoyens.

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Yves Marignac, Contrôle [Revue bimestrielle d’information de l’Autorité de Sûreté Nucléaire], dossier n°184 : « La poursuite d’exploitation des centrales nucléaires », juillet 2009

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